Analyse biblique Matthieu 25, 31-46

Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.


 


  1. Traduction du texte grec (28e édition de Kurt Aland)

    Texte grecTexte grec translittéréTraduction littéraleTraduction en français courant
    31 Ὅταν δὲ ἔλθῃ ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ἐν τῇ δόξῃ αὐτοῦ καὶ πάντες οἱ ἄγγελοι μετʼ αὐτοῦ, τότε καθίσει ἐπὶ θρόνου δόξης αὐτοῦ• 31 Hotan de elthē ho huios tou anthrōpou en tē doxē autou kai pantes hoi angeloi metʼ autou, tote kathisei epi thronou doxēs autou• 31 Quand viendra le fils de l’homme dans sa gloire et tous les anges avec lui, alors il s’assoira sur son trône de gloire. 31 Quand apparaîtra le nouvel Adam accompagné de ses messagers, alors il siègera avec toute sa qualité d’être.
    32 καὶ συναχθήσονται ἔμπροσθεν αὐτοῦ πάντα τὰ ἔθνη, καὶ ἀφορίσει αὐτοὺς ἀπʼ ἀλλήλων, ὥσπερ ὁ ποιμὴν ἀφορίζει τὰ πρόβατα ἀπὸ τῶν ἐρίφων, 32 kai synachthēsontai emprosthen autou panta ta ethnē, kai aphorisei autous apʼ allēlōn, hōsper ho poimēn aphorizei ta probata apo tōn eriphōn, 32 Et seront rassemblées devant lui toutes les nations, et il les séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs. 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations. Alors il séparera les gens les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.
    33 καὶ στήσει τὰ μὲν πρόβατα ἐκ δεξιῶν αὐτοῦ, τὰ δὲ ἐρίφια ἐξ εὐωνύμων. 33 kai stēsei ta men probata ek dexiōn autou, ta de eriphia ex euōnymōn. 33 Et se tiendront d’une part les brebis à sa droite, et d’autre part les boucs à sa gauche. 33 D’une part, il y aura les brebis à sa droite, et d’autre part, les boucs à sa gauche.
    34 τότε ἐρεῖ ὁ βασιλεὺς τοῖς ἐκ δεξιῶν αὐτοῦ• δεῦτε οἱ εὐλογημένοι τοῦ πατρός μου, κληρονομήσατε τὴν ἡτοιμασμένην ὑμῖν βασιλείαν ἀπὸ καταβολῆς κόσμου. 34 tote erei ho basileus tois ek dexiōn autou• deute hoi eulogēmenoi tou patros mou, klēronomēsate tēn hētoimasmenēn hymin basileian apo katabolēs kosmou. 34 Alors il dira le roi à ceux qui sont à sa droite : « Venez! Les bénis de mon père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. 34 Le roi dira alors à ceux qui sont à sa droite : « Venez! Vous que mon Père n’a cessé d’estimer, recevez en héritage le domaine qui est le vôtre depuis la fondation du monde.
    35 ἐπείνασα γὰρ καὶ ἐδώκατέ μοι φαγεῖν, ἐδίψησα καὶ ἐποτίσατέ με, ξένος ἤμην καὶ συνηγάγετέ με, 35 epeinasa gar kai edōkate moi phagein, edipsēsa kai epotisate me, xenos ēmēn kai synēgagete me, 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli, 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli,
    36 γυμνὸς καὶ περιεβάλετέ με, ἠσθένησα καὶ ἐπεσκέψασθέ με, ἐν φυλακῇ ἤμην καὶ ἤλθατε πρός με. 36 gymnos kai periebalete me, ēsthenēsa kai epeskepsasthe me, en phylakē ēmēn kai ēlthate pros me. 36 nu et vous m’avez vêtu, j’ai été malade et vous m’avez rendu visite, j’étais en prison et vous êtes venu vers moi. » 36 nu et vous m’avez vêtu, j’ai été malade et vous m’avez rendu visite, j’étais en prison et vous êtes venu vers moi. »
    37 τότε ἀποκριθήσονται αὐτῷ οἱ δίκαιοι λέγοντες• κύριε, πότε σε εἴδομεν πεινῶντα καὶ ἐθρέψαμεν, ἢ διψῶντα καὶ ἐποτίσαμεν; 37 tote apokrithēsontai autō hoi dikaioi legontes• kyrie, pote se eidomen peinōnta kai ethrepsamen, ē dipsōnta kai epotisamen? 37 Alors répondront à lui les justes disant : « Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim et nous avons nourri, ou ayant soif et t’avons-nous donné à boire? 37 Alors les justes lui feront cette réponse : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim et t’avons-nous nourri, ou avoir soif et t’avons-nous donné à boire?
    38 πότε δέ σε εἴδομεν ξένον καὶ συνηγάγομεν, ἢ γυμνὸν καὶ περιεβάλομεν; 38 pote de se eidomen xenon kai synēgagomen, ē gymnon kai periebalomen? 38 Et quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu? 38 Et quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu?
    39 πότε δέ σε εἴδομεν ἀσθενοῦντα ἢ ἐν φυλακῇ καὶ ἤλθομεν πρός σε; 39 pote de se eidomen asthenounta ē en phylakē kai ēlthomen pros se? 39 Et quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous venus vers toi? » 39 Et quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous venus vers toi? »
    40 καὶ ἀποκριθεὶς ὁ βασιλεὺς ἐρεῖ αὐτοῖς• ἀμὴν λέγω ὑμῖν, ἐφʼ ὅσον ἐποιήσατε ἑνὶ τούτων τῶν ἀδελφῶν μου τῶν ἐλαχίστων, ἐμοὶ ἐποιήσατε. 40 kai apokritheis ho basileus erei autois• amēn legō hymin, ephʼ hoson epoiēsate heni toutōn tōn adelphōn mou tōn elachistōn, emoi epoiēsate. 40 Et répondant le roi leur dira: « Amen je vous le dis, tout ce que vous avez fait à l’un de ces frères de moi les plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. 40 Le roi leur répondra alors: « Vraiment, je vous l’assure, tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
    41 τότε ἐρεῖ καὶ τοῖς ἐξ εὐωνύμων• πορεύεσθε ἀπʼ ἐμοῦ [οἱ] κατηραμένοι εἰς τὸ πῦρ τὸ αἰώνιον τὸ ἡτοιμασμένον τῷ διαβόλῳ καὶ τοῖς ἀγγέλοις αὐτοῦ. 41 tote erei kai tois ex euōnymōn• poreuesthe apʼ emou [hoi] katēramenoi eis to pyr to aiōnion to hētoimasmenon tō diabolō kai tois angelois autou. 41 Alors il dira aussi à ceux qui sont à sa gauche : « Allez loin de moi au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. 41 Alors il dira à ceux qui sont à sa gauche: « Allez loin de moi au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses messagers.
    42 ἐπείνασα γὰρ καὶ οὐκ ἐδώκατέ μοι φαγεῖν, ἐδίψησα καὶ οὐκ ἐποτίσατέ με, 42 epeinasa gar kai ouk edōkate moi phagein, edipsēsa kai ouk epotisate me, 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire,
    43 ξένος ἤμην καὶ οὐ συνηγάγετέ με, γυμνὸς καὶ οὐ περιεβάλετέ με, ἀσθενὴς καὶ ἐν φυλακῇ καὶ οὐκ ἐπεσκέψασθέ με. 43 xenos ēmēn kai ou synēgagete me, gymnos kai ou periebalete me, asthenēs kai en phylakē kai ouk epeskepsasthe me. 43 j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. » 43 j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. »
    44 τότε ἀποκριθήσονται καὶ αὐτοὶ λέγοντες• κύριε, πότε σε εἴδομεν πεινῶντα ἢ διψῶντα ἢ ξένον ἢ γυμνὸν ἢ ἀσθενῆ ἢ ἐν φυλακῇ καὶ οὐ διηκονήσαμέν σοι; 44 tote apokrithēsontai kai autoi legontes• kyrie, pote se eidomen peinōnta ē dipsōnta ē xenon ē gymnon ē asthenē ē en phylakē kai ou diēkonēsamen soi? 44 Alors ils répondront aussi en disant: « Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim ou ayant soif ou étranger ou nu ou malade ou en prison et nous ne t’avons pas servi? » 44 Alors eux aussi feront cette réponse: « Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim ou ayant soif ou étranger ou nu ou malade ou en prison et nous ne t’avons pas porté assistance? »
    45 τότε ἀποκριθήσεται αὐτοῖς λέγων• ἀμὴν λέγω ὑμῖν, ἐφʼ ὅσον οὐκ ἐποιήσατε ἑνὶ τούτων τῶν ἐλαχίστων, οὐδὲ ἐμοὶ ἐποιήσατε. 45 tote apokrithēsetai autois legōn• amēn legō hymin, ephʼ hoson ouk epoiēsate heni toutōn tōn elachistōn, oude emoi epoiēsate. 45 Alors il leur répondra disant: « Amen je vous le dis: tout ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. » 45 Alors il leur fera cette réponse: « Vraiment, je vous l’assure, tout ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous le l’avez pas fait. »
    46 καὶ ἀπελεύσονται οὗτοι εἰς κόλασιν αἰώνιον, οἱ δὲ δίκαιοι εἰς ζωὴν αἰώνιον. 46 kai apeleusontai houtoi eis kolasin aiōnion, hoi de dikaioi eis zōēn aiōnion. 46 Et ils partiront eux vers un châtiment éternel, et les justes vers la vie éternelle. 46 Et ils partiront pour un châtiment sans fin, et les justes pour une vie sans fin.

