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Sommaire
La période des préfets romains, appelés par la suite procurateurs, doit être divisée en deux, car on risque dattribuer à la première période (lan 6 à 41), plutôt pacifique, celle où Jésus a exercé son ministère, les caractéristiques de la deuxième (lan 44 à 66), beaucoup plus troublée avec ses révoltes. Cest ainsi quon a attribué à Jésus à tord différents profils de lépoque, comme leader charismatique, messie, prétendant royal, prophète charlatan, bandit, sicaire, ou zélote.
Pilate fut préfet de lan 26 à 36. Il appartenait à la noblesse romaine inférieure, le rang équestre, plutôt que sénatorial, ce qui signifie quil avait eu une carrière militaire avant de devenir préfet. Cest une figure controversée : les Chrétiens ont eu tendance à le surestimer et en faire un saint martyr, et les Juifs à le démoniser. Au cours de son administration, on peut lui attribuer six incidents où il a dû intervenir, et qui le présentent comme homme peu subtil et sans habiletés diplomatiques, peu sensible au milieu juif, suivant les procédures habituelles de larmée, mais cédant à la pression de la foule, surtout quand sa réputation était en jeu.
Le prétoire était la résidence du gouverneur romain à laquelle le public avait accès, car il servait aussi de quartier général pour ladministration. Par contre, il ne servait pas à lexercice de la justice qui prenait plutôt place dans une grande cour publique, souvent en face, là se trouvait une plateforme surélevée avec un siège ou banc pour rendre la sentence. Césarée, sur la côte de la Méditerranée, était le lieu du prétoire, le centre de ladministration romaine. Mais à certaines occasions, comme une fête religieuse, le préfet se rendait à Jérusalem. Où était alors ce prétoire? Les données nous orientent vers le palais royal dHérode sur la colline occidentale, contrairement à la tradition médiévale qui le place à la forteresse Antonia.
Le procès de Jésus a-t-il été un procès romain en bonne et due forme? Il nexiste malheureusement aucun procès-verbal de ce procès. Et la présentation des évangiles est un peu étriquée : le récit de Marc/Matthieu est si bref quon ne prend pas la peine de lire le chef daccusation; le seul élément de preuve est une réponse ambigüe à la question initiale; et la sentence est prononcée sous la pression de la foule. Malgré tout, il est plausible dimaginer que, puisque Jésus nétait pas citoyen romain, le procès fut peut-être mené selon les procédures romaines extra ordinem, où il nétait pas nécessaire de suivre toutes les procédures prévues par la loi, et que Pilate avait le droit de se contenter dun simple interrogatoire. En cela, lattitude de Pilate nest pas différente de celle quil a eue dans six autres incidents. Sur le plan légal, linnocence de laccusé nest pas claire au point quil aurait pu prendre une chance en le relâchant; alors il cède à la pression de la foule.
- Les règles entourant un procurateur romain dans la Judée/Palestine
- Une distinction entre deux périodes du gouvernement romain (lan 6 à 41, et 44 à 66)
- Jésus comme un révolutionnaire et les figures de la scène politique
- Les « leaders charismatiques »
- Les messies
- Les prétendus rois
- Les prophètes et les charlatans
- Les bandits
- Les sicarii
- Les zélotes
- La période de Ponce Pilate comme préfet (lan 26 à 36)
- Le contexte et les données sur la carrière de Pilate
- Les évaluations sur Pilate, tant favorables que défavorables
- Six incidents ou items impliquant Pilate
- Le site du procès de Jésus : le prétoire
- La signification et la nature du prétoire
- Deux candidats pour le prétoire mentionné dans le récit de la passion
- Le type dun procès romain
- La valeur légale de lenregistrement du procès par les évangiles
- La relation entre le procès romain et le procès/interrogatoire juif
- Le statut légal des aspects choisis du procès romain de Jésus
Après le règne dHérode Archelaüs, fils dHérode le Grand, cest lère des préfets/procurateurs romains qui dure 60 ans (de lan 6 à 66).
- Les règles entourant un procurateur romain dans la Judée/Palestine
- Une distinction entre deux périodes du gouvernement romain (lan 6 à 41, et 44 à 66)
Il faut distinguer deux périodes séparées par le règne du roi Hérode Agrippa I (41-44), car dans la première période de 35 ans sept préfets, venus dItalie, se sont succédés, tandis que dans la deuxième période, plus courte et plus troublée de 22 ans, le même nombre de procurateurs, mais venus majoritairement de la partie orientale grecque de lempire, ont sévit. On confond souvent les deux périodes, attribuant à la première les caractéristiques de la seconde marquée par le terrorisme des zélotes, ce qui a contribué à créer le mythe dun Jésus révolutionnaire, à la manière de Che Guevara ou Gandhi.
Si on examine de près cette première période, il faut reconnaître quelle était vraiment pacifique. Bien sûr, les Juifs faisant face à une occupation hostile, mais ils préféraient néanmoins le gouvernement romain à la période trouble de plus dun siècle quils venaient de vivre. Il suffit de penser au grand prêtre hasmonéen, Alexandre Jannée (107 à 76 av. JC) qui a fait crucifier des centaines de gens, incluant des Pharisiens. Ses fils Hyrcan et Aristobule II se sont entredéchirés, laissant un pays divisé. Hérode le Grand (40/37 à 4 av. JC) a fait exterminer le reste des Hasmonéens, ainsi que des membres de sa famille et des Pharisiens (voir Josèphe, Antiquités judaïques, 17.2.4; #44-55). À sa mort, on dénombre un certain nombre de révoltes qui ont amené le règne de son fils Archélaüs en Judée. Mais ce dernier était si mauvais comme chef détat que les Juifs eux même ont demandé lintervention romaine, introduisant ainsi la séquence des préfets romains, en lan 6 de notre ère, en commençant par Coponius (voir Josèphe, Guerre juive, 2.7.3 à 8.1; #111-117). Certains relèveront la révolte de Judas le Galilée en lan 6 de notre ère contre le recensement romain, dans une période de transition, mais cette révolte ne fut pas considérée comme très sérieuse. Bref, ladministration saine et ordonnée des romains était perçue comme préférable aux tumultes juifs qui avaient précédé. Et cest dans ce cadre quil faut placer le Jésus adulte à partir de ses douze ans jusquà sa mort, i.e. de lan 7 à 30/33 de notre ère).
