![]() Sybil 1998 |
Le texte évangélique
Luc 1, 1-4; 4, 14-21 1 À la suite de plusieurs qui ont pris l’initiative de composer un récit des événements survenus parmi nous, 2 selon ce que nous ont transmis les témoins oculaires et tous ceux qui sont devenu prédicateurs de la parole, 3 j’ai décidé moi aussi, après avoir suivi de près tout ce qui s’est passé depuis le début, de les mettre par écrit avec soin, en respectant une certaine séquence, tout cela pour toi, très cher Théophile. 4 Mon but est que tu te rendes compte de la solidité de la catéchèse que tu as reçue. * * * * * * * * * * 14 Plein de la force de l’Esprit, Jésus s’en retourna en Galilée. Et sa réputation se répandit dans toute la région. 15 Car Jésus enseignait dans leurs synagogues, et les gens faisaient son éloge. 16 Puis, un jour, il vint à Nazareth où il avait grandi, et selon son habitude, il entra à la synagogue le jour du sabbat. Il se leva pour faire la lecture. 17 On lui remit le rouleau du prophète Isaïe. Après avoir déroulé le texte, il trouva le passage où il est écrit : 18 « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a choisi pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, il m’a envoyé proclamer la libération pour les captifs et le retour à la vue pour les aveugles, pour conduire les opprimés à une libération, 19 pour proclamer une année favorable de la part du Seigneur. 20 Après avoir roulé le texte et l’avoir remis au servant, il s’assit. Alors tous dans la synagogue avait les yeux fixés sur lui. 21 Or, s’adressant à eux, Jésus se mit à leur dire : « Ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’il s’est enfin réalisé ». |
Des études |
![]() Être entre bonnes mains est une bonne nouvelle |
Commentaire d'évangile - Homélie L’histoire humaine n’est-elle pas celle d’un vaste hôpital? Il s’appelle André1. Il y a plusieurs années, lorsqu’il travaillait comme psychoéducateur dans un centre de réadaptation à Montréal, il se rendit compte qu’une jeune fille dont il s’occupait souffrait de sous-alimentation chronique. Alors il eut l’idée de créer une banque alimentaire qui non seulement offrira de la nourriture à ceux qui peinaient à se nourrir, mais s’attaquerait au gaspillage alimentaire. L’organisme Moisson Montréal était né et allait essaimer partout au Québec. C’était non seulement une bonne nouvelle pour les affamés, mais une bonne nouvelle aux gens soucieux d’écologie. Puis, quelques années plus tard, constatant qu’il y avait beaucoup de gaspillage d’êtres humains, des gens qui perdaient toute estime de soi, il décide de s’attaquer à la réinsertion sociale pour remettre au travail des citoyens qui en avaient été exclus et qui n’avaient plus d’espoir de s’en retrouver un jour. Il fonde alors le groupe Renaissance qui allait exploiter friperies, boutiques, bouquineries et centres de dons presque partout au Québec. L’idée était d’avoir une activité économique qui donnerait à l’organisme sans but lucratif les moyens d’embaucher des travailleurs pour leur redonner confiance en eux. Ce qui au départ se voulait une entreprise d’intégration sociale est devenu au fil des ans une véritable entreprise d’économie sociale avec un large volet environnemental. Cette initiative a connu un succès phénoménal, employant aujourd’hui 1500 personnes. Quelle bonne nouvelle pour les gens en recherche d’emploi, en particulier chez les immigrants. Quelle bonne nouvelle aussi pour l’environnement, car l’entreprise Renaissance est devenue aussi un acteur de premier plan de l’économie circulaire et de l’environnement parce qu’elle détourne annuellement plus de 27 000 tonnes de biens qui auraient normalement pris le chemin des sites d’enfouissement. Il n’y a rien de plus agréable que d’entendre une bonne nouvelle, surtout quand l’atmosphère est morose, comme elle l’est souvent. A-t-on oublié que le mot « évangile » en grec veut dire « bonne nouvelle »? Et c’est une bonne nouvelle qu’entend partager Luc dans son récit d’aujourd’hui. Nous connaissons ce récit où Jésus se rend dans la ville où il a été élevé, Nazareth, donc au milieu de sa famille, et le jour du sabbat, à la synagogue, il se lève pour faire la lecture du prophète Isaïe. Luc nous cite ce passage d’Isaïe 61, 1-2a où le prophète se dit envoyé par Dieu pour faire une annonce de bonheur aux pauvres, aux gens avec le cœur brisé, aux captifs et aux prisonniers et pour proclamer une année sabbatique, i.e. chez les Juifs, à tous les sept ans la libération des esclaves, et à tous les 50 ans, la libération de toutes les dettes. Le contexte d’Isaïe est celui de l’année 520 (av. JC) alors que les Juifs sont revenus de l’exil de Babylone depuis quelques années, que l’autel pour les sacrifices a été mis en place et qu’on s’apprête à reconstruire le temple, que la vie s’est stabilisée et que la population augmente. Luc nous cite la traduction grecque du texte hébreu, appelée Septante, qui ne parle plus de prisonniers, mais plutôt d’aveugles; mais cela importe peu. L’idée est la même : comme le prophète Isaïe proclame au nom de Dieu la guérison et le bonheur à tous les affligés, Jésus fait de même pour son auditoire de Nazareth. Et Luc insiste : « C’est aujourd’hui que tout cela se réalise ». Comment réagir devant un tel récit? Tout d’abord, il faut comprendre le contexte dans lequel Luc insère ce récit. Nous sommes au tout début du ministère de Jésus, après son baptême et le récit des tentations. Mais plutôt que de suivre Marc, comme il l’a fait jusqu’ici, qui nous montre un Jésus proclamant dans la région de Capharnaüm que le royaume de Dieu s’est approché, de changer