  1. Analyse verset par verset

    v. 31 Quand apparaîtra le nouvel Adam accompagné de ses messagers, alors il siègera avec toute sa qualité d’être.

    Littéralement: Quand viendra le fils de l’homme dans sa gloire et tous les anges avec lui, alors il s’assoira sur son trône de gloire.

 
Cette scène semble copiée sur celle de la cour d’un roi avec ses courtisans ou ses fonctionnaires qui s’assoient sur son trône royal pour exercer sa fonction judiciaire. Une telle représentation du jugement final n’est pas nouvelle chez Matthieu :

  • 16, 27 : C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa conduite.
  • 19, 28 : Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi: dans la régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël."

Matthieu reprend une vision théologique familière du monde juif. En effet, il existait un courant de pensée qui croyait que Dieu interviendrait un jour pour mettre fin à l’histoire humaine et exercerait un jugement pour évaluer la conduite humaine, récompenser ceux qui ont fait le bien, punir ceux qui ont fait le mal. Il suffit de regarder quelques textes :

  • Proverbes 24, 12 : Diras-tu: "Voilà! nous ne savions pas?" Celui qui pèse les coeurs ne comprend-il pas? Alors qu’il sait, lui qui a façonné ton âme; c’est lui qui rendra à l’homme selon son oeuvre.
  • Ecclésiastique 11, 26 : C’est qu’il est aisé au Seigneur, au jour de la mort, de rendre à chacun selon ses actes.
  • Ecclésiastique 16, 12-14 : Autant que sa miséricorde, autant est grande sa sévérité, il juge les hommes selon leurs oeuvres. Il ne laisse pas impuni le pécheur avec ses larcins, il ne frustre pas la patience de l’homme pieux. Il tient compte de tout acte de charité et chacun est traité selon ses oeuvres.
  • Ezéchiel 18, 30 : C’est pourquoi je vous jugerai chacun selon sa manière d’agir, maison d’Israël, oracle du Seigneur Yahvé.
  • Zacharie 14, 5 : Et Yahvé mon Dieu viendra, tous les saints avec lui
  • Daniel 12, 2 : "Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle.

C’est surtout à travers le courant apocalyptique que cette idée d’une intervention soudaine de Dieu s’est accentuée. Dans les textes que nous venons de citer, nous en avons deux représentants : les prophètes Ézéchiel et Daniel. Le propre de cette littérature apocalyptique est de se développer dans des situations politiques et religieuses difficiles où, pour celui qui veut demeurer fidèle à Dieu, seule une intervention exceptionnelle de Dieu peut le libérer. C’est dans cette littérature que se répand l’expression « fils d’homme ». En soi, cela ne désigne qu’un être humain. C’est sous ce vocable que se fait appeler le prophète Ézéchiel. Mais chez le prophète Daniel, lors d’une de ses visions, il devient une figure mystérieuse qui vient sur les nuées du ciel et à qui est conféré empire, honneur et royaume, et que tous peuples, nations et langues sont appelés à servir (voir Daniel 7, 13-14). Ce fils de l’homme semble représenter le peuple fidèle que Dieu relèvera de son humiliation à la fin des temps et qui sera appelé à juger toute l’humanité; il devient en quelque sorte la mesure de toute chose, le critère d’évaluation. Ce que les évangiles nous ont transmis de Jésus fait écho à cette ligne pensée, et on en retrouvera un certain nombre d’éléments dans l’Apocalypse de Jean, dont celui du « fils d’homme ».

Devant tout ce qui vient d’être dit, le chrétien d’aujourd’hui peut ressentir un certain malaise.
  • Commençons d’abord par l’idée d’une fin du monde. Notre pensée scientifique est très loin de celle du Judaïsme où Dieu intervient pour mettre fin à l’histoire humaine. En acceptant la théorie du « big bang », le scientifique observe une expansion et une transformation constante de l’univers, et donc conçoit très mal, même chez un croyant, un Dieu qui viendrait brouiller les lois qu’Il a lui-même créées. Bien sûr, dans cinq milliards d’année, le soleil aura brûlé tout son hydrogène et commencera à devenir une étoile géante rouge en fusionnant de l’hélium pour produire du carbone et de l’oxygène, augmentera énormément de volume au point de vaporiser la terre entière qui retournera à son état de gaz galactique. Mais on peut facilement imaginer que l’homme, au cours des cinq milliards prochaines années, aura développé une capacité inouïe de circuler dans l’univers et de transformer son monde. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’homme, en tant qu’individu, meurt. Et c’est ici que cette phrase d’évangile a encore sa pertinence. Car, même si cette idée d’une fin des temps et d’un jugement général n’est pas à prendre à la lettre, il reste que chaque être humain est responsable de ses actes, qu’il aura à vivre les conséquences de ses choix et à faire le bilan de sa vie.

  • Il y a ensuite l’image du Dieu juge. Il a fallu plusieurs années pour se libérer de la figure terrible du Dieu sévère qui porte un jugement sur tout. Qu’est devenu le Dieu d’amour et libérateur? Mais il y a surtout l’idée d’une intervention extérieure qui vient punir, comme un père qui vient donner la fessée à son enfant parce qu’il a désobéi. Vivre la conséquence de ses gestes n’est-il pas suffisant? Il nous faut admettre que nous sommes devant une image qui appartient à un contexte culturel, et nous devons avant tout chercher à comprendre ce qu’on essaie de dire à travers les limites de cette image.

v. 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations. Alors il séparera les gens les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.