- Jésus comme un révolutionnaire et les figures de la scène politique
Il importe dabord de clarifier la figure de Jésus, car un certain nombre de biblistes, en commençant par Hermann Samuel Reimarus (LObjectif de Jésus et de ses disciples, 1778), ont soutenu le mythe dun Jésus révolutionnaire, qui espérait devenir roi des Juifs, et qui a jeté léponge lors de la Pâque juive, quand il sest retrouvé avec seulement un petit groupe de gens qui le suivaient. Dautres biblistes ont suivi en présentant un Jésus en révolte contre lautorité juive et romaine, planifiant un assaut du temple. Pour eux, Jésus a été crucifié pour des raisons uniquement politiques, et si les autorités juives lont ainsi dénoncé, cest quil représentait une menace pour létat juif dont elles étaient responsables aux yeux de Rome. Un évangéliste comme Marc a caché tout cet aspect de Jésus pour éviter que les Chrétiens soient vus comme une menace pour le gouvernement romain. Alors examinons les différentes figures quon a associées à Jésus.
- Les « leaders charismatiques »
Quentendre par cette expression? Si on veut parler dune personne qui sait persuader et attirer des disciples dans la proclamation de son message, alors lexpression sapplique à beaucoup de monde. Cela na rien de révolutionnaire. Placée dans un contexte religieux, une telle personne est vue comme envoyée de Dieu. Cependant, même si des gens ont été impressionnés par les capacités de Jésus de guérir et de parler avec autorité, un tel comportement ne correspond pas à la définition technique dune personne charismatique, telle que spécifié en 1 Co 12, i.e. un don de lEsprit pour accomplir un rôle particulier. Selon les évangiles, Jésus est né de lEsprit Saint et lEsprit a reposé sur lui, mais on ne dit jamais quil a été revêtu de lEsprit pour accomplir un rôle quil ne possédait pas encore.
- Les messies
Rappelons dabord ce que nous avons dit plus tôt (#17), i.e. Josèphe ne donne le titre de messie (christos) à aucun Juif, sinon Jésus. Certains biblistes ont tendance à affubler du titre de messie tout leader ou mouvement social ou politique source dagitation. Avec raison, dautres prennent la peine de distinguer les prophètes ou les chefs des bandits des figures messianiques. Si on peut admettre que, dans la période préexilique et même au début de la période du second temple, certains leaders charismatiques se sont détachés et ont emmenés les gens à les accepter comme leur roi, par exemple Saül, il est tout à fait inapproprié dappeler « messianique » des manifestations charismatique de royauté non davidique dans la dernière période du second temple; cest ce que confirment les manuscrits de la Mer morte, les Psaumes de Salomon et la 14e des « Dix-huit bénédictions » où on espérait un oint, un fils de David qui restaurerait dans toute sa gloire le royaume davidique. Et on chercherait en vain dans les données disponibles à la fin de la période du second temple quelquun qui répondrait à cette définition par ses disciples. La seule exception, ce sont les Chrétiens (et peut-être les disciples de Jésus lors de son ministère) qui ont revendiqué une lignée davidique pour Jésus.
- Les prétendus rois
Daprès Josèphe, on peut identifier cinq prétendants à la royauté (mais aucun ne mentionne une appartenance à la lignée davidique)
- Judas fils dÉzéchias (un chef de brigand)
- Simon lesclave
- Athrongéos le berger
- Menahem, le fils / petit-fils de Judas le Galiléen, entrant armé à Jérusalem avec une bande de brigands et portant la robe royale
- Simon fils de Giora, un héro militaire qui a rassemblé une armée considérable de mécontents qui lont reconnu comme roi
Ces noms appartiennent à deux époques différentes. Les trois premiers datent de lépoque de la mort dHérode le Grand (an 4 av. JC; voir Josèphe, La guerre juive, 2.4.1-3 : #55-65), le deux derniers de la révolte juive vers lan 66 (Josèphe, La guerre juive, 2.17.8-9 : #433-448; 4.9.3-4 : #507-513). Le premier groupe était actif à la campagne et sadressait à des paysans qui cherchaient une structure sociale plus égalitaire et juste en attaquant lautorité dHérode. Le deuxième sest joint à la grande révolte juive contre les Romains.
On aura observé que le premier groupe a sévi 30 ans avant le ministère public de Jésus, et le second 30 ans après. On ne peut donc pas vraiment parler de prétendants à la royauté à lépoque de Pilate, une époque où la Judée était bien gouvernée. Et il y a quelque chose dincongru dassocier Jésus à tous ces prétendants :
- Ces prétendus rois ce sont entourés de troupes armées, alors que Jésus sest entouré de pêcheurs et de percepteurs dimpôt, ne menant aucune campagne militaire
- Bien sûr, on ne sait pas exactement comment son auditoire a compris les références de Jésus au « royaume de Dieu », mais aucune parole ne suggère lintention détablir une royauté politique sur cette terre; même si on la salué comme « fils de David » (Mc 10, 47), Jésus semble minimiser la valeur de ce titre (Mc 12, 35-37), et selon Jean, il refuse quon le fasse roi (Jn 6, 15) et affirme que son royaume nest pas de ce monde (Jn 18, 36)
- Certains biblistes ont tenté dexploiter laffirmation de Jésus quil nest pas venu apporter la paix mais la guerre (Mt 10, 34), et le fait que les disciples avaient une épée lors de son arrestation, pour faire de lui un révolutionnaire; mais cest oublier certaines scènes, comme celle où Jésus demande de rendre à César ce qui est à César (Mc 12, 17 et par.), ou celle où il demande de remettre lépée au fourreau (Mc 14, 47), et sa parole sur la non-pertinence des armes pour sa mission (Lc 22, 38.49-511)
- Les prophètes et les charlatans
Considérons les diverses figures appelées prophètes à lépoque.
- Il y a dabord les « voyants » qui prétendaient être capables dinterpréter lavenir. On compte dabord les Esséniens éduqués et le Maître de justice lui-même à Qumran qui pouvaient trouver dans les livres sacrés un enseignement pour ce qui se produisait maintenant. Alors on a fait le parallèle avec Jésus voyant dans sa passion la réalisation des écrits prophétiques (Mc 14, 27). De même, des Esséniens et des Pharisiens étaient reconnus pour être capables de prédire ce qui allait se passer, tout comme les évangiles le disent de Jésus (par exemple, Mc 14, 13.30; Jn 21, 18-19).
- De manière plus importante pour notre propos, il y a ceux qui émettaient des oracles terribles sur une intervention divine imminente pour punir le peuple, Jérusalem ou son temple, à la manière des prophètes dautrefois comme Amos, Isaïe, Michée, Jérémie et les autres. Mentionnons dabord Jésus, fils dAnanias, qui est venu à Jérusalem au début des années 60 avec un message de jugement divin contre la cité et son temple, ce qui a amené les autorités religieuses à le remettre aux Romains pour quil soit exécuté. Mentionnons aussi Jean-Baptiste qui a effrayé Hérode Antipas au point où il le fit tuer. Quant à Jésus, certains lont associé à lun des prophètes comme Jérémie (Mt 16, 14; Mc 8, 28).