de vie et de croire à la bonne nouvelle, au moment où il se met à choisir ses disciples, Luc opte plutôt de faire entrer Jésus à Nazareth, ce que Marc fera beaucoup plus tard (au ch. 6). Et là à Nazareth, la patrie de Jésus, Luc met dans sa bouche un discours-programme qui résume sa mission. Quelle est donc l’intention de Luc avec une telle approche? En faisant de ce discours la première action d’importance de Jésus, Luc lui donne une priorité. De fait, ce discours définit la direction que Jésus donnera à sa mission. Et le reste de l’évangile selon Luc reflète cette direction. Il suffit de penser aux récits propres à Luc sur la compassion de Jésus face à la veuve qui a perdu son fils unique, du bon Samaritain, de la femme courbée depuis 18 ans, du fils prodigue, de Lazare, de Zachée, du bon Larron; les pauvres occupent une place centrale dans son évangile en commençant par le récit de l’enfance. La bonne nouvelle est pour aujourd’hui : à Zachée Jésus dit : « Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison »; au bon larron, il dit : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis ». Ainsi, pour Luc, Jésus n’a pas d’abord prêché une morale, il a avant tout annoncer la guérison et le bonheur aux gens brisés par la vie. Mais après avoir pris conscience de tout cela, nous pouvons rester sur notre faim. Car en fait, sur l’ensemble de l’humanité à l’époque de Jésus, combien ont été guéris et ont vécu l’expérience d’une bonne nouvelle? Et si on actualisait le discours-programme de Jésus, quelles seraient aujourd’hui les bonnes nouvelles? Pour un chômeur, c’est de trouver un travail permanent avec un bon salaire. Pour un cancéreux, c’est d’apprendre la disparition complète de son cancer. Pour une femme battue dans une relation toxique avec un conjoint, c’est de pouvoir reconstruire sa personne et de retrouver un milieu sain. Pour une personne sans domicile fixe et en situation d’itinérance, c’est de se trouver un logement et une communauté pour le soutenir. Pour une personne dépendante aux drogues et à l’alcool, c’est de pouvoir se libérer de cette dépendance et retrouver toute sa stature d’homme et de femme. Pour des Ukrainiens, les Palestiniens, les Soudanais et les Libanais, ce serait la fin de la guerre. La liste des bonnes nouvelles souhaitées pourrait s’allonger à l’infini. Dans un tel contexte, que signifie le discours-programme de Jésus tel que présenté par Luc, surtout avec cette remarque : « C’est aujourd’hui que tout cela se réalise »? Sommes-nous devant un rêve éveillé? Il faut chercher à mon avis la clé d’interprétation au tout début du récit d’aujourd’hui quand Luc écrit : « Plein de la force de l’Esprit, Jésus s’en retourna en Galilée ». Il fait ici référence au souffle d’amour et de compassion qui vient de Dieu, qui a été le moteur de la mission de Jésus et de l’annonce de la bonne nouvelle, et qui peut être le moteur de nos vies si on accepte de s’y ouvrir. Car c’est là la question brutale qui se pose devant tout ce qui nous importune, devant toute souffrance ou toute situation pénible ou agressante : comment réagir? En ce moment-là, nous avons le choix entre regarder en face la situation et emprunter le long et patient chemin de l’amour et la compassion qui ouvre sur une guérison pour tous, ou bien nier la réalité et chercher à exterminer ce qui nous contrarie, créant encore plus de blessures. André, dans notre récit du début, en voyant la jeune fille mal nourrie ou les gens sans travail, a regardé la situation en face et la force de son amour et de sa compassion ont été à la source de ses initiatives. Quand des partisans du Hamas disent : « Il faut éliminer Israël », ou que des colons juifs disent : « Il faut éliminer les Palestiniens », ils ont fait leur choix, un choix qui crée une situation sans issue. C’est la même chose pour les gens qui, devant les sans domicile fixe, voudraient les exterminer en les jetant dans une poubelle loin de la ville; comme on souhaiterait que le problème n’existe pas, un problème qui enlaidit nos villes. La bonne nouvelle de l’évangile de ce jour est d’affirmer que cette force d’amour et de compassion est à ce moment à l’oeuvre dans le coeur de beaucoup de gens. Elle était à l’oeuvre chez les bénévoles qui ont pris le risque de joindre le convoi pour nourrir Gaza, au prix de leur vie. Elle est à l’oeuvre dans nos vies quotidiennes devant tous les défis qui nous attendent et dans tous nos choix, y compris nos choix politiques. Elle est à l’oeuvre chez les gens en autorité, qui peuvent s’y ouvrir ou non dans leurs décisions. Mais pour vraiment accueillir cette bonne nouvelle, il faut accepter que nous et notre monde avons besoin de guérison, car il n’est pas facile de changer un coeur de pierre en coeur de chair. Bref, l’histoire humaine ressemble à un vaste hôpital où on peut être tour à tour soignant et ayant besoin de soin (même sans le savoir). En quoi cela est-il lié à la bonne nouvelle dont parle l’évangile de Luc? Tout comme c’est une bonne nouvelle quand un malade est pris en charge par un médecin qui lui prodigue les soins appropriés, ainsi notre monde est pris en charge par ce souffle d’amour et de compassion répandu dans les cœurs d’une multitude. À Nazareth, malheureusement, seulement quelques-uns ont su accueillir cette bonne nouvelle. Et nous, où nous situons-nous?
-André Gilbert, Gatineau, novembre 2024 1 Cette histoire a été publiée dans La Presse (Montréal, Canada) par Jean-Philippe Décarie, le 30 octobre 2024. Pour le texte complet : 30 années de Renaissance
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