Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.1: Acte 3, #25. Introduction : arrière plan du procès romain de Jésus devant Ponce Pilate, pp 676-722, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Introduction : arrière plan du procès romain de Jésus devant Ponce Pilate


Sommaire

La période des préfets romains, appelés par la suite procurateurs, doit être divisée en deux, car on risque d’attribuer à la première période (l’an 6 à 41), plutôt pacifique, celle où Jésus a exercé son ministère, les caractéristiques de la deuxième (l’an 44 à 66), beaucoup plus troublée avec ses révoltes. C’est ainsi qu’on a attribué à Jésus à tord différents profils de l’époque, comme leader charismatique, messie, prétendant royal, prophète charlatan, bandit, sicaire, ou zélote.

Pilate fut préfet de l’an 26 à 36. Il appartenait à la noblesse romaine inférieure, le rang équestre, plutôt que sénatorial, ce qui signifie qu’il avait eu une carrière militaire avant de devenir préfet. C’est une figure controversée : les Chrétiens ont eu tendance à le surestimer et en faire un saint martyr, et les Juifs à le démoniser. Au cours de son administration, on peut lui attribuer six incidents où il a dû intervenir, et qui le présentent comme homme peu subtil et sans habiletés diplomatiques, peu sensible au milieu juif, suivant les procédures habituelles de l’armée, mais cédant à la pression de la foule, surtout quand sa réputation était en jeu.

Le prétoire était la résidence du gouverneur romain à laquelle le public avait accès, car il servait aussi de quartier général pour l’administration. Par contre, il ne servait pas à l’exercice de la justice qui prenait plutôt place dans une grande cour publique, souvent en face, là se trouvait une plateforme surélevée avec un siège ou banc pour rendre la sentence. Césarée, sur la côte de la Méditerranée, était le lieu du prétoire, le centre de l’administration romaine. Mais à certaines occasions, comme une fête religieuse, le préfet se rendait à Jérusalem. Où était alors ce prétoire? Les données nous orientent vers le palais royal d’Hérode sur la colline occidentale, contrairement à la tradition médiévale qui le place à la forteresse Antonia.

Le procès de Jésus a-t-il été un procès romain en bonne et due forme? Il n’existe malheureusement aucun procès-verbal de ce procès. Et la présentation des évangiles est un peu étriquée : le récit de Marc/Matthieu est si bref qu’on ne prend pas la peine de lire le chef d’accusation; le seul élément de preuve est une réponse ambigüe à la question initiale; et la sentence est prononcée sous la pression de la foule. Malgré tout, il est plausible d’imaginer que, puisque Jésus n’était pas citoyen romain, le procès fut peut-être mené selon les procédures romaines extra ordinem, où il n’était pas nécessaire de suivre toutes les procédures prévues par la loi, et que Pilate avait le droit de se contenter d’un simple interrogatoire. En cela, l’attitude de Pilate n’est pas différente de celle qu’il a eue dans six autres incidents. Sur le plan légal, l’innocence de l’accusé n’est pas claire au point qu’il aurait pu prendre une chance en le relâchant; alors il cède à la pression de la foule.


  1. Les règles entourant un procurateur romain dans la Judée/Palestine
    1. Une distinction entre deux périodes du gouvernement romain (l’an 6 à 41, et 44 à 66)
    2. Jésus comme un révolutionnaire et les figures de la scène politique
      1. Les « leaders charismatiques »
      2. Les messies
      3. Les prétendus rois
      4. Les prophètes et les charlatans
      5. Les bandits
      6. Les sicarii
      7. Les zélotes
  2. La période de Ponce Pilate comme préfet (l’an 26 à 36)
    1. Le contexte et les données sur la carrière de Pilate
    2. Les évaluations sur Pilate, tant favorables que défavorables
    3. Six incidents ou items impliquant Pilate
  3. Le site du procès de Jésus : le prétoire
    1. La signification et la nature du prétoire
    2. Deux candidats pour le prétoire mentionné dans le récit de la passion
  4. Le type d’un procès romain
    1. La valeur légale de l’enregistrement du procès par les évangiles
    2. La relation entre le procès romain et le procès/interrogatoire juif
    3. Le statut légal des aspects choisis du procès romain de Jésus

 

Après le règne d’Hérode Archelaüs, fils d’Hérode le Grand, c’est l’ère des préfets/procurateurs romains qui dure 60 ans (de l’an 6 à 66).

  1. Les règles entourant un procurateur romain dans la Judée/Palestine

    1. Une distinction entre deux périodes du gouvernement romain (l’an 6 à 41, et 44 à 66)

      Il faut distinguer deux périodes séparées par le règne du roi Hérode Agrippa I (41-44), car dans la première période de 35 ans sept préfets, venus d’Italie, se sont succédés, tandis que dans la deuxième période, plus courte et plus troublée de 22 ans, le même nombre de procurateurs, mais venus majoritairement de la partie orientale grecque de l’empire, ont sévit. On confond souvent les deux périodes, attribuant à la première les caractéristiques de la seconde marquée par le terrorisme des zélotes, ce qui a contribué à créer le mythe d’un Jésus révolutionnaire, à la manière de Che Guevara ou Gandhi.

      Si on examine de près cette première période, il faut reconnaître qu’elle était vraiment pacifique. Bien sûr, les Juifs faisant face à une occupation hostile, mais ils préféraient néanmoins le gouvernement romain à la période trouble de plus d’un siècle qu’ils venaient de vivre. Il suffit de penser au grand prêtre hasmonéen, Alexandre Jannée (107 à 76 av. JC) qui a fait crucifier des centaines de gens, incluant des Pharisiens. Ses fils Hyrcan et Aristobule II se sont entredéchirés, laissant un pays divisé. Hérode le Grand (40/37 à 4 av. JC) a fait exterminer le reste des Hasmonéens, ainsi que des membres de sa famille et des Pharisiens (voir Josèphe, Antiquités judaïques, 17.2.4; #44-55). À sa mort, on dénombre un certain nombre de révoltes qui ont amené le règne de son fils Archélaüs en Judée. Mais ce dernier était si mauvais comme chef d’état que les Juifs eux même ont demandé l’intervention romaine, introduisant ainsi la séquence des préfets romains, en l’an 6 de notre ère, en commençant par Coponius (voir Josèphe, Guerre juive, 2.7.3 à 8.1; #111-117). Certains relèveront la révolte de Judas le Galilée en l’an 6 de notre ère contre le recensement romain, dans une période de transition, mais cette révolte ne fut pas considérée comme très sérieuse. Bref, l’administration saine et ordonnée des romains était perçue comme préférable aux tumultes juifs qui avaient précédé. Et c’est dans ce cadre qu’il faut placer le Jésus adulte à partir de ses douze ans jusqu’à sa mort, i.e. de l’an 7 à 30/33 de notre ère).