- Un troisième type de prophètes a dirigé un large mouvement de disciples, parfois armés, pour provoquer une destruction ou une libération quon avait prédite. En général, ces prophètes ont promis un signe, mais ont échoué face à une répression violente qui a occasionné plusieurs morts. Josèphe les décrit comme des charlatans et des imposteurs. Donnons des exemples :
- Vers lan 36, un prophète Samaritain a rassemblé le petit peuple au mont Garizim pour montrer lendroit où Moïse aurait déposé les vases sacrés, un mouvement que Pilate a réprimé dans le sang
- Vers lan 45, au temps du procurateur Cuspius Fadus, Theudas, un prophète autoproclamé, a convaincu les masses de le suivre avec leurs possessions au fleuve Jourdain, promettant de le diviser en deux pour quon puisse le traverser; il fut tué et décapité
- Daprès Josèphe, un prophète égyptien autoproclamé dupa 30 000 personnes pour quils le suivent sur le Mont des oliviers doù, par sa parole, il ferait tomber les murs de Jérusalem; les autorités massacrèrent plus de 400 personnes
- En août de lan 70, à la fin du siège romain de Jérusalem, alors que le temple était en feu, 6 000 personnes périrent parce quils avaient écouté un « faux prophète » qui les avaient amenées vers le portique de la cour extérieure
Tout cela, comme on laura noté, sest passé après la période du ministère de Jésus. Et ce nest donc que rétrospectivement quon a pu associer Jésus et ses disciples à ces mouvements : les procurateurs romains ont pu être associés aux Pharaons, si bien que Jésus devint le nouveau Moïse qui marche sur les eaux et nourrit la foule avec la nouvelle manne, ou comme Élie ou Élisée. Il reste quon ne sest jamais souvenu de Jésus comme quelquun qui aurait rassemblé les foules pour les conduire dans un lieu symbolique avec promesse daccomplir des signes miraculeux; au contraire, il a repoussé les demandes de signe (Mt 12, 38-39; 16, 1-4; 27, 42). Jésus a plutôt mis en garde contre les faux prophètes accomplissant des signes et des merveilles, et demandant quon les suive au désert. Josèphe lui-même, qui parle souvent des charlatans, ny associe jamais Jésus. Enfin, mentionnons quaucun des prophètes évoqués plus haut na subi un procès avant dêtre exécuté, comme ce fut le cas pour Jésus.
- Les bandits
Parmi les 14 occurrences de lēstēs (bandit) dans les évangiles, la moitié surviennent dans les récits de la passion, dune part dans la bouche de ennemis de Jésus pour le désigner, dautre part en référence en Barabbas ou à ceux qui seront crucifiés avec lui. Quel sens avait ce mot? Au premier siècle, il faisait référence aux hommes armés et violents qui ravageaient les campagnes ou les fauteurs de trouble qui suscitaient des émeutes en ville. Barabbas représentait lun de ces types. Mais aucune donnée nindique quils pouvaient être des révolutionnaires. Chez Josèphe, toutes les références à lēstēs surviennent en dehors de la période du ministère de Jésus. On chercherait en fait une référence à une révolte contre les Romains. Après lan 70 et la chute de Jérusalem, il est possible quon ait eu tendance à associer Barabbas et ceux qui furent crucifiés avec Jésus aux révolutionnaires de la révolte juive de 66-70. Ce fut probablement également le cas de la propagande antichrétienne. Mais on chercherait en vain des données qui soutiendraient lidée que Jésus fut considéré comme un révolutionnaire à son époque.
- Les sicaires
Le mot sicaire signifie littéralement « porteur dun poignard », i.e. quelquun qui sinfiltrait dans la foule et plantait sans discrimination son couteau sur quelquun pour créer un émoi et susciter une réaction romaine. Josèphe fait référence à ces terroristes pendant la période de Félix (52-60) et la suivante. On pratiquait alors des assassinats sélectifs, éliminant la bourgeoisie juive et mettant le feu à des villages entiers (voir Josèphe, La guerre juive, 2.13.3 : #254-257). Ils ont prospérés pendant le règne de Festus (60-62), mais perdirent la ferveur populaire à lorée de la première révolte juive. Jamais Josèphe ne les mentionne pendant la période de Pilate.
- Les zélotes
Le mot grec zēlōtēs signifie : zélé. Il traduit le mot hébreu dont la racine est : qn. Un zélote reflète lidée que Dieu naime pas les tièdes et quil faut protéger Ses intérêts : cest Pinhas qui massacre les violateurs de la loi (Nb 25, 6-13), ce sont les Maccabées qui résistent au syncrétisme hellénistique (1 Mac 2, 24.26), ou cest Paul qui persécute les chrétiens qui délaissent la tradition des ancêtres (Ga 1, 13-14). Dans tout cela, lennemi est avant tout le violateur de la loi, non pas les Romains. Mais les zélotes désignaient aussi un groupe de jeunes qui sétaient engagés à attaquer sans merci ceux qui les empêchaient de réaliser leur vision dune pureté cultuelle en relation avec la Loi et le temple. Josèphe les perçoit comme de violents révolutionnaires, mais mentionne leur existence seulement lors de la révolte juive, vers la fin de lan 67. Ils seraient apparus à Jérusalem à loccasion de cette révolte, un groupe parmi beaucoup dautres, mais le seul dirigé par des prêtres et ayant établi son quartier dans la cour intérieure du temple.
Comment alors expliquer quun des disciples de Jésus, Simon, soit appelé zélote (Lc 6, 15; Ac 1, 13)? Le mot avait certainement le sens général de « zélé », et non pas dun membre du groupe organisé des zélotes qui nexistait pas à lépoque. Car Jésus ne pouvait être associé aux zélotes alors quil choisit comme disciple un percepteur dimpôt, un pro-établissement. Et le fait même quon ait laissé en paix ses disciples lors de sa mise en mort, au moment même de la fête de la Pâque alors que latmosphère était volatile, indique que les autorités ne considéraient pas être en face dun mouvement révolutionnaire. Bref, le style du gouvernement romain à lépoque du ministère de Jésus ne se prêtait pas à des mouvements révolutionnaires violents.