Littéralement : Et seront rassemblées devant lui toutes les nations, et il les séparera (aphorisei) les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.

toutes les nations
Il s’agit du procès de l’humanité entière, Juifs et non Juifs. C’est une façon d’affirmer que personne n’y échappera. C’est une façon d’affirmer aussi que l’autorité de Dieu s’étend sur l’univers entier.

aphorisei (il séparera)
L’acte de séparer est l’acte de mettre à part certaines personnes, et donc de les évaluer et de les juger. La communauté chrétienne a repris du Judaïsme cette idée qu’à la fin des temps Dieu exercera son rôle de juge pour séparer ceux qui ont fait le bien de ceux qui ont fait le mal. On le voit chez saint Paul.
  • Romains 2, 5-7 : Par ton endurcissement et l’impénitence de ton coeur, tu amasses contre toi un trésor de colère, au jour de la colère où se révélera le juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres: à ceux qui par la constance dans le bien recherchent gloire, honneur et incorruptibilité: la vie éternelle

Cette idée que chacun sera jugé selon ses actes lors du grand jugement de Dieu est accentuée chez Matthieu qui, en plus de cette scène du jugement dernier, nous en offre quelques autres :

  • Matthieu 13, 47-50 : Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses. Quand il est plein, les pêcheurs le tirent sur le rivage, puis ils s’asseyent, recueillent dans des paniers ce qu’il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde: les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les justes pour les jeter dans la fournaise ardente: là seront les pleurs et les grincements de dents

  • Matthieu 13, 40-43 : De même donc qu’on enlève l’ivraie et qu’on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde: le Fils de l’homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d’iniquité, et les jetteront dans la fournaise ardente: là seront les pleurs et les grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende, qui a des oreilles!

Il ne faut pas se surprendre d’un tel accent sur l’évaluation de l’agir, car l’évangile de Matthieu s’adresse à une communauté judéo-chrétienne, et le Judaïsme est avant tout une orthopraxie, i.e. l’important est d’agir conformément à ce qui est demandé, et non pas une orthodoxie comme on le voit aujourd’hui dans le catholicisme, i.e. l’important est la pensée correcte.

On pourrait poser la question : pourquoi repousse-t-on cette évaluation des gens à la fin des temps? Le Jésus de Matthieu nous raconte cette histoire où le propriétaire d’une ferme demande de retarder la séparation de l’ivraie du blé au temps de la moisson, i.e. au temps où chaque plante aura atteint sa maturité, et donc facilement identifiable. L’image de la moisson évoque la fin des temps, et la demande de retarder la séparation de ce qui est bon et mauvais fait allusion à la difficulté d’opérer actuellement une discrimination entre ce qui est bien et ce qui est mal, et donc tout est remis au jugement de Dieu.

  • Matthieu 13, 28-30 : Il leur dit: C’est quelque ennemi qui a fait cela (semer l’ivraie). Les serviteurs lui disent: Veux-tu donc que nous allions la ramasser? Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le blé. Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs: Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes que l’on fera brûler; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier."

v. 33 D’une part, il y aura les brebis à sa droite, et d’autre part, les boucs à sa gauche.

Littéralement : Et se tiendront d’une part les brebis à sa droite, et d’autre part les boucs à sa gauche.

 
Il est probable que cette scène évoque un événement réel de la vie des gens en Palestine à l’époque de Jésus. La brebis est la femelle du mouton, tandis que le bouc est le mâle dont la femelle est la chèvre. Sans doute tous deux faisaient partie du même pâturage sur lequel veillait le berger, et venait un moment où il fallait former deux troupeaux différents pour de multiples raisons, tout d’abord pour éviter les conflits provoqués par le bouc qui atteignait sa maturité, ensuite pour procéder à la vente des éléments du cheptel. Rappelons que le bouc était l’animal traditionnellement offert en sacrifice pour l’expiation des péchés (voir Lv 4, 23; He 9, 12.19; 14, 4).

à sa droite... à sa gauche
Dans l’histoire de la symbolique, la droite est associée au « bon » côté, au côté noble, à la position de faveur. Est-ce parce que le nombre de droitiers surpassent le nombre de gauchers dans l’histoire de l’humanité, et donc la droite devient la règle par rapport à laquelle les gauchers dévient? Peu importe, nous trouvons de nombreux passages dans la Bible associant la droite au bon côté. En voici quelques exemples :

  • Genèse 48, 14 : Mais Israël étendit sa main droite et la posa sur la tête d’Éphraïm, qui était le cadet (lui assurant une bénédiction plus grande que celui sur lequel il a posé sa main gauche).
  • Exode 15, 6 : Ta droite, Yahvé, s’illustre par sa force, ta droite, Yahvé, taille en pièces l’ennemi (c’est la main la plus forte).
  • Lévitique 7, 32 : A titre de prélèvement sur vos sacrifices de communion, vous donnerez au prêtre la cuisse droite (la meilleure part).
  • 1 Rois 2, 19 : Bethsabée se rendit donc chez le roi Salomon pour lui parler d’Adonias, et le roi se leva à sa rencontre et se prosterna devant elle, puis il s’assit sur son trône, on mit un siège pour la mère du roi et elle s’assit à sa droite (position de faveur).
  • 2 Maccabées 14, 33 : Nikanor leva la main droite (main pour prêter serment) vers le Temple et affirma avec serment: "Si vous ne me livrez pas Judas enchaîné, je raserai cette demeure de Dieu, je détruirai l’autel, et, au même endroit, j’élèverai à Dionysos un sanctuaire splendide."
  • Psaume 16, 8 : J’ai mis Yahvé devant moi sans relâche; puisqu’il est à ma droite (être au côté de quelqu’un pour l’appuyer), je ne bronche pas.
  • Psaume 110, 1 : Oracle de Yahvé à mon Seigneur: "Siège à ma droite (poste privilégié), tant que j’aie fait de tes ennemis l’escabeau de tes pieds."

Pourquoi les brebis à droite et les boucs à gauche? Sur le plan symbolique, il est sans doute normal d’associer la brebis au côté droit : celle-ci donne du lait, une laine abondante et peut engendrer des agneaux, et donc a plus de valeur que le bouc dont la laine est sans doute moins importante et dont le nombre n’a pas besoin d’être élevé afin d’assurer la survie de l’espèce. Sur le plan symbolique, ce dernier point est intéressant : le petit nombre de boucs dans le troupeau laisse entendre que le nombre de ceux qui reçoivent les reproches du juge est moins élevé que ceux qui reçoivent des éloges.

v. 34 Le roi dira alors à ceux qui sont à sa droite : « Venez! Vous que mon Père n’a cessé d’estimer, recevez en héritage le domaine qui est le vôtre depuis la fondation du monde.

Littéralement : Alors il dira le roi à ceux qui sont à sa droite : « Venez! Les bénis (eulogēmenoi) de mon père, recevez (klēronomēsate) en héritage le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde (apo katabolēs kosmou).

le roi
Nous sommes surpris de voir un changement dans les personnages, car on s’attendrait à retrouver l’expression « fils de l’homme (ou nouvel Adam) » qui exerce sa fonction de juge, et non le mot « roi » qui apparaît subitement et est mentionné pour la première fois dans ce récit. C’est comme si Matthieu faisait référence à une autre source, comme celle à l’origine de certaines de ses paraboles où il est question du royaume de Dieu :
  • 18, 23 : "A ce propos, il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
  • 22, 2 : "Il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils.

Même si on parle souvent du règne du Christ, il est très rare que le titre de roi soit attribué de manière positive à Jésus par des croyants ou des disciples ou par Jésus lui-même dans le Nouveau Testament :

  • Jean 1, 49 : Nathanaël reprit: "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël."
  • Jean 18, 37 : Pilate lui dit: "Donc tu es roi?" Jésus répondit: "Tu le dis: je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix."
  • Apocalypse 17, 14 : Ils mèneront campagne contre l’Agneau, et l’Agneau les vaincra, car il est Seigneur des seigneurs et roi des rois, avec les siens: les appelés, les choisis, les fidèles.
  • Apocalypse 19, 16 : Un nom est inscrit sur son manteau et sur sa cuisse: roi des rois et Seigneur des seigneurs.