    2. Jésus comme un révolutionnaire et les figures de la scène politique

      Il importe d’abord de clarifier la figure de Jésus, car un certain nombre de biblistes, en commençant par Hermann Samuel Reimarus (L’Objectif de Jésus et de ses disciples, 1778), ont soutenu le mythe d’un Jésus révolutionnaire, qui espérait devenir roi des Juifs, et qui a jeté l’éponge lors de la Pâque juive, quand il s’est retrouvé avec seulement un petit groupe de gens qui le suivaient. D’autres biblistes ont suivi en présentant un Jésus en révolte contre l’autorité juive et romaine, planifiant un assaut du temple. Pour eux, Jésus a été crucifié pour des raisons uniquement politiques, et si les autorités juives l’ont ainsi dénoncé, c’est qu’il représentait une menace pour l’état juif dont elles étaient responsables aux yeux de Rome. Un évangéliste comme Marc a caché tout cet aspect de Jésus pour éviter que les Chrétiens soient vus comme une menace pour le gouvernement romain. Alors examinons les différentes figures qu’on a associées à Jésus.

      1. Les « leaders charismatiques »

        Qu’entendre par cette expression? Si on veut parler d’une personne qui sait persuader et attirer des disciples dans la proclamation de son message, alors l’expression s’applique à beaucoup de monde. Cela n’a rien de révolutionnaire. Placée dans un contexte religieux, une telle personne est vue comme envoyée de Dieu. Cependant, même si des gens ont été impressionnés par les capacités de Jésus de guérir et de parler avec autorité, un tel comportement ne correspond pas à la définition technique d’une personne charismatique, telle que spécifié en 1 Co 12, i.e. un don de l’Esprit pour accomplir un rôle particulier. Selon les évangiles, Jésus est né de l’Esprit Saint et l’Esprit a reposé sur lui, mais on ne dit jamais qu’il a été revêtu de l’Esprit pour accomplir un rôle qu’il ne possédait pas encore.

      2. Les messies

        Rappelons d’abord ce que nous avons dit plus tôt (#17), i.e. Josèphe ne donne le titre de messie (christos) à aucun Juif, sinon Jésus. Certains biblistes ont tendance à affubler du titre de messie tout leader ou mouvement social ou politique source d’agitation. Avec raison, d’autres prennent la peine de distinguer les prophètes ou les chefs des bandits des figures messianiques. Si on peut admettre que, dans la période préexilique et même au début de la période du second temple, certains leaders charismatiques se sont détachés et ont emmenés les gens à les accepter comme leur roi, par exemple Saül, il est tout à fait inapproprié d’appeler « messianique » des manifestations charismatique de royauté non davidique dans la dernière période du second temple; c’est ce que confirment les manuscrits de la Mer morte, les Psaumes de Salomon et la 14e des « Dix-huit bénédictions » où on espérait un oint, un fils de David qui restaurerait dans toute sa gloire le royaume davidique. Et on chercherait en vain dans les données disponibles à la fin de la période du second temple quelqu’un qui répondrait à cette définition par ses disciples. La seule exception, ce sont les Chrétiens (et peut-être les disciples de Jésus lors de son ministère) qui ont revendiqué une lignée davidique pour Jésus.

      3. Les prétendus rois

        D’après Josèphe, on peut identifier cinq prétendants à la royauté (mais aucun ne mentionne une appartenance à la lignée davidique)

        1. Judas fils d’Ézéchias (un chef de brigand)
        2. Simon l’esclave
        3. Athrongéos le berger
        4. Menahem, le fils / petit-fils de Judas le Galiléen, entrant armé à Jérusalem avec une bande de brigands et portant la robe royale
        5. Simon fils de Giora, un héro militaire qui a rassemblé une armée considérable de mécontents qui l’ont reconnu comme roi

        Ces noms appartiennent à deux époques différentes. Les trois premiers datent de l’époque de la mort d’Hérode le Grand (an 4 av. JC; voir Josèphe, La guerre juive, 2.4.1-3 : #55-65), le deux derniers de la révolte juive vers l’an 66 (Josèphe, La guerre juive, 2.17.8-9 : #433-448; 4.9.3-4 : #507-513). Le premier groupe était actif à la campagne et s’adressait à des paysans qui cherchaient une structure sociale plus égalitaire et juste en attaquant l’autorité d’Hérode. Le deuxième s’est joint à la grande révolte juive contre les Romains.

        On aura observé que le premier groupe a sévi 30 ans avant le ministère public de Jésus, et le second 30 ans après. On ne peut donc pas vraiment parler de prétendants à la royauté à l’époque de Pilate, une époque où la Judée était bien gouvernée. Et il y a quelque chose d’incongru d’associer Jésus à tous ces prétendants :

        • Ces prétendus rois ce sont entourés de troupes armées, alors que Jésus s’est entouré de pêcheurs et de percepteurs d’impôt, ne menant aucune campagne militaire
        • Bien sûr, on ne sait pas exactement comment son auditoire a compris les références de Jésus au « royaume de Dieu », mais aucune parole ne suggère l’intention d’établir une royauté politique sur cette terre; même si on l’a salué comme « fils de David » (Mc 10, 47), Jésus semble minimiser la valeur de ce titre (Mc 12, 35-37), et selon Jean, il refuse qu’on le fasse roi (Jn 6, 15) et affirme que son royaume n’est pas de ce monde (Jn 18, 36)
        • Certains biblistes ont tenté d’exploiter l’affirmation de Jésus qu’il n’est pas venu apporter la paix mais la guerre (Mt 10, 34), et le fait que les disciples avaient une épée lors de son arrestation, pour faire de lui un révolutionnaire; mais c’est oublier certaines scènes, comme celle où Jésus demande de rendre à César ce qui est à César (Mc 12, 17 et par.), ou celle où il demande de remettre l’épée au fourreau (Mc 14, 47), et sa parole sur la non-pertinence des armes pour sa mission (Lc 22, 38.49-511)

      4. Les prophètes et les charlatans

        Considérons les diverses figures appelées prophètes à l’époque.

        1. Il y a d’abord les « voyants » qui prétendaient être capables d’interpréter l’avenir. On compte d’abord les Esséniens éduqués et le Maître de justice lui-même à Qumran qui pouvaient trouver dans les livres sacrés un enseignement pour ce qui se produisait maintenant. Alors on a fait le parallèle avec Jésus voyant dans sa passion la réalisation des écrits prophétiques (Mc 14, 27). De même, des Esséniens et des Pharisiens étaient reconnus pour être capables de prédire ce qui allait se passer, tout comme les évangiles le disent de Jésus (par exemple, Mc 14, 13.30; Jn 21, 18-19).

