Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.1: Acte 1, scène 1 - #3. Épisode de transition: Jésus se rend au mont des Oliviers avec ses disciples, pp 117-145, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Jésus se rend au mont des Oliviers avec ses disciples
(Mc 14, 26-31; Mt 26, 30-35; Lc 22, 39; Jn 18, 1a)


Sommaire

Marc, copié par Matthieu, insère une scène de transition entre le dernier repas et l’arrivée au mont des Oliviers. Il utilise des éléments que Luc et Jean placent lors du dernier repas, à savoir la prédiction de la fuite des disciples et du reniement de Pierre, présentées sous le vocable de scandale. Il faut prendre ce dernier terme en son sens fort, i.e. ébranlement de la foi. Mais en plaçant la prédiction de Jésus au coeur du contexte positif du repas eucharistique, Luc et Jean atténuent son côté dramatique, ce qui est cohérent avec l’ensemble de leur récit de la passion. Par contre, c’est dans une perspective théologique et pédagogique que Marc utilise cette prédiction de Jésus comme scène de transition et d’introduction au tableau extrêmement sombre de la passion de Jésus, afin de permettre à sa communauté persécutée et souffrante de s’identifier à la faiblesse des disciples et à l’abaissement de Jésus, tout en offrant la promesse de Jésus de les précéder en Galilée où il la remettra debout. Tous les évangiles puisent au vocabulaire de Zacharie 14 et 2 Samuel 15 pour décrire cette prédiction, car cette scène de l’Ancien Testament se passe au même endroit et leur permet d’y voir le plan de Dieu.


  1. Traduction
  2. Commentaire
  3. Analyse

  1. Traduction

    Les passages parallèles sont soulignés. Les parenthèses carrées [] indiquent des parallèles trouvés dans une autre séquence dans les évangiles.

    Mc 14Mt 26Lc 22Jn 18
    26 Après avoir chanté une hymne/hymnes, ils partirent pour le mont des Oliviers. 30 Après avoir chanté une hymne/hymnes, ils partirent pour le mont des Oliviers. 39 Il sortit et se rendit, comme de coutume, au mont des Oliviers, et les disciples aussi le suivirent. 1a Ayant dit cela, Jésus s’en alla avec ses disciples de l’autre côté du torrent du Cédron... [1b Il y avait là un jardin dans lequel il entra, ainsi que ses disciples.]
    27 Et Jésus leur dit que: "Tous vous allez être scandalisés, parce qu’il est écrit: Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées. 28 Toutefois, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée." 31 Alors Jésus leur dit: "Vous tous, vous allez être scandalisés à cause de moi, cette nuit même car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32 Mais, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée." [(lors du dernier repas, Jésus parle) 28 "Vous êtes, vous, ceux qui êtes demeurés constamment avec moi dans mes épreuves; 29 et moi je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi: 30 vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. [(lors du dernier repas, Jésus parle) 16, 1 Je vous ai dit cela pour de peur que vous soyez scandalisés ...32 Voici venir l’heure - et elle est venue - où vous serez dispersés chacun de votre côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul: le Père est avec moi...] [(lors du dernier repas, Jésus parle) Jean 13, 33 Petits enfants, c’est pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je l’ai dit aux Juifs: où je vais, vous ne pouvez venir, à vous aussi je le dis à présent.
    29 Mais Pierre lui dit: "Même si tous sont scandalisés, du moins pas moi!" 30 Et Jésus lui dit: "Amen, je te le dis aujourd’hui: toi, cette nuit même, avant qu’un coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois." 31 Mais lui disait de manière véhémente : "Dussé-je mourir avec toi, je ne te renierai pas." Et tous disaient de même. 33 Prenant la parole, Pierre lui dit: "Si tous sont scandalisés à cause de toi, moi je ne serai jamais scandalisé." 34 Jésus lui dit: "Amen, je te le dis cette nuit même, avant qu’un coq chante, tu m’auras renié trois fois." 35 Pierre lui dit: "Dussé-je mourir avec toi, je ne te renierai pas." Et tous les disciples en dirent autant. 31 "Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment; 32 mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères." 33 Celui-ci lui dit: "Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort." 34 Mais il dit: "Je te le dis, Pierre, un coq ne chantera pas aujourd’hui que tu n’aies, par trois fois, nié me connaître."] Jean 13, 36 Simon-Pierre lui dit: "Seigneur, où vas-tu?" Jésus lui répondit: "Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant; mais tu me suivras plus tard." 37 Pierre lui dit: "Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent? Je donnerai ma vie pour toi." 38 Jésus répond: "Tu donneras ta vie pour moi? Amen, Amen, je te le dis, un coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois.]

