Sybil 2002

Le texte évangélique

Jean 20, 1-9

1 Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala se rend tôt le matin au tombeau, au moment où il faisait encore nuit. Elle s'aperçoit que la pierre, qui bloquait l'entrée du tombeau, a été enlevée. 2 Elle se met alors à courir et se rend chez Simon Pierre ainsi que chez l'autre disciple, celui que Jésus aimait, pour leur dire: on a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis. 3. Pierre et l'autre disciple sortirent donc pour se rendre au tombeau. 4. Ils courraient tous les deux ensemble. Mais l'autre disciple courut en avant plus vite que Pierre et parvint le premier au tombeau. 5 Se penchant pour regarder à l'intérieur, il voit les bandelettes qui gisent par terre, mais cependant il n'entra pas. 6 Arrive enfin Simon Pierre qui le suivait, et il entre dans le tombeau. Il aperçoit les bandelettes qui gisaient par terre, 7 ainsi que le suaire qui lui recouvrait la tête; ce dernier ne se trouvait toutefois pas avec les bandelettes qui gisaient par terre, mais plutôt enroulé à part dans un lieu particulier. 8 C'est à ce moment qu'entra alors l'autre disiciple, celui qui était arrivé le premier au tombeau: il vit toutes ces choses et se mit à croire.

Des études

Il est absent, mais présent


Commentaire d'évangile - Homélie

Le disciple que Jésus aime

Lors d'un décès, où on se remémore les événements qui ont marqué le défunt et qui connaît son apogée avec les funérailles, c'est après la mise en terre ou l'incinération que vient le temps d'intériorisation. Ne trouvez-vous pas qu'il y a quelque chose de semblable dans le récit du tombeau vide de ce dimanche de Pâques? Bien sûr, le temps d'exposition a été abrégé: le temps d'extraire le corps de la croix et de l'envelopper de linge. Assez rapidement, nous sommes projetés dans l'après funérailles, quand il n'y a plus de corps, dans cette étape d'intériorisation.

Je me permets ici d'ouvrir une parenthèse: que se serait-il passé si le corps de Jésus avait toujours été là, dans le tombeau, et qu'on avait pu passer du temps auprès de ce corps entouré de linges? Ne me dites pas: ce scénario était impossible, car Jésus est ressuscité! On pourrait affirmer la résurrection de Jésus tout en voyant son corps gisant au tombeau: l'état de résurrection n'a pas besoin de ce corps mortel. D'ailleurs il y a un consensus dans le milieu biblique pour affirmer que la tradition de la résurrection et celle du tombeau vide sont totalement indépendantes. Lisez les épîtres de Paul et vous ne verrez aucune mention du tombeau vide; et quand il parle du corps ressuscité, il parle d'un corps "spirituel", différent du corps charnel (1 Co 15, 44). Je reviens donc à ma question. En fait, si le corps avait toujours été là et, en admettant qu'il ne serait pas décomposé, je pense qu'on aurait développé une forme de fixation castrante sur le passé: on risquait d'être une religion du souvenir.

Nous voilà donc confronté à l'absence de corps. Avec ce corps absent on peut mettre tellement de choses de notre propre vie: l'absence de tant des choses qui pourraient rendre ma vie excitante et palpitante, l'absence d'êtres chers que je retiendrais volontiers auprès de moi, l'absence de cette sacrée sécurité que nous recherchons tous, l'absence d'un corps jeune et alerte que j'ai déjà eu. On pourrait ajouter ces désirs non assouvis de comprendre une histoire personnelle, de donner sens à tous ces hasards et ces accidents d'une vie, de s'expliquer un cadre de vie qui peut apparaître insignifiant et sans portée sur les autres. Marie-Madeleine en pleure: "J'ai besoin de ce corps, dis-moi où je peux le trouver?"

Regardons l'attitude de Pierre et de l'autre disciple. Pierre entre dans le tombeau vide. Il apparaît comme le premier à s'ouvrir à cette expérience d'absence. On retrouve avec lui tous ceux et celles pour qui cette expérience ne fait qu'engendrer une série de questions douloureuses et d'incessantes interrogations. Le disciple que Jésus aimait entre à son tour. Contrairement à Pierre, au coeur de cette expérience d'absence, il voit et il croit. Le voilà premier dans l'expérience de la foi. Qu'a-t-il vu? Qu'a-t-il cru?

L'évangéliste prend soin de noter que le suaire qui recouvrait son visage n'était pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit. De manière claire, l'absence du corps n'est pas due à un enlèvement comme le pensait Marie-Madeleine, car on n'aurait pas pris le temps d'enlever le suaire et de le rouler soigneusement dans un autre endroit. Mais ces indices, Pierre les a vu aussi. Qu'a-t-il donc vu de plus que Pierre? Comment le suaire a-t-il pu devenir un signe?

Ami lecteur, le bibliste que je suis est ici quelque peu dérouté. Je refuse de tomber dans le piège des fondamentalistes pour qui il n'y a pas de hasard, pour qui Dieu gouverne le moindre petit événement. Pourtant, je suis convaincu que c'est le sentiment d'avoir été follement aimé qui a permis à l'autre disciple de pressentir le premier les signes que la situation n'était pas un accident, de chercher fébrilement un sens, de se remémorer les paroles de Jésus et de faire un lien avec l'ensemble de l'Écriture. Ce qu'il découvre? Une signification qui émerge de tout ce deuil et qui fait sentir une présence, et ce sentiment l'amène à dire: "Je ne suis plus le disciple que Jésus AIMAIT (passé), mais je suis désormais celui que Jésus AIME (présent)". Lui que l'amour faisait courir plus vite que Pierre, voit cette relation devenir un éternel présent.

Parmi les récits pascals, celui-ci est celui qui m'interpelle le plus. Comme beaucoup d'entre vous, je n'ai jamais eu d'expériences privilégiés de Jésus vivant, comme les récits de rencontre avec Jésus ressuscité semblent le suggérer pour certains. Mais l'évangéliste Jean me présente ici l'expérience de foi par excellence, et elle se fait sans voir Jésus. Il m'invite à m'ouvrir à tout ce qui constitue les vides de ma vie, les absences qui font mal, les adieux quelque peu forcés, et il me dit: "Regarde un peu mieux, au coeur de ce qui semble un vide, il y une présence aimante qui t'attend? Et à ce moment, tu feras l'expérience d'une paix qui t'arrachera ces mots: il est ici, bien vivant!"

Au moment d'écrire ces lignes, les journaux racontent l'histoire de ces jeunes Inuits qui se droguent à la vapeur d'essence. On dit d'eux qu'ils n'ont jamais fait l'expérience de parents qui les regardent, leur prêtent attention, les aiment. Leur dénuement est devenu un vide sans fond. Avec ce disciple qui a découvert très tôt ce que c'est d'être follement aimé, je formule cette prière: que vienne enfin Pâques pour tous, afin de faire germer la vie de nos deuils.

 

-André Gilbert, Gatineau, décembre 2000

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