![]() Sybil 1997 |
Le texte évangélique
Luc 1, 26-38 26 Au sixième mois de la grossesse d’Élisabeth, un messager de Dieu du nom de Gabriel vint à Nazareth, une petite ville de la région de Galilée, 27 pour rencontrer une jeune fille célibataire, fiancée à un nommé Joseph, dont la généalogie remonte au roi David. Cette jeune fille s’appelait Marie. 28 Étant entré dans sa maison, le messager lui dit : « Salut, toi que le Seigneur a comblé de ses bienfaits, il est vraiment dans ta vie. » 29 Marie fut perturbée par ce qu’elle venait d’entendre et essayait de comprendre ce qui lui arrivait. 30 Le messager intervint pour dire : « Marie, n’aie pas peur, car tu as plu à Dieu. 31 Je t’annonce que tu seras enceinte et donneras naissance à un fils à qui tu donneras le nom de Jésus. 32 Il deviendra un grand homme et sera éventuellement appelé fils de Dieu, et le Seigneur lui donnera de régner de manière semblable à son ancêtre David. 33 Cette royauté s’exercera d’abord sur le peuple juif, et s’étendra pour l’éternité. » 34 Alors Marie répliqua au messager : « Explique-moi comment je ferai puisque je n’ai pas actuellement de relations sexuelles avec un mari. » 35 Le messager lui répondit : « La force et la puissance de Dieu interviendront dans ta vie, si bien que l’enfant auquel tu donneras naissance sera considéré comme l’œuvre de Dieu, comme son fils. 36 Comme signe de la puissance de Dieu, sache qu’Élisabeth, ta parente, est dans son sixième mois de grossesse, elle qui est âgée et qu’on considérait stérile. 37 Tu vois bien que Dieu tient ses promesses et rien ne lui est impossible ». 38 Alors Marie répondit : « Je me soumets totalement à la volonté du Seigneur, j’accepte tout ce que tu viens de m’annoncer ». C’est ainsi que le messager la quitta. |
Des études |
![]() La lumière est toute petite, mais suffisante pour avancer |
Commentaire d'évangile - Homélie Au lever, je jette habituellement un coup d’œil sur les manchettes du jour. Aujourd’hui, j’apprends d’abord : Cinquante et une personnes, dont un enfant, ont été tuées jeudi par une frappe russe à Groza, petit village de l’est de l’Ukraine, en marge de funérailles. Puis, un peu plus loin : Plus de 100 personnes sont portées disparues dans le nord-est de l'Inde après que de fortes pluies ont provoqué l'éclatement d'un lac glaciaire, entraînant des crues soudaines qui ont ravagé l'État himalayen du Sikkim. Mais je ne suis pas au bout des mauvaises nouvelles puisqu’on m’informe aussi que plus de 100 000 Arméniens ont fui le Haut-Karabakh à cause de la victoire de l'Azerbaïdjan qui ressemble à un nettoyage ethnique. J’aimerais arrêter ma lecture des nouvelles du jour, mais voilà qu’une phrase retient mon attention : 2023 est désormais l’année la plus chaude jamais mesurée sur les neuf premiers mois, s’approchant d’une anomalie de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Mais où s’arrêteront les mauvaises nouvelles? Et plus tard dans la journée j’apprends qu’Israël se déclare en guerre après l’attaque du Hamas. Comment avoir le goût de se lever pour entreprendre sa journée devant le flot des mauvaises nouvelles? Y a-t-il une lumière au bout du tunnel. Aussi m’est-il venu l’idée de lire l’évangile de ce jour pour voir si on ne peut y trouver un peu de lumière, une raison d’espérer et de continuer à avancer. Ce morceau d’évangile est écrit par Luc et est connu sous le nom de l’annonciation à Marie. On connait les grands moments du récit : l’ange Gabriel se rend chez une toute jeune fille de Nazareth pour lui annoncer qu’elle sera mère d’un garçon, un futur roi, et lui indique le nom à lui donner. La jeune fille, tout apeurée devant un tel interlocuteur venu du ciel, se demande comment cela est possible puisqu’elle ne cohabite pas encore avec son fiancé, Joseph. L’ange lui répond que la puissance de Dieu y verra, et comme signe de cette puissance, il lui annonce qu’Élisabeth, une femme âgée, une parente, attend son premier enfant. Le récit se termine avec l’assentiment de la jeune fille à être mère de ce futur roi. Pour bien lire ce récit, il faut entrer dans la perspective de son auteur, Luc. Tout d’abord, n’allons pas croire que Luc est allé consulter Marie pour obtenir des détails sur sa vie (Marie était probablement décédée depuis plusieurs décennies quand Luc écrit son évangile vers l’an 85), mais il a recourt à une structure des récits d’annonciation de personnages importants développée d’abord dans l’Ancien Testament pour les naissances d’Ismaël (Gn 16), d’Isaac (Gn 17), de Samson (Jg 13), qu’il utilise maintenant pour les naissances de Jean-Baptiste et Jésus, et qui suit toujours les étapes suivantes : 1) l’apparition d’un ange, messager de Dieu; 2) la peur devant cette intervention; 3) le message divin; 4) l’objection du visionnaire; 5) le don d’un signe pour rassurer le visionnaire (sur le sujet voir R.E. Brown). Quelle est donc l’intention de Luc? Pour saisir sa pensée, il faut d’abord s’arrêter au