        2. De manière plus importante pour notre propos, il y a ceux qui émettaient des oracles terribles sur une intervention divine imminente pour punir le peuple, Jérusalem ou son temple, à la manière des prophètes d’autrefois comme Amos, Isaïe, Michée, Jérémie et les autres. Mentionnons d’abord Jésus, fils d’Ananias, qui est venu à Jérusalem au début des années 60 avec un message de jugement divin contre la cité et son temple, ce qui a amené les autorités religieuses à le remettre aux Romains pour qu’il soit exécuté. Mentionnons aussi Jean-Baptiste qui a effrayé Hérode Antipas au point où il le fit tuer. Quant à Jésus, certains l’ont associé à l’un des prophètes comme Jérémie (Mt 16, 14; Mc 8, 28).

        3. Un troisième type de prophètes a dirigé un large mouvement de disciples, parfois armés, pour provoquer une destruction ou une libération qu’on avait prédite. En général, ces prophètes ont promis un signe, mais ont échoué face à une répression violente qui a occasionné plusieurs morts. Josèphe les décrit comme des charlatans et des imposteurs. Donnons des exemples :

          • Vers l’an 36, un prophète Samaritain a rassemblé le petit peuple au mont Garizim pour montrer l’endroit où Moïse aurait déposé les vases sacrés, un mouvement que Pilate a réprimé dans le sang
          • Vers l’an 45, au temps du procurateur Cuspius Fadus, Theudas, un prophète autoproclamé, a convaincu les masses de le suivre avec leurs possessions au fleuve Jourdain, promettant de le diviser en deux pour qu’on puisse le traverser; il fut tué et décapité
          • D’après Josèphe, un prophète égyptien autoproclamé dupa 30 000 personnes pour qu’ils le suivent sur le Mont des oliviers d’où, par sa parole, il ferait tomber les murs de Jérusalem; les autorités massacrèrent plus de 400 personnes
          • En août de l’an 70, à la fin du siège romain de Jérusalem, alors que le temple était en feu, 6 000 personnes périrent parce qu’ils avaient écouté un « faux prophète » qui les avaient amenées vers le portique de la cour extérieure

          Tout cela, comme on l’aura noté, s’est passé après la période du ministère de Jésus. Et ce n’est donc que rétrospectivement qu’on a pu associer Jésus et ses disciples à ces mouvements : les procurateurs romains ont pu être associés aux Pharaons, si bien que Jésus devint le nouveau Moïse qui marche sur les eaux et nourrit la foule avec la nouvelle manne, ou comme Élie ou Élisée. Il reste qu’on ne s’est jamais souvenu de Jésus comme quelqu’un qui aurait rassemblé les foules pour les conduire dans un lieu symbolique avec promesse d’accomplir des signes miraculeux; au contraire, il a repoussé les demandes de signe (Mt 12, 38-39; 16, 1-4; 27, 42). Jésus a plutôt mis en garde contre les faux prophètes accomplissant des signes et des merveilles, et demandant qu’on les suive au désert. Josèphe lui-même, qui parle souvent des charlatans, n’y associe jamais Jésus. Enfin, mentionnons qu’aucun des prophètes évoqués plus haut n’a subi un procès avant d’être exécuté, comme ce fut le cas pour Jésus.

      5. Les bandits

        Parmi les 14 occurrences de lēstēs (bandit) dans les évangiles, la moitié surviennent dans les récits de la passion, d’une part dans la bouche de ennemis de Jésus pour le désigner, d’autre part en référence en Barabbas ou à ceux qui seront crucifiés avec lui. Quel sens avait ce mot? Au premier siècle, il faisait référence aux hommes armés et violents qui ravageaient les campagnes ou les fauteurs de trouble qui suscitaient des émeutes en ville. Barabbas représentait l’un de ces types. Mais aucune donnée n’indique qu’ils pouvaient être des révolutionnaires. Chez Josèphe, toutes les références à lēstēs surviennent en dehors de la période du ministère de Jésus. On chercherait en fait une référence à une révolte contre les Romains. Après l’an 70 et la chute de Jérusalem, il est possible qu’on ait eu tendance à associer Barabbas et ceux qui furent crucifiés avec Jésus aux révolutionnaires de la révolte juive de 66-70. Ce fut probablement également le cas de la propagande antichrétienne. Mais on chercherait en vain des données qui soutiendraient l’idée que Jésus fut considéré comme un révolutionnaire à son époque.

      6. Les sicaires

        Le mot sicaire signifie littéralement « porteur d’un poignard », i.e. quelqu’un qui s’infiltrait dans la foule et plantait sans discrimination son couteau sur quelqu’un pour créer un émoi et susciter une réaction romaine. Josèphe fait référence à ces terroristes pendant la période de Félix (52-60) et la suivante. On pratiquait alors des assassinats sélectifs, éliminant la bourgeoisie juive et mettant le feu à des villages entiers (voir Josèphe, La guerre juive, 2.13.3 : #254-257). Ils ont prospérés pendant le règne de Festus (60-62), mais perdirent la ferveur populaire à l’orée de la première révolte juive. Jamais Josèphe ne les mentionne pendant la période de Pilate.

      7. Les zélotes

        Le mot grec zēlōtēs signifie : zélé. Il traduit le mot hébreu dont la racine est : qn’. Un zélote reflète l’idée que Dieu n’aime pas les tièdes et qu’il faut protéger Ses intérêts : c’est Pinhas qui massacre les violateurs de la loi (Nb 25, 6-13), ce sont les Maccabées qui résistent au syncrétisme hellénistique (1 Mac 2, 24.26), ou c’est Paul qui persécute les chrétiens qui délaissent la tradition des ancêtres (Ga 1, 13-14). Dans tout cela, l’ennemi est avant tout le violateur de la loi, non pas les Romains. Mais les zélotes désignaient aussi un groupe de jeunes qui s’étaient engagés à attaquer sans merci ceux qui les empêchaient de réaliser leur vision d’une pureté cultuelle en relation avec la Loi et le temple. Josèphe les perçoit comme de violents révolutionnaires, mais mentionne leur existence seulement lors de la révolte juive, vers la fin de l’an 67. Ils seraient apparus à Jérusalem à l’occasion de cette révolte, un groupe parmi beaucoup d’autres, mais le seul dirigé par des prêtres et ayant établi son quartier dans la cour intérieure du temple.

        Comment alors expliquer qu’un des disciples de Jésus, Simon, soit appelé zélote (Lc 6, 15; Ac 1, 13)? Le mot avait certainement le sens général de « zélé », et non pas d’un membre du groupe organisé des zélotes qui n’existait pas à l’époque. Car Jésus ne pouvait être associé aux zélotes alors qu’il choisit comme disciple un percepteur d’impôt, un pro-établissement. Et le fait même qu’on ait laissé en paix ses disciples lors de sa mise en mort, au moment même de la fête de la Pâque alors que l’atmosphère était volatile, indique que les autorités ne considéraient pas être en face d’un mouvement révolutionnaire. Bref, le style du gouvernement romain à l’époque du ministère de Jésus ne se prêtait pas à des mouvements révolutionnaires violents.

