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Sommaire
Malgré des similitudes, en particulier entre les récits synoptiques, chaque évangéliste nous propose sa propre vision de larrestation de Jésus, une vision teintée par leur théologie. Qui dégaine pour frapper le serviteur du grand prêtre? Pour Marc, cest un des spectateurs de la scène. Pour Matthieu et Luc, cest un des disciples. Pour Jean, cest Simon Pierre. Et doù provient le glaive? Sil sagit dun spectateur, son intervention avec une arme (légale ou illégale) na rien à voir avec Jésus. Matthieu ne nous donne aucun indice pourquoi un disciple aurait porté une arme. Seul Luc apporte une certaine cohérence à la scène : au dernier repas, Jésus avait demandé de se préparer au combat, et les disciples ont compris cette demande au sens littéral et ont mentionné quils avaient deux glaives; cest lun de ces deux glaives qui auraient sans doute été utilisé à Gethsémani. Quant à la scène elle-même, à part des deux mots communs « glaive » et « serviteur du grand prêtre », chaque évangéliste y va de sa propre description : le vocabulaire pour dégainer et frapper diffère chez chacun; chez Marc, Matthieu et Luc on ôte ou enlève loreille, chez Jean on la tranche; seuls Luc et Jean parlent de loreille droite; même le mot pour désigner loreille varie. Enfin, seul Jean identifie la victime comme étant Malchus, conforme à son style de privilégier les rencontres de personne à personne, en loccurrence Pierre et Malchus.
Alors que Jésus ne réagit pas à ce geste violent chez Marc, on a une réponse de Jésus chez les trois autres qui demande de rengainer ou darrêter. Mais la façon dexpliciter cet arrêt varie : Matthieu fait référence à la tradition morale chrétienne sur les armes avant de faire savoir que Dieu aurait pu intervenir en sa faveur, mais quil a voulu faire la volonté de Dieu jusquau bout; Jean place à cet endroit ce que Marc a placé dans la prière de Jésus avant son arrestation, sa décision de boire la coupe que lui a donné le Père; chez Luc, enfin, Jésus se contente de réparer les pots cassés en guérissant le serviteur blessé.
Les trois Synoptiques présentent une récrimination de Jésus face à ceux qui sont venus larrêter avec des armes, comme sil était un bandit, alors quils avaient eu la chance de larrêter alors quil enseignait ouvertement au Temple. Mais Luc a vu lincohérence du texte de Marc où Jésus sadresse à une foule qui navait pas le pouvoir de décider de larrêter quand il enseignait au Temple, et donc introduit dans la foule des grands prêtres et des chefs de garde. Cela crée la situation invraisemblable davoir à Gethsémani des dignitaires religieux faire la sale besogne darrêter eux-mêmes Jésus, mais elle a lavantage dêtre logique avec le contenu du discours de Jésus sur lautorité pour arrêter quelquun.
La scène se termine différemment selon les évangélistes. Marc insiste pour dire que les disciples laissèrent Jésus et tous senfuirent : nous avons, dune part, une inclusion avec la protestation de Pierre et de tous les disciples quils étaient prêts à mourir pour lui, et dautre part, une inclusion avec le début de lévangile où Pierre et André laissèrent tout pour suivre Jésus; laventure se termine sous une forme déchec. Chez Matthieu, même si les disciples abandonnent également Jésus, lévangéliste tient plutôt à utiliser une référence à lÉcriture pour faire inclusion avec le début de son évangile où tout arriva pour que saccomplisse le plan de Dieu. Chez Jean, cest Jésus lui-même qui demande de laisser partir les disciples, conforme à son portrait du Jésus souverain qui contrôle la situation du début à la fin. Quant à Luc, qui avait éliminé la prophétie sur la dispersion des disciples, il reste totalement silencieux sur leur fuite pour conserver une image positive des disciples.
- Traduction
- Commentaire
- Le geste de trancher loreille du serviteur
- Qui a agit contre le serviteur?
- Doù le porteur du glaive a-t-il obtenu son glaive?
- Laction de frapper avec le glaive et trancher loreille du serviteur
- Le serviteur était-il un visage connu?
