Sybil 1997

Le texte évangélique

Jean 6, 24-35

24 Quand la foule se rendit donc compte que Jésus tout comme ses disciples n’étaient plus sur les lieux où ils avaient mangé ensemble, ils montèrent dans la barque et se rendirent à Capharnaüm afin de se mettre à la recherche de Jésus. 25 Après l’avoir trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent : « Rabbi, comment se fait-il que tu sois ici? »

26 Jésus leur donna cette réponse : « Vraiment, vraiment, je vous l’assure, vous êtes à ma recherche, non pas parce que vous avez compris la signification d’avoir été nourri, mais parce vous êtes simplement contents d’avoir été nourris. 27 Ne soyez pas à la recherche des choses qui ne durent pas, mais des choses qui ont impact sur la qualité de toute votre vie, que le nouvel Adam vous donnera. Car c’est par ce dernier que Dieu Père intervient officiellement dans le monde.

28 Les gens lui demandèrent alors : « Très bien. Dis-nous donc ce que Dieu attend de nous ». 29 Jésus leur répondit : « Voici ce que Dieu attend de vous : croire en celui qu’il a envoyé ». 30 Alors les gens lui dirent : « Quelle action extraordinaire peux-tu poser, et que nous pouvons voir, pour nous amener à croire? Quelle est cette action? 31 Par exemple, nous ancêtres ont pu être nourris en plein désert, comme c’est écrit dans la Bible : Dieu a donné du pain à manger au peuple. » 32 Jésus leur répliqua : « Vraiment, vraiment, je vous l'assure, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain provenant de Dieu, mais c’est bien mon Père qui peut vous donner le pain provenant de Dieu, l’authentique pain. 33 Car le pain de Dieu ne peut que provenir de Dieu lui-même et est capable d’insuffler une vie authentique au monde entier. »

34 Les gens réagissent alors en disant : « Mais Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là ». 35 Jésus leur dit : « C’est moi, je suis ce pain qui donne la vie. Celui qui s’attache à moi n’aura plus jamais faim, et celui qui me fait confiance n'aura plus jamais soif ».

Des études

Pourquoi mettre tant de temps sur son passé quand l'essentiel est ailleurs?


Commentaire d'évangile - Homélie

Est-ce important de savoir d’où nous venons?

Quand quelqu’un apprend par hasard qu’il a été adopté, il s’ensuit la plupart du temps un choc et un drame terrible, même si la famille adoptive offre un milieu aimant. Tout à coup, on se rend compte qu’on ne sait pas d’où on vient. C’est le cas de Johanne qui, après avoir appris qu’elle avait été adoptée, a passé sa vie à remuer ciel et terre pour connaître ses origines. Car elle était atteinte d’une maladie rare et espérait, qu’en connaissant l’identité de ses grands-parents maternels, elle pourrait obtenir des informations importantes. Pour beaucoup, partir à la recherche de ses origines est suscité par le désir de mieux saisir son identité, les traits non seulement physiques, mais aussi psychologiques, et espérer faire la paix avec soi-même. Cependant, autant on peut comprendre ce besoin viscéral de faire la lumière sur son passé, autant on peut se demander si c'est ce qu'il y a de plus fructueux pour orienter son avenir.

Car la majorité des gens connaissent leurs parents biologiques, et pourtant la paix avec ses origines est loin d’être faite. Je n’ai qu’à penser au témoignage du québécois Jean-Philippe Pleau dans son livre Rue Duplessis. Qu’écrit-il? Son malaise d’être né dans un milieu presqu’inculte et analphabète pour devenir ensuite un sociologue avec un doctorat et bien connu comme personnalité publique dans les médias, et appartenant maintenant en quelque sorte à l’élite; il a vécu une forme de migration de classe. La connaissance de ses origines, de ce milieu fermé et limité, le fait encore souffrir et l’amène parfois à avoir même de l’animosité face au nouveau milieu auquel il appartient. Ce livre l’amènera-t-il à faire la paix avec lui-même?

Pourtant, poser la question sur ses origines est-elle la bonne question, et surtout la plus fructueuse? Curieusement, c’est la question qui amorce l’évangile de ce jour selon Jean. En effet, une grande foule a vécu l’expérience inoubliable d’avoir été nourrie de pain et de poisson lors d’une rencontre avec Jésus et, le lendemain, ne le voyant plus, se met à sa recherche avec un autre groupe venu pour le voir et finalement le trouver à son quartier général de Capharnaüm. En le voyant, quelle question pose cette foule : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici? ». La question ne cherche pas simplement à connaître l’heure de son arrivée, mais veut comprendre comment et pourquoi il est là, en d’autres mots, son origine. Tout le discours qui suit entend démontrer que c’est une fausse question. Regardons d’un peu plus près.

