Sybil 1997

Le texte évangélique

Marc 1, 21-28

21 Jésus fit route (avec ses premiers disciples) vers la ville de Capharnaüm. Dès le jour du sabbat, il entra dans la synagogue et se mit à enseigner. 22 Les gens étaient renversés par son enseignement, car il les enseignait de sa propre autorité, et non pas à la manière des spécialistes de la Bible. 23 Par exemple, il y avait dans la synagogue un homme à l'esprit dérangé qui se mit à hurler: 24 "Qu'est-ce que tu fais ici, Jésus le Nazarénien"? Es-tu venu pour nous faire disparaître? Je sais bien qui tu es: tu es habité par Dieu.

25 Jésus le réprimanda en disant: "Tais-toi et libère cet homme!" 26 Alors, après des mouvements de convulsion et de grands hurlements, l'esprit dérangé disparut de lui. 27 Tout le monde était en état de choc et se questionnait les uns les autres: "Qu'est-ce que tout cela veut dire? C'est un enseignement totalement nouveau, donné à partir de sa propre autorité. Et cette autorité s'exerce même sur les esprits dérangés, et ceux-ci se soumettent." 28 Immédiatement sa renommée se répandit partout dans les environs de la Galilée.

Des études

Au coeur de sa propre prison


Commentaire d'évangile - Homélie

Parlons des démons

Tout récemment dans les journaux, on parlait de ce prêtre de 70 ans arrêtés pour pédophilie dans la région de Montréal. On rapportait son visage ravagé par la tristesse, son corps affaissé. Je me disais : ses démons l'ont rattrapés et ont fait qu'il n'était plus lui-même! Que c'est triste!

Dans ce contexte, le récit d'évangile où Marc présente l'autorité de Jésus sur un homme possédé d'un esprit dérangé, ou pour employer une expression plus moderne, "un esprit qui n'est pas vraiment lui", me pose question : où s'exerce vraiment cette libération? Je le dis, parce que j'ai mes propres « démons ». Que ces démons proviennent de certains atavismes ou de ma propre histoire personnelle, peu importe, ils m'aliènent de moi-même et privent les autres de ce que j'ai de mieux. J'ai certaines peurs qui me paralysent, j'ai mes obsessions, mes rages, mes rancoeurs, mes attitudes paranoïaques, mes paresses intellectuelles, mes refus de transparence et d'honnêteté, mes perversions d'authentiques désirs, mes fixations morbides, mes fuites de la réalité, et j'en passe, et Dieu sait que le combat est ardu. Qu'a donc compris Marc et qu'il essaie de me transmettre par son récit d'exorcisme? Quelle est la formule magique qui libère?

En relisant attentivement le récit, je me rend compte qu'il n'y a justement pas de formule magique. Jésus enseigne, et même on dit que son enseignement n'est pas comme celui des spécialistes de la loi qui ne peuvent dire que ce qui est "correct" ou "pas correct", sans rien changer chez les humains. Cependant, je cherche en vain le contenu de cet enseignement. En fait, le contenu de son enseignement, c'est sa vie même : Jésus enseigne ce qu'il vit. Et je remarque très bien que le Jésus présenté par Marc est avant tout un homme d'action, et que le récit d'aujourd'hui est inséré dans un ensemble de 24 heures où son agenda est archi plein. Se pourrait-il que cette vie même ait un effet libérateur?

D'après mon expérience, j'ai souvent remarqué que les gens authentiques, transparents créaient parfois un malaise chez les autres, comme si les êtres vrais démasquaient par leur existence même les hypocrites, les personnes superficielles, les menteurs : le feu et l'eau sont incompatibles. Je me souviendrai à jamais de ce jour où, ayant raconté fièrement certaines de mes activités, quelqu'un m'a regardé longuement et fixement dans les yeux et m'a simplement et doucement dit: « Je ne te vois pas là du tout ». Je me suis sentis assomé et démoli, comme si quelqu'un avait repéré mon jeu, avait perçu que je jouais un rôle. Mais en même temps, j'étais en marche pour découvrir qui j'étais véritablement. Dans notre récit, Jésus n'a même pas besoin de prendre l'initiative, l'esprit mauvais se démasque de lui-même : "Qu'est-ce que tu fais ici, Jésus de Nazareth"? Es-tu venu pour nous faire disparaître? Je sais bien qui tu es: tu es habités par Dieu."

Toutefois, pourquoi demander par la suite le silence (« Tais-toi! ») quand les forces du mal révèlent la personne de Jésus. Bien sûr, je sais que dans le plan de Marc on ne peut comprendre la signification véritable de la messianité de Jésus si on ne comprend pas la croix, et on ne pourra parler ouvertement de Jésus comme messie que lorsque l'ombre des ses souffrances et de sa mort sera proche. Mais cette affirmation n'a-t-elle pas une portée qui dépasse l'histoire personnelle de Jésus?

En pointant vers le futur et la croix, la consigne du silence rejette précisément les libérations magiques. Il y a des libérations, oui, mais parfois à la manière de ce sidéen, rencontré il y a un certain temps, m'avouant avoir été « sur le party » plusieurs années, jusqu'au jour où le sida l'a rattrapé, où il a vu ses amis mourir, où il a accompagné à la maison son « conjoint » dans ses derniers moments. En sursis, grâce aux médicaments, étonné de se retrouver encore en vie chaque matin après 10 ans, le voilà avec une nouvelle identité, participant à une rencontre de parents pour le premier pardon de son neveu dont le père s'est suicidé, n'hésitant jamais à aller au chevet d'un malade ou d'un mourant, si on le désire. Maintenant il peut dire qui il est vraiment. Maintenant, il peut enseigner sa vie. Son authenticité peut maintenant déranger tous ceux et celles qui s'abritent derrière des masques. Mais le prix pour arriver là fut très élevé.

Ce prêtre de 70 ans, s'il s'avère vraiment responsable des actes dont on l'accuse, trouvera-t-il dans sa mort sociale sa libération? Je ne se sais pas, je lui souhaite. Personnellement, j'aimerais faire de cette célébration autour de ce récit d'exorcisme un moment de vérité, où je me regarde à visage découvert, où j'accepte d'écouter tous ces « démons » qui gémissent en moi tant ils ne veulent pas sortir, où je prie le Jésus de Marc de hâter ce jour qui me permettra de dire devant mes frères et soeurs, devant mes enfants, devant mes voisins, devant mes collègues de travail : voici ce que je suis vraiment, maintenant je ne fais qu'enseigner ma vie.

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 1999

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