- La réponse de Jésus au porteur du glaive
- La réponse de Matthieu 26, 52-54
- La réponse de Jean 18, 11
- La réponse de Luc 22, 49-51
- La récrimination de Jésus
- Laccomplissement des Écritures et le départ des disciples
- Marc 14, 49b-50
- Matthieu 26, 56
- Jean 18, 8b-9
- Luc 22, 53b : « votre heure et le pouvoir des ténèbres »
- Traduction
Les passages parallèles sont soulignés, tandis que les mots en italique représentent ce qui est propre à un évanéliste. Les mots en rouge sont communs à Luc et Jean.
Mc 14 | Mt 26 | Lc 22 | Jn 18 |
| | 49 Mais ceux autour de lui, ayant vu ce qui allait arriver, dirent : « Seigneur, faut-il frapper avec le glaive? » | 8b « Si donc cest moi que vous cherchez, laissez ceux-là sen aller, 9 afin que saccomplît la parole qui dit que ceux que tu mas donnés, je nen ai pas perdu un seul. » |
47 Mais lun de ceux qui se tenaient là, ayant dégainé son glaive, frappa le serviteur du grand prêtre et il lui enleva loreille. | 51 Et voici que lun de ceux qui étaient avec Jésus, ayant étendu la main, dégaina son glaive; et ayant frappé le serviteur du grand prêtre, il lui enleva loreille. | 50 Et lun deux frappa le serviteur du grand prêtre et il lui enleva loreille droite. | 10 Alors Simon-Pierre, ayant un glaive, le tira, frappa le serviteur du grand prêtre et il lui trancha loreille droite. (Le nom de ce serviteur était Malchus.) |
| 52 Alors Jésus lui dit: « Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive, par le glaive périront. | 51 Mais comme réponse Jésus dit: « Que cela soit assez! » Et, ayant touché loreille, il le guérit. | 11 Jésus dit à Pierre: "Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que ma donnée le Père, ne la boirai-je pas? |
| 53 Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions danges? | | |
| 54 Comment alors saccompliraient les Écritures daprès lesquelles il doit en être ainsi? » | | |
48 Et comme réponse Jésus leur dit : « Est-ce contre un bandit que vous êtes sortis avec des glaives et bâtons pour me saisir? | 55 A cette heure-là Jésus dit aux foules: « Est-ce contre un bandit que vous êtes sortis avec des glaives et bâtons pour me saisir? | 52 Mais Jésus dit aux grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens à ceux qui étaient venus contre lui: « Est-ce contre un bandit que vous êtes sortis avec des glaives et bâtons? » | |
49 Chaque jour dans le Temple jétais avec vous, à enseigner, et vous ne mavez pas arrêté. | Chaque jour dans le Temple jétais assis, à enseigner, et vous ne mavez pas arrêté. | 53 Même si chaque jour jétais avec vous dans le Temple, vous navez pas étendu les mains contre moi; | |
Toutefois - que les Écritures saccomplissent. » | 56 Mais tout ceci advint pour que saccomplissent les Écritures des prophètes. » | Toutefois, cest votre heure et le pouvoir des ténèbres. » | |
50 Et layant abandonné, ils senfuirent tous. | Alors tous les disciples, layant abandonné, senfuirent. | | |
- Commentaire
- Le geste de trancher loreille du serviteur
Chez Marc/Matthieu, ce geste est motivé par larrestation de Jésus. Mais chez Luc, comme on ne sest pas encore emparé de Jésus, il doit créer une introduction pour le justifier : « ayant vu ce qui allait arriver, ils dirent : « Seigneur, faut-il frapper avec le glaive? ». Chez Jean, enfin, comme Jésus a déjà demandé de laisser partir ses disciples, le geste de Pierre apparaît comme un mouvement de bravade, fidèle à sa promesse de donner sa vie pour Jésus (13, 37).
- Qui a agit contre le serviteur?
- Marc nidentifie pas celui qui pose ce geste : lun de ceux qui se tenaient là. Quand on regarde les quatre autres utilisations de lexpression « qui se tenaient là » qui suivront (14, 69.70; 15, 35.39), on note quil ne sagit jamais des disciples. De plus, le reproche de Jésus de venir avec des armes sadresse à ceux qui sont venus larrêter, non aux disciples. Mais alors, lexpression « ceux qui se tenaient là » désigne-t-il ceux qui sont venus larrêter? Ce serait un non sens. Il faut donc imaginer quil y avait un troisième groupe, des spectateurs témoins de ce qui se passait.