On associe ici Jésus au roi parce qu’il est celui qui exerce le jugement en tant que fils de l’homme et parce ce roi parle de « mon Père ». Le titre de roi est sans doute appelé par la mention du royaume, domaine propre à un roi.

eulogēmenoi (les bénis)
Le terme grec eulogeō, qu’on traduit habituellement par bénir, signifie littéralement : dire du bien, louanger. Étant donné le contexte où Jésus énumère une série d’actions dont il fait une évaluation, j’ai préféré utiliser un langage du domaine des valeurs comme « estimer ». Dans le Nouveau Testament, « bénir » est souvent attribué à un geste de Jésus, et il est plus rare d’y voire une action de Dieu lui-même. Et dans ce dernier cas, c’est souvent pour faire référence à la bénédiction donnée par Dieu à Abraham. Autrement, on entend décrire les interventions favorables de Dieu.

  • Actes 3, 25 : "Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue avec nos pères quand il a dit à Abraham: Et en ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre.
  • Galates 3, 8-9.14 : Et l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, annonça d’avance à Abraham cette bonne nouvelle: En toi seront bénies toutes les nations. Si bien que ceux qui se réclament de la foi sont bénis avec Abraham le croyant... afin qu’aux païens passe dans le Christ Jésus la bénédiction d’Abraham et que par la foi nous recevions l’Esprit de la promesse
  • Éphésiens 1, 3 : Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ.
  • Hébreux 6, 7 : En effet, lorsqu’une terre a bu la pluie venue souvent sur elle, et qu’elle produit des plantes utiles à ceux-là mêmes pour qui elle est cultivée, elle reçoit de Dieu une bénédiction.
  • Hébreux 6, 14 : en disant: Certes, je te (Abraham) comblerai de bénédictions et je te multiplierai grandement.

klēronomēsate (recevez)
L’image de l’héritage est indicatrice de notre relation au royaume : c’est la propriété de Dieu, et on y a accès que si Dieu veut bien nous le donner sous forme d’héritage (voir Mt 21,38 et la parabole des vignerons homicides qui veulent s’emparer de force de l’héritage et se voient éliminés). Car personne ne peut revendiquer le droit à ce royaume; c’est la décision de Dieu. Qui sont donc les héritiers? La suite du récit nous décrira ces héritiers. Mais on peut regarder pour l’instant à un échantillon de références au terme klēronomeō pour constater qu’il a presqu’exclusivement une connotation religieuse, et largement en rapport avec le royaume de Dieu.

  • Matthieu 5, 5 : Heureux, les gens doux, car ils recevront en héritage la terre
  • Matthieu 19, 29 : Et quiconque aura laissé maisons, frères, soeurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle
  • Marc 10, 17 : Il se mettait en route quand un homme accourut et, s’agenouillant devant lui, il l’interrogeait: "Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?" (suit l’énumération des commandements)
  • Actes 20, 32 : "Et à présent je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, qui a le pouvoir de bâtir l’édifice et de procurer l’héritage parmi tous les sanctifiés.
  • Actes 26, 18 : pour leur (les païens) ouvrir les yeux, afin qu’elles reviennent des ténèbres à la lumière et de l’empire de Satan à Dieu, et qu’elles obtiennent, par la foi en moi, la rémission de leurs péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés.
  • Romains 8, 17 : Enfants (tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu), et donc héritiers; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui.
  • 1 Corinthiens 6, 9-10 : Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront pas du Royaume de Dieu? Ne vous y trompez pas! Ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de moeurs infâmes, ni voleurs, ni cupides, pas plus qu’ivrognes, insulteurs ou rapaces, n’hériteront du Royaume de Dieu.
  • 1 Corinthiens 15, 50 : Je l’affirme, frères: la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité.
  • Galates 4, 6-7 : Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père! Aussi n’es-tu plus esclave mais fils; fils, et donc héritier de par Dieu.
  • Éphésiens 1, 14 : (cet Esprit Saint) qui constitue les arrhes de notre héritage
  • Jacques 2, 5 : Écoutez, mes frères bien-aimés: Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment?

La première chose que nous remarquons à partir de cet échantillon, c’est qu’il existe des conditions pour hériter de cette réalité qu’on appelle soit la vie éternelle, soit le royaume de Dieu : cette réalité s’adresse aux gens doux, aux gens qui vivent ce que Dieu demande, aux gens qui ne sont pas injustes, aux gens qui acceptent de souffrir comme le Christ a souffert. En même temps, il est un don auquel on a accès par la foi, par l’accueil de l’Esprit Saint, car l’homme mortel ne peut hériter de l’immortalité. Et par là, on devenant fils de Dieu, nous devenons des héritiers de notre Père. Le premier élément de cet héritage, est l’Esprit de Dieu lui-même.

apo katabolēs kosmou (depuis la fondation du monde)
Nous sommes face à la cosmologie biblique où la création est présentée de façon linéaire : au début, le ciel et la terre furent créés, et il n’y a plus rien à ajouter, et maintenant nous sommes tout près de la fin, au moment où Dieu fait connaître son Fils. C’est ainsi que katabolē désigne ce début de l’univers qui correspond également au début de l’histoire humaine. Avant le début du monde, il y a Dieu qui sait ce qu’il va faire, qui aime son Fils, qui le choisit déjà en vue de la fin des temps, et qui connaît d’avance ceux qui sont ses fils héritant de ce royaume qu’il a planifié leur donner. Regardons le terme katabolē ailleurs dans le Nouveau Testament :

  • Matthieu 13, 35 : pour que s’accomplît l’oracle du prophète: J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je clamerai des choses cachées depuis la fondation du monde (voir le Psaume 78, 2)
  • Luc 11, 50 : afin qu’il soit demandé compte à cette génération du sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la fondation du monde
  • Jean 17, 24 : Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.
  • Éphésiens 1, 4 : C’est ainsi qu’Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour
  • Hébreux 4, 3-4 : Nous entrons en effet, nous les croyants, dans un repos, selon qu’il a dit: Aussi ai-je juré dans ma colère: Non, ils n’entreront pas dans mon repos. Les oeuvres de Dieu certes étaient achevées dès la fondation du monde, puisqu’il a dit quelque part au sujet du septième jour: Et Dieu se reposa le septième jour de toutes ses oeuvres.
  • Hébreux 9, 26 : car alors il (le Christ) aurait dû souffrir plusieurs fois depuis la fondation du monde. Or c’est maintenant, une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour abolir le péché par son sacrifice.
  • 1 Pierre 1, 20 : discerné (le Christ) avant la fondation du monde et manifesté dans les derniers temps à cause de vous.
  • Apocalypse 13, 8 : Et ils l’adoreront (la bête), tous les habitants de la terre dont le nom ne se trouve pas écrit, dès la fondation du monde, dans le livre de vie de l’Agneau égorgé.
  • Apocalypse 17, 8 : "Cette Bête-là, elle était et elle n’est plus; elle va remonter de l’Abîme, mais pour s’en aller à sa perte; et les habitants de la terre, dont le nom ne fut pas inscrit dès la fondation du monde dans le livre de vie

Notons qu’on ne parle pas de prédestination. On veut simplement affirmer que l’événement Jésus et le drame vécu par les chrétiens ne sont pas des accidents de l’histoire, mais quelque chose que Dieu a su et a en quelque sorte voulu depuis toujours.

v. 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli,

Littéralement : Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli,

 
Nous sommes devant ce qui constitue les soins de base de la personne : manger et boire afin de survivre, le vêtement pour se protéger du froid, le soutien lorsqu’on est sans logement ou malade ou lorsqu’on perd sa liberté et sa source de revenu dans une prison. Ces paroles du Jésus de Matthieu semblent reprendre l’éthique humaniste du Judaïsme (voir par exemple Proverbes 25, 21 où on invite à donner à manger et boire même à son ennemi). Cette éthique est reprise un peu partout dans l’ensemble du Nouveau Testament.

S’assurer que les gens aient à manger et à boire :

  • Matthieu 10, 42 : "Quiconque donnera à boire à l’un de ces petits rien qu’un verre d’eau fraîche, en tant qu’il est un disciple, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense."
  • Luc 3, 11 : Il leur répondait: "Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même."
  • Luc 14, 13 : Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles
  • Actes 6, 1 : En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, il y eut des murmures chez les Hellénistes contre les Hébreux. Dans le service quotidien, disaient-ils, on négligeait leurs veuves.
  • Romains 12, 20 : Bien plutôt, si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire; ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête.
  • 1 Corinthiens 11, 33 : Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour le Repas, attendez-vous les uns les autres.