  2. La période de Ponce Pilate comme préfet (l’an 26 à 36)

    1. Le contexte et les données sur la carrière de Pilate

      Pendant le règne de l’empereur Tibère (14 – 37), la période qui va de l’an 26 à 31 est marquée par la présence de Lucius Aelius Sejanus, un noble romain qui a graduellement acquis beaucoup d’importance, au point de se voir confié l’administration quotidienne de l’empire, pendant que Tibère lui-même s’était retiré en 26-27 sur l’île de Capri. L’ambition de Sejanus atteint son apogée en 31 alors qu’il était virtuellement coempereur, avant d’être démasqué, puis rejeté et mis à mort par Tibère le 18 octobre de l’an 31. Dans ce contexte, la date de la mort de Jésus devient importante : s’il est mort lors de la Pâque de l’an 30, alors Sejanus était en poste; si c’est plutôt en 33, alors Sejanus n’était déjà plus. L’établissement d’une corrélation entre la mort de Jésus et l’administration de Sejanus dépend de deux autres points.

      1. Sejanus était-il le patron de Pilate quand il fut désigné préfet de Judée en l’an 26? Si c’est le cas, Pilate pouvait se sentir plus confiant d’obtenir l’appui de Rome avec la mort de Jésus en l’an 30, qu’une mort en l’an 33. Selon Jn 19, 12, où la foule crie : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César: quiconque se fait roi, s’oppose à César », Pilate subit la menace de se faire dénoncer à Rome. La menace pouvait être plus grave si le patron de Pilate était tombé en défaveur.

      2. Sejanus était-il vraiment antijuif comme le rapporte Philon (Ad Gaium 24 : #160-161; In Flacum, 1)? Si c’est le cas, alors Pilate cherchait peut-être à imiter son patron et à lui plaire. Mais ce point n’est pas confirmé par d’autres auteurs anciens, et Philon a pu mettre les actions antijuives sur le dos de Sejanus, tombé en disgrâce, pour éviter d’accuser l’empereur Tibère lui-même.

      Tout cela nous fait prendre conscience de la réalité politique dont Pilate devait tenir compte. Mais il y a trop d’éléments hypothétiques pour déterminer leur impact sur la mort de Jésus.

      Que savons-nous donc sur Pilate? Ponce Pilate appartenait à la noblesse romaine inférieure, le rang équestre, plutôt que sénatorial, ce qui signifie qu’il avait eu une carrière militaire avant de devenir préfet. Sa tribu ou gens est indiquée par son nom Pontius et est originaire du Samnium (région montagneuse d’Italie centrale), tandis que sa famille est indiquée par son prénom de Pilate, qui provient de pileus (chapeau, casque) ou pilum (lance). Il fut le cinquième de la suite des sept préfets de Judée avant le règne d’Agrippa. Il faut également souligner sa longévité (26 – 36) lors de cette période qui s’étend de l’an 6 à 66 alors que 14 préfets / procurateurs se succéderont. Au cours de son mandat, trois légats de Syrie se sont succédé. Aussi, doit-on être circonspect devant certains biblistes qui le considèrent irresponsables. Fait à noter, Pilate n’a jamais déposé un grand prêtre (Caïphe fut en poste de l’an 18 à 36/37), contrairement à son prédécesseur, Valerius Gratus qui en a déposé quatre lors de son mandat. En 1961, on a découvert à Césarée une inscription endommagée, dont on a perdu le côté gauche, sur laquelle on pouvait encore lire : Pontius Pilatus, préfet de Judée.

    2. Les évaluations sur Pilate, tant favorables que défavorables

      Dans l’Antiquité, on présente des portraits de Pilate qui divergent. Ainsi, celui de Marc n’est pas très flatteur, car même si Pilate sait que c’est par jalousie qu’on a livré Jésus, il ne fait rien pour l’aider. Mais les autres évangélistes nous le dépeignent sous des traits plus nobles, alors qu’il cherche des moyens pour libérer Jésus, sachant les accusations exagérées et même fausses. Par la suite, dans la christologie chrétienne, Pilate devient avant tout un repère chronologique concernant la réalité de la mort de Jésus, comme en témoigne le Credo : « Il a souffert sous Ponce Pilate ».

      Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est un portrait favorable de Pilate qui va prédominer. Pour Tertullien (Apologétique, 21.18,24), il est un chrétien de coeur. Pour Hippolyte de Rome (Commentaire sur Daniel, 1.27), Pilate est aussi innocent du sang de Jésus que Daniel en relation avec Suzanne. L’écrit apocryphe Les Actes de Pilate le montre en train de pleurer sur Jésus et désirer qu’il ne soit pas mis à mort. Un autre écrit apocryphe, L’évangile de Gamaliel, décrit le martyr de Pilate. La femme de ce dernier, qu’on a appelé Procla, fut honorée par l’Église grecque le 27 octobre. Au 9e siècle, on considérait Vienne (en France) comme le lieu de la mort de Pilate, et plus tard en Suisse, et on a ainsi conservé sa mémoire avec le mont Pilat près de Vienne, et le mont Pilate près de Lucerne.

      Pourtant, dans le monde juif le portrait de Pilate n’est pas favorable. L’historien Josèphe nous en brosse un tableau hostile. Philon d’Alexandrie, dans son Legatio ad Gaium (par exemple, 28 : #302), le noircit encore davantage : il aurait multiplié les actions de corruption, les insultes, les vols, les blessures gratuites, les exécutions sommaires, se montrant extrêmement cruel. Mais dans ce dernier cas, l’approche est avant tout rhétorique, car Philon veut justifier la bonne décision du remplacement d’une suite de préfets romains par le Juif Agrippa, et donc a tout intérêt à dénigrer Pilate.

    3. Six incidents ou items impliquant Pilate

      1. L’incident des étendards emblématiques en l’an 26

        Nouvellement nommé préfet et voulant montrer sa loyauté à l’empereur Tibère, Pilate fit entrer ses troupes à Jérusalem avec des médaillons emblématiques ou bustes de César attachés aux étendards (Josèphe, La guerre juive, 2.9.2-3 : #169-174; Les antiquités judaïques, 18.3.1 : #55-59). C’était un événement sans précédent pour les Juifs qui refusent toute image. Ces derniers envoient une délégation à son quartier général de Césarée pour demander qu’on enlève de Jérusalem les étendards. Après six jours de protestations à la suite de son refus, Pilate fait encercler la délégation par l’armée avec menace de les tuer tous s’ils ne s’en retournent pas. Mais les voyant se coucher par terre, prêts à mourir, il cède et fait enlever les étendards. Tout cela suggère un homme peu subtil et sans habiletés diplomatiques, suivant les procédures habituelles de l’armée et voulant établir sa réputation dès le début de son mandate. Toutefois, on est loin du tyran entêté et sanguinaire.