- Pour Matthieu et Luc, cest lun des disciples qui a posé ce geste. Matthieu écrit : lun de ceux qui étaient avec Jésus, une expression qui renvoie à ceux qui laccompagnent, ses disciples. Chez Luc, on donne le titre de « Seigneur » à Jésus, ce qui est typique du disciple. De plus, lexpression « ceux autour de lui » désignent des compagnons comme on le voit en Actes 13, 13 (Paul et ceux autour de lui gagnèrent Pergé). Matthieu et Luc reflètent ainsi la tendance populaire à identifier ou clarifier ceux qui ne sont pas nommés, ce qui permet dans notre cas dindividualiser le thème de lincompréhension des disciples.
- Pour Jean, cest Simon Pierre qui a posé ce geste. Si cette donnée était historique, on comprendrait mal quelle soit ignorée des Synoptiques. Elle apparaît plutôt comme une création de Jean qui y voit loccasion de poursuivre le portrait dramatique quil brosse de Pierre : dune part, il est prompt à poser un geste de bravade, dautre part, il se retrouvera à renier son maître un peu plus loin. Pierre éprouve des difficultés à comprendre son maître, comme le montre son refus de se faire laver les pieds (13, 8). Et ici, son geste trahit son incompréhension que le royaume de Jésus nest pas de ce monde (18, 36).
- Doù le porteur du glaive a-t-il obtenu son glaive?
- Lhistorien juif Flavius Josèphe nous apprend que les Esséniens portaient des armes lorsquils prenaient la grand route pour se protéger des voleurs (Guerre juive , 2.8.4; #125); mais ici nous ne sommes pas sur la grand route.
- Comme le porteur du glaive chez Marc est un spectateur, sa possession (légale ou illégale) na rien à voir avec Jésus et il nest pas nécessaire de présupposer quil sest porté à la défense de Jésus.
- Cest beaucoup plus compliqué chez Jean. Pierre portait-il régulièrement une arme? Comme il est lun de ceux qui ont appris que Judas quittait la salle du repas pour préparer larrestation de Jésus, sest-il armé en conséquence? Jean, qui parfois comble certaines lacunes des Synoptiques, ne nous laisse ici aucun indice.
- Matthieu ne fournit aucune raison pour laquelle un disciple porterait une arme.
- Luc semble être le seul évangéliste à avoir réfléchi à ce problème. Lors du dernier repas, il nous présente cette scène (22, 35-38).
35 Et il [Jésus] leur dit: « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose » - « De rien », dirent-ils. 36 Et il leur dit: « Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a une besace, et que celui qui na pas vende son manteau pour acheter un glaive. 37 Car, je vous le dis, il faut que saccomplisse en moi ceci qui est écrit : Il a été compté parmi les scélérats. Aussi bien, ce qui me concerne touche à sa fin » 38 « Seigneur, dirent-ils, il y a justement ici deux glaives. » Il leur répondit : « Ça suffit! »
La majorité des biblistes considèrent que Luc a puisé ici à une source antérieure qui ne se situait pas nécessairement dans le contexte de la passion. Lidée est que la perspective de larrestation et de la crucifixion de Jésus a introduit une nouvelle période de combat et de persécution, et ainsi les disciples doivent se préparer à ce voyage difficile et être capable de se défendre. Bien sûr, les disciples ont compris la nécessité de se procurer des glaives au sens littéral, et donc ont mal compris leur maître. La réponse de Jésus (« ça suffit ») met un terme à la discussion et à leur incompréhension. Il faut se souvenir de ce dialogue quand, onze versets plus loin, les disciples demanderont sils doivent intervenir avec leurs glaives, plus précisément leurs deux glaives.
- Laction de frapper avec le glaive et trancher loreille du serviteur
Seuls les mots machaira (glaive) et « serviteur du grand prêtre » sont communs aux quatre évangélistes. Autrement, ils varient.
