Sybil 1998

Le texte évangélique

Marc 10, 46-52

42 Comme Jésus sortait de la ville de Jéricho avec ses disciples et une foule considérable, voici que Bartimée, fils de Timée, un mendiant aveugle, était assis au bord du chemin. 47 En entendant qu'il s'agissait de Jésus le Nazaréen, il commença à crier: "Fils de David, Jésus, prends pitié de moi". 48 Mais la plupart des gens lui commandait de se taire. Lui, de son côté, cria encore plus fort: "Fils de David, prends pitié de moi". 49 S'étant arrêté, Jésus dit: "Appelez-le". On appela l'aveugle en lui disant: "Sois courageux! Lève-toi, car il t'appelle". 50 Lui, s'étant débarassé de son manteau et s'étant levé d'un bond, alla vers Jésus. 51 S'adressant à lui, Jésus lui dit: "Que désires-tu que je fasse pour toi?" L'aveugle lui répondit: "Rabbouni, je veux retrouver la vue". 52 Alors Jésus lui répondit: "Va, ta foi t'a guéri." Il retrouva aussitôt la vue, et se mit à suivre Jésus sur le chemin qui conduit à Jérusalem.

Des études

Une course vers où?


Commentaire d'évangile - Homélie

Que veux-tu que je fasse pour toi?

Il y a quelque temps, j'ai suivi une session sur "Les 7 habitudes des personnes les plus efficaces" d'après Stephen Covey. Ma motivation pour ces 3 jours était de répondre à mon insatisfaction chronique de ne pas réussir à accomplir tout ce qui était inscrit à mon agenda: j'allais enfin trouver la technique pour tout insérer dans une journée de 24 heures.

Ma découverte? Il me fallait accepter un changement de paradigme. N'essayer que d'aller plus vite dans ma série d'actions quotidiennes, sans me poser la question beaucoup plus profonde où je voulais aller avec l'ensemble de ma vie, ne ferait que me conduire plus rapidement dans un cul de sac. La solution? Affronter cette question difficile qui pourrait s'énoncer comme ceci: quand je fêterai mes 80 ans ou lors de mon décès, qu'est-ce que j'aimerais que ceux qui me connaissent bien disent de moi avec vérité? A l'image de ce qui s'est passé lors du décès de Maurice Richard, héros national dans le monde du hockey. C'est une autre façon de poser la question: quel est le fil conducteur de toute ma vie? Dans la mesure où des grands pans de ma vie sont réponse à cette question, je suis un homme efficace.

L'histoire de Bartimée, l'aveugle mendiant à la porte de Jéricho, s'inscrit dans la réponse à cette question. Il est en marge de la route, il n'avance plus, immobile comme tous les activistes qui font du surplace. Sa planche de salut sera son désir, un désir qui le rend insatisfait de son sort, un désir qui lui donne du flair pour repérer ceux qui peuvent l'aider, un désir tellement fort que peu d'obstacles réussiront à l'arrêter. Comment Bartimée a-t-il pu cultiver ce désir jour après jour, plutôt que de devenir fataliste et aigri? Comment peut-il dire avec tant de force et de vérité: «Fils de David, prends pitié de moi!» Me voilà confronté au mystère du coeur humain. C'est le même mystère que je rencontre aujourd'hui en regardant des êtres qui aspirent sans cesse à des réalités qu'ils ne maîtrisent pas encore, et d'autres, trop blessés par la vie, qui s'enferment dans un espace qui les étouffe.

Mais ce qui m'étonne tout autant, c'est l'attitude de Jésus. Pourquoi poser la question: «Que désires-tu que je fasse pour toi?» On pourrait lui répliquer: "Sapristi! C'est pas assez évident qu'il est aveugle?" Je pense que nous sommes en face non seulement d'un sentiment d'un respect immense pour la personne humaine, mais d'une perspective fondamentale sur la croissance humaine: "C'est à toi de me dire d'abord ce que tu désires profondément, d'expliquer la direction que tu veux donner à ta vie, et après cela je t'aiderai à cheminer sur cette route que tu m'indiqueras". Après le vague cri: «Prends pitié de moi», l'aveugle précisera: «Je veux retrouver la vue».

J'aimerais que tous et chacun prenne le temps de répondre à la même question: que veux-tu que je fasse pour toi? Ma réponse personnelle, dans ces moments où je sais être à l'écoute du mystère qui m'habite, pourrait s'énoncer comme ceci: réussir à faire naître à eux-mêmes les gens que le hasard met sur ma route. Mais voilà, d'autres réponses se bousculent aussi à la porte de ma maison: je veux plaire à tout le monde, je veux ma sécurité, j'ai peur de ceci et de cela, il me faut absolument cette position et ce titre, je veux être champion toutes catégories, et voilà que les cartes s'embrouillent, et je ne sais plus...

Le génie de Marc est de mettre en scène cette foule ambivalente, tantôt obstacle, tantôt médiatrice et soutien. Cette foule, c'est moi, ce sont les événements de ma vie, c'est la rencontre de certains êtres qui tantôt m'aliènent et étouffent ce qui veut vivre en moi, tantôt m'ouvrent le chemin de la lucidité et me soutiennent dans les heures plus difficiles. Il y a aussi ce manteau, avec toutes mes vieilles habitudes, dont je dois m'alléger si je veux bondir comme Bartimée.

Je ne sais pas ce qu'est devenu Bartimée. Il y a cependant une question que j'aimerais lui poser: pourquoi t'es-tu tourné vers Jésus? Qu'avait-il de plus que les autres? Peut-être m'aurait-il répondu: lui, savait où il voulait aller; chez lui, le fil conducteur de sa vie était transparent. Et sans doute Bartimée pourrait ajouter: André, et vous tous qui me lisez, quand votre vie sera vraiment unifiée autour de ce que vous voulez devenir, vous jouerez le même rôle vis-à-vis des autres.

 

-André Gilbert, Gatineau, juin 2000

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