      2. L’incident avec la monnaie portant des symboles cultuels païen vers 29-31

        La monnaie impériale pour la région syro-palestinienne était frappée à Antioche, sauf pour certaines courtes périodes où elle pouvait l’être en Judée. Et plus particulièrement durant l’administration préfectorale romaine, on trouve en Judée des pièces de monnaie affichant un simpulum (un genre de louche utilisée pour verser le vin lors des sacrifices de libation) et aussi un lituus (un bâton courbé utilisé pour les augures). L’apparition de cette monnaie correspond à l’arrivée de Pilate en poste. Souvent, on utilisait une matrice standard, sans la date, et c’était les régions qui finalisaient la pièce en frappant la date, ce qui explique le caractère presqu’illisible de la date sur certaines pièces en Judée. On a trouvé quelques unes de ces pièces en Judée, l’une datée de la 16e année de Tibère (l’an 29) affichant le simpulum sur une face, et un épi de blé sur l’autre, d’autres datées des années 30 et 31, avec le simpulum et le lituus. On peut facilement imaginer que les Juifs étaient très mal à l’aise avec ces symboles païens. Mais on n’a aucun indice d’une quelconque révolte ou de mouvements de désordre. Si Pilate a contribué à l’émission de cette monnaie, ce n’est pas par provocation; il n’a fait que suivre les procédures romaines habituelles. On peut seulement lui reprocher son insensibilité au milieu juif.

      3. La révolte autour de l’aqueduc

        Plus tard (voir Josèphe, La guerre juive, 2.9.4 : #175-177; Les antiquités judaïques, 18.3.2 : #60-62), sans qu’on puisse préciser exactement quand, Pilate utilisa le trésor sacré du temple, appelé qorban (en grec : korbōnas), afin de construire un aqueduc de 30 à 60 kilomètres pour Jérusalem. Ce n’était pas un geste de cupidité, mais une action de travaux publics pour le bien-être de la population de Jérusalem. Malgré tout, les foules encerclèrent le tribunal de Pilate alors qu’il se trouvait à Jérusalem pour une fête quelconque, et tinrent un siège. Le préfet envoya ses soldats habillés en civil, sans épée, mais armés seulement d’un gourdin pour frapper les émeutiers. Malgré la consigne donnée, les soldats frappèrent violemment tant les émeutiers que les badauds, si bien qu’un grand nombre de Juifs périrent. Clairement, Pilate a sous-estimé la brutalité de ses soldats. Mais on est loin d’un geste calculé pour massacrer des innocents.

      4. Le sacrifice sanglant des Galiléens vers 28-29

        Luc (13, 1-2) écrit : « En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices. Prenant la parole, il leur dit: "Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens? ». La mention des sacrifices fait probablement référence à une fête à Jérusalem qui aurait amené dans la ville un certain nombre de Galiléens. On peut penser que le faible nombre de victimes n’a pas retenu l’attention de Josèphe ou Philon.

      5. Les boucliers d’or après l’an 31

        Cet incident a seulement pour source Philon (Legatio ad Gaium 38 : #299-305). Selon lui, Pilate aurait mis dans le palais d’Hérode des boucliers d’or qu’il consacra à Tibère dans le but explicite d’irriter la foule. Il est possible que même s’il n’y avait pas d’image, le contexte suggère que le tout avait un sens religieux. Les protestations de la population devant cette atteinte aux traditions juives furent adressées à Pilate par l’intermédiaire de quatre princes, incluant peut-être Hérode Antipas, Philippe d’Iturée et Hérode Philippe. Devant son refus, on rappela à Pilate qu’il créait une situation propice à une insurrection, et même à la guerre, ce que ne désirait certainement pas Tibère. Cela effraya Pilate qui craignit qu’on envoya une ambassade contre lui à Rome, ce qui fut fait, et l’empereur exigea qu’on ramène les boucliers d’or à Césarée.

        On peut douter de l’objectivité de Philon dans ce récit. Car il s’adresse à l’empereur Claude l’invitant à prendre la même position que Tibère face à Pilate et d’éviter ce qu’a fait Caligula en essayant de mettre sa statue dans le temple. De plus, si vraiment Tibère s’est irrité contre Pilate, pourquoi l’a-t-il gardé en poste?

        Chez les biblistes, il y a eu des discussions pour déterminer si cet événement est vraiment distinct de notre premier incident (les étendards emblématiques) raconté par Josèphe. La plupart des biblistes croient que oui, car, d’une part, l’incident raconté par Philon est plus inoffensif que celui des étendards, d’autre part, le Pilate de Philon apparaît dénué de l’appui de Rome, ce qui placerait l’événement après l’an 31, i.e. après la chute de son mentor Sejanus, donc 5 ans après l’incident des étendards.

        Cet incident des boucliers d’or où la multitude essaie d’intimider Pilate par des menaces, apporte un certain éclairage à cette scène de la passion selon Jean 19, 12, où la foule crie : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César: quiconque se fait roi, s’oppose à César ».

      6. Le prophète samaritain

        D’après Josèphe (Les antiquités judaïques, 18.4.1-2 : #85-89), un faux prophète avait promis aux Samaritain de leur montrer sur le mont Garizim les vases sacrés enfouis par Moïse. Ceux-ci se rassemblèrent avec des armes à Tirathana, non loin de la montagne. Alors Pilate aurait eu peur de ce fanatisme eschatologique, et donc bloqua l’ascension avec une cavalerie et une infanterie lourdement armées. Une escarmouche s’en suivit, des Samaritains furent tués, plusieurs furent emprisonnés et leur leader exécuté. Le Conseil samaritain protesta auprès du légat de Syrie, Vitellius, qui ordonna à Pilate de quitter la Judée et de se rendre à Rome, mettant fin à sa fonction préfectorale. Pourtant, l’intervention de Pilate n’était pas un geste irréfléchi. On peut se demander si la réaction si prompte de Vitellius à prendre position pour les Samaritains visait avant tout à impressionner Tibère qui ne voulait pas qu’on bouleverse les traditions locales. Mais l’attitude de Pilate avait peut-être été influencée par les grands prêtres, en particulier Caïphe, qui détestaient le culte samaritain. Si vraiment Caïphe a mis de la pression sur Pilate, on pourrait comprendre pourquoi il fut démis de ses fonctions tout de suite après le départ de Pilate.

      L’image qui se dégage de ces six événements n’est pas celle de quelqu’un sans fautes, mais certainement différente de la caricature qu’en fait Philon. L’évangéliste Jean nous présente le caractère dramatique d’une personne indécise devant le choix entre la vérité et le mensonge. Dans l’ensemble, le portrait qu’en brosse les quatre évangiles n’est pas totalement invraisemblable, même si on peut douter de l’historicité de chaque détail. Imaginons un instant que Josèphe aurait ajouté un autre incident sur Pilate (à ajouter après l'incident c., mais avant l'incident f.), où les autorités de Jérusalem lui auraient amené pour être puni un homme qui aurait menacé le sanctuaire du temple et prétendrait être roi. Après examen, Pilate l’aurait trouvé sans danger et compris que les leaders juifs étaient partiaux. Or, comme l’homme était de Galilée, un prince hérodien séjournant dans la ville fut impliqué dans le cas, et Pilate lui fit part de sa décision de ne pas l’exécuter. Mais quand il vit qu’une émeute s’amorçait dans la ville après cette annonce, Pilate recula et accepta la demande des leaders juifs. Après les six incidents décrits plus haut, qui pourrait dire que ce septième incident imaginaire ne correspond pas au comportement typique de Pilate? Et c’est ce que laisse transparaître les évangiles.