- Prendre lépée
- Marc : spaō (tirer, dégainer)
- Matthieu : apospaō (tirer dehors)
- Jean : helkō (tirer à soi)
- Frapper
- Marc et Jean : paiō (frapper, battre)
- Matthieu et Luc : patassō (frapper, tuer)
- Laction de couper
- Marc, Matthieu et Luc : aphaireō (enlever, ôter)
- Jean : apokoptō (retrancher, mutiler)
- Oreille
- Marc et Jean 18, 10 : ōtarion (oreille)
- Matthieu, Luc 22, 51 et Jean 18, 26 (et la version P66 de Jean 18, 10) : ōtion (oreille)
- Luc 22, 50 : ous (oreille)
- Lidentification de loreille
- Luc et Jean : oreille droite
Ces variations sexpliquent par différents facteurs
- Oreille : cest probablement le souci littéraire déviter de répéter le même mot
- Oreille droite : le côté droit a plus de valeur que le côté gauche, et donc permet daccentuer limportance du dommage; il nest pas nécessaire de présupposer une source commune
- Le reste des variations peut sexpliquer par le style littéraire de chaque auteur et par limagination populaire qui a façonné les récits dont ils dépendent
- Le serviteur était-il une figure connue?
- Le nom Malchus est assez commun à cette époque. Certains biblistes ont vu ici un autre cas de la tendance populaire à identifier ou clarifier ceux qui ne sont pas nommés. Quoi quil en soit, cela cadre avec le style de Jean de privilégier les rencontres de personne à personne, en loccurrence ici Pierre et Malchus : devant ce dernier, il défend Jésus, mais plus tard, devant un parent de Malchus, il niera connaître Jésus.
- Les quatre évangélistes disent : « le » serviteur du grand prêtre, et non pas « un » serviteur. Certains biblistes ont émis lhypothèse que Marc connaissait son identité, sans le nommer, assumant que la communauté le connaissait bien (peut-être le Malchus de Jean qui était devenu un membre de la communauté chrétienne). Ce qui est certain, les lecteurs de Marc, Matthieu et Luc (et même Jean) ont pu percevoir ici une figure hostile à Jésus et sêtre réjouis de ce qui lui est arrivé.
- La réponse de Jésus au porteur du glaive
Chez Marc, Jésus ne réagit pas devant le geste de couper loreille du serviteur. Cela renforce la thèse que lauteur du geste nétait pas un de ses disciples.
- La réponse de Matthieu 26, 52-54
- Nous avons ici lun des premiers exemples clairs du matériel propre à Matthieu. Il ne reprend pas des éléments de son propre évangile comme certains biblistes le pensent, mais il réécrit plutôt à sa façon une tradition chrétienne. Par exemple, le tout est introduit par son mot fétiche tote (alors). Dans les cercles où on racontait larrestation de Jésus et le geste du disciple qui portait un glaive, une réponse de Jésus sest probablement développée où il demande de remettre au fourreau le glaive. Matthieu, comme les autres évangélistes, a repris cette tradition, y imprimant son propre style.
- La demande de rengainer est renforcée par une affirmation poétique en forme de chiasme ou inclusion : « car tous ceux qui prennent le glaive, par le glaive périront ». Cet approche est cohérente avec le style de Matthieu (5, 39 : « quelquun te frappe-t-il la joue droite, tends-lui encore lautre »; 10, 39 : « Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera »). Notons que la portée de cette affirmation déborde lauteur du geste pour englober tous les disciples. La source de Matthieu est peut-être lenseignement moral chrétien, reflet de lenseignement moral juif. On avait déjà ce type denseignement dans le Judaïsme : « Qui verse le sang de lhomme, par lhomme aura son sang versé » (Genèse 9, 6). On retrouve le même type denseignement dans lApocalypse : « Si quelquun tue avec le glaive, avec le glaive il doit périr » (13, 10).
- « Qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions danges ». Cette parole reflète limagerie angélique dans lAncien Testament (voir Josué 5, 14 où un chef darmées est un ange; Psaume 148, 2 où les anges sont associés aux armées; Daniel 12, 1 qui parle de lintervention de Michel, le grand Prince; 2 Maccabées 15, 22 qui évoque lenvoie dun ange pour massacrer 185 000 hommes de larmée de Sennachérib). Dans son évangile, Matthieu fait plusieurs fois référence aux anges qui soutiennent le Fils de lhomme (13, 41; 16, 27; 24, 30-31; 25, 31). Cette nouvelle référence ici sappuie sans doute sur la tradition où Jésus a décliné toute violence lors de son arrestation (voir Jean 18, 36 où Jésus dit quil aurait pu faire appel à des gardes si son royaume était de ce monde). Pourquoi douze légions? Il est possible que cela fasse contraste avec les Douze disciples, qui eux, ne peuvent aider.