  2. Commentaire

    1. L’introduction à chaque récit de la passion

      1. Marc et Matthieu

        Les deux évangélistes nous présentent une séquence identique. Matthieu accentue un peu plus les contrastes. L’ensemble pointe vers sa mort imminente.

        • Au cours des trois chapitres chez Marc (11-13) et cinq chez Matthieu (21-25), Jésus rencontre une hostilité croissante
        • À deux jours de la pâque (et des pains sans levain chez Marc), les autorités veulent le saisir en cachette
        • Pendant ce temps, à Béthanie, une femme verse de la myrrhe sur sa tête, un geste que Jésus interprète comme le rite de son ensevelissement anticipé
        • Pour sa part, Judas se rend chez les grands prêtres pour soutenir le complot
        • Puis, on se transporte au premier jour des pains sans levain, où Jésus prend un repas avec ses disciples dans une grande salle
        • Jésus parle à deux reprises :
          • Il annonce que l’un des Douze le trahira
          • Puis, il prend le pain et la coupe et les associe à son corps et son sang de l’alliance versé pour la multitude.

      2. Luc

        La séquence de Luc est partiellement similaire à celle de Marc/Matthieu.

        • Nous avons également une suite de controverses et les autorités juives cherchent à le faire mourir
        • Mais nous n’avons pas l’épisode de Béthanie, car on passe tout de suite à Judas qui promet de livrer Jésus, un exemple de récit clair et ordonné comme Luc les aime
        • Le jour des pains sans levain, Jésus se réunit également avec ses disciples dans une grande salle, mais le récit de ce dernier repas est trois fois plus long que chez Marc/Matthieu
        • L’ordre du discours de Jésus est inversé :
          • Jésus prononce d’abord les paroles sur le pain et la coupe
          • Puis vient la prédiction concernant les disciples et Pierre qui comporte un ton beaucoup positif que chez Marc/Matthieu

      3. Jean

        Chez le quatrième évangile le contexte est un plus complexe, car Jésus est venu plusieurs fois à Jérusalem (2, 13; 5, 1; 7, 10; 11, 17; 12, 1), si bien que les événements des synoptiques placés au cours de son unique séjour à Jérusalem se trouvent dispersés.

        • Une session du Sanhédrin conduite par Caïphe se déroule plus d’une semaine avant la pâque, et c’est là que se prend la décision de tuer Jésus pour éviter l’intervention romaine, tant il attire les foules à la suite de la ressuscitation de Lazare
        • Six jours avant la pâque, Marie, la soeur de Lazare, répand de la myrrhe sur les pieds de Jésus, et ce dernier relie cette scène à son ensevelissement
        • Le dernier repas commence avec 13, 1 et se déroule sur cinq chapitres (huit fois plus long que chez Marc)
        • Au cours du repas, on retrouve la prédiction de la trahison du Judas, du reniement de Pierre et de l’abandon des disciples, mais aucune parole eucharistique
        • Le repas est centré sur l’amour de Jésus pour les siens.

    2. Ouverture et verset de transition (Marc 14, 26; Matthieu 26, 30; Luc 22, 39; Jean 18, 1a)

      1. Cet épisode, où on passe du repas à ce lieu à l’est de Jérusalem, au-delà du Cédron (Jean), sur le mont des Oliviers (synoptiques), un lieu appelé Gethsémani (Marc/Matthieu), constitue une transition. Sur le plan grammatical, la scène est tellement liée à ce qui précède que Marc et Matthieu se contentent de dire « ils », en assumant que nous savons de qui il s’agit.

      2. Marc et Matthieu utilisent le verbe hymneō qu’on a traduit par « chanter une hymne/hymnes », car le singulier et le pluriel sont tous deux possibles. L’expression indique seulement un contexte de prière à la fin du repas, sans plus : il n’y a aucune donnée décisive qui nous permettrait de rattacher cette prière au Hallel de la pâque juive.

      3. Les disciples, mentionnés explicitement par Luc et Jean, implicitement par Marc et Matthieu, désignent le groupe des Douze. Notons que pour Luc, apôtres (22, 14), Douze (18, 31), et disciples (22, 39) sont souvent synonymes, même si le groupe des disciples englobe un groupe plus large.

