Sybil 2000

Le texte évangélique

Matthieu 21, 28-32

28 Qu'est-ce que vous en pensez? « Un homme avait deux enfants. Il alla trouver le premier pour lui dire : "Mon enfant, va travailler aujourd'hui à la vigne. 29 Il lui répondit : "Je ne veux pas." Plus tard, pris de regret, il y alla. 30 Il alla vers son autre enfant pour lui demander la même chose. Ce dernier lui répondit : "Me voici, Seigneur." Mais il n'y alla pas. 31 Lequel des deux a fait la volonté du père? » Ils répondirent : « Le premier. » Jésus leur dit : « Vraiment, je vous l'assure, les percepteurs d'impôt et les prostituées vous précèdent dans le domaine de Dieu. 32 Car Jean est allé vers vous en empruntant un chemin de justice, et vous n'avez pas cru en lui. Mais les percepteurs d'impôt et les prostituées ont cru en lui. Quant à vous, voyant ce qui se passait, vous ne vous êtes pas repentis par la suite pour croire en lui.

Des études

Il n'est jamais trop tard pour trouver l'amour et le bonheur


Commentaire d'évangile - Homélie

Et pourquoi pas une vocation tardive?

Le pays a vécu il y a un certain temps des élections. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a à chaque fois un thème qui revient constamment : le changement. Les candidats promettent du changement. De leur côté, les citoyens veulent également du changement : ils sont fatigués de la situation actuelle et sont prêts pour le grand ménage. Mais en est-il vraiment ainsi? Les changements en profondeur sont rares. Ce qu'on veut réellement tant du côté des politiciens que des citoyens, c'est changer les meubles de place. C'est tout. N'est-ce pas?

L'évangile de ce jour aborde la question du changement. Matthieu nous propose une parabole de Jésus, celle de deux enfants qu'un père invite à aller travailler à sa vigne. Le premier enfant lui dit non, mais plus tard il regrette son geste et se rend à la vigne. Le deuxième lui dit immédiatement oui, mais finalement ne se rendra pas à la vigne. Alors Jésus pose la question : lequel des deux enfants a fait la volonté du père? La réponse est évidente. Pourquoi Jésus nous propose-t-il quelque chose de si trivial? Ce qui est particulier, c'est la façon dont il utilise cette parabole pour éclairer une situation de son temps, celle de l'accueil réservé à celui qui fut son mentor, Jean Baptiste.

Pour comprendre ce qu'affirme Jésus, il faut se rappeler que Jean Baptiste était le fils unique d'un prêtre, mais qu'il a refusé le devoir normal d'un fils aîné de poursuivre la lignée sacerdotale, et a même tourné le dos au temple de Jérusalem pour jouer le rôle de prophète anti-establishment. C'est ainsi qu'il propose un baptême d'eau qui vise à exprimer un changement de vie pour s'enligner avec une intervention imminente de Dieu. Jésus le décrit comme quelqu'un qui a emprunté « un chemin de justice ». Le mot justice ici n'est pas à comprendre dans le sens « justice a été rendue », mais plutôt dans le sens de « chanter juste », ou « viser juste », comme le fait une personne authentique et transparente qui dit la vérité, pose les bons gestes, est en accord avec Dieu et avec elle-même. On dirait aujourd'hui : quelqu'un de vrai.

Or, voilà le paradoxe que souligne Jésus : les grands prêtres et les anciens du peuple n'ont rien voulu savoir de Jean Baptiste, tandis que les collecteurs d'impôt et les prostituées se sont ouvert à sa parole. En d'autres mots, les gens qui menaient une vie peu recommandable et qu'on considérait comme des pécheurs (les collecteurs d'impôt étaient vus comme les collaborateurs des impérialistes romains) ont accepté le changement de vie vers l'authenticité proposée par Jean Baptiste, tandis que ceux qu'on considérait comme des sages et des gens bien en vue s'y sont opposés. Dites-moi pourquoi? Au premier abord, on devine bien que les gens qui ont une pauvre opinion d'eux-mêmes s'ouvrent plus facilement à une parole d'espoir où tout redevient possible, que des gens privilégiés qui auront à perdre quelque chose s'ils changent de vie. Mais peut-on aller plus loin?

Je me suis longtemps posé la question : quel est au fond l'enjeu de cet évangile? Il me semble qu'il s'agit de passer ou non à côté de soi. J'ai été un enfant, j'ai subi l'influence des parents, des amis, de la société ambiante. J'ai nourri diverses ambitions, et certains événements m'ont marqué et façonné. Mais un jour j'ose poser la question : tout ce que je suis actuellement, est-ce vraiment moi? Je prends soudainement conscience que jusqu'ici je « chantais faux », que ma vie ne me comblait pas, qu'elle avait quelque chose de « désaccordé ». D'où le terrible dilemme : qu'est-ce que je fais maintenant? La vraie réponse impliquera que je laisse aller des choses, que je meurs à un certain passé. D'une certaine façon, c'est ce qu'a fait Jésus, non pas que son passé ait été inauthentique, mais il a perçu vers 33 ou 34 ans, en écoutant Jean Baptiste, que son véritable moi était celui de prédicateur itinérant plutôt que celui de menuisier bien connu à Nazareth. Que serait-il passé si Jésus était passé à côté de cet appel? Sa vocation tardive nous a valu le message des évangiles et cette grande famille des chrétiens.

Je ne crois pas que la quête pour « chanter juste » s'arrêtera un jour. On marche vers l'authenticité en mourant un peu chaque jour à ce qui est inauthentique en soi, en repérant nos différents « mensonges ». Il y a toujours une vocation tardive qui nous attend. C'est ce que symbolise l'enfant de la parabole qui a d'abord dit non, puis se repend et dit maintenant oui à ce à quoi il est appelé. Dans le fond, c'est un immense message d'espoir : il n'est jamais trop tard pour changer et devenir soi, et de connaître le bonheur indicible d'être bien dans sa peau, de rayonner de vie. C'est ce que Dieu attend de son enfant.

Mais en même temps, il faut ajouter : n'attendons pas, c'est aujourd'hui que ça se passe. Il y a quelque chose d'urgent dans l'évangile de ce jour. Ce sont les derniers moments de Jésus avant de mourir. La vocation tardive dont il parle s'adresse à tous ceux qui ont refusé de bouger jusqu'ici. C'est comme un dernier appel. Pourtant, pour y répondre, il suffit seulement d'une simple décision, et d'un peu d'amour de soi, d'un peu de foi et de courage. Qu'attendons-nous?

 

-André Gilbert, Gatineau, mai 2011

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