- « Comment alors saccompliraient les Écritures? ». Matthieu reprend le texte de Marc. Chez ce dernier, la référence à lÉcriture intervient après la mention de lenseignement au Temple. Matthieu fera la même chose, mais ici il se trouve à anticiper cette référence, ce qui lamène à aborder deux fois ce thème, ce qui est tout à fait en accord avec le leitmotiv de laccomplissement des Écritures qui parcourt son évangile. Cela fait partie de son propos théologique dexpliquer à sa communauté comment Jésus a accompli le plan de Dieu, non seulement à travers les grands événements de sa vie, mais également dans des événements mineurs.
- « Daprès lesquelles il doit (dei) en être ainsi? ». Dans sa première annonce de la passion (Mt 16, 21), Jésus avait déjà prévenu ses disciples quil était nécessaire (dei) pour lui de se rendre à Jérusalem et dy souffrir aux mains des anciens, des chefs de prêtres et des anciens. Voilà que, ce qui était alors implicite, devient maintenant explicite. Cette période avait été inaugurée avec une citation de Zacharie 13, 7 en Mt 26, 31 (Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées) et atteindra son sommet en Mt 27, 46 avec le Psaume 22, 2 (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mas-tu abandonné?). Pour Matthieu, Dieu a écrit du début à la fin ce qui doit arriver, comme lexplique le prophète Daniel (il y a un Dieu dans le ciel, qui révèle les mystères et qui a fait connaître au roi Nabuchodonosor ce qui doit arriver à la fin des jours, 2, 28).
- La réponse de Jean 18, 11
- Cette réponse comporte deux segments. Le premier, où Jésus demande à Pierre de remettre son glaive au fourreau, est identique à la réponse de Jésus chez Matthieu quant à son contenu, mais non quant à sa formulation.
- Le deuxième segment (La coupe que ma donnée le Père, ne la boirai-je pas ?) est issu de la tradition que reflète également Marc 14, 36 (Abba, Père, tout test possible: éloigne de moi cette coupe ). Les deux évangélistes nous présentent également le thème connexe de lheure, Marc dans la prière à Gethsémani où Jésus veut quelle passe loin de lui (14, 35), Jean dans la rencontre de Jésus avec des Grecs avec la même formulation dune question théorique (Et que dire? Père, sauve-moi de cette heure ? 12, 27). Mais alors que dans la christologie de Marc Jésus peut encore demander à Dieu de changer son plan, et ne sy rallie quaprès avoir prié, dans la christologie de Jean Jésus na pas besoin de prier pour se rallier à ce plan, car le Père et lui ne font quun. Jean rejoint également le thème de Matthieu demandant que le porteur du glaive nintervienne pas pour empêcher la réalisation de ce plan.
- La diversité entre les quatre évangiles est si grande quune dépendance littéraire est peu probable. Marc a regroupé à Gethsémani les thèmes de lheure et de la coupe, Jean les as gardés séparés, ne conservant pour la scène de la passion que celui de la coupe; ce dernier est sans doute plus près de la tradition originelle. Par contre, la formulation de Marc est probablement plus près de la forme ancienne que la transformation de Jean en questions théoriques sous limpulsion de sa christologie haute. Quant à la réponse de Jésus au porteur de glaive, la formule de Jean est moins élaborée que celle de Matthieu.
- La réponse de Luc 22, 49-51
- Comme nous lavons déjà mentionné, la question des disciples concernant lutilisation du glaive permet de relier le dialogue sur les deux glaives (22, 35-38) lors du dernier repas avec la scène autour du porteur de glaive. Cette question porte les traits stylistiques de Luc (question introduite par ei ). Elle permet détablir le cadre dune réponse de Jésus. Et comme lors du dialogue sur les deux glaives où Jésus doit faire face à leur incompréhension de la nécessité de se préparer pour le combat, alors quils en ont une interprétation littérale, de même ici Jésus fait face à leur incompréhension alors quils sapprêtent à prendre les armes.
- « Que cela soit assez (eate heōs toutou)! ». Lexpression est très difficile à traduire. Eate est la 2e personne du pluriel de limpératif du verbe eaō . Or, une seule personne avait pris un glaive; Jésus sadresserait donc à lensemble des disciples. Le verbe signifie : permettre, laisser, laisser aller, laisser tranquille. Lobjet de « permettre » nest pas clair. heōs toutou signifie : aussi loin que ça. Lexpression renvoie-t-elle à lassaut ou à larrestation? On a proposé diverses traductions : « Arrêtez! Vous êtes allés assez loin! »; « Laissez-les (ceux venus larrêter) faire, même au point de marrêter! »; « Laissez-le (le serviteur) tranquille! Cest assez! ». Tout cela rend la même idée : que cela soit assez!
