![]() Sybil 2004 |
Le texte évangélique
Marc 10, 2-16 2 Pour lui tendre un piège, des Pharisiens allèrent vers Jésus pour l'interroger, lui demandant s'il était permis de divorcer de sa femme. 3 Dans sa réponse, Jésus leur dit: "Quelles sont les règles que vous a données Moïse?" 4 Ils répliquèrent: "Moïse nous a autorisé de rédiger un acte de divorce". 5 Jésus leur dit alors: "C'est parce que vous avez un coeur dur que Moïse vous a donné cette règle. 6 Pourtant, à la création de l'univers, Dieu a fait l'humain homme et femme. 7 C'est exactement pour cette raison qu'un homme quittera son père et sa mère [pour s'unir à sa femme]. 8 Le deux deviennent un seul être; voilà pourquoi ils ne sont plus deux êtres, mais un seul. 9 Ainsi donc, que l'homme n'aille pas diviser ce que Dieu a uni. 10 Une fois à la maison, les disciples se mirent à l'interroger sur le sujet. 11 Jésus précisa: "Un homme qui divorce de sa femme pour en épouser une autre, il commet l'adultère à son égard. 12 Et si pour sa part une femme divorce de son mari pour en épouser un autre, elle commet l'adultère". 13 Par la suite, des gens présentèrent à Jésus des petits enfants pour qu'il les touche, mais se firent réprimander par les disciples. 14 À cette vue, Jésus s'indigna de l'attitude de ses disciples et leur dit: "Laissez les petits enfants venir à moi, ne les empêchez pas. Car c'est à des gens semblable qu'appartient le domaine de Dieu. 15 Vraiment, je vous l'assure, quiconque n'accueille pas le domaine de Dieu à la manière d'un petit enfant, n'y a pas accès". 16 Après les avoir serrés dans ses bras, il se mit à les bénir en posant les mains sur eux. |
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![]() Un regard totalement neuf |
Commentaire d'évangile - Homélie Pourquoi séparer ce que Dieu a uni? L’histoire1 que je veux raconter pourra créer un malaise dans certains milieux religieux, mais elle reflète une réalité profonde. Il s’appelle Jean. Dès l’âge de trois ans, il sait qu’il est attiré par les garçons, il sait qu’il est homosexuel. Mais comme il vit dans un petit milieu du Canada français, tout est réprimé. C’est lorsqu’il se rend à Paris à l’âge de 20 ans avec une bourse d’étude en théâtre qu’il peut vraiment s’exprimer, et il se fait donc un copain qu’il aime. Mais le lien ne survit pas avec le retour de Jean au Canada. Au milieu de sa peine d’amour, Jean essaie de croire qu’il est hétérosexuel, se fiance et une date de mariage est fixée. Étant devenu coiffeur, une cliente lui dit en apprenant la nouvelle : « Es-tu fou, toi ? Tu vas rendre une femme malheureuse le restant de tes jours. » Le mariage est annulé, mais personne ne connaît la vraie raison de l’annulation, jusqu’à ce que Jean revienne à la maison un soir de Noël : les parents avec des oncles et tantes l’attendaient consternés après avoir découvert toutes les lettres d’amour qu’il avait envoyé à son ami Charles à Paris. Jean quitte avec fracas le milieu familial. Quelque temps après, lors d’une fête chez des amis, Jean fait la rencontre de Gérard, un bel Allemand de son âge qui avait fui son pays durant la Seconde Guerre mondiale en refusant de prendre les armes. C’est le coup de foudre mutuel. Ils décident d’emménager ensemble. Mais dans le milieu répressif de l’époque c’est difficile, surtout pour Jean, qui demande à Gérard de ne jamais répondre au téléphone, pour qu’on ne sache pas qu’il vivait avec un homme. Aussi quelle émotion de découvrir le milieu plus ouvert de l’Allemagne quand il s’y rend avec Gérard pour y être présenté à sa mère, qui avait eu dix enfants et qui tout de suite l'a adopté, et qui lui dit au moment de son départ : « Prends bien soin de lui ». C’est lors de vacances au Mexique qu’ils font la rencontre d’Estefan, un garçon de 5 ans fuyant un milieu pauvre et violent venu se réfugier chez eux et qui ne veut plus les quitter. Avec l’accord des parents, Estefan vient vivre avec Jean et Gérard qui, pendant douze ans, veilleront sur lui comme un fils et s’occuperont de son éducation, s’assurant qu’il retourne visiter annuellement ses parents mexicains. Entre temps, ils sont devenus antiquaires dans une petite ville du Québec. Aujourd’hui, à 90 ans, leur amour est plus fort que jamais. Malheureusement, la maladie les sépare géographiquement : Jean, qui ne peut plus marcher, est dans un centre de longue durée, et Gérard a rejoint un établissement