- La période de Ponce Pilate comme préfet (lan 26 à 36)
- Le contexte et les données sur la carrière de Pilate
Pendant le règne de lempereur Tibère (14 37), la période qui va de lan 26 à 31 est marquée par la présence de Lucius Aelius Sejanus, un noble romain qui a graduellement acquis beaucoup dimportance, au point de se voir confié ladministration quotidienne de lempire, pendant que Tibère lui-même sétait retiré en 26-27 sur lîle de Capri. Lambition de Sejanus atteint son apogée en 31 alors quil était virtuellement coempereur, avant dêtre démasqué, puis rejeté et mis à mort par Tibère le 18 octobre de lan 31. Dans ce contexte, la date de la mort de Jésus devient importante : sil est mort lors de la Pâque de lan 30, alors Sejanus était en poste; si cest plutôt en 33, alors Sejanus nétait déjà plus. Létablissement dune corrélation entre la mort de Jésus et ladministration de Sejanus dépend de deux autres points.
- Sejanus était-il le patron de Pilate quand il fut désigné préfet de Judée en lan 26? Si cest le cas, Pilate pouvait se sentir plus confiant dobtenir lappui de Rome avec la mort de Jésus en lan 30, quune mort en lan 33. Selon Jn 19, 12, où la foule crie : « Si tu le relâches, tu nes pas ami de César: quiconque se fait roi, soppose à César », Pilate subit la menace de se faire dénoncer à Rome. La menace pouvait être plus grave si le patron de Pilate était tombé en défaveur.
- Sejanus était-il vraiment antijuif comme le rapporte Philon (Ad Gaium 24 : #160-161; In Flacum, 1)? Si cest le cas, alors Pilate cherchait peut-être à imiter son patron et à lui plaire. Mais ce point nest pas confirmé par dautres auteurs anciens, et Philon a pu mettre les actions antijuives sur le dos de Sejanus, tombé en disgrâce, pour éviter daccuser lempereur Tibère lui-même.
Tout cela nous fait prendre conscience de la réalité politique dont Pilate devait tenir compte. Mais il y a trop déléments hypothétiques pour déterminer leur impact sur la mort de Jésus.
Que savons-nous donc sur Pilate? Ponce Pilate appartenait à la noblesse romaine inférieure, le rang équestre, plutôt que sénatorial, ce qui signifie quil avait eu une carrière militaire avant de devenir préfet. Sa tribu ou gens est indiquée par son nom Pontius et est originaire du Samnium (région montagneuse dItalie centrale), tandis que sa famille est indiquée par son prénom de Pilate, qui provient de pileus (chapeau, casque) ou pilum (lance). Il fut le cinquième de la suite des sept préfets de Judée avant le règne dAgrippa. Il faut également souligner sa longévité (26 36) lors de cette période qui sétend de lan 6 à 66 alors que 14 préfets / procurateurs se succéderont. Au cours de son mandat, trois légats de Syrie se sont succédé. Aussi, doit-on être circonspect devant certains biblistes qui le considèrent irresponsables. Fait à noter, Pilate na jamais déposé un grand prêtre (Caïphe fut en poste de lan 18 à 36/37), contrairement à son prédécesseur, Valerius Gratus qui en a déposé quatre lors de son mandat. En 1961, on a découvert à Césarée une inscription endommagée, dont on a perdu le côté gauche, sur laquelle on pouvait encore lire : Pontius Pilatus, préfet de Judée.
- Les évaluations sur Pilate, tant favorables que défavorables
Dans lAntiquité, on présente des portraits de Pilate qui divergent. Ainsi, celui de Marc nest pas très flatteur, car même si Pilate sait que cest par jalousie quon a livré Jésus, il ne fait rien pour laider. Mais les autres évangélistes nous le dépeignent sous des traits plus nobles, alors quil cherche des moyens pour libérer Jésus, sachant les accusations exagérées et même fausses. Par la suite, dans la christologie chrétienne, Pilate devient avant tout un repère chronologique concernant la réalité de la mort de Jésus, comme en témoigne le Credo : « Il a souffert sous Ponce Pilate ».
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cest un portrait favorable de Pilate qui va prédominer. Pour Tertullien (Apologétique, 21.18,24), il est un chrétien de coeur. Pour Hippolyte de Rome (Commentaire sur Daniel, 1.27), Pilate est aussi innocent du sang de Jésus que Daniel en relation avec Suzanne. Lécrit apocryphe Les Actes de Pilate le montre en train de pleurer sur Jésus et désirer quil ne soit pas mis à mort. Un autre écrit apocryphe, Lévangile de Gamaliel, décrit le martyr de Pilate. La femme de ce dernier, quon a appelé Procla, fut honorée par lÉglise grecque le 27 octobre. Au 9e siècle, on considérait Vienne (en France) comme le lieu de la mort de Pilate, et plus tard en Suisse, et on a ainsi conservé sa mémoire avec le mont Pilat près de Vienne, et le mont Pilate près de Lucerne.
Pourtant, dans le monde juif le portrait de Pilate nest pas favorable. Lhistorien Josèphe nous en brosse un tableau hostile. Philon dAlexandrie, dans son Legatio ad Gaium (par exemple, 28 : #302), le noircit encore davantage : il aurait multiplié les actions de corruption, les insultes, les vols, les blessures gratuites, les exécutions sommaires, se montrant extrêmement cruel. Mais dans ce dernier cas, lapproche est avant tout rhétorique, car Philon veut justifier la bonne décision du remplacement dune suite de préfets romains par le Juif Agrippa, et donc a tout intérêt à dénigrer Pilate.
- Six incidents ou items impliquant Pilate
- Lincident des étendards emblématiques en lan 26
Nouvellement nommé préfet et voulant montrer sa loyauté à lempereur Tibère, Pilate fit entrer ses troupes à Jérusalem avec des médaillons emblématiques ou bustes de César attachés aux étendards (Josèphe, La guerre juive, 2.9.2-3 : #169-174; Les antiquités judaïques, 18.3.1 : #55-59). Cétait un événement sans précédent pour les Juifs qui refusent toute image. Ces derniers envoient une délégation à son quartier général de Césarée pour demander quon enlève de Jérusalem les étendards. Après six jours de protestations à la suite de son refus, Pilate fait encercler la délégation par larmée avec menace de les tuer tous sils ne sen retournent pas. Mais les voyant se coucher par terre, prêts à mourir, il cède et fait enlever les étendards. Tout cela suggère un homme peu subtil et sans habiletés diplomatiques, suivant les procédures habituelles de larmée et voulant établir sa réputation dès le début de son mandate. Toutefois, on est loin du tyran entêté et sanguinaire.