- Luc nexplicite pas la raison pour laquelle il ne veut pas voir son arrestation interrompue, car cela a été exprimé dans un dialogue précédent : il faut (dei) que saccomplisse en moi ceci qui est écrit (22, 37). Après sa résurrection, Jésus reviendra sur le sujet, en particulier lors de sa rencontre avec les disciples dEmmaüs : Ne fallait-il (dei) pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire? (24, 26).
- « Et, ayant touché loreille, il le guérit ». La plupart des biblistes considèrent cette scène comme une création de Luc. La combinaison des verbes « toucher » et « guérir » reflète un style tout à fait lucanien. Luc avait déjà exprimé sa perspective sur les guérisons (Mon Père est à loeuvre jusquà présent et joeuvre moi aussi , 5, 17), et loeuvre du Jésus sauveur se poursuit même au coeur de la passion. De plus, il est cohérent avec une de ses paroles : aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour (6, 35).
- La récrimination de Jésus
- Chez Marc, Jésus se plaint de lattitude de la foule qui est venue vers lui avec des glaives et des bâtons. Cette récrimination na pas de lien avec le geste du porteur de glaive, ce qui renforce laffirmation que ce dernier nest pas un disciple.
- Chez Matthieu, après sêtre adressé au porteur de glaive, il se tourne maintenant vers la foule. Pour Matthieu, les deux auditoires ne comprennent pas le plan de Dieu.
- On retrouve également les deux réprimandes chez Luc, le premier adressé à un disciple, le second adressé à ses adversaires. Ce nest quà ce moment que Luc devient spécifique sur leur identité : les grands prêtres, les chefs de garde du Temple et les anciens. Il a probablement emprunté ces personnages à Marc, ne faisant que remplacer les scribes par les chefs de garde du Temple. Mais alors que Marc sétait contenté de dire que ces dignitaires avaient délégué à la foule larrestation de Jésus, Luc les présente à Gethsémani pour procéder eux-mêmes à larrestation. Il y a quelque chose dinvraisemblable à avoir des dignitaires faire eux-mêmes cette sale besogne. Cest un des cas les moins bien réussis de mettre de lordre dans un récit, comme sen vante Luc au début de son évangile (1, 3).
- « Est-ce contre un bandit (lēstēs) que vous êtes sortis avec des glaives et bâtons pour me saisir? ». Il y a un accord remarquable chez les Synoptiques dans la première partie de la récrimination; Luc laisse tomber le « pour me saisir », probablement pour éviter une répétition avec ce quil dira un peu plus loin en quittant Gethsémani. Mais que signifie exactement lēstēs (bandit). Il désigne habituellement un homme violent, armé et qui était associé à un pillard ou à un voyou. On comprend la réaction de Jésus dêtre associé à un homme violent, comme Barabbas qui est également appelé lēstēs . Mais il faut se rappeler que les évangiles ont été écrits au cours de la période qui sétend de lan 70 à 100, et donc après la révolte juive. Il est donc possible que la mentalité populaire de lépoque ait jeté un regard anachronique sur lēstēs en apposant le filtre des rebelles violents luttant contre les Romains, donnant ainsi une nouvelle définition du mot.
- « Chaque jour (kathʼ hēmeran) dans le Temple jétais avec vous, à enseigner, et vous ne mavez pas arrêté ». Il y a également un large accord chez les Synoptiques dans cette deuxième partie de la récrimination, à part certaines particularités grammaticales. Mais quel est le sens de kathʼ hēmeran (littéralement : selon le jour)? Chaque jour (jétais à enseigner) ou (jétais à enseigner le jour)? Selon Marc, Jésus na enseigné que deux jours sur le total des trois jours passés au Temple (11, 11; 11, 15.17; 11, 27 13, 1). Dans son évangile, Luc évoque les deux sens : journellement il était à enseigner dans le Temple (19, 47) et pendant le jour, il était dans le Temple à enseigner (21, 37). Cette difficulté sestompe si on accepte lidée de plusieurs biblistes que Jésus a fait plusieurs séjours à Jérusalem au cours de son ministère, comme laffirme Jean, et que la réduction à un seul séjour est une construction de Marc pour suivre son plan théologique.
