Sybil 1998

Le texte évangélique

Luc 17, 11-19

11 Alors qu'ils étaient en route vers Jérusalem, il arriva que Jésus doive passer par le milieu de la Samarie à partir de la Galilée. 12 Il entra ainsi dans un village quelconque, et voici que dix hommes lépreux allèrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance. 13 Puis, ils élevèrent la voix pour dire : « Maître Jésus, prends pitié de nous. » 14 En les voyant, Jésus leur dit: « Allez vous faire voir aux prêtres. » Pendant qu'ils étaient en route, ils furent guéris. 15 Or l'un d'eux, s'apercevant qu'il était guéri, réorienta sa vie pour aller vers Jésus en reconnaissant la qualité d'être extraordinaire de Dieu. 16 Il se jeta par terre à ses pieds et lui exprima toute sa gratitude. Or cet homme était Samaritain. 17 Jésus réagit en disant : « Les dix n'ont-ils pas tous été guéris? Où sont donc les neuf autres? 18 Comment se fait-il qu'on ne puisse trouver personne pour réorienter sa vie et célébrer la qualité d'être extraordinaire de Dieu, sinon cet étranger que voici? 19 Alors Jésus dit à l'homme : « Relève-toi et mets-toi en marche. C'est la foi qui t'a apporté cette libération. »

Des études

Il faut se relever quand on naît,
et il faut le faire tout le reste de sa vie


Commentaire d'évangile" - Homélie

Vivre, c'est toujours se relever

Le sida a plusieurs visages. Il y a celui connu dans les pays développés où, malgré son côté tragique, la maladie est néanmoins circonscrite et en partie contrôlée par les médicaments. Mais il y a celui qu'on trouve dans les coins pauvres de la terre, comme à Khayelitsha, ce township du Cap, en Afrique du Sud. L'an dernier, est survenue une véritable hécatombe de gens morts de la rougeole, car le sida est une déficience du système immunitaire. Au milieu de toute cette horreur, une brise de vie : un Sud-Africain et une Française ont créé ZipZap Circus School, une école de cirque sociale crée en 1992, à la toute fin du régime de l'apartheid, pour rapprocher les jeunes de toutes couleurs et de toutes origines. Cette école s'est également associée à Médecins sans frontières afin de mettre sur pied des activités particulières pour les enfants séropositifs de Khayelitsha, si bien que deux fois par semaine 25 enfants séropositifs de 4 à 16 ans les attendent : il n'y a pas que les médicaments et le traitement qui comptent, il faut mettre un peu de joie dans la vie de ces enfants. Et surtout briser la discrimination et l'isolement, qui est aussi grave que la maladie elle-même. Les gens d'Église ne sont pas à l'abri d'une telle attitude : un pasteur, qui avait refusé aux enfants son église pour des activités de cirque, les a finalement laissés utiliser le stationnement.

C'est un tel contexte qui peut nous aider à regarder sous un angle particulier l'évangile de ce jour. Le récit concerne dix lépreux. Le parallèle entre la lèpre et le sida est facile à établir : car les deux maladies étaient considérées à tort comme infectieuses et isolaient les malades. Vous avez certainement remarqué que les lépreux de l'évangile se tenaient à distance. En fait, on les obligeait à porter des clochettes pour avertir les gens qu'ils approchaient. Ce sont en quelque sorte les sidéens de l'époque. Et comme n'importe quel sidéen, ils demandent la même chose à Jésus qui a la réputation d'avoir le don de guérir : prends pitié de notre situation, guéris-nous et brise notre isolement, permet-nous de réintégrer la société. Vous connaissez la suite. Jésus leur demande d'aller se faire voir aux prêtres, car seul un prêtre avait l'autorité de reconnaître qu'un lépreux était vraiment guéri. Cette demande de Jésus assume qu'ils seront guéris en route, et les lépreux semblent croire à sa parole. Jusqu'ici nous avons un récit typique de miracle où après avoir décrit la maladie et la demande de guérison, il présente un Jésus qui guérit avec une parole et les gens guéris qui croient à cette parole. Ce qu'il y a de différent, c'est la finale : l'un des dix lépreux guéris « revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix », selon les traductions habituelles, mais que je préfère traduire par : « il réorienta sa vie pour aller vers Jésus en célébrant la qualité d'être extraordinaire de Dieu. » Et Jésus pose la question : pourquoi un seul sur dix a-t-il réagit ainsi?

Écartons tout de suite une fausse piste que j'ai vue si souvent exploitée dans les homélies. La question de Jésus ne concerne pas un manque de reconnaissance, comme si Jésus était offusqué qu'on ne lui ait pas dit merci ou qu'on n'ait pas dit merci à Dieu. Il ne s'agit pas d'un évangile sur les bonnes manières. L'enjeu est beaucoup plus grand, plus sérieux.

Qu'a donc vécu l'un des dix lépreux? On pourrait répondre : une expérience religieuse. Car pour chanter ainsi les louanges de Dieu, il a fallu qu'il prenne conscience que sa guérison était l'oeuvre de Dieu, et plus précisément il a fallu qu'il se sente enveloppé par un amour intense de Dieu pour lui, et il en pleure de joie au point que sa vie est complètement changée. Désormais il va rayonner de cet amour. La vie est maintenant merveilleuse, voilà pourquoi il chante. Le fait de revenir à Jésus et de se jeter à ses pieds, exprime son désir de marcher à sa suite, de vivre son enseignement. Quand Jésus lui dit : « Relève-toi et mets-toi en marche. », il se trouve à lui dire : Sois un être debout, et vis ce que tu as découvert. Le vrai miracle n'est pas la guérison, mais la transformation de cet homme.

Un grand mystère demeure pourtant: pourquoi lui, pourquoi pas les autres? On parle dans l'évangile d'un Samaritain, i.e. quelqu'un qui était considéré comme un schismatique aux yeux des Juifs, car ils n'acceptaient pas la totalité de la Bible et rejetait le temple de Jérusalem; c'est comme si on parlait aujourd'hui d'un Musulman en pays chrétien. Il y a bien sûr le mystère de la liberté humaine. Mais nous savons d'expérience que c'est après avoir connu la maladie que nous apprécions le bonheur de la santé. Il faut avoir accepté la souffrance de la maternité pour pouvoir pleurer de joie devant son nouveau-né. Il faut avoir vécu la visite d'un cancer pour découvrir le don extraordinaire de chaque seconde qui passe. C'est comme si apprendre à vivre était en quelque sorte apprendre à se relever de quelque chose. Et c'est ici que j'ai à prendre une décision : est-ce que j'accepte dans une foi totale de m'ouvrir à l'appel à vivre, plutôt que de rester prisonnier de ma nuit? Ou pour revenir au ZipZap Circus School, peut-on transformer la vie des enfants sidéens? Mystérieusement, la foi est vraiment libératrice. Avons-nous cette foi?

 

-André Gilbert, Gatineau, juillet 2010

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