(Les écrits dEtty Hillesum. Journaux et lettres 1941-1943. Édition intégrale. Paris: Seuil, 2008, 1081 p.) Samedi matin [le 30 mai 1942], 7 heures et demie. Oui, comment était-ce, hier soir, dans ma petite chambre ? Je métais couchée de bonne heure et, de mon lit, je regardais au-dehors par ma grande fenêtre ouverte. On aurait dit, une fois de plus, que la Vie, avec tous ses secrets, était tout près de moi, que je pouvais la toucher. Javais limpression de reposer contre la poitrine nue de la vie et dentendre le doux battement régulier de son coeur. Jétais étendue entre les bras nus de la vie et jy étais en sécurité, à couvert. Et je pensais : « Comme cest étrange ! Cest la guerre. Il y a des camps de concentration. De petites cruautés sajoutent à dautres cruautés. En passant dans les rues, je peux dire de beaucoup de maisons que je croise sur mon chemin : ici un fils est en prison, là le père est retenu en otage, ici encore on a à supporter la condamnation à mort dun fils de 18 ans. Et ces rues et ces maisons se trouvent tout autour de chez moi. Je connais lair traqué des gens, la souffrance humaine qui ne cesse de saccumuler, je connais les persécutions, loppression, larbitraire, la haine impuissante et tout ce sadisme. Je connais tout cela et je continue à regarder au fond des yeux le moindre fragment de réalité qui simpose à moi. - Et pourtant, quand je cesse dêtre sur mes gardes pour mabandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui menlacent sont si doux et si protecteurs, et le battement de son coeur, je ne saurais même pas le décrire : si lent, si régulier, si doux, presque étouffé, mais si fidèle, assez fort pour ne jamais cesser, et en même temps si bon, si miséricordieux. » - Tel est, une fois pour toutes, mon sentiment de la vie et je crois quaucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle, ny pourra rien changer. p. 541 Lundi [le 29 juin 1942], 10 heures du matin. p. 636 |