- Nous avons déjà noté laffirmation invraisemblable de Luc de la présence des grands prêtres et des anciens à Gethsémani. Pourtant, ce dernier point donne un peu de logique à la parole de Jésus sur le fait quon ne lait pas arrêté quand il enseignait dans le Temple : seuls eux avaient le pouvoir dintervenir, et non pas la foule dont parle Marc. Alors Luc nessaie-t-il pas dintroduire un peu dordre en ayant le même auditoire que celui qui avait entendu Jésus au Temple (19, 47; 20, 1.19) et avait cherché à mettre la main sur lui? Lindice le plus important nous vient de Jean 18, 19, alors que le grand prêtre interroge Jésus et que ce dernier répond : « Cest au grand jour que jai parlé au monde, jai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple où tous les Juifs sassemblent et je nai rien dit en secret ». Ainsi, il existerait une tradition ancienne où Jésus se serait défendu devant les autorités religieuses. Jean laurait adaptée en utilisant son vocabulaire et en linsérant au moment de sa rencontre avec le grand prêtre la veille de sa mort. Marc laurait adaptée pour quelle devienne une parole de Jésus à la foule mandatée par les grands prêtres. Luc aurait vu la maladresse de Marc avec une parole à des gens qui nont pas le pouvoir darrêter quelquun et aurait tenté de faire justice à une tradition où le grand prêtre était lauditoire originel. Ainsi, on ne parle pas de source commune, mais dune tradition commune.
- Laccomplissement des Écritures et le départ des disciples
- Marc 14, 49b-50
- La référence à lÉcriture est introduite abruptement : personne na posé de question sur la raison pour laquelle Jésus se laisse faire, lui qui a été capable daccomplir auparavant différents prodiges; Marc vise ses lecteurs chrétiens qui se posent ces questions. La réponse est claire : laissez les Écritures saccomplir, non seulement concernant ce qui est arrivé, mais ce qui est sur le point de survenir.
- Le v. 50 sur les disciples qui senfuient forme une inclusion avec le début de la scène à Gethsémani, alors que Jésus avait annoncé quils succomberaient et seraient dispersés (14, 26-28). Pierre avait nié alors quil labandonnerait et tous les disciples avaient dit la même chose. Voici pourquoi, ici, au v. 50, Marc insiste pour dire : ils senfuirent tous. Jésus avait fait trois prophéties :
- Un des Douze le livrerait
- Les disciples seraient dispersés
- Pierre le renierait trois fois
Deux des prophéties ont été accomplis, la troisième le sera bientôt. Ainsi, non seulement les Écritures doivent-ils saccomplir, mais également les prophéties de Jésus.
- Il y a également une inclusion avec le début de lévangile avec le verbe aphienai (laisser):
- 1, 18 : Ayant été appelé, Simon (Pierre) et André laissèrent leur filet et le suivirent
- 14, 50 : Layant laissé, ils senfuirent
Laventure dêtre disciple se termine sur un échec, parce quon na pas compris que si quelquun voulait suivre Jésus, il devait prendre sa croix et le suivre (8, 34).
- Matthieu 26, 56
- La phrase « Mais tout ceci advint pour que saccomplissent les Écritures » est la dernière référence à lÉcriture dans lévangile de Matthieu et forme une inclusion avec une expression identique dans sa première référence à lÉcriture dans son Évangile (1, 22); car nous avons atteint le dénouement ou la fin. Et toute lÉcriture est vue comme une parole prophétique, si bien que même ses références aux Psaumes sont vues comme un renvoi à une parole de prophète.
- Matthieu veut-il nous renvoyer à un texte particulier de lÉcriture? Il ne nous renvoie pas à un texte particulier, mais à un ensemble de textes, en particulier les Psaumes (71, 11 : « Dieu la abandonné, pourchassez-le, empoignez-le, il na personne pour le défendre »; 37, 14 : « Les impies tirent lépée, ils tendent larc, pour égorger lhomme droit »; 38, 13 : « ils posent des pièges, ceux qui traquent mon âme, ils parlent de crime, ceux qui cherchent mon malheur, tout le jour ils ruminent des trahisons »; 41, 10 : « Même le confident sur qui je faisais fond et qui mangeait mon pain, se hausse à mes dépens ».