La réponse de Jésus à la question des gens se résume ainsi : Ne centrez pas votre attention vers ce qui n’est pas si important, votre origine, vos besoins physiques. Mais centrez-le sur des choses qui ont impact sur la qualité de toute votre vie, que le nouvel Adam vous donnera. Je traduis l’expression « fils de l’homme » par « nouvel Adam », pour traduire l’idée que Jésus se présente comme l’être humain renouvelé. L’évangéliste Jean utilise l’expression « vie éternelle » qu’entend donner ce nouvel Adam. De quoi s’agit-il? Notons que cette vie éternelle fait référence à notre vie sur cette terre, et non pas à l’au-delà, car pour l’au-delà il fera intervenir la notion de résurrection des morts. Pourquoi utiliser l’adjectif « éternel »? Le mot « éternel » fait référence à l’Éternel, i.e. Dieu. Voilà pourquoi je traduis par vie de qualité (la théologie traditionnelle parle de « vie divine »). La vie éternelle fait donc référence à cette vie authentique de l’être humain renouvelé. La réponse de Jésus aux gens se termine par l’affirmation que son intervention a reçu l’approbation de Dieu le Père : en d’autres mots, il n’y pas d’autres moyens d’accéder au mystère à la source de ce monde sinon à travers Jésus. Bref, Jésus propose de centrer notre attention et notre désir, non pas sur nos origines, mais sur la quête d’une vie authentique, dont il a le secret, et qui est fondamentalement une copie de la sienne.

La réaction des gens à cette réponse de Jésus est étonnante : « Très bien. Dis-nous donc ce que Dieu attend de nous ». C’est comme s’ils reconnaissaient que Jésus est le porte-parole de Dieu. Mais cette réaction a peu de profondeur, car lorsque Jésus dira que Dieu attend d’eux de croire en lui, les gens répliqueront aussitôt : « Donne-nous la preuve que c’est Dieu qui t’envoie, comme Moïse a donné la preuve d’être l’envoyé de Dieu en nourrissant son peuple au désert ». Où est la difficulté de croire? Elle peut se résumer ainsi : comment un homme qui a mené la vie humble d’un menuisier dans un petit village, qui a pris ses distances face au temple de Jérusalem, qui a créé des liens avec des gens méprisés, qui s’est montré compatissant envers tous, et qui s’est retrouvé condamné par les autorités religieuses, comment un tel être peut-il être envoyé de Dieu? Comme on peut le constater, on achoppe sur ses origines et son histoire personnelle, et tout cela ne correspond pas à ce que la société attend d’un être sensé guider l’humanité.

Jésus intervient alors avec une autre déclaration solennelle reprenant le thème du pain amené par les gens qui parlaient de Moïse : ce qui nourrit vraiment un être humain ne peut provenir ni de Moïse ou ni d’aucun autre gourou, mais seulement de Dieu, et plus précisément de celui qui descend de Dieu. L’affirmation est donc claire de la part de Jésus : « Je suis ce pain qui nourrit vraiment ». Qu’est-ce à dire? Pour l’évangéliste Jean, Jésus détient la clé d’une vie authentique à la fois par la voie qu’il a tracé par l’ensemble de sa vie, et à la fois par la force d’amour qu’il met en œuvre dans le monde. Mais il y a plus. Jésus a vécu une relation amoureuse unique avec Dieu qu’il appelait son Père. Or, quiconque s’attache à lui entre dans le même courant et se découvre fils ou fille d’un Père; l’éternité commence déjà sur cette terre.

On peut trouver problématique la finale de l’évangile de ce jour : « Celui qui s’attache à moi n’aura plus jamais faim, et celui qui me fait confiance n'aura plus jamais soif ». Que signifie : ne plus avoir faim, ne plus avoir soif? Quand on se réfère à notre propre existence, quand a-t-on fait l’expérience d’être vraiment comblé? La plupart du temps la réponse est : quand j’ai fait l’expérience d’être vraiment et tendrement aimé. Or, il faut donc comprendre que c’est à cette expérience qu’invite Jésus, celui qui parle de Dieu comme d’un Père. C’est ce qu’aurait dû découvrir les 5 000 personnes qui ont été nourries juste avant notre récit, ce qu’on appelle la scène de la multiplication des pains : à travers le fait d’être nourris, ils auraient dû percevoir que Quelqu’un prenait soin d’eux, Quelqu’un les aimait, qu’ils étaient importants et précieux.

Il y a un véritable danger à centrer son attention sur ses origines, en mettant l’accent sur ses atavismes, sur les déterminismes, sur le sort. Que dit l’évangéliste Jean? Peu importe d’où nous venons, peu importe notre passé, nous sommes tous appelés sans exception à entrer dans cette fabuleuse histoire dont Jésus nous a révélé le secret, celle de vivre en se sachant aimé sans condition par ce mystère qu’on appelle Dieu, en sachant que tout notre être est précieux, en sachant que chaque seconde de notre vie est importante et fait partie de cette éternité déjà commencée, et en sachant que Celui qui nous aime prend soin de nous, non seulement en cette vie, mais prendra soin de nous par-delà la mort physique. C’est ce qu’a vécu Jésus, c’est ce que nous vivrons.

 

-André Gilbert, Gatineau, juin 2024

 

 

 

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