- Lincident avec la monnaie portant des symboles cultuels païen vers 29-31
La monnaie impériale pour la région syro-palestinienne était frappée à Antioche, sauf pour certaines courtes périodes où elle pouvait lêtre en Judée. Et plus particulièrement durant ladministration préfectorale romaine, on trouve en Judée des pièces de monnaie affichant un simpulum (un genre de louche utilisée pour verser le vin lors des sacrifices de libation) et aussi un lituus (un bâton courbé utilisé pour les augures). Lapparition de cette monnaie correspond à larrivée de Pilate en poste. Souvent, on utilisait une matrice standard, sans la date, et cétait les régions qui finalisaient la pièce en frappant la date, ce qui explique le caractère presquillisible de la date sur certaines pièces en Judée. On a trouvé quelques unes de ces pièces en Judée, lune datée de la 16e année de Tibère (lan 29) affichant le simpulum sur une face, et un épi de blé sur lautre, dautres datées des années 30 et 31, avec le simpulum et le lituus. On peut facilement imaginer que les Juifs étaient très mal à laise avec ces symboles païens. Mais on na aucun indice dune quelconque révolte ou de mouvements de désordre. Si Pilate a contribué à lémission de cette monnaie, ce nest pas par provocation; il na fait que suivre les procédures romaines habituelles. On peut seulement lui reprocher son insensibilité au milieu juif.
- La révolte autour de laqueduc
Plus tard (voir Josèphe, La guerre juive, 2.9.4 : #175-177; Les antiquités judaïques, 18.3.2 : #60-62), sans quon puisse préciser exactement quand, Pilate utilisa le trésor sacré du temple, appelé qorban (en grec : korbōnas), afin de construire un aqueduc de 30 à 60 kilomètres pour Jérusalem. Ce nétait pas un geste de cupidité, mais une action de travaux publics pour le bien-être de la population de Jérusalem. Malgré tout, les foules encerclèrent le tribunal de Pilate alors quil se trouvait à Jérusalem pour une fête quelconque, et tinrent un siège. Le préfet envoya ses soldats habillés en civil, sans épée, mais armés seulement dun gourdin pour frapper les émeutiers. Malgré la consigne donnée, les soldats frappèrent violemment tant les émeutiers que les badauds, si bien quun grand nombre de Juifs périrent. Clairement, Pilate a sous-estimé la brutalité de ses soldats. Mais on est loin dun geste calculé pour massacrer des innocents.
- Le sacrifice sanglant des Galiléens vers 28-29
Luc (13, 1-2) écrit : « En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices. Prenant la parole, il leur dit: "Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens? ». La mention des sacrifices fait probablement référence à une fête à Jérusalem qui aurait amené dans la ville un certain nombre de Galiléens. On peut penser que le faible nombre de victimes na pas retenu lattention de Josèphe ou Philon.
- Les boucliers dor après lan 31
Cet incident a seulement pour source Philon (Legatio ad Gaium 38 : #299-305). Selon lui, Pilate aurait mis dans le palais dHérode des boucliers dor quil consacra à Tibère dans le but explicite dirriter la foule. Il est possible que même sil ny avait pas dimage, le contexte suggère que le tout avait un sens religieux. Les protestations de la population devant cette atteinte aux traditions juives furent adressées à Pilate par lintermédiaire de quatre princes, incluant peut-être Hérode Antipas, Philippe dIturée et Hérode Philippe. Devant son refus, on rappela à Pilate quil créait une situation propice à une insurrection, et même à la guerre, ce que ne désirait certainement pas Tibère. Cela effraya Pilate qui craignit quon envoya une ambassade contre lui à Rome, ce qui fut fait, et lempereur exigea quon ramène les boucliers dor à Césarée.
On peut douter de lobjectivité de Philon dans ce récit. Car il sadresse à lempereur Claude linvitant à prendre la même position que Tibère face à Pilate et déviter ce qua fait Caligula en essayant de mettre sa statue dans le temple. De plus, si vraiment Tibère sest irrité contre Pilate, pourquoi la-t-il gardé en poste?
Chez les biblistes, il y a eu des discussions pour déterminer si cet événement est vraiment distinct de notre premier incident (les étendards emblématiques) raconté par Josèphe. La plupart des biblistes croient que oui, car, dune part, lincident raconté par Philon est plus inoffensif que celui des étendards, dautre part, le Pilate de Philon apparaît dénué de lappui de Rome, ce qui placerait lévénement après lan 31, i.e. après la chute de son mentor Sejanus, donc 5 ans après lincident des étendards.
Cet incident des boucliers dor où la multitude essaie dintimider Pilate par des menaces, apporte un certain éclairage à cette scène de la passion selon Jean 19, 12, où la foule crie : « Si tu le relâches, tu nes pas ami de César: quiconque se fait roi, soppose à César ».
- Le prophète samaritain
Daprès Josèphe (Les antiquités judaïques, 18.4.1-2 : #85-89), un faux prophète avait promis aux Samaritain de leur montrer sur le mont Garizim les vases sacrés enfouis par Moïse. Ceux-ci se rassemblèrent avec des armes à Tirathana, non loin de la montagne. Alors Pilate aurait eu peur de ce fanatisme eschatologique, et donc bloqua lascension avec une cavalerie et une infanterie lourdement armées. Une escarmouche sen suivit, des Samaritains furent tués, plusieurs furent emprisonnés et leur leader exécuté. Le Conseil samaritain protesta auprès du légat de Syrie, Vitellius, qui ordonna à Pilate de quitter la Judée et de se rendre à Rome, mettant fin à sa fonction préfectorale. Pourtant, lintervention de Pilate nétait pas un geste irréfléchi. On peut se demander si la réaction si prompte de Vitellius à prendre position pour les Samaritains visait avant tout à impressionner Tibère qui ne voulait pas quon bouleverse les traditions locales. Mais lattitude de Pilate avait peut-être été influencée par les grands prêtres, en particulier Caïphe, qui détestaient le culte samaritain. Si vraiment Caïphe a mis de la pression sur Pilate, on pourrait comprendre pourquoi il fut démis de ses fonctions tout de suite après le départ de Pilate.
Limage qui se dégage de ces six événements nest pas celle de quelquun sans fautes, mais certainement différente de la caricature quen fait Philon. Lévangéliste Jean nous présente le caractère dramatique dune personne indécise devant le choix entre la vérité et le mensonge. Dans lensemble, le portrait quen brosse les quatre évangiles nest pas totalement invraisemblable, même si on peut douter de lhistoricité de chaque détail. Imaginons un instant que Josèphe aurait ajouté un autre incident sur Pilate (à ajouter après l'incident c., mais avant l'incident f.), où les autorités de Jérusalem lui auraient amené pour être puni un homme qui aurait menacé le sanctuaire du temple et prétendrait être roi. Après examen, Pilate laurait trouvé sans danger et compris que les leaders juifs étaient partiaux. Or, comme lhomme était de Galilée, un prince hérodien séjournant dans la ville fut impliqué dans le cas, et Pilate lui fit part de sa décision de ne pas lexécuter. Mais quand il vit quune émeute samorçait dans la ville après cette annonce, Pilate recula et accepta la demande des leaders juifs. Après les six incidents décrits plus haut, qui pourrait dire que ce septième incident imaginaire ne correspond pas au comportement typique de Pilate? Et cest ce que laisse transparaître les évangiles.
