Sybil 2001

Le texte évangélique

Luc 4, 21-30

21 Après avoir remis le livre de la lecture, Jésus commença par dire à son auditoire: «C'est aujourd'hui même que se réalise ce passage de l'Écriture que vous venez d'entendre». 22 Tout le monde n'avait que de bons mots à son égard et étaient renversés des paroles débordantes d'amour qui sortaient de sa bouche, au point de se dire: «C'est pourtant bien le fils de Joseph, non?». 23 Jésus leur répliqua: «Sûrement, vous allez me citer cette comparaison: 'Médecin, guéris-toi toi-même! Tout ce que tu as fait à Capharnaüm, d'après ce que nous avons su par ouï-dire, fais-le donc ici, dans ta propre patrie.'» 24 Il continua: «Vraiment, je vous l'assure, aucun prophète n'est le bienvenu dans sa propre patrie. 25 Franchement, je vous le dis: il y avait beaucoup de veuves en Israël, au temps d'Élie, quand le ciel était bouché pendant 3 ans et 6 mois sans laisser passer d'eau, et que tout le pays souffrît d'une grande famine, 26 et pourtant Elie ne fut envoyé chez aucune d'elles, mais vers une femme qui était veuve à Sarepta de Sidon. 27 On trouvait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Élisée, et pourtant aucun ne retrouva son intégrité, sinon Naaman, le Syrien.» 28 En entendant ces affirmations, tout le monde à la synagogue devint furieux, 29 et après s'être levés, les gens le poussèrent hors de la ville et l'entraînèrent jusqu'à la crête de la montage sur laquelle la ville avait été bâtie, afin de le précipiter en bas de la falaise. 30 Mais lui, après s'être faufiler à travers eux, poursuivait tout simplement son chemin.

Sortir de son monde familier,
s'ouvrir à autre chose.


Commentaire d'évangile - Homélie

Un évangile pour immigrants

En marge de la béatification de mère Thérèse de Calcutta par le pape Jean-Paul II, on a souligné que c'est loin de l'Albanie, son pays d'origine, qu'elle a rayonné, qu'elle a été accueillie comme une citoyenne. Les Indiens de toute allégeance religieuse répètent que mère Thérèse n'appartient pas à l'Église catholique, mais au peuple Indien. Dites-moi, pourquoi est-ce à l'étranger, dans un milieu où le christianisme est très minoritaire, qu'elle a pu recevoir un tel accueil?

Il semble que l'histoire se répète. Que se passe-t-il dans le récit évangélique de ce dimanche? Alors que Jésus proclame que c'est en ce moment même que se réalise la bonne nouvelle d'une grande libération chez les gens affligés et captifs, telle qu'annoncée autrefois par le prophète Isaïe, les gens de Nazareth, son propre patelin, ont du mal à accepter que, non seulement cette formidable libération ait lieu maintenant, mais qu'elle passe par un des leurs, un voisin dont on connaît bien le père. La surprise fait place à la rage quand Jésus les confronte aux actions bienfaitrices de leur Dieu dans le passé, où ils se retrouvent du côté de ceux qui y ont échappé. On sent bien dans le récit de Luc certains artifices littéraires, quand on mentionne certaines actions de Jésus à Capharnaüm, alors qu'il y a eu jusque-là aucune scène à Capharnaüm, ou que Jésus assume un certain rejet des siens, alors qu'il n'y a rien d'explicite sur le sujet. Mais Luc veut sans doute mettre en lumière une des facettes du drame de la foi. De quoi s'agit-il?

Pour tenter de comprendre l'enjeu ici, considérons la tension entre deux symboles, Nazareth et Capharnaüm. Nazareth, c'est mon monde familier, ma terre natale, le territoire que je connais bien; c'est l'univers de ma famille, de mes amis, de mes collègues; c'est l'ensemble de mes expériences et de mes connaissances; ce sont mes habitudes et ma vision des choses, ma perception de ce qui est bien et de ce qui est mal. Capharnaüm, c'est l'étranger, ce qui est différent; c'est la terre où je ne me sens pas tout à fait chez moi, où je me sens confronté à une vision du monde et à des actions qui me déroutent, où j'ai de la difficulté à trouver mes points de repères, où je sens que j'ai besoin d'aide.

Qu'affirme-t-on dans l'évangile de ce jour? Jésus peut agir à Capharnaüm, mais pas à Nazareth. Surprenant? Pas tellement, si on regarde comme il faut la nature même de la foi. Croire, c'est dépasser la perception immédiate des choses, c'est s'ouvrir à plus grand que soi, c'est accepter d'être interpellé par les événements en tant que parole de Dieu, c'est se laisser entraîner par un amour qui ne pose ni condition, ni restriction. Cela fait partie de la dynamique de la foi de nous sortir de notre monde familier, de nous sortir de Nazareth.

Nous laisser porter par la foi, nous amène à entrer dans le monde de l'étranger ou de l'immigrant. Avez-vous déjà vécu cette expérience? Mon expérience s'est limitée à deux ans en Europe et un an au Proche-Orient. Je me souviens encore de mes sentiments d'insécurité, où j'avais les yeux grand ouverts et j'étais tout ouïe afin de comprendre ce qui se passait, où j'étais spontanément compatissant face à tous les étrangers comme moi, où je m'ouvrais à d'autres manières de penser et de vivre, où j'étais facilement dérouté, où je comptais sur les autres pour me venir en aide. Est-on maintenant surpris que c'est à Capharnaüm que Jésus peut agir, qu'il peut proclamer sa bonne nouvelle de libération?

Je vous propose de relire cet évangile dans le contexte de l'Église qui est la nôtre, en ce début du 3e millénaire. Certains regrettent l'époque de la chrétienté. En fait, on voudrait être à Nazareth. Pas question de s'ouvrir aux interpellations d'un monde changeant, à des valeurs nouvelles, à de nouvelles manières de faire ou de se réunir. On multiplie les interdits: pas question de modifier la structure liturgique, pas question de donner leur place aux leaders naturels de la communauté. Pendant ce temps, Jésus agit à Capharnaüm auprès de ceux qui ont un coeur d'étranger ou d'immigrant, comme Élie auprès de la veuve du Liban et Élisée auprès de Naaman le Syrien.

En ce dimanche, nous célébrons en Jésus la force libératrice immense à l'oeuvre dans le monde en ce moment même. Puissions-nous rejoindre la horde des immigrants et des étrangers qui sauront l'accueillir.

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 2003

Des thèmes