  3. Le site du procès de Jésus : le prétoire

    Les synoptiques nous donnent l’impression que tout le procès romain se passe à l’extérieur, et que les chefs des prêtres, les anciens, les scribes et le peuple sont tout près et peuvent converser avec Pilate. Et c’est seulement après être condamné et fouetté que les soldats amènent Jésus à l’intérieur, dans le aulē. Par contre, chez Jean (18, 28ss), tout le procès se déroule à l’intérieur dans le praetorium, dans une rencontre privée entre Jésus et Pilate, et ce n’est qu’à la fin que Pilate sort à l’extérieur et s’assoit sur le siège du jugement (bēma), dans un endroit appelé Lithostrotos (voie de pierre), Gabbatha en Hébreu; c’est de ce lieu qu’il s’adresse aux Juifs et rend sa sentence. Matthieu (27, 19) est le seul autre évangéliste à mentionner le bēma, apparemment à l’extérieur. Qu’est donc ce praetorium et où se trouvait-il?

    1. La signification et la nature du prétoire

      Le mot latin praetorium est associé au préteur, un dignitaire romain qui servait comme général d’armée, et est formé de la préposition prae (avant) et du mot itor (celui qui marche), donc celui qui marche devant. Dans une campagne militaire, le prétoire était son quartier général. Quand les préteurs sont devenus des gouverneurs de territoires occupés, le prétoire était leur résidence dans la ville principale, souvent le palais de l’ancien roi que les Romains avaient remplacé. Le public y avait accès, car il servait aussi de quartier général pour l’administration. Par contre, il ne servait pas à l’exercice de la justice qui prenait plutôt place dans une basilique, au forum, ou dans une grande cour publique (souvent en face du prétoire), là se trouvait une plateforme surélevée (en latin sella curulis, en grec bēma) avec un siège ou banc pour le dignitaire qui devait rendre sa sentence.

      Césarée, sur la côte de la Méditerranée, était le lieu du prétoire, le centre de l’administration romaine. Mais à certaines occasions, comme lors d’une fête religieuse, ou simplement pour manifester la présence romaine, le préfet / procurateur se rendait à Jérusalem. Où y demeurait-il? Ni Philon, ni Josèphe n’utilisent le mot prétoire pour un édifice à Jérusalem. Mais ils offrent de l’information sur deux édifices d’origine hérodienne qui pourraient être des candidats pour ce que les évangiles appellent : prétoire.

    2. Deux candidats pour le prétoire mentionné dans le récit de la passion

      1. Description des candidats

        Premier candidat : la forteresse Antonia. Cet ancien château des rois-prêtres hasmonéens a été restauré de manière luxueuse par Hérode le Grand vers 37-35 av. JC. Construit sur un promontoire rocheux jouxtant le coin nord-ouest du temple (voir la carte de Jérusalem) et constituant la fin du 2e mur de la ville, il faisait partie de la ligne des défenses nord. Ce mur était la limite de la ville au temps de Jésus. Hérode l’a utilisé comme une de ses demeures, mais par la suite il servit de quartier pour une cohorte romaine qui lui donnait un accès privilégié au temple. Mais Josèphe ne donne jamais le nom de aulē (palais) à l’édifice, mais pyrgos (tour) ou phrourion (forteresse).

        Deuxième candidat : le palais (aulē) du roi (Hérode). C’est une véritable forteresse construite sur la colline ouest de la ville sur des ruines hasmonéennes (voir la carte de Jérusalem). Elle fait aussi partie de la ligne des défenses nord. À l’extérieur, on trouvait trois immenses tours construites par Hérode auxquelles il donna le nom d’amis et de membres de sa famille : Hippicus, Phasaël, Mariamme. C’était la résidence principale d’Hérode. Josèphe considère indescriptible son luxe et son extravagance (La guerre juive, 1.21.1 : #402; Les antiquités judaïques, 15.9.3 : #318).

      2. Analyse des données

        Tout d’abord, il semble peu vraisemblable qu’un préfet / procurateur, séjournant à Jérusalem, résiderait dans la forteresse Antonia, laissant au tribun et à sa cohorte la résidence beaucoup plus prestigieuse du palais royal. Et il y a surtout ce passage de Josèphe sur Florus, le dernier procurateur :

        Florus logeait (aulizein) dans la résidence royale et, le jour suivant, fit placer devant un tribunal (bēma) et y siégea. Les grands prêtres et les citoyens les plus influents et les plus connus vinrent alors devant le bēma. (La Guerre Juive, 2.14.8; #301)

        C’est le même langage qu’utilise Josèphe en racontant l’incident de l’aqueduc (voir plutôt c. révolte autour de l’aqueduc), alors que la foule encercle le tribunal. De même, dans l’incident des boucliers d’or (voir plutôt e.), Josèphe parle de consécration dans la « résidence royale (basileia) » d’Hérode.

        Dans le Nouveau Testament, quand il décrit la scène à propos de Barabbas où la foule se rend chez Pilate pour demander la grâce habituelle d’un prisonnier, Marc 15, 8 écrit : « La foule étant montée (anabainein) ». L’action de « monter » correspond parfaitement à la géographie du palais d’Hérode, situé sur le lieu le plus élevé de Jérusalem, et cela cadre aussi avec le terme de Gabbatha de Jn 19, 13, un terme hébreu qui signifie : endroit élevé ou colline. De plus, Marc parle de aulē pour désigner le prétoire, un terme que Josèphe utilise pour le palais royal, mais jamais pour la forteresse Antonia. Quant au bēma, Mt 27, 19 et Jn 19, 13 le placent à l’extérieur du prétoire, exactement à l’endroit où Josèphe le place dans son récit sur Florus cité plus haut. Enfin, Jn 19, 13 mentionne un lithostrōtos (voie de pierre) à l’extérieur du prétoire. Il faut assumer que la pierre était si impressionnante qu’elle a retenu l’attention et éveillé l’imagination. Josèphe ne parle d’aucune pierre en référence à la forteresse Antonia, mais parle d’une variété de pierres précieuses (lithos) en référence au palais royal.