- Le site du procès de Jésus : le prétoire
Les synoptiques nous donnent limpression que tout le procès romain se passe à lextérieur, et que les chefs des prêtres, les anciens, les scribes et le peuple sont tout près et peuvent converser avec Pilate. Et cest seulement après être condamné et fouetté que les soldats amènent Jésus à lintérieur, dans le aulē. Par contre, chez Jean (18, 28ss), tout le procès se déroule à lintérieur dans le praetorium, dans une rencontre privée entre Jésus et Pilate, et ce nest quà la fin que Pilate sort à lextérieur et sassoit sur le siège du jugement (bēma), dans un endroit appelé Lithostrotos (voie de pierre), Gabbatha en Hébreu; cest de ce lieu quil sadresse aux Juifs et rend sa sentence. Matthieu (27, 19) est le seul autre évangéliste à mentionner le bēma, apparemment à lextérieur. Quest donc ce praetorium et où se trouvait-il?
- La signification et la nature du prétoire
Le mot latin praetorium est associé au préteur, un dignitaire romain qui servait comme général darmée, et est formé de la préposition prae (avant) et du mot itor (celui qui marche), donc celui qui marche devant. Dans une campagne militaire, le prétoire était son quartier général. Quand les préteurs sont devenus des gouverneurs de territoires occupés, le prétoire était leur résidence dans la ville principale, souvent le palais de lancien roi que les Romains avaient remplacé. Le public y avait accès, car il servait aussi de quartier général pour ladministration. Par contre, il ne servait pas à lexercice de la justice qui prenait plutôt place dans une basilique, au forum, ou dans une grande cour publique (souvent en face du prétoire), là se trouvait une plateforme surélevée (en latin sella curulis, en grec bēma) avec un siège ou banc pour le dignitaire qui devait rendre sa sentence.
Césarée, sur la côte de la Méditerranée, était le lieu du prétoire, le centre de ladministration romaine. Mais à certaines occasions, comme lors dune fête religieuse, ou simplement pour manifester la présence romaine, le préfet / procurateur se rendait à Jérusalem. Où y demeurait-il? Ni Philon, ni Josèphe nutilisent le mot prétoire pour un édifice à Jérusalem. Mais ils offrent de linformation sur deux édifices dorigine hérodienne qui pourraient être des candidats pour ce que les évangiles appellent : prétoire.
- Deux candidats pour le prétoire mentionné dans le récit de la passion
- Description des candidats
Premier candidat : la forteresse Antonia. Cet ancien château des rois-prêtres hasmonéens a été restauré de manière luxueuse par Hérode le Grand vers 37-35 av. JC. Construit sur un promontoire rocheux jouxtant le coin nord-ouest du temple (voir la carte de Jérusalem) et constituant la fin du 2e mur de la ville, il faisait partie de la ligne des défenses nord. Ce mur était la limite de la ville au temps de Jésus. Hérode la utilisé comme une de ses demeures, mais par la suite il servit de quartier pour une cohorte romaine qui lui donnait un accès privilégié au temple. Mais Josèphe ne donne jamais le nom de aulē (palais) à lédifice, mais pyrgos (tour) ou phrourion (forteresse).
Deuxième candidat : le palais (aulē) du roi (Hérode). Cest une véritable forteresse construite sur la colline ouest de la ville sur des ruines hasmonéennes (voir la carte de Jérusalem). Elle fait aussi partie de la ligne des défenses nord. À lextérieur, on trouvait trois immenses tours construites par Hérode auxquelles il donna le nom damis et de membres de sa famille : Hippicus, Phasaël, Mariamme. Cétait la résidence principale dHérode. Josèphe considère indescriptible son luxe et son extravagance (La guerre juive, 1.21.1 : #402; Les antiquités judaïques, 15.9.3 : #318).
- Analyse des données
Tout dabord, il semble peu vraisemblable quun préfet / procurateur, séjournant à Jérusalem, résiderait dans la forteresse Antonia, laissant au tribun et à sa cohorte la résidence beaucoup plus prestigieuse du palais royal. Et il y a surtout ce passage de Josèphe sur Florus, le dernier procurateur :
Florus logeait (aulizein) dans la résidence royale et, le jour suivant, fit placer devant un tribunal (bēma) et y siégea. Les grands prêtres et les citoyens les plus influents et les plus connus vinrent alors devant le bēma. (La Guerre Juive, 2.14.8; #301)
Cest le même langage quutilise Josèphe en racontant lincident de laqueduc (voir plutôt c. révolte autour de laqueduc), alors que la foule encercle le tribunal. De même, dans lincident des boucliers dor (voir plutôt e.), Josèphe parle de consécration dans la « résidence royale (basileia) » dHérode.
Dans le Nouveau Testament, quand il décrit la scène à propos de Barabbas où la foule se rend chez Pilate pour demander la grâce habituelle dun prisonnier, Marc 15, 8 écrit : « La foule étant montée (anabainein) ». Laction de « monter » correspond parfaitement à la géographie du palais dHérode, situé sur le lieu le plus élevé de Jérusalem, et cela cadre aussi avec le terme de Gabbatha de Jn 19, 13, un terme hébreu qui signifie : endroit élevé ou colline. De plus, Marc parle de aulē pour désigner le prétoire, un terme que Josèphe utilise pour le palais royal, mais jamais pour la forteresse Antonia. Quant au bēma, Mt 27, 19 et Jn 19, 13 le placent à lextérieur du prétoire, exactement à lendroit où Josèphe le place dans son récit sur Florus cité plus haut. Enfin, Jn 19, 13 mentionne un lithostrōtos (voie de pierre) à lextérieur du prétoire. Il faut assumer que la pierre était si impressionnante quelle a retenu lattention et éveillé limagination. Josèphe ne parle daucune pierre en référence à la forteresse Antonia, mais parle dune variété de pierres précieuses (lithos) en référence au palais royal.
