Sybil 2003

Le texte évangélique

Luc 24, 35-48

35 Et les disciples d'Emmaüs rapportèrent tout ce qui s'était passé en chemin et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain. 36 En racontant ces choses, Jésus lui-même se trouva au milieu d'eux et leur dit: «Que la paix soit en vous». Effrayés et appeurés, ils s'imaginaient être devant un esprit. 38 Jésus reprit: «Pourquoi être si agités, pourquoi laisser monter tous ces raisonnements. 39 Regardez mes mains et mes pieds; c'est bien moi. Tâtez-moi, et vérifiez qu'un esprit n'a ni chair ni os comme vous l'observez chez moi.» 40 En disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Comme ils demeuraient incrédules tant il étaient heureux et émerveillés, il leur dit: «Avez-vous ici quelque chose que je pourrais manger?» 42 Ils lui tendirent un morceau de poisson grillé. 43 Alors il le prit et le mangea devant eux. 44 Puis il leur dit: «Quand j'étais avec vous, je vous ai pourtant dit toutes ces choses, en particulier qu'il fallait parvenir à l'intelligence complète de ce qui est écrit dans la Loi de Moïse aussi bien que dans le livre des Prophètes et des Psaumes.» 45 Alors il leur ouvrit l'esprit à la saisie en profondeur des Écritures. 46 Il conclut: « Tout cela se trouve dans la Bible, à savoir que le messie allait souffrir et se relever du monde des morts le troisième jour, 47 et que par la suite on annoncerait à toutes les nations, à commencer par Jérusalen, l'invitation à réorienter sa vie en son nom pour ainsi connaître la libération de ses égarements. 48 De tout cela, vous êtes en mesure d'en témoigner.»

Des études

Un anniversaire


Commentaire d'évangile - Homélie

Le toucher et le repas, lieux de rencontre

J'aime beaucoup Luc l'évangéliste, j'aime son art de bien raconter et de bien enchaîner ses récits. Et pourtant je souris cette fois-ci à son illogisme et à ses incohérences dans le récit de la rencontre de Jésus ressuscité avec ses disciples: voyons donc, comment les deux disciples d'Emmaüs ainsi que les Onze peuvent-ils avoir peur et prendre Jésus pour un esprit alors que Luc vient de raconter la reconnaissance de Jésus à la fraction du pain sur la route d'Emmaüs, et le témoignage des Onze qui disent: "C'est bien vrai, Jésus est ressuscité, il est apparu à Pierre"? Comment peut-on témoigner avoir rencontré Jésus vivant, et une demi-heure plus tard, le prendre pour un quasi fantôme? Mais en même temps je dis: "Bravo, Luc, tu réussis à nous faire comprendre que tu n'es pas en train de faire un reportage de journal, tu ne veux pas qu'on s'imagine que, vraiment, au détail près, dans la nuit de Pâque au lundi matin, vers 23 heures, dans une maison au sud de Jérusalem, Jésus s'est physiquement faufilé dans le groupe, en vêtements traditionnels, mais avec un air tellement bizarre, qu'il a fait peur à tout le monde. Je vois bien que ton récit se situe à un autre niveau".

Comme bibliste, j'ai toujours enseigné que ce récit était avant tout apologétique, i.e. qu'il s'adressait à des gens de culture grecque pour qui la résurrection des morts posait problème (qu'on pense à l'échec de Paul à Athènes et à ses débats avec les Corinthiens): en insistant sur le fait que Jésus ressuscité a un corps avec de la chair et des os, et qu'il mange, Luc veut en quelque sorte illustrer la réalité de la résurrection de Jésus.

Mais dans le contexte occidental du 21ième siècle qui est le mien, ce récit a pour moi une pertinence nouvelle, en particulier dans le cadre de cette question: où se fait aujourd'hui la rencontre de ce Jésus vivant dont parlent les évangiles? Certainement pas à Jérusalem, je le sais, j'y ai vécu un an.

S'il y a des signes de Jésus ressuscité, je les ai personnellement vus chez les gens qui m'ont physiquement touché, palpé, bouleversé par leur amour empreint de tendresse. Le dire ne me gène d'autant moins que l'évangile contient des expressions très fortes: " Tâtez-moi, et vérifiez qu'un esprit n'a ni chair ni os comme vous l'observez chez moi." Le début de la 1ière épître de Jean a quelque chose de semblable: "Ce que nos mains ont palpé du Verbe de vie..." Je n'ai pas d'autre lieu que ce corps pour percevoir la vie qui vient et va. Ma belle-mère est décédée doucement à la maison. Mon épouse l'a accompagnée constamment, lui tenant la main, lui caressant de temps en temps le visage, lui glissant des mots affectueux, même s'il n'était pas sûr que son esprit saisissait tout ce qui se passait. Quand je touche ou me laisse toucher consciemment et avec tout mon être, j'accepte que la vie circule, j'accepte la résurrection de tout ce qui est mort. Le journal rapportait le cas d'un enfant violent à qui la surveillante de récréation dit: "Donne une caresse à celle que tu viens de frapper!" Et l'enfant ne comprenait pas ce qu'on voulait dire.

"Avez-vous ici quelque chose que je pourrais manger?" demande Jésus. Y a-t-il action plus fondamentale, plus vitale, et j'ajouterais, plus animale, que celle de manger? Quand ma belle-mère n'accepta plus de nourriture, mais seulement un peu d'eau, nous savions que sa mort était proche. Manger avec d'autres, prendre le repas autour d'une table a été bien souvent pour moi le moment où j'ai été vulnérable, humain, vrai, réceptif à la vie, ouvert à la rencontre. Je revois mon dernier Noël où j'ai vu autour de la table des gens se parler avec vérité et simplicité, des gens qui auraient voulu se vomir il y a quelques années, je me suis surpris à causer avec intérêt avec le copain de mon adolescente de fille, ne voyant plus son corps percé et ses aiguilles. Dans le repas bien vécu, j'entre en relation, je laisse la vie entrer.

Où trouver Jésus ressuscité en ce début du 21ième siècle? L'un des lieux est celui qu'indique Luc dans son récit. Ce lieu n'est pas dans des hauteurs ou des profondeurs inatteignables. Il est tout près, aussi près que dans le geste de toucher ou d'être touché, aussi près que celui d'un repas où on entre en relation. La liturgie dominicale nous laisse deux signes qui l'évoquent, la poignée de main lors de l'échange de la paix (là où elle est pratiquée), la communion au pain et au vin (réduite bien souvent à la manducation d'une petite hostie). Malgré le côté un peu rituel de ces signes, je souhaite que nous nous rappelions de la réalité profonde et libératrice qu'elles évoquent.

 

-André Gilbert, Gatineau, janvier 2000

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