- Nous avons ici les dernières paroles de Jésus adressée à ses disciples ou à la foule. Le fait quelles soient encadrées par une référence à lÉcriture montre limportance de ce qua dit Jésus dans sa prière à Gethsémani : que ta volonté soit faite.
- Jean 18, 8b-9
- « Si donc cest moi que vous cherchez, laissez ceux-là sen aller ». Nous avons ici un autre cas du principe de la souveraineté de Jésus chez Jean. Car si les disciples avaient fui deux-mêmes, cela aurait relevé de leur initiative. Aussi, tout comme cest Jésus qui a autorisé Judas à partir lors du dernier repas (13, 27 : « Ce que tu fais, fais-le vite »), ainsi cest lui contrôle maintenant le départ des disciples. Ce départ fait donc parti de la réalisation du plan de Dieu. En fait, cest la réalisation non pas dune parole de lÉcriture, mais celle de Jésus lui-même (voir 17, 12 : « Jai veillé et aucun deux ne sest perdu, sauf le fils de perdition »). Par la suite, lévangéliste ne sent pas le besoin de confirmer que cette demande de Jésus tout-puissant a été accordée. Mais ce départ devient évident avec leur absence dans la suite du récit, à lexception de Pierre et du disciple bien-aimé.
- Certains biblistes se sont demandés pourquoi na-t-on pas arrêté également les disciples? Une réponse simple est que, dans lesprit des évangélistes, ce qui a amené une intervention des autorités religieuses nest pas le « mouvement Jésus » chez certains disciples, mais la personne même de Jésus, ses prétentions, ses actions.
- Et quest devenu lagresseur du serviteur du grand prêtre? Chez Marc, comme il nest pas un disciple, cest sans intérêt. Chez Matthieu, il sest échappé avec lensemble des disciples. Chez Jean, cest un peu plus compliqué. Peut-être faut-il lire ce passage à la lumière de 2 Samuel 17, 1-2 que nous avons mentionné plus tôt, où Ahitophel demande à Absalon de poursuivre David et ses compagnons en fuite au Mont des Oliviers, et de frapper seulement le roi. Relire lhistoire à travers la Bible est une approche qui nous est étrangère, mais pas pour les évangélistes.
- Luc 22, 53b : « votre heure et le pouvoir des ténèbres »
- À part le « toutefois (alla) », Luc nous présente une version totalement différente que celles des autres Synoptiques, à commencer par labsence de fuite des disciples. Bien sûr, il respecte la tradition en les gardant invisibles pour le reste du récit de la passion, mais il ne veut pas les présenter sous un jour défavorable. Il est cohérent dans son portrait des disciples : il a éliminé la prophétie de Jésus sur le fait quils seront scandalisés et dispersés, il éliminera également la mention de leur fuite.
- Au lieu davoir une référence à lÉcriture, il nous parle plutôt de lheure. Il avait introduit le dernier repas de Jésus avec : « Lorsque lheure fut venue, il se mit à table » (22, 14). Pour Luc, lheure de Jésus a commencé quand il commence à se donner au dernier repas et que Satan est déjà entré en Judas. Cette perspective sur lheure est différente de celle de Marc où lheure correspond à larrivée de Judas à Gethsémani (14, 41), et également de celle de Matthieu où lheure correspond au moment où Jésus sadresse à la foule venue larrêter (26, 55), et également de Jean où lheure correspond à larrivée des Grecs qui veulent le voir (12, 23).
- « lheure / pouvoir des ténèbres ». Luc nous y avait préparé à cette heure en 20, 19 : « Les scribes et les grands prêtres cherchèrent à porter les mains sur lui à cette heure même ». Actes 26, 18 nous aide à comprendre ce quil entend par ténèbres : « afin quelles reviennent des ténèbres à la lumière et de lempire de Satan à Dieu ». Ainsi les ténèbres correspondent à lempire de Satan et sopposent à la lumière de Dieu. Et dans le récit darrestation, elles font référence à la présence de Satan en Judas. Ainsi, le mot « heure » a deux aspects : dune part, il y a lheure de Jésus qui correspond au don de lui-même exprimé lors du dernier repas et culminant dans le remise de son esprit au Père; dautre part, il y lheure du pouvoir de Satan à travers les ennemis qui le crucifieront.
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