Offrir l’hospitalité :

  • Matthieu 10, 40 : "Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.
  • Romains 12, 13 : prenant part aux besoins des saints, avides de donner l’hospitalité.
  • Colossiens 4, 10 : Aristarque, mon compagnon de captivité, vous salue, ainsi que Marc, le cousin de Barnabé, au sujet duquel vous avez reçu des instructions: s’il vient chez vous, faites-lui bon accueil.
  • 1 Pierre 4, 9 : Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer.
  • Hébreux 13, 2 : N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges.

Vêtir ceux qui sont nus :

  • Luc 3, 11 : Il leur répondait: "Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même."
  • Actes 9, 36.39 : Il y avait à Joppé parmi les disciples une femme du nom de Tabitha, en grec Dorcas. Elle était riche des bonnes oeuvres et des aumônes qu’elle faisait... Pierre partit tout de suite avec eux. Aussitôt arrivé, on le fit monter à la chambre haute, où toutes les veuves en pleurs s’empressèrent autour de lui, lui montrant les tuniques et les manteaux que faisait Dorcas lorsqu’elle était avec elles.
  • Jacques 2, 15-16 : Si un frère ou une soeur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise: "Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous", sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il?

Soutenir les êtres souffrants et prisonniers :

  • Luc 10, 33-34 : Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui.
  • 2 Thimothées 1, 16-18 : Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, car souvent il m’a réconforté, et il n’a pas rougi de mes chaînes; au contraire, à son arrivée à Rome, il m’a recherché activement et m’a découvert. Que le Seigneur lui donne d’obtenir miséricorde auprès du Seigneur en ce Jour-là. Quant aux services qu’il m’a rendus, à Éphèse, tu les connais mieux que personne.
  • Hébreux 13, 3 : Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez emprisonnés avec eux, et de ceux qui sont maltraités, comme étant vous aussi dans un corps.
  • Jacques 5, 13-14 : Quelqu’un parmi vous souffre-t-il? Qu’il prie. Quelqu’un est-il joyeux? Qu’il entonne un cantique. Quelqu’un parmi vous est-il malade? Qu’il appelle les presbytres de l’Église et qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur.

v. 36 nu et vous m’avez vêtu, j’ai été malade et vous m’avez rendu visite, j’étais en prison et vous êtes venu vers moi. »

Littéralement : nu et vous m’avez vêtu, j’ai été malade et vous m’avez rendu visite, j’étais en prison et vous êtes venu vers moi. »

v. 37 Alors les justes lui feront cette réponse : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim et t’avons-nous nourri, ou avoir soif et t’avons-nous donné à boire?

Littéralement : Alors répondront à lui les justes (dikaioi) disant : « Seigneur (kyrie), quand t’avons-nous vu (eidomen) ayant faim et nous avons nourri, ou ayant soif et t’avons-nous donné à boire?

dikaioi (justes)
C’est la première fois dans le récit qu’on identifie ceux qui ont été placés à la droite du roi et qui sont « estimés » ou « bénis » par lui. Matthieu les appelle : les justes. À la base, l’adjectif « juste » désigne les actions conformes à ce qui doit être fait et au bon jugement, ou à ce qui est équitable. C’est donc une qualité générale de la personne authentique et vraie, la personne sage. Mais comme dans le Proche-Orient ancien l’action juste sur le plan moral est également inspirée par les prescriptions religieuses, l’être juste est également un être religieux. Aussi, l’être juste s’oppose au pécheur ou à l’être injuste ou à l’être sans Dieu ou qui n’a pas peur de Dieu. Chez Matthieu, on a plusieurs exemples d’êtres justes :
  • 1, 19 : Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit.
  • 5, 45 : afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
  • 9, 13 : En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs."
  • 10, 41 : "Qui accueille un prophète en tant que prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en tant que juste recevra une récompense de juste.
  • 13, 17 : En vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu!
  • 13, 43 : Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père (alors que tous les scandales et tous les fauteurs d’iniquité ou les gens sans loi seront jetés dehors).
  • 13, 49 : Ainsi en sera-t-il à la fin du monde: les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les justes
  • 23, 29 : "Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes
  • 27, 19 : Or, tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire: "Ne te mêle point de l’affaire de ce juste (Jésus)

On aura remarqué que le juste s’oppose au pécheur, ou à l’être méchant, ou à l’être inique ou sans loi, et il est présenté à côté des prophètes comme représentatif du peuple de Dieu. La femme de Pilate voit Jésus comme un juste, un terme bien connu dans la culture gréco-romaine pour parler d’un être innocent et sans reproche. Le terme a donc une connotation universelle, et comme Matthieu dans cette scène du jugement final entend inclure l’univers entier, et non seulement les Juifs, alors le terme de juste est approprié pour désigner les êtres droits de quelque origine qu’ils soient.

kyrie (seigneur)
La racine du mot grec signifie : force, pouvoir. En grec classique, le mot désigne « celui qui est maître de, qui a l’autorité », c’est-à-dire le maître, le maître de maison, le représentant légal, le tuteur (voir notre glossaire). Ainsi, dans la civilisation grecque, le terme renvoie à toute une panoplie d’entités : des possesseurs d’esclaves aux souverains de divers royaumes, en passant par une multitude de dieux. Mais quand les Juifs feront une traduction grecque de l’Ancien Testament au 2e siècle av. J.-C, appelée Septante (LXX), pour éviter d’utiliser le nom propre Yahvé qui doit demeurer imprononçable, ils opteront pour le terme seigneur pour transcrire et remplacer le tétragramme Yhwh. Par là, ils donneront un éclat particulier à un terme plutôt banal, si bien que les empereurs romains finiront par se revêtir de ce titre. Chez les premiers chrétiens, en raison de l’influence de la LXX, mais aussi de l’expression araméenne mārē (maître), qui est utilisé en Daniel 5, 23 pour désigner Dieu ainsi que par les chrétiens d’origine araméenne (voir 1 Corinthiens 16, 22; Apocalypse 22, 20), le terme Seigneur désignera bien sûr Dieu, mais aussi Jésus qui est maintenant exalté à la droite de Dieu (voir Actes 2, 36) et qui sera appelé à juger l’humanité, et même également l’Esprit Saint (voir 2 Corinthiens 3, 17-18).

Si on revient à notre texte du v. 37, « Seigneur » désigne le roi en vertu de son pouvoir de juge. Mais dans la bouche de Matthieu, il désigne également Jésus ressuscité, Fils de l’homme, qui est appelé à juger l’humanité. Et puisque Matthieu insistera pour dire que toute action de compassion vis-à-vis d’un être humain est avant tout une action vis-à-vis du Christ, le terme Seigneur renvoie avant tout au Jésus ressuscité.

eidomen (nous avons vu)
Dans le récit, les justes expriment leur surprise. Quel est l’objet de la surprise? Elle ne concerne pas les actes eux-mêmes, ceux de donner à manger, à boire, le vêtement, l’hospitalité ou le réconfort. Elle concerne la signification de ces gestes. Pour les justes, le sens de leur action était d’aider des individus particuliers, alors que le Jésus de Matthieu leur donne un sens chrétien, i.e. en référence au Christ. Notons qu’à aucun moment du récit on ne parle de foi et le juste n’est attaché à aucune religion. Mais Matthieu tient à donner à tout geste de compassion une dimension chrétienne.

v. 38 Et quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu?

Littéralement : Et quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu?

v. 39 Et quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous venus vers toi? »

Littéralement : Et quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous venus vers toi? »

v. 40 Le roi leur répondra alors: « Vraiment, je vous l’assure, tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.

