Etty Hillesum - Ses limites
(Les écrits dEtty Hillesum. Journaux et lettres 1941-1943. Édition intégrale. Paris: Seuil, 2008, 1081 p.)
Samedi matin [le 4 juillet 1942], 9 heures.
La revoilà, cette crainte puérile de perdre un petit peu damour en ne sadaptant pas totalement à lautre. Je commence pourtant à me défaire de ce genre dattitudes. Il faut savoir avouer ses faiblesses, même les faiblesses physiques. Et savoir se résigner à nêtre pas tout à fait tel quon voudrait être pour lautre. Avouer ses faiblesses, cest autre chose que den pleurer: ce serait le commencement de la fin, pour lautre et pour soi. Or je crois bien que cest ce qui ma poussée à me précipiter chez lui hier soir juste avant 8 heures, en décommandant même un élève, ce qui nest pas dans mes habitudes, pour pouvoir passer encore un moment avec lui. Une fois étendue sur le divan à côté de lui, je lui ai dit tout à coup combien je regrettais que cette promenade mait tant fatiguée ; cela ne me gênait pas pour moi, mais mavait ôté à peu près toutes mes illusions sur mon état physique. Il a dit tout de suite, comme si cétait la chose la plus naturelle du monde : « Alors il vaut probablement mieux renoncer à notre marche de dimanche matin. » Jai proposé aussitôt de prendre ma bicyclette : je la tiendrais à la main à laller et pourrais y monter au retour. Cela paraît un détail, mais pour moi cest important. Sinon je me serais peut-être abîmé les pieds pour lui faire plaisir et ne pas prendre le plus petit risque de lirriter en gâchant sa promenade. Possibilité qui nexiste évidemment que dans mon imagination. Et maintenant je dis, tout simplement et tout naturellement : Voilà, mes forces vont jusque-là et pas plus loin, je ny peux rien, il faut me prendre comme je suis. Pour moi cest un pas de plus vers une maturité, une indépendance dont je semble désormais me rapprocher de jour en jour.
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