Tout compte fait, les données nous orientent vers le palais royal dHérode sur la colline occidentale comme lieu intérimaire du prétoire de Pilate lors de la Pâque, quand il rencontra Jésus. Cela va contre la tradition, remontant au 12e siècle, qui situe le prétoire à la forteresse Antonia, et ont amené les pèlerins à faire le chemin de la croix à partir de cet endroit jusquau Saint-Sépulcre. Cela va aussi contre la découverte en 1870, sur le site de la forteresse dAntonia, dune dalle de pierre massive, avec des graffiti dun jeu du roi qui ressemblait aux moqueries sur Jésus comme roi dont parle Mc 15, 16-20 et Mt 27, 27-31; en fait, des recherches plus récentes ont montré que ces graffiti provenaient probablement de larc de triomphe à lentrée du forum de la ville après lan 135, alors quelle sappelait Aelia Capitolina.
- Le type dun procès romain
- La valeur légale de lenregistrement du procès par les évangiles
La perspective des évangélistes nest pas légale, mais théologique : on dramatise la signification religieuse de la condamnation de Jésus. Par exemple, le Jésus de Jean, contrairement à celui des synoptiques qui demeure silencieux, a un entretien privé avec Pilate; lauteur entend refléter le débat des chrétiens de son époque dans leur relation avec Rome pour rejeter lidée quils revendiquaient un royaume séparé et politique : le royaume de Jésus nest pas de ce monde. Il entend aussi refléter sa vision théologique que Jésus est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, et que Pilate doit faire face à ce jugement alors quil se tient devant la vérité. Pour sa part, Luc introduit une tradition indépendante dune rencontre avec Hérode Antipas lors du procès romain, cherchant probablement à synchroniser le procès de Jésus avec celui de Paul qui a dû affronter à la fois le procurateur Festus et Hérode Agrippa II comme juges (voir Actes 25-26).
Dans les faits, aucun détail du procès de Jésus par Pilate na été rapporté. Et rien ressemblant à un procès-verbal du procès de Jésus na survécu ou pourrait être reconstitué à partir des récits évangéliques. Nous navons aucun indice que ceux-ci auraient même pu bénéficier dun tel document. La seule information leur est probablement parvenue par ouï-dire ou fut dérivée des explications après les faits des autorités juives ou romaines, ou de suppositions logiques; étant donné le nombre de personnes impliquées, il serait surprenant que rien nait circulé sur ces événements. Le motif de « Le roi des Juifs » de cette exécution publique a certainement été publiée et ne pouvait être que relié aux procès qui a précédé. Bref, malgré labsence dun procès-verbal, il ny a pas lieu de douter de lenjeu fondamental du procès romain.
Malgré tout, tout en reconnaissant que les évangiles noffraient aucun procès-verbal du procès, plusieurs auteurs anciens ont cru quil devait en exister un quelque part. Cela venait de leur familiarité avec les Actes des martyrs en circulation qui détaillaient le procès romains des chrétiens. Par exemple, Justin (2e s.) croyait que Pilate avait produit les actes du procès de Jésus (voir Apologie 1.35). Tertullien (2e-3e s.), pour sa part, affirme que Pilate était un chrétien de coeur et aurait envoyé les détails du procès à lempereur Tibère (Apologétique, 21.24). Cest ainsi quest apparu lécrit grec apocryphe des Actes de Pilate (4e s.), très favorable au préfet (loeuvre est connue aussi dans sa version latine sous le titre dÉvangile de Nicodème). Il y a aussi le texte des Actes de Pierre et Paul (4e s.) qui raconte que Pilate aurait écrit une lettre à lempereur Claude. Ce sont tous des oeuvres de limagination et nont aucune valeur historique.
- La relation entre le procès romain et le procès/interrogatoire juif
Jusquà quel point le procès romain était-il indépendant du procès juif? Si ce dernier constituait une véritable enquête, Pilate aurait dû procéder sur la base de ce que lui ont rapporté les autorités juives. Mais Luc est seul, et cela de manière partielle, à faire écho à linterrogatoire juif au procès romain. Aucun des évangiles ne fait écho lors de linterrogatoire juif à ce qui sera le coeur de linterrogatoire romain : Jésus, roi des Juifs. Il faut donc rejeter la proposition de certains biblistes que le procès romain était une mise oeuvre ou une exécution des résultats du procès juif, puisque les Juifs navaient pas le droit de mettre à mort quelquun. Même si on trouve chez Marc (suivi par Mt) une sentence de mort explicite de la part des autorités religieuses et qui exigeait lintervention romaine pour son application, les quatre évangélistes nous présentent deux procès distincts avec deux sujets dinterrogatoire différents, et donc requerraient deux décisions différentes. Les quatre évangélistes nous présentent un Pilate qui semble ignorer à un certain point les demandes pressantes des autorités juives, comme sil ne leur faisait pas confiance; chez Jean 18, 30-31 le refus de Pilate de la décision juive est même explicite. En fait, pour les Romains, seul ce qui constituait à leurs yeux un véritable crime, ou légalement coupable, importait. Ainsi, il faut considérer le procès romain comme un nouveau procès indépendant, dont lissue pouvait être linnocence ou la culpabilité de Jésus.
Pourtant, un certain nombre de problèmes demeurent :
- Pourquoi le procès décrit par Marc/Matthieu est si bref quon ne prend pas la peine de lire laccusation?
- Pourquoi le seul élément de preuve est une réponse ambigüe à la question initiale?
- Pourquoi Pilate cède-t-il aux cris de la foule pour quil soit crucifié?
Il faut refuser lexplication de certains biblistes que Pilate était un tyran sanguinaire qui agissait de manière arbitraire, ignorant les éléments juridiques dun état de droit; les six incidents analysés plus haut ont montré le contraire. Une explication plus plausible viendrait du fait que Jésus nétait pas citoyen romain et le procès fut peut-être mené extra ordinem, où il nétait pas nécessaire de suivre toutes les procédures prévues par la loi romaine, et que Pilate avait le droit de se contenter dun simple interrogatoire. Alors le gouverneur pouvait chercher les faits sur Jésus, connaître les raisons pour lesquelles on voulait le mettre à mort, déterminer sil y avait matière légale pour une peine romaine, et préciser quelle peine était appropriée. Il pouvait donc obtenir de linformation de lautorité locale, sans exiger le type de preuve demandée par la loi ordinaire. Lhistorien juif Josèphe raconte des cas semblables dactions judiciaires de la part des préfets / procurateurs romains qui impliquaient la peine capitale, et aucun de ses récits noffre beaucoup plus de détail que celui des évangiles. Ce laconisme pourrait être dû au style de Josèphe tout comme celui des évangiles, mais il pourrait tout aussi bien être dû aux procédures abrégées ou à lenquête expéditive. Bref, le récit évangélique du procès romain ne paraît pas tronqué au point dêtre inusité.