        Tout compte fait, les données nous orientent vers le palais royal d’Hérode sur la colline occidentale comme lieu intérimaire du prétoire de Pilate lors de la Pâque, quand il rencontra Jésus. Cela va contre la tradition, remontant au 12e siècle, qui situe le prétoire à la forteresse Antonia, et ont amené les pèlerins à faire le chemin de la croix à partir de cet endroit jusqu’au Saint-Sépulcre. Cela va aussi contre la découverte en 1870, sur le site de la forteresse d’Antonia, d’une dalle de pierre massive, avec des graffiti d’un jeu du roi qui ressemblait aux moqueries sur Jésus comme roi dont parle Mc 15, 16-20 et Mt 27, 27-31; en fait, des recherches plus récentes ont montré que ces graffiti provenaient probablement de l’arc de triomphe à l’entrée du forum de la ville après l’an 135, alors qu’elle s’appelait Aelia Capitolina.

  4. Le type d’un procès romain

    1. La valeur légale de l’enregistrement du procès par les évangiles

      La perspective des évangélistes n’est pas légale, mais théologique : on dramatise la signification religieuse de la condamnation de Jésus. Par exemple, le Jésus de Jean, contrairement à celui des synoptiques qui demeure silencieux, a un entretien privé avec Pilate; l’auteur entend refléter le débat des chrétiens de son époque dans leur relation avec Rome pour rejeter l’idée qu’ils revendiquaient un royaume séparé et politique : le royaume de Jésus n’est pas de ce monde. Il entend aussi refléter sa vision théologique que Jésus est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, et que Pilate doit faire face à ce jugement alors qu’il se tient devant la vérité. Pour sa part, Luc introduit une tradition indépendante d’une rencontre avec Hérode Antipas lors du procès romain, cherchant probablement à synchroniser le procès de Jésus avec celui de Paul qui a dû affronter à la fois le procurateur Festus et Hérode Agrippa II comme juges (voir Actes 25-26).

      Dans les faits, aucun détail du procès de Jésus par Pilate n’a été rapporté. Et rien ressemblant à un procès-verbal du procès de Jésus n’a survécu ou pourrait être reconstitué à partir des récits évangéliques. Nous n’avons aucun indice que ceux-ci auraient même pu bénéficier d’un tel document. La seule information leur est probablement parvenue par ouï-dire ou fut dérivée des explications après les faits des autorités juives ou romaines, ou de suppositions logiques; étant donné le nombre de personnes impliquées, il serait surprenant que rien n’ait circulé sur ces événements. Le motif de « Le roi des Juifs » de cette exécution publique a certainement été publiée et ne pouvait être que relié aux procès qui a précédé. Bref, malgré l’absence d’un procès-verbal, il n’y a pas lieu de douter de l’enjeu fondamental du procès romain.

      Malgré tout, tout en reconnaissant que les évangiles n’offraient aucun procès-verbal du procès, plusieurs auteurs anciens ont cru qu’il devait en exister un quelque part. Cela venait de leur familiarité avec les Actes des martyrs en circulation qui détaillaient le procès romains des chrétiens. Par exemple, Justin (2e s.) croyait que Pilate avait produit les actes du procès de Jésus (voir Apologie 1.35). Tertullien (2e-3e s.), pour sa part, affirme que Pilate était un chrétien de coeur et aurait envoyé les détails du procès à l’empereur Tibère (Apologétique, 21.24). C’est ainsi qu’est apparu l’écrit grec apocryphe des Actes de Pilate (4e s.), très favorable au préfet (l’oeuvre est connue aussi dans sa version latine sous le titre d’Évangile de Nicodème). Il y a aussi le texte des Actes de Pierre et Paul (4e s.) qui raconte que Pilate aurait écrit une lettre à l’empereur Claude. Ce sont tous des oeuvres de l’imagination et n’ont aucune valeur historique.

    2. La relation entre le procès romain et le procès/interrogatoire juif

      Jusqu’à quel point le procès romain était-il indépendant du procès juif? Si ce dernier constituait une véritable enquête, Pilate aurait dû procéder sur la base de ce que lui ont rapporté les autorités juives. Mais Luc est seul, et cela de manière partielle, à faire écho à l’interrogatoire juif au procès romain. Aucun des évangiles ne fait écho lors de l’interrogatoire juif à ce qui sera le coeur de l’interrogatoire romain : Jésus, roi des Juifs. Il faut donc rejeter la proposition de certains biblistes que le procès romain était une mise oeuvre ou une exécution des résultats du procès juif, puisque les Juifs n’avaient pas le droit de mettre à mort quelqu’un. Même si on trouve chez Marc (suivi par Mt) une sentence de mort explicite de la part des autorités religieuses et qui exigeait l’intervention romaine pour son application, les quatre évangélistes nous présentent deux procès distincts avec deux sujets d’interrogatoire différents, et donc requerraient deux décisions différentes. Les quatre évangélistes nous présentent un Pilate qui semble ignorer à un certain point les demandes pressantes des autorités juives, comme s’il ne leur faisait pas confiance; chez Jean 18, 30-31 le refus de Pilate de la décision juive est même explicite. En fait, pour les Romains, seul ce qui constituait à leurs yeux un véritable crime, ou légalement coupable, importait. Ainsi, il faut considérer le procès romain comme un nouveau procès indépendant, dont l’issue pouvait être l’innocence ou la culpabilité de Jésus.

      Pourtant, un certain nombre de problèmes demeurent :
      • Pourquoi le procès décrit par Marc/Matthieu est si bref qu’on ne prend pas la peine de lire l’accusation?
      • Pourquoi le seul élément de preuve est une réponse ambigüe à la question initiale?
      • Pourquoi Pilate cède-t-il aux cris de la foule pour qu’il soit crucifié?

      Il faut refuser l’explication de certains biblistes que Pilate était un tyran sanguinaire qui agissait de manière arbitraire, ignorant les éléments juridiques d’un état de droit; les six incidents analysés plus haut ont montré le contraire. Une explication plus plausible viendrait du fait que Jésus n’était pas citoyen romain et le procès fut peut-être mené extra ordinem, où il n’était pas nécessaire de suivre toutes les procédures prévues par la loi romaine, et que Pilate avait le droit de se contenter d’un simple interrogatoire. Alors le gouverneur pouvait chercher les faits sur Jésus, connaître les raisons pour lesquelles on voulait le mettre à mort, déterminer s’il y avait matière légale pour une peine romaine, et préciser quelle peine était appropriée. Il pouvait donc obtenir de l’information de l’autorité locale, sans exiger le type de preuve demandée par la loi ordinaire. L’historien juif Josèphe raconte des cas semblables d’actions judiciaires de la part des préfets / procurateurs romains qui impliquaient la peine capitale, et aucun de ses récits n’offre beaucoup plus de détail que celui des évangiles. Ce laconisme pourrait être dû au style de Josèphe tout comme celui des évangiles, mais il pourrait tout aussi bien être dû aux procédures abrégées ou à l’enquête expéditive. Bref, le récit évangélique du procès romain ne paraît pas tronqué au point d’être inusité.