Littéralement : Et répondant le roi leur dira: « Amen je vous le dis (amēn legō hymin), tout ce que vous avez fait à l’un de ces frères (adelphōn) de moi les plus petits (elachistōn), c’est à moi que vous l’avez fait.

amēn legō hymin (Amen je vous le dis)
Le mot amēn vient de l’hébreu, de la racine ’mn, et il désigne soit une chose solide, soit une personne fiable. Le verbe ’aman signifie faire confiance ou avoir confiance. À la fin d’une prière, il proclame qu’on fait sien son contenu en toute confiance, ou encore, à la fin d’une déclaration solennelle, il en affirme la solidité. Dans les évangiles, il est mis dans la bouche de Jésus (Mt 30 fois, Mc 13 fois, Lc 6 fois, Jn 25 fois) pour introduire une affirmation importante. Il est possible que tout cela remonte à un usage de Jésus lui-même. En reprenant cette expression, les évangiles donnent à l’énoncé qui suit l’autorité de Jésus ressuscité. C’est ce que fait Matthieu ici en mettant tout le poids de l’autorité de Jésus sur les gestes de compassion. Parmi les 30 emplois de Matthieu, donnons quelques exemples :

  • 5, 18 : Car je vous le dis, amēn: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé.
  • 10, 42 : "Quiconque donnera à boire à l’un de ces petits rien qu’un verre d’eau fraîche, en tant qu’il est un disciple, amēn je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense."
  • 11, 11 : "Amēn je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui.
  • 17, 20 : "Parce que vous avez peu de foi leur dit-il. Car, je vous le dis amēn, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible."
  • 18, 3 : et dit: "Amēn je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.
  • 18, 18 : "Amēn je vous le dis: tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié.
  • 18, 19 : "De même, je vous le dis amēn, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux.

adelphōn (frères)
Dans le récit, Jésus montre sa solidarité vis-à-vis les gens sans importance en les appelant « mes frères ». Dans le Nouveau Testament, le terme adelphos peut avoir plusieurs sens : le frère de sang, celui dont on se fait proche socialement, un membre de la communauté chrétienne. Quel est le sens ici? Matthieu n’utilise que très peu souvent l’expression « mes frères ».
  • 12, 48-50 : A celui qui l’en informait Jésus répondit: "Qui est ma mère et qui sont mes frères (adelphos)?" Et tendant sa main vers ses disciples, il dit: "Voici ma mère et mes frères (adelphos). Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère (adelphos) et une soeur et une mère."
  • 28, 10 : Alors Jésus leur dit: "Ne craignez point; allez annoncer à mes frères (adelphos) qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront."

Et donc, ne nous basant sur ces quelques références, on serait porté à croire qu’il s’agirait des disciples de Jésus. Mais le contexte du jugement final est celui de l’ensemble de l’humanité, sans référence à une suite explicite de Jésus. Ainsi, il plus probable que « mes frères » renvoie à tous ceux qui ont su exprimer leur compassion, et donc à leur façon on démontré une attitude digne d’un disciple de Jésus sans en porter l’étiquette.

elachistōn (les plus petits)
Qu’entend-on par ces tous petits? Elachistos est le superlatif de elachys (petit, court, bas). C’est le plus bas dans une échelle de grandeur. On le trouve utilisé à quelques reprises dans le Nouveau Testament :

  • Matthieu 2, 6 : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre (elachistos) des clans de Juda; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël."
  • Matthieu 5, 19 : Celui donc qui violera l’un de ces moindres (elachistos) préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux; au contraire, celui qui les exécutera et les enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le Royaume des Cieux.
  • Luc 12, 26 : Si donc la plus petite chose (elachistos) même passe votre pouvoir, pourquoi vous inquiéter des autres?
  • Luc 16, 10 : Qui est fidèle en très peu (elachistos) de chose est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu (elachistos) est malhonnête aussi en beaucoup.
  • Luc 19, 17 : C’est bien, bon serviteur, lui dit-il; puisque tu t’es montré fidèle en très peu de chose (elachistos), reçois autorité dix villes.
  • 1 Corinthiens 4, 3 : Pour moi, il m’importe fort peu (elachistos) d’être jugé par vous ou par un tribunal humain. Bien plus, je ne me juge pas moi-même.
  • 1 Corinthiens 6, 2 : Ou bien ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde? Et si c’est par vous que le monde doit être jugé, êtes-vous indignes de prononcer sur des riens (elachistos) ?
  • 1 Corinthiens 15, 9 : Car je suis le moindre (elachistos) des apôtres; je ne mérite pas d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu.
  • Jacques 3, 4 : Voyez encore les vaisseaux: si grands qu’ils soient, même poussés par des vents violents, ils sont dirigés par un tout petit (elachistos) gouvernail, au gré du pilote.

Le mot s’applique donc aux réalités généralités de la vie et aux choses sans importance ou insignifiante, ou encore qui sont mineures. Le superlatif est une façon d’affirmer qu’il n’existe rien qui soit inutile ou qui ne doit pas retenir notre attention.

v. 41 Alors il dira à ceux qui sont à sa gauche: « Allez loin de moi au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses messagers.

Littéralement : Alors il dira aussi à ceux qui sont à sa gauche : « Allez loin de moi au feu (pyr) éternel qui a été préparé pour le diable (diabolō) et ses anges.

pyr (feu)
On peut dire que Matthieu est un spécialiste du feu, car il est celui qui en parle le plus, en particulier de la géhenne de feu. À part un passage de la lettre de Jude (7), il est le seul à mentionner un « feu éternel » (voir Géhenne ou Vallée de Hinnon, au sud du premier mur sur la carte de Jérusalem). Il faut d’abord se rappeler que la géhenne désigne un terrain à Jérusalem qui servait de dépotoir et où un feu était allumé en permanence pour brûler les déchets. On imagine facilement comment ce dépotoir a pu servir d’image pour décrire l’élimination définitive du mal à la fin des temps. En plus de notre verset, regardons les autres utilisations chez Matthieu :

  • 3, 10-12 : Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. Pour moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du repentir; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne d’enlever les sandales; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire; il recueillera son blé dans le grenier; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s’éteint pas."
  • 5, 22 : Eh bien! moi je vous dis: Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal; mais s’il dit à son frère: Crétin! il en répondra au Sanhédrin; et s’il lui dit: Renégat!, il en répondra dans la géhenne de feu.
  • 7, 19 : Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu.
  • 13, 40-42 : De même donc qu’on enlève l’ivraie et qu’on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde le Fils de l’homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d’iniquité, et les jetteront dans la fournaise de feu: là seront les pleurs et les grincements de dents.
  • 13, 49-50 : Ainsi en sera-t-il à la fin du monde: les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les justes pour les jeter dans la fournaise de feu: là seront les pleurs et les grincements de dents.
  • 17, 15 : "Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal: souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l’eau.
  • 18, 8-9 : "Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi: mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel. Et si ton oeil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi: mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.