- Le statut légal des aspects choisis du procès romain de Jésus
Un procès romain formel pouvait impliquer divers intervenants en plus de celui qui exerçait la fonction de juge : des avocats juniors, des conseillers. Cest le choix des évangiles de ne mentionner que Pilate. Il reste que, dans une province comme la Judée, rien chez Josèphe ou les évangiles ne suggère quun jury était requis. Par contre, on pourrait sêtre attendu à la présence dun traducteur, puisque Jésus et Pilate ne parlaient pas la même langue; les évangiles demeurent silencieux sur le langage utilisé lors de linterrogatoire et les réponses obtenues.
- Les accusations contre Jésus et le crime quelles représentent
Marc nous offre probablement la forme la plus ancienne du récit chrétien sur les procédures judiciaires qui ont amené Jésus devant Pilate. Même sil ny a pas de formulation formelle de laccusation, Pilate semble bien au courant du point en cause. Ce portrait est cohérent avec lobservation que, dans les périodes de tension (fêtes trépidantes, émeutes récentes), les procédures romaines pouvaient être sommaires et commencer avec léquivalent dun rapport de police obtenu des magistrats locaux.
Laccusation concerne la prétention de Jésus à être le roi des Juifs. Selon la loi romaine, cest un crime de sédition ou de lèse majesté, passible de crucifixion. Les experts en loi romaine ont mené beaucoup de débats sur la relation entre le perduellio (crime de haute trahison) et les variations autour du crime de lèse majesté, et des peines qui leur sont attachées. Car le perduellio comprenait toute offense malicieuse contre le peuple romain et entraînait une vaste gamme de peines, de la peine de mort à lamende. Mais avec le temps, létendue de ce que couvrait le crime de lèse-majesté (négligence coupable dun magistrat incompétent, ou action qui mine la loyauté des troupes, ou quitter une province sans permission) a remplacé le perduellio et la rendu désuet. Et avec le début de lempire, le fait même dinsulter un chef, symbole de la majesté de lempire, devenait un crime de lèse majesté. On remarque quavec Auguste et surtout Tibère (très sensible aux trahisons), les bannissements devinrent plus durs et les exécutions sommaires plus fréquentes.
En quoi tout cela sapplique-t-il à Jésus? Jean 19, 12 est le seul à faire le lien entre le crime de lèse majesté et laccusation contre Jésus : « Quiconque se fait roi, soppose à César ». A-t-il préservé un détail historique, ou a-t-il simplement déduit rétrospectivement les implications de la tradition? On note quun auteur comme Josèphe ne fournit jamais la base légale des condamnations proférées par les préfets dans ses chroniques. Il lui suffit de mentionner quil y avait des fauteurs de trouble et que le préfet devait y voir, et donc faisait appel au principe général de maintenir lordre. Cest probablement ce qui sest passé dans la province de Judée avec quelquun qui nétait pas citoyen romain comme Jésus. Bien sûr, on peut trouver un lien entre le principe générale et certaines lois liées aux trahisons, mais il serait erroné dimaginer que le préfet consultait les livres de loi chaque fois avant de condamner un homme dune province accusé dun crime.
- Les réponses de Jésus
Même si nous navons aucun procès-verbal du procès, il ny rien dinvraisemblable avec la question posée dans les récits évangéliques : « Es-tu le roi des Juifs? »; et elle cohérente avec laccusation publiée lors de son exécution. De même, le silence de Jésus (« Tu ne réponds rien? Vois tout ce dont ils taccusent! », Mc 15, 4) nest pas sans précédent (voir le Papyrus Oslo 16). Enfin, linterrogatoire de Pilate chez Marc ne porte aucune marque dun travail théologique.
Selon Marc 15, 2, à la question initiale, Jésus aurait répondu : « Tu le dis ». On peut se demander : avec ce type de réponse de la part de Jésus, un juge romain aurait-il suffisamment déléments de preuve pour prononcer une sentence? Car ce nest ni un démenti, ni une affirmation sans ambiguïté. Que doit faire un juge dans un cas où laccusé ne plaide pas coupable, mais naffirme pas son innocence ou ne rejette pas laccusation initiale quand on le questionne? Nest-il pas légal de trouver coupable une personne si difficile et si peu coopérative? Dans une telle situation, nest-il pas normal que le juge base sa sentence sur les éléments de preuve quon lui a amenés, surtout lorsquil subit des pressions politiques pour considérer laccusé comme coupable?
- Le rôle de la foule (acclamatio)
Que faire avec le tollé de la foule qui veut le voir crucifié, comme sils avaient un mot à dire dans la décision du juge? Cette pratique de lacclamation populaire (acclamatio populi) était connue dans certaines villes libres, comme les villes de la Décapole en Galilée. Par exemple, à Césarée, Hérode le Grand fit amener trois cents chefs militaire sous accusation devant lassemblée, et la foule les tua (Josèphe, Les antiquités judaïques, 16.11.7 : #393-394). Mais cela semble avoir été plutôt une pratique orientale, et les Romains avaient tendance à respecter les coutumes locales. Cependant, Jérusalem nétait pas une ville libre, et lacclamation populaire nétait pas une coutume juive. Et les cris de la foule contre Jésus dans les récits évangéliques relèvent de la pression de la populace sur le préfet, plutôt que de la voix dun jury reconnu.
Par contre, si considère les récits des martyrs racontés par leurs sympathisants qui rejetaient leur accusation et leur sentence, on note la présence dune foule hostile. Dans le Martyre de Polycarpe (11-12), ce sont les cris de la foule et des Juifs qui déterminent aux yeux du proconsul de Smyrne le type de mort de Polycarpe. Dans lexamen des six incidents où Pilate a été impliqué, nous avons vu le rôle de la foule. Aussi, faute de procès-verbal, il faut considérer la vraisemblance des récits évangéliques. Il est donc tout à fait plausible dimaginer un Pilate anxieux daffirmer les prérogatives romaines dans les sentences de mort, et donc soucieux de vérifier par lui-même la culpabilité de Jésus, même si les autorités juives lavaient présenté comme coupable de crime. Il devait certainement savoir que le vrai problème était plus au niveau des affaires juives internes, plutôt que celui dun crime politique contre la majesté de lempereur. Mais il y avait la pression de la foule, il ne voulait certainement pas que le tout dégénère en émeute dans le contexte de la fête pascale. Sur le plan légal, linnocence de laccusé nest pas claire au point que Pilate pourrait prendre une chance en le relâchant; alors il cède à la pression de la foule. Bref, la position de Pilate dans ce procès nest pas brave ou noble, mais elle nest pas illégale ou une violation de la loi romaine, en plus dêtre un moment insignifiant dans sa carrière.
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Chapitre suivant: Introduction : Interrogatoire initial par Pilate
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