Sybil 1998

Le texte évangélique

Marc 12, 38-44

38 Et dans son enseignement, Jésus disait : « Ouvrez les yeux sur les spécialistes de la bible, ceux qui aiment déambuler en longues robes ainsi que [recevoir] des courbettes sur les places publiques, 39 ainsi que des places d'honneur dans les synagogues et des premières places dans les festins, 40 des gens qui dévorent les biens des veuves et, pour l'apparence, passent de longs moments en prière. Ils seront jugés plus sévèrement.

41 Par la suite, s'étant assis devant la salle du trésor, il observait la foule jeter des pièces de monnaie dans la salle du trésor. Beaucoup de gens riches en jetaient beaucoup. 42 Quand se présenta une pauvre veuve, elle jeta deux leptes, ce qui représente dix minutes de salaire pour un journalier de l'époque. 43 Ayant alors appelé ses disciples, il leur dit : « Vraiment, je vous l'assure, cette veuve, qui est pauvre, a jeté plus que tous ceux qui ont jeté dans la salle du trésor. 44 En effet, ils ont tous jeté à partir de leur superflu, alors qu'elle, à partir de son indigence, elle a jeté en entier tout ce qu'elle avait pour vivre.

Des études

Qu'est-ce qui se cache derrière la renommée?


Commentaire d'évangile - Homélie

Une réputation à détruire

Quand un rapport de 900 pages est sorti à l'été 2018, accusant les autorités religieuses de six diocèses de Philadelphie aux États-Unis d'avoir dissimulé le fait que plus de trois cents prêtres avaient abusé sexuellement de plus d'un millier de mineurs pendant plusieurs décennies, la nouvelle a fait grand bruit. La colère ne venait pas tant de l'horreur que des prêtres aient violé ou peloté des enfants, aient organisés des cercles de pédophilie, se surpassant en imagination pour les ébats sexuels, et par là détruisant des vies, mais que des évêques aient voulu tout cacher et tout nier, amenant la situation à se prolonger indéfiniment ; leur motif semblait noble : protéger la sainte réputation de l'Église, éviter qu'elle soit entachée. Car cette réputation n'a pas de prix, son autorité en dépend.

Le lien est facile à établir avec l'évangile d'aujourd'hui. Il commence avec une mise en garde contre l'élite religieuse de l'époque, les scribes, qui se distinguaient de la masse par leur éducation, ce qui leur permettait d'être des spécialistes de la Bible. Savoir interpréter l'Écriture leur donnait pouvoir et prestige dans une société très religieuse. Et ils ne se gênaient pas pour le cultiver : d'après le récit que nous en fait Marc, ils recherchaient les premières places dans les synagogues, les meilleures places dans grands banquets, fréquentaient les places publiques pour se faire remarquer dans leurs robes splendides et recevoir les égards qui leur étaient dus. Si ce n'était que cela, on pourrait dire : ce sont des gens avec de gros égos. Mais le problème n'est pas là, il est dans leur hypocrisie : pendant qu'ils se montraient les plus religieux des hommes et faisaient semblant de prier longuement, ils escroquaient les veuves, les spolient de leurs maigres biens. Voilà ce qui est à la fois tragique et abominable : on se sert des valeurs religieuses pour poser des gestes répugnants. C'est du cynisme à son comble.

Quelle est la réaction de Jésus? « Ils seront jugés plus sévèrement ». On peut penser que le « plus sévèrement » est une comparaison par rapport à d'autres qui font aussi le mal, mais sans s'habiller de valeurs religieuses. Marc nous présente cet épisode dans un contexte où Jésus s'adresse à la foule qui l'écoute avec plaisir, et par là il veut certainement rejoindre l'élite de sa communauté chrétienne à Rome : ce message s'adresse également à elle. Mais cet avertissement serait un peu à court, s'il n'y avait pas, à l'opposé, la proposition d'un chemin à suivre.

Il est probable que la mise en garde contre les scribes et la scène de la veuve qui fait son offrande au temple appartenaient originellement à des traditions différentes, situées à des moments différents. Mais Marc a tenu à les mettre ensemble pour former un contraste saisissant. Une veuve, pauvre comme presque toutes les veuves d'ailleurs sans soutien d'un mari, a mis dans la caisse du temple tout ce qui lui restait pour vivre. C'est fou, non! Peut-être. Mais la pointe du récit n'est pas là, il est dans le contraste entre des hommes religieux qui accumulent honneurs, réputation et argent, et une pauvre femme qui se vide de tout pour Dieu. Et Marc, qui a intentionnellement placé ce récit au moment où Jésus doit affronter son procès et sa mort, suggère clairement de voir à travers cette femme l'image même de ce que Jésus est en train de vivre.

Les chrétiens d'aujourd'hui, dans leur foi en Jésus et leur admiration pour leur maître, oublient l'ignominie et l'horreur de ce qu'est une mort en croix, un traitement réservé aux esclaves. Ce n'est pas seulement une question de souffrance, mais surtout de honte. Les premiers chrétiens ont pris du temps à en parler ouvertement : leur maître était considéré comme un criminel et un scélérat, subissant de sort des truands et des esclaves.

Le fait même que Jésus ait accepté de poursuivre son chemin dans la vérité et dans l'amour jusqu'au bout, et donc d'affronter le jugement de l'élite religieuse de l'époque qui en ont fait un criminel, il a non seulement accepté de donner sa vie, mais il a accepté de mourir à sa réputation.

Ce point est important pour Marc qui s'adresse à sa communauté de Rome, déchirée par les persécutions de Néron, où des chrétiens bien en vue hier, sont maintenant détestés et pourchassés.

Il est important aussi pour nous aujourd'hui. Pourtant, rare parmi nous seront ceux qui auront vivre le sort d'un Mgr Oscar Romero, cet archevêque de San Salvador qui s'est fait le promoteur de la justice sociale et a dénoncé la pauvreté, la torture et les assassinats dans son pays, acceptant les conséquences de ses actions : il s'est fait assassiner en pleine célébration eucharistique.

Avant d'affronter la mort physique, nous avons à affronter de petites morts. Aujourd'hui, l'un des grands maux dans notre société est celui relié à la santé mentale. Mais quelle est la première difficulté dans un cas de santé mental? L'admettre, la reconnaître devant les autres. Il y a souvent un sentiment de honte! Que va devenir sa réputation? Pourtant, le salut est dans la mort de cette réputation. C'est ce que Jésus a fait.

C'est ce que les évêques de Philadelphie, et beaucoup d'autres évêques, ont tardé à comprendre. Et nous?

 

-André Gilbert, Gatineau, novembre 2018

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