      4. Le verbe « partir pour » (exerchomai) n’a pas de sens théologique précis. Mais c’est le lieu même du mont des Oliviers qui en a un. Au-delà du fait que Luc mentionne que Jésus y avait ses habitudes (21, 37), deux passages de l’Ancien Testament sont importants pour notre propos. Il y a d’abord cette scène apocalyptique de la manifestation de Dieu qui sert probablement arrière-fond au récit de Marc :
        Zacharie 14, 3-4 : Alors Yahvé sortira pour combattre les nations, comme lorsqu’il combat au jour de la guerre. En ce jour-là, ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l’orient. Et le mont de Oliviers se fendra par le milieu, d’est en ouest, en une immense vallée, une moitié du mont reculera vers le nord, et l’autre vers le sud.

        Et il y a cette scène qui suit la trahison d’Absalon, le fils même de David, avec le soutien de son conseiller de confiance, Ahitophel, alors que David « part pour » (exerchomai) (2 Samuel 15, 16) se rendre au mont des Oliviers et traverse « le torrent de Cédron » (en tō cheimarrō Kedrōn).

        2 Samuel 15, 30 : David gravissait en pleurant la Montée des Oliviers, la tête voilée et les pieds nus, et tout le peuple qui l’accompagnait avait la tête voilée et montait en pleurant.

    3. Le sort des disciples (Marc 14, 27-28; Matthieu 26, 31-32)

      1. Prédiction du scandale et de la dispersion (Marc 14, 27; Matthieu 26, 31)

        1. Nous commençons une nouvelle section (Et/Alors) sous le thème du scandale (skandalizō ). Littéralement, le mot signifie : trébucher, tomber, d’où pécher. Plus fondamentalement, le mot signifie : perdre la foi. C’est à cela que fait référence Luc (j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, 22, 32), et Jean en l’associant aux persécutions et aux procès (15, 18 – 16, 4). C’est également dans ce cadre qu’il faut lire la dispersion des disciples : il s’agit de la même chose qu’un pur reniement de Jésus.

        2. Toute la scène doit être lue avec l’arrière-fond du prophète Zacharie. Marc a déjà fait allusion à Zacharie 9, 9 (Exulte avec force, fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton roi vient à toi: il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse) dans la scène de l’entrée triomphale à Jérusalem, et à Zacharie 9, 11 (pour le sang de ton alliance) lors du dernier repas. Maintenant, il y a Zacharie 13, 7 : « Frappe le pasteur, que soient dispersées les brebis, et je tournerai la main contre les petits. » Pour Marc/Matthieu, il s’agit d’une dispersion par rapport à Jésus et par rapport aux uns des autres, si bien qu’il n’y a plus de troupeau unique.

        3. Chaque évangéliste y va de sa note propre. Selon son habitude, Matthieu clarifie les choses : le scandale s’applique à Jésus (à cause de moi), elle a lieu cette nuit même. Luc adoucit les angles et tient à conserver un portrait positif des disciples, si bien qu’il élimine le scandale et nous brosse une scène de félicitation adressée aux disciples : en fait, c’est une scène postpascale qu’il nous présente. Chez Jean, même si sa prédiction fait référence à la dispersion des disciples, elle vise à prévenir le scandale.

      2. Promesse du retour de Jésus après la résurrection (Marc 14, 28; Matthieu 26, 32)

        1. Après l’atmosphère négative de la prédiction, vient maintenant (toutefois/mais ) l’atmosphère positive d’une promesse de Jésus qui les précèdera (proagō ) en Galilée. Le mot proagō signifie littéralement « marcher devant » et connote à la fois le sens de priorité et celui de leadership. Pour Marc, Jésus restaurera et renouvellera cette communauté qu’il a construire au cours de son ministère.

        2. L’expression de Marc 14, 28 renvoie à la parole du jeune homme adressée aux femmes au tombeau vide : « Mais allez dire à ses disciples et à Pierre, qu’il vous précède en Galilée: c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit », Marc 16, 7. Les biblistes ont beaucoup débattu du sens de ces deux versets dans le contexte où l’évangile originelle de Marc se termine en 16, 8, sans scène d’apparition en Galilée. Pour notre part, nous nous restreindrons à l’idée que Jésus, en rapatriant ses disciples en Galilée, pourra de nouveau les rassembler, et c’est là, comme ils l’apprendront plus tard (16, 7), qu’ils pourront le voir.

    4. Le sort de Pierre (Marc 14, 29-31; Matthieu 26, 33-35)

      1. La contestation de Pierre (Marc 14, 29; Matthieu 26, 33)

        1. Comme cela se produit à plusieurs reprises dans les évangiles, Pierre est le porte-parole du groupe (voir Marc 8, 29 où Pierre proclame l’identité de Jésus au nom des autres). De même, il lui arrive de contester des paroles de Jésus (voir Marc 8, 32 où Pierre proteste devant l’annonce des souffrances de Jésus). C’est ce qui se passe ici. La tradition de la koinē , en lisant « kai ei » (quand bien même) plutôt que « ei kai » (et même si), a accentué l’idée que Pierre reconnaîtrait la possibilité du scandale chez les disciples, mais pas chez lui, insistant sur l’exception qu’il est.