personnage de Marie. Rappelons que le Nouveau Testament en général, et Luc en particulier, ne sait pratiquement rien sur elle, sinon qu’elle était la mère de Jésus. Selon les pratiques matrimoniales de l’époque, on peut deviner qu’elle avait autour de douze ans, et le mariage était une affaire de contrat entre deux familles, et qui se déroulait en deux étapes : d’abord ce qu’on appelle les « fiançailles », mais qui avait chez les Juifs la même valeur que le mariage en bonne et due forme d’aujourd’hui, puis la cohabitation, environ un an plus tard où l’épouse rejoignait l’époux chez lui. Nous sommes donc devant une toute jeune fille déjà liée à un homme, mais avant le début de la cohabitation. Or, pour Luc, cette jeune fille est la figure typique des « pauvres de Yahvé », ces chrétiens juifs dont certains étaient physiquement pauvres, mais dont le terme s’est élargi pour inclure ceux qui ne mettaient plus leur confiance dans leur propre force, mais dans celle de Dieu : les humbles, les pauvres, les malades, les affligés, les veuves et les orphelins. Et d’ailleurs, les différents hymnes que Luc met dans la bouche des différents personnages de son récit de l’enfance proviendraient fort probablement de la prière de ces groupes. Pour Luc, Marie est la figure typique de ces « pauvres de Yahvé », et par là la figure du chrétien véritable. Trois mots nous donnent la clé pour comprendre le récit de Luc. Il y a d’abord le mot « puissance » du Très-Haut, une puissance qui s’est déjà exercée dans la fécondité d’Élisabeth et qui s’exercera dans la fécondité de Marie. Puis il y a l’expression « tu concevras un fils » : ce qu’on demande à Marie n’est pas de partir en mission à l’autre bout du monde, mais de jouer simplement son rôle de mère. Enfin, il y a l’expression « Voici la servante du Seigneur », qui désigne l’accord à un événement inhabituel, être enceinte avant même la cohabitation et la perspective d’un enfant-roi, mais pour l’auditeur de Luc qui connaît toute l’histoire de Jésus, c’est l’accord à une vie de bouleversements qui se terminera avec l’exécution de son enfant. Ce récit nous donne un condensé de la théologie de Luc. Pour lui il y a à l’œuvre dans notre monde une force, qu’il appelle l’Esprit de Dieu ou l’Esprit Saint, qui a guidé Jésus et Jean-Baptiste tout au long de leur vie, qui s’est manifesté à la Pentecôte en donnant un dynamisme ou ouverture universelle aux croyants, et qui sera à l’œuvre jusqu’à la fin des temps. Mais cette force ne peut s’exercer qu’à travers nous. Elle s’est exercée à travers cette petite fille de douze ans, Marie, et s’est exercé à travers le menuisier Jésus, et elle continue de s’exercer à travers chacun de nous. Mais pour s’exercer à travers l’être humain, il a besoin de son consentement. N’allons pas imaginer une scène comme celle de l’Annonciation où un être surnaturel nous parle directement. Non. Chaque jour, ce sont les événements eux-mêmes de notre vie qui nous disent implicitement : m’acceptes-tu ou me refuses-tu? Dans certains cas, c’est très facile de répondre. Dans d’autres cas, c’est très difficile. Comment tout cela peut-il nous éclairer sur toutes ces mauvaises nouvelles mentionnées au début et nous donner des raisons d’espérer? La première chose est de prendre au sérieux l’insistance de Luc sur la force et le dynamisme de Dieu dans le monde. Si nous n’y croyons pas, c’est sûr, nous nous sentirons seuls, sans espoir. Certains dirons : « Mais on ne voit aucun signe d’espoir ». Mais justement c’est la définition de la foi : savoir avancer dans le noir vers un soleil qu’on ne voit pas encore. Voilà pourquoi cette foi est fondamentale : savoir que nous ne sommes pas seuls permet de continuer. Mais il y a une deuxième chose que nous apprend le récit de l’annonciation : ce qui nous est demandé pour le salut du monde est très simple, vivre jusqu’au bout ce que nous avons à vivre, malgré tous les obstacles. On a demandé à Marie d’être simplement mère, en dehors des normes de la cohabitation avec un mari. En quoi cela a-t-il un impact sur le salut du monde? Même si l’impact visible vint de son fils, son rôle fut fondamental, si bien qu’on lui a donné le titre de « co-rédemptrice ». Par notre vie, nous pouvons avoir le sentiment d’influencer seulement un conjoint, des enfants, des beaux-parents, des voisins, des amis, des collègues. Mais ces gens ont aussi de l’influence sur d’autres, sur des personnages politiques, des gens de pouvoir. Le véritable impact d’une vie est invisible, mais il est fondamental. Le monde de l’avenir appartiendra aux croyants, peu importe leur religion, qui ont continué à avancer dans le noir parce qu’ils savent qu'ils ne sont pas seuls. Parce qu’ils ont cru, ils ont créé la base qui permettront à d’autres d’opérer de vrais changements et amorcer un monde nouveau, comme un enfant qu’on n’espérait plus.
-André Gilbert, Gatineau, octobre 2023 |
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