On remarquera les images d’une culture agraire où on sépare les bonnes et mauvaises plantes, et où on met au feu les mauvaises, comme on peut le faire encore aujourd’hui. Pour un être authentique, ces images permettent d’avoir un soupir de soulagement devant l’espoir d’une élimination du mal.

diabolō (diable)
Le mot grec diabolos est formé de deux termes, dia, qui signifie « à travers », et ballō, qui signifie « jeter » ou « lancer ». Il pouvait désigner ce bâton qu’on pouvait lancer à travers les barreaux de roue d’un char pour l’enrayer. En référence à une personne, le substantif signifie : l’homme médisant, le calomniateur, et le verbe signifie : accuser, dénoncer. Dans les évangiles, le terme n’est pas si fréquent : le diable joue un rôle dans le récit des tentations de Jésus (Mt 4, 1-11 || Lc 4, 2-12), il est celui qui sème l’ivraie (Mt 13, 39) ou enlève la semence de la Parole de Dieu (Lc 8, 12), il est celui qui prend le contrôle de Judas (Jn 6, 70; 13, 2). Il désigne ainsi l’adversaire du plan de Dieu. Aujourd’hui, nous parlerions d’une force qui s’oppose à la vie, mais le Nouveau Testament aime personnaliser les choses. Et c’est ainsi que cet adversaire a comme Dieu toute une cour pour le soutenir, des messagers ou anges. C’est comme si deux armées s’affrontaient, et plusieurs récits apocalyptiques décriront cette confrontation finale. Mais l’issue de ce combat est connue : la force adverse sera détruite et jetée dans cette poubelle éternelle.

v. 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire,

Littéralement : Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire,

v. 43 j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. »

Littéralement : j’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et en prison et vous ne m’avez pas rendu visite. »

v. 44 Alors eux aussi feront cette réponse: « Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim ou ayant soif ou étranger ou nu ou malade ou en prison et nous ne t’avons pas porté assistance? »

Littéralement : Alors ils répondront aussi en disant: « Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim ou ayant soif ou étranger ou nu ou malade ou en prison et nous ne t’avons pas servi? »

v. 45 Alors il leur fera cette réponse: « Vraiment, je vous l’assure, tout ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous le l’avez pas fait. »

Littéralement : Alors il leur répondra disant: « Amen je vous le dis: tout ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. »

 
Il y a peu de choses à dire de tous ces versets. Nous avons une répétition du dialogue que le roi a eu avec les justes, sauf qu’il prend la forme de reproches concernant ce qui aurait dû être fait, et qui n’a pas été fait. Mais il vaut la peine de relever un point important de la vie morale : on identifie trop souvent le mal à des actions répréhensibles comme tuer ou voler ou calomnier quelqu’un, alors que le mal prend ici la forme d’une absence d’action.

v. 46 Et ils partiront pour un châtiment sans fin, et les justes pour une vie sans fin.

Littéralement : Et ils partiront eux vers un châtiment (kolasin) éternel (aiōnion), et les justes vers la vie (zōēn) éternelle (aiōnion).

kolasin aiōnion (châtiment éternel)
Le verbe kolazō (châtier) signifie littéralement : élaguer, émonder, retrancher, contenir, corriger, d’où l’action de châtier ou punir est dérivée. Il est très peu utilisé dans le Nouveau Testament, et c’est ici le seul emploi de Matthieu.
  • Actes 4, 21 : Cependant, après de nouvelles menaces, ils les relâchèrent, ne voyant pas comment les punir (kolazō), à cause du peuple: car tout le monde glorifiait Dieu de ce qui s’était passé.
  • 2 Pierre 2, 9 : c’est que le Seigneur sait délivrer de l’épreuve les hommes pieux et garder les hommes impies pour les châtier (kolazō) au jour du Jugement
  • 1 Jean 4, 18 : Il n’y a pas de crainte dans l’amour; au contraire, le parfait amour bannit la crainte, car la crainte implique un châtiment (kolasis), et celui qui craint n’est point parvenu à la perfection de l’amour.

Le seul texte qui a une certaine similitude avec celui de Matthieu est 2 Pierre avec sa référence au jour du jugement et à son contexte apocalyptique. On ne sait absolument rien de ce châtiment, sinon que les hommes sauront qu’ils n’ont pas agi en accord avec ce que Dieu attendait. La 2e lettre de Pierre fait référence à la destruction de Sodome et Gomorrhe, mais une telle image ne donne pas de détail sur ce qui attend les impies. Enfin, quand on regarde le terme kolasis dans la Septante, on y reçoit peu d’information nouvelle : le terme reçoit le sens habituel d’un châtiment pour corriger un comportement (voir Sagesse 11, 13; 16, 1-2; 16, 24; 19, 4; LXX: Jérémie 18, 20; LXX: Ézéchiel 14, 3-4; 18, 30; 43, 11; 44, 12; 3 Maccabées 1, 3; 7, 10; 4 Maccabées 8, 9).

Notons enfin que plutôt que d’avoir « châtiment sans fin », on se serait attendu à « mort sans fin », puisque l’expression est mise en opposition à « vie sans fin ». C’est d’ailleurs ce que fait quelqu’un comme Paul (Romains 6, 23 : Car le salaire du péché, c’est la mort; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur). Il faut accepter que notre récit préfère demeurer vague, sans vraiment préciser ce qu’est exactement ce châtiment sans fin.

zōēn aiōnion (vie éternel)
Par le contexte, on sait qu’il s’agit d’une vie future, lors du jugement de Dieu. Les écrits synoptiques (il en est autrement pour Jean) parlent peu de « vie éternelle ».
  • Matthieu 19, 16 : Et voici qu’un homme s’approcha et lui dit: "Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle? " (|| Mc 10, 17 || Lc 18, 18)
  • Matthieu 19, 29 : Et quiconque aura laissé maisons, frères, soeurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle (|| Mc 10, 30 || Lc 18, 30)
  • Luc 10, 25 : Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit pour l’éprouver: Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?"

Ces références à la vie éternelle vont dans la même direction : il y a d’une part, la vie humaine

  • où l’individu doit mettre en pratique les commandements (Ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère),
  • où l’individu doit aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force et de tout son esprit et son prochain comme lui-même (le texte de Luc est suivi ici par la parabole du bon Samaritain),
  • où le disciple a laissé maison, frères, soeurs, mère, père, enfants ou champs pour suivre Jésus

et il y a d’autre part sa suite à une telle vie

  • Dieu donne la vie éternelle en héritage à la fin des temps

Notre v. 46 va dans le même sens, puisque veiller sur l’affamé, l’assoiffé, le pauvre, l’étranger, le malade et le prisonnier fait écho au récit du bon Samaritain chez Luc; il illustre ce que signifie aimer Dieu de tout son être et le prochain comme soi-même; il est la face positive des commandements.

Notons enfin que cette notion de « vie éternelle », liée à une résurrection générale à la fin des temps (puisqu’on ne peut entrer dans la vie sans un corps), est récente dans le Judaïsme, puisqu’elle est apparue vers le 2e siècle av. J.-C. :

  • Daniel 12, 2 : "Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle.
  • 2 Maccabées 7, 9 : Au moment de rendre le dernier soupir: "Scélérat que tu es, dit-il (un des frères Maccabées), tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois."

L'expression zōē aiōnios dans les évangiles-Actes
  1. Analyse de la structure du récit

    v. 31-32a Introduction ou mise en scène – 1) personnages, 2) temps et 2) lieu :
         1) fils de l’homme avec ses messagers, toutes les nations,
         2) fin des temps,
         3) trône de gloire

    v. 32b-33 Action du roi – Il sépare les gens en deux catégories, à sa droite et à sa gauche

    v. 34-40 Dialogue avec ceux à sa droite

    v. 34-36 Parole du roi à ceux à sa droite v. 34 : Invitation à entrer dans le Royaume
    v. 35-36 : Explication de cette invitation – gestes de compassion
    v. 37-39 Réaction de ceux à sa droite : quand ces actions ont-elles eu lieu?
    v. 40 Réponse du roi : quand les actions ont été posées envers ceux dans le besoin

    v. 41-45 Dialogue avec ceux à sa gauche

    v. 41-43 Parole du roi à ceux à sa gauche v. 41 : Ordre d'aller au feu éternel
    v. 42-43 : Explication de cette invitation – aucun geste de compassion
    v. 44 Réaction de ceux à sa droite : quand ces actions auraient-elles dû avoir lieu?
    v. 45 Réponse du roi : quand il y a eu des gens dans le besoin

    Conclusion : deux lieux différents, i.e. celui d’un châtiment sans fin, celui d’une vie sans fin

    • Le récit est fondamentalement très simple et comporte une structure symétrique. Le coeur du récit est une séparation opérée par le roi (Fils de l’homme) pour déterminer ceux qui entreront dans un royaume de vie éternelle, et ceux qui seront jetés dans une poubelle éternelle. Autour de cette action centrale a lieu un dialogue entre le roi et les deux groupes de gens pour l’éclairer d’une justification.