    3. Le statut légal des aspects choisis du procès romain de Jésus

      Un procès romain formel pouvait impliquer divers intervenants en plus de celui qui exerçait la fonction de juge : des avocats juniors, des conseillers. C’est le choix des évangiles de ne mentionner que Pilate. Il reste que, dans une province comme la Judée, rien chez Josèphe ou les évangiles ne suggère qu’un jury était requis. Par contre, on pourrait s’être attendu à la présence d’un traducteur, puisque Jésus et Pilate ne parlaient pas la même langue; les évangiles demeurent silencieux sur le langage utilisé lors de l’interrogatoire et les réponses obtenues.

      1. Les accusations contre Jésus et le crime qu’elles représentent

        Marc nous offre probablement la forme la plus ancienne du récit chrétien sur les procédures judiciaires qui ont amené Jésus devant Pilate. Même s’il n’y a pas de formulation formelle de l’accusation, Pilate semble bien au courant du point en cause. Ce portrait est cohérent avec l’observation que, dans les périodes de tension (fêtes trépidantes, émeutes récentes), les procédures romaines pouvaient être sommaires et commencer avec l’équivalent d’un rapport de police obtenu des magistrats locaux.

        L’accusation concerne la prétention de Jésus à être le roi des Juifs. Selon la loi romaine, c’est un crime de sédition ou de lèse majesté, passible de crucifixion. Les experts en loi romaine ont mené beaucoup de débats sur la relation entre le perduellio (crime de haute trahison) et les variations autour du crime de lèse majesté, et des peines qui leur sont attachées. Car le perduellio comprenait toute offense malicieuse contre le peuple romain et entraînait une vaste gamme de peines, de la peine de mort à l’amende. Mais avec le temps, l’étendue de ce que couvrait le crime de lèse-majesté (négligence coupable d’un magistrat incompétent, ou action qui mine la loyauté des troupes, ou quitter une province sans permission) a remplacé le perduellio et l’a rendu désuet. Et avec le début de l’empire, le fait même d’insulter un chef, symbole de la majesté de l’empire, devenait un crime de lèse majesté. On remarque qu’avec Auguste et surtout Tibère (très sensible aux trahisons), les bannissements devinrent plus durs et les exécutions sommaires plus fréquentes.

        En quoi tout cela s’applique-t-il à Jésus? Jean 19, 12 est le seul à faire le lien entre le crime de lèse majesté et l’accusation contre Jésus : « Quiconque se fait roi, s’oppose à César ». A-t-il préservé un détail historique, ou a-t-il simplement déduit rétrospectivement les implications de la tradition? On note qu’un auteur comme Josèphe ne fournit jamais la base légale des condamnations proférées par les préfets dans ses chroniques. Il lui suffit de mentionner qu’il y avait des fauteurs de trouble et que le préfet devait y voir, et donc faisait appel au principe général de maintenir l’ordre. C’est probablement ce qui s’est passé dans la province de Judée avec quelqu’un qui n’était pas citoyen romain comme Jésus. Bien sûr, on peut trouver un lien entre le principe générale et certaines lois liées aux trahisons, mais il serait erroné d’imaginer que le préfet consultait les livres de loi chaque fois avant de condamner un homme d’une province accusé d’un crime.

      2. Les réponses de Jésus

        Même si nous n’avons aucun procès-verbal du procès, il n’y rien d’invraisemblable avec la question posée dans les récits évangéliques : « Es-tu le roi des Juifs? »; et elle cohérente avec l’accusation publiée lors de son exécution. De même, le silence de Jésus (« Tu ne réponds rien? Vois tout ce dont ils t’accusent! », Mc 15, 4) n’est pas sans précédent (voir le Papyrus Oslo 16). Enfin, l’interrogatoire de Pilate chez Marc ne porte aucune marque d’un travail théologique.

        Selon Marc 15, 2, à la question initiale, Jésus aurait répondu : « Tu le dis ». On peut se demander : avec ce type de réponse de la part de Jésus, un juge romain aurait-il suffisamment d’éléments de preuve pour prononcer une sentence? Car ce n’est ni un démenti, ni une affirmation sans ambiguïté. Que doit faire un juge dans un cas où l’accusé ne plaide pas coupable, mais n’affirme pas son innocence ou ne rejette pas l’accusation initiale quand on le questionne? N’est-il pas légal de trouver coupable une personne si difficile et si peu coopérative? Dans une telle situation, n’est-il pas normal que le juge base sa sentence sur les éléments de preuve qu’on lui a amenés, surtout lorsqu’il subit des pressions politiques pour considérer l’accusé comme coupable?

      3. Le rôle de la foule (acclamatio)

        Que faire avec le tollé de la foule qui veut le voir crucifié, comme s’ils avaient un mot à dire dans la décision du juge? Cette pratique de l’acclamation populaire (acclamatio populi) était connue dans certaines villes libres, comme les villes de la Décapole en Galilée. Par exemple, à Césarée, Hérode le Grand fit amener trois cents chefs militaire sous accusation devant l’assemblée, et la foule les tua (Josèphe, Les antiquités judaïques, 16.11.7 : #393-394). Mais cela semble avoir été plutôt une pratique orientale, et les Romains avaient tendance à respecter les coutumes locales. Cependant, Jérusalem n’était pas une ville libre, et l’acclamation populaire n’était pas une coutume juive. Et les cris de la foule contre Jésus dans les récits évangéliques relèvent de la pression de la populace sur le préfet, plutôt que de la voix d’un jury reconnu.

        Par contre, si considère les récits des martyrs racontés par leurs sympathisants qui rejetaient leur accusation et leur sentence, on note la présence d’une foule hostile. Dans le Martyre de Polycarpe (11-12), ce sont les cris de la foule et des Juifs qui déterminent aux yeux du proconsul de Smyrne le type de mort de Polycarpe. Dans l’examen des six incidents où Pilate a été impliqué, nous avons vu le rôle de la foule. Aussi, faute de procès-verbal, il faut considérer la vraisemblance des récits évangéliques. Il est donc tout à fait plausible d’imaginer un Pilate anxieux d’affirmer les prérogatives romaines dans les sentences de mort, et donc soucieux de vérifier par lui-même la culpabilité de Jésus, même si les autorités juives l’avaient présenté comme coupable de crime. Il devait certainement savoir que le vrai problème était plus au niveau des affaires juives internes, plutôt que celui d’un crime politique contre la majesté de l’empereur. Mais il y avait la pression de la foule, il ne voulait certainement pas que le tout dégénère en émeute dans le contexte de la fête pascale. Sur le plan légal, l’innocence de l’accusé n’est pas claire au point que Pilate pourrait prendre une chance en le relâchant; alors il cède à la pression de la foule. Bref, la position de Pilate dans ce procès n’est pas brave ou noble, mais elle n’est pas illégale ou une violation de la loi romaine, en plus d’être un moment insignifiant dans sa carrière.

Chapitre suivant: Introduction : Interrogatoire initial par Pilate

Liste de tous les chapitres