        2. Comme nous l’avons mentionné plus haut, Matthieu fait un effort de clarification : il s’agit d’un scandale « à cause de toi ». Et il accentue la contestation de Pierre : « moi, je ne serai jamais scandalisé ».

      2. La prédiction de Jésus du reniement de Pierre (Marc 14, 30; Matthieu 26, 34)

        Rappelons que cette prédiction se produit en route vers Gethsémani chez Marc/Matthieu, et lors du dernier repas chez Luc/Jean, après que Pierre eut déclaré être prêt à suivre Jésus jusqu’à la mort.

        1. Chez Jean, après la mention de Jésus que les disciples ne peuvent le suivre maintenant, Pierre objecte qu’il est une exception. La réponse de Jésus sur le fait qu’il sera en mesure de le suivre plus tard véhicule une idée semblable à celle de Marc/Matthieu où Jésus annonce qu’il les précèdera en Galilée.

        2. Chez Luc, comme nous l’avons déjà souligné, le ton est positif. Luc emprunte sans doute à la source Q son passage sur la fidélité des disciples et la promesse qu’ils siégeront sur des trônes dans le Royaume. Quant à la suite où Jésus annonce l’épreuve qu’auront à subir tous les disciples et le rôle pastorale de Simon par la suite, elle provient probablement d’une source pré-lucanienne.

        3. Jean et Luc semblent refléter le vocabulaire de 2 Samuel 15 : David fuit Absalon au mont des Oliviers et demande à Ittaï de ne pas le suivre et de s’en retourner avec ses frères.

        4. Marc utilise deux termes (« aujourd’hui », « cette nuit même ») pour situer dans le temps le reniement de Pierre : le terme « cette nuit » était compris par les Juifs comme indication du début du jour qui commençait avec le coucher du soleil, et donc devait être précisé avec « aujourd’hui » pour un auditoire non Juif. Matthieu et Luc ont enlevé cette redondance, Matthieu en conservant « cette nuit » compris par son auditoire juif, Luc en conservant « aujourd’hui » compris par son auditoire grec. Chez Jean, il n’y a que la mention du prochain cri du coq.

        5. Le fait que le récit de Marc comporte deux chants du coq a suscité des débats chez les biblistes, certains y voyant une insertion de copiste. Mais il est probable que ces deux chants du coq reflètent le texte originel de Marc. Matthieu et Luc ont éliminé ce doublet, le jugeant non nécessaire.

        6. Pourquoi donc le récit de Marc tient-il à répéter deux fois le chant du coq? Cela reflète probablement le milieu gréco-romain où la levée du jour était associé au second chant du coq (Aristophane, Ekklēsiazousai, 30-31, 390-91; Juvénal, Satire, 9, 107-8; Ammien Marcellin, Res Gestae, 22.14.4).

        7. Pour exprimer l’action de renier, les synoptiques utilisent le verbe composé aparneomai, alors que Jean utilise le verbe simple arneomai. Mais il est inutile de cherche une différence dans la signification.

        8. À l’exception de Luc, on introduit la parole de Jésus avec « Amen » (deux fois chez Jean). Cela lui donne une certaine solennité.

      3. La réfutation de Pierre (Marc 14, 31; Matthieu 26, 35)

        1. Chez Marc et Matthieu, la scène se termine avec les protestations de Pierre et des disciples et leur désir de mourir avec Jésus, et donc sur un ton positif. Chez Luc et Jean, c’est le contraire : la scène se termine sur un ton négatif avec l’annonce du reniement de Pierre.

        2. Marc utilise le mot ekperissōs (plus abondamment, excessivement), un adverbe que nous avons traduit par « de manière véhémente », pour traduire la réaction de Pierre. Ce mot ne se trouve qu’ici dans tout le Nouveau Testament. Matthieu a sous doute trouvé le terme trop fort et l’a éliminé.

        3. « Dussé-je (deō ) mourir avec toi ». Le mot deō (il est nécessaire) est habituellement utilisé dans les évangiles pour exprimer la volonté de Dieu. Il y a quelque chose d’ironique à retrouver ce mot dans la bouche de Pierre, comme s’il était prêt à faire la volonté de Dieu, alors qu’il en sera en fait incapable.