pour ceux qui souffrent d’Alzheimer. Mais ils se parlent tous les jours, et une fois par semaine des amis amènent Gérard visiter Jean pour qu’ils puissent continuer à exprimer leur affection. C’est un contexte que je crois approprié pour entrer dans ces deux récits évangéliques autour de la question du divorce et de la place des enfants. À prime abord on pourrait dire : mais quel lien y a-t-il entre tout cela? Le premier récit concerne la femme qu’un homme pouvait répudier pour n’importe quel motif, y compris celui d’avoir trop cuit le repas ou que l’homme ait trouvé une femme plus belle. Le deuxième récit concerne un petit enfant à qui les disciples refusent l’accès à Jésus, un écho probable des discussions dans la communauté primitive de l’accès des enfants à la communauté, et donc au baptême. La femme comme l’enfant étaient considérés dans la société palestinienne comme des mineurs, des êtres sans valeur sociale. Et je me permets de faire le lien avec les êtres ostracisés que sont les êtres qui sont nés avec une orientation sexuelle différente de la majorité. Quelle est la position de Jésus? Selon lui, que l’homme dispose d’une femme à sa guise relève de la dureté du cœur, non seulement un manque de compassion, mais d’une incompréhension totale du monde que Dieu a créé et de ce qu’il veut pour ce monde. De même, refuser la pleine intégration de ceux qui n’avaient pas leur place dans la société, les petits enfants et les bébés, relève d’une incompréhension totale de ce monde que veut offrir Dieu, car ce monde présuppose qu’on accepte que la vie et l’amour soient totalement gratuits, et qu’on accepte également de se laisser transformer jusqu’au bout par eux, ce qu’un enfant peut comprendre et que Jésus propose comme modèle; comme il est difficile pour un adulte de vivre avec un cœur neuf et ouvert sur le monde, à l’image de la mère de Gérard. Qu’est-ce qui a amené Jésus à cette position? Il nous renvoie au récit de la création dans le livre de la Genèse qui affirme que l’être humain a été créé homme et femme, donc l’homme et la femme sont des êtres égaux. Leurs différences n’est pas un obstacle, mais une complémentarité. À cette justification de Jésus Marc ajoute ce beau texte de la Genèse : « L’homme s’attachera à sa femme et les deux ne feront qu’une seule chair »; puis il répète l’affirmation que ces deux êtres deviendront un seul être. N’est-ce pas le plus beau projet qui soit pour notre humanité, devenir un seul être au cœur de nos différences? N’est-ce pas le même projet que portent les gens qui sont nés avec une orientation sexuelle différente de la majorité? Ce projet est impossible sans le cœur neuf d’un enfant. Malheureusement, la parole prophétique de Jésus qui demande de ne pas séparer ce que Dieu a uni, une parole en ligne avec sa mission de rassembler notre humanité, peut être obscurcie par toute la tuyauterie de la casuistique concernant le mariage. Ainsi, Marc termine son récit concernant le divorce en insérant la législation en vigueur dans les années 60, au début de l'ère moderne, une législation qu’il prend soin de dire qu’elle provient de sa communauté romaine en l’introduisant avec la mention que nous sommes à la maison, symbole de l’église primitive, et qu’elle vient des disciples qui interrogent Jésus, symbole de la communauté chrétienne qui réfléchit : « Si un homme répudie sa femme… si une femme répudie son mari… ». Le rôle de Jésus comme prophète est de présenter un chemin, ce sera le rôle des pasteurs et des juristes de déterminer quoi faire si on échoue sur ce chemin. Par exemple, Paul autorisera la séparation et le remariage dans le cas d’un conflit avec un conjoint non-croyant. Matthieu fera la même chose dans le cas d’immoralité sexuelle selon les normes de son époque. Il est difficile de porter sur notre humanité le même regard que Jésus, un regard qui est celui de Dieu même. Ce regard sait découvrir toute la valeur à ce que la société met en marge, il l’a fait avec la femme et les enfants. Le nôtre est souvent vieilli, créant sans cesse des compartiments et la distance. Si seulement nous empruntions son regard d’enfant, nous assisterions au matin du monde, en marche vers un seul être.
-André Gilbert, Gatineau, août 2021 1 Pour le récit complet de cette histoire vraie, voir Rima Elkouri, La Presse, 14 février 2017 ![]() |
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