  3. Analyse

    1. Les prédictions de Jésus concernant les disciples et Pierre : placement et rôle

      1. Pourquoi Marc/Matthieu ont-ils une scène de transition vers le mont des Oliviers, alors que Luc et Jean placent l’annonce de l’abandon des disciples et le reniement de Pierre lors du dernier repas? Il est inutile d’essayer de discuter où la scène a pu se passer sur le plan historique comme l’ont fait certains biblistes, soutenant qu’elle ne pouvait avoir lieu en route vers le Cédron, le sentier étant trop étroit et ne permettant que la marche en file indienne. Il faut se placer sur le plan littéraire. L’atmosphère du repas eucharistique, malgré l’évocation par Jésus du don de sa vie, est nettement positive, si bien que l’aspect dramatique de l’abandon des disciples et du reniement de Pierre chez Luc et Jean est largement atténué. D’ailleurs ces derniers éviteront les aspects trop pénibles et trop durs de la passion et de la mise en croix. Au contraire, pour conserver toute sa force au drame qui est en train de se jouer et éviter d’en atténuer les angles, Marc isole le tableau de l’abandon et du reniement pour en faire une introduction à tout le récit sombre de la passion.

      2. On peut alors se demander : pourquoi Marc insiste-t-il tant sur le scandale des disciples en introduisant le récit de la passion avec deux prédictions pessimistes? Certains biblistes ont pensé que Marc tenait à ternir l’image des disciples et de Pierre qu’on vénérait chez les premiers chrétiens. Il faut plutôt voir ici l’approche pédagogique de Marc vis-à-vis de sa communauté persécutée, où plusieurs n’avaient pu passer à travers l’épreuve. En montrant la fragilité des disciples et de Pierre, il se trouve à avertir les chrétiens de la difficulté du chemin qu’ils ont choisi et qu’ils auront à porter leur croix. En même temps, en faisant précéder cette scène de la promesse de Jésus de le précéder en Galilée où il reconstruira la communauté, il donne de l’espoir à son auditoire en leur permettant d’espérer qu’il pourra retrouver ceux qui ont échoué l’épreuve.

      3. Les deux prédictions servent un autre but relié au mystère de la personne de Jésus : Marc/Matthieu mettent l’accent sur l’abaissement de Jésus qui vit l’angoisse à Gethsémani et terminera sa vie en reprenant le psaume sur l’abandon de Dieu. Tout en accentuant l’humanité et la faiblesse de Jésus, Marc nous présente un Jésus qui s’abandonne à la volonté de Dieu à travers les annonces prophétiques de ce qui l’attend. Encore ici, on voit la pédagogie de Marc qui permet à sa communauté de s’identifier à Jésus au moment d’assumer sa propre croix et de prier d’en être épargnée.

    2. Les origines des prédictions

      1. En voyant combien les deux prédictions cadraient bien avec la théologie de Marc et lui permettaient de bien introduire la scène de la passion, certains biblistes les ont considérés comme une pure création de l’évangéliste. C’est oublier que Jean, de manière indépendante, présente une scène semblable. Il faut plutôt admettre que Marc a puisé à une tradition antérieure, une tradition sans doute différente de celle de Jean.

      2. Certains ont refusé de donner toute valeur historique aux prédictions sur Judas, la fuite des disciples et le reniement de Pierre au nom de l’argument rationaliste que prévoir l’avenir est impossible. Tout d’abord, il faut admettre que le regroupement de toutes ces prédictions autour du dernier repas, le dernier soir, a quelque chose d’artificiel et relève plus des besoins de la prédication chrétienne. À part la prédiction du reniement de Pierre, les autres prédictions pourraient avoir eu lieu à d’autres moments. Et il s’agit moins de connaître l’avenir, que de connaître la faiblesse humaine.

      3. Quant aux événements eux-mêmes, on comprendrait mal la communauté chrétienne d’avoir volontairement créé le personnage de Judas, l’un des Douze choisi par Jésus, ou la fuite des disciples vénérés par la communauté ou le reniement de Pierre, le pilier de cette communauté. Bien sûr, la composition de la scène a quelque chose de théâtral avec trois reniements avant le chant du coq, alors même que Jésus témoigne devant les prêtres; cela relève plus des besoins de la prédication, sans mettre en question la valeur historique du reniement lui-même.

      4. On a noté également l’influence de Zacharie 14 et 2 Samuel 15 dont la scène se situe au mont des Oliviers. Il ne faut pas penser que c’est l’Ancien Testament qui a amené la création de ces passages. C’est plutôt l’inverse. L’Ancien Testament a aidé à comprendre des événements qui mettent de l’avant la faiblesse humaine et à répondre à la question : comment tout cela peut correspondra au plan de Dieu? Mais Marc et Jean l’ont fait à leur façon.

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