  2. Analyse du contexte

    1. Contexte immédiat

      • Ce récit du jugement dernier s’insère dans un long discours de Jésus (24, 4 – 25, 46) prononcé au mont des Oliviers et est introduit par la question de ses disciples : "Dis-nous quand cela aura lieu (destruction du temple), et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde." Nous baignons donc dans une atmosphère eschatologique, i.e. des derniers temps. Ce discours pourrait se décomposer comme ceci :

        1. Réponse de Jésus à la question sur les signes et du moment de la fin
          1. La fin des temps sera précédée d’une période difficile (24, 4 - 14)
            1. Ce sera une période de faux messies
            2. Ce sera une période de bouleversements
            3. Ce sera une période de persécution
            4. Ce sera une période de faux prophètes
            5. Ce sera une période où l’amour se refroidira
            6. Ce sera l’occasion de se montrer résilient et de proclamer la Bonne Nouvelle à toutes les nations
          2. La fin commencera avec des jours terribles pour Jérusalem (24, 15 – 25)
            1. La situation obligera les gens à devenir des réfugiés
            2. Ce sera une période de faux Christ et de faux prophètes
          3. L’arrivée du fils de l’homme ne fera aucun doute (24, 26 – 35)
            1. Il est inutile de se mettre à sa recherche
            2. Le cosmos sera bouleversé
            3. Puis le fils de l’homme apparaîtra sur les nuées et ses anges rassembleront les élus des quatre coins de la terre avec des trompettes

        2. Comme on ne connaît pas le moment, il faut veiller (24, 36 – 25, 30)
          1. Ce moment sera aussi imprévu que le déluge et aucun signe extérieur ne permettra d’identifier élus et non élus
          2. Aussi il faut se comporter jour et nuit en être responsable, pour être prêt en tout temps
          3. Trois paraboles illustrant ce point
            1. Mettez-vous à la place d’un maître qui a confié son domaine à un intendant, comment réagira-t-il devant un bon ou un mauvais intendant?
            2. Comme le montre la parabole des 10 vierges, il faut être prêt à une longue attente, sinon on risque de manquer cette rencontre avec le fils de l’homme
            3. Comme le montre la parabole des talents, ce moment de longue attente est un temps où on doit faire fructifier ce qu’on nous a confié, autrement nous ne serons pas prêts pour le royaume

        3. Récit du jugement dernier qui crée deux catégories de gens (25, 31-46)

      • Ce grand discours est une construction de Matthieu, utilisant des matériaux divers. Comme on l’a vu, on pourrait le diviser en trois parties :

        1. Jésus répond à la question posée sur le moment de la fin des temps et de son retour en évoquant les tribulations qui précèdent, mais en les assurant que sa venue sera très visible, et ils n’ont donc pas à s’inquiéter. Dans cette section, Matthieu suit d’assez près le texte de Marc.

        2. mais il ajoute que, puisque le moment exact est totalement inconnu, l’important est de mettre à profit cette période pour se comporter en être responsable, prêt pour une très longue période et faisant fructifier ce qui nous a été donné, en particulier la parole de l’évangile. Dans cette section, Matthieu s’écarte de Marc et utilise beaucoup de matériel qu’il a commun avec Luc, communément appelé la source Q.

        3. et il termine en donnant une description imagée de la venue du fils de l’homme et du jugement final où les gens sont classés en deux catégories, selon la compassion démontrée. Ce récit est unique à Matthieu.

      • Notre récit du jugement final termine donc ce grand discours qui est, en fait, le dernier de Jésus avant son procès et sa mort. Il ne répond pas à la question originelle des disciples. Il joue plutôt le rôle de conclusion de son enseignement en explicitant les critères d’évaluation de toute l’humanité pour déterminer ceux qui ont mis en pratique son enseignement, et ceux qui ne l’ont pas, et par là faisant connaître ceux qui hériteront du royaume, et ceux qui en seront exclus. Il s’articule bien avec ce qui précède, axé sur la période actuelle qui est une période d’attente, en illustrant comment il faut meubler cette période, exprimant de manière active la compassion.

    2. Contexte de l’ensemble de l’évangile

      • Le discours de Jésus à Jérusalem est en fait le 5e des grands discours qui structurent l’évangile de Matthieu. Rappelons-les :
        • 5, 3 - 7, 28 : le sermon sur la montagne
        • 10, 5 – 42 : le discours de mission
        • 13, 3 – 52 : le discours en paraboles
        • 18, 2 – 35 : le discours sur la communauté
        • 24, 4 – 25, 46 : le discours eschatologique

        Matthieu appelle ces discours ou instructions des logoi, littéralement : des paroles. Or, ce terme renvoie à la description d’Exode 20, 1 sur les paroles de Yahvé données à Moïse au Sinaï, les dix debarim en hébreux, que la Septante grecque a traduits par logoi. Jésus est donc le nouveau Moïse. D’ailleurs le premier discours est donnée sur la montagne (5, 1 : Jésus monta dans la montagne). On peut imaginer que les cinq discours évoquent le Pentateuque, ou les 5 premiers livres de la Bible, ce qui constituait le coeur ou les fondements du Judaïsme, et que les cinq discours de Jésus constituent les fondements de la communauté de Matthieu.

      • La période où fut écrit l’évangile est une période difficile, en particulier pour les communautés judéo-chrétiennes. D’une part, ils vivent le rejet de leurs frères Juifs, qui les considèrent comme des hérétiques. Dans la même période, la jeune Église prend ses distances vis-à-vis d’un nombre de pratique juives comme la circoncision et les restrictions alimentaires (voir Actes 15, 1-29). D’autre part, les piliers Juifs de la jeune Église meurent, comme Jacques, Pierre, Paul. Cela provoque une véritable crise d’identité. Qu’est-ce qu’être chrétien juif? Où sont les points de repère? On n’est pas surpris de voir le Jésus de Matthieu dénoncer l’iniquité (grec : anomia, littéralement : absence de loi; voir Mt 7, 23; 13, 41; 23, 28; 24, 12); beaucoup de chrétiens juifs devaient sentir qu’il n’y avait plus aucune loi, et comme l’a répété souvent Paul, le chrétien est libre par rapport à la Loi. Alors, à travers les cinq discours de Jésus, Matthieu spécifie la loi nouvelle qui gouvernera la pratique chrétienne.

      • Il y a une phrase surprenante qu’on ne retrouve seulement que dans l’évangile de Matthieu, dans le cinquième discours de Jésus : « Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre » (Mt 24, 12). L’absence de loi conduit à une absence d’amour. On a l’impression d’avoir ici un écho d’une situation communautaire. Dans ce contexte, le critère du jugement dernier où chacun sera jugé d’après la compassion qu’il aura su démontrer prend un relief saisissant : n’est-ce pas une parole qui s’adresse directement à gens dont le coeur s’était refroidi?

      • Bref, ce cinquième discours de Jésus, le discours eschatologique, est cohérent avec l’ensemble de l’évangile de Matthieu. Il prolonge ce qui a été amorcé avec le sermon sur la montagne, il balise l’agir chrétien dans un contexte où les chrétiens juifs se demandaient s’il y avait encore des lois, et rappelle que malgré la disparition de toutes ces exigences rituelles et ces contraintes alimentaires, la loi de l’amour restait dans toute sa force.

  3. Analyse des parallèles

    • Ce récit n’a aucun parallèle avec les autres évangiles. Il porte plutôt la marque de thèmes propre à Matthieu :
      • Le fils de l’homme qui siègera sur son trône de gloire : 19, 28; 25, 31
      • Il y aura un rassemblement de tous les hommes à la fin des temps : 13, 47; 25, 32
      • Le jugement sera une séparation : 13, 49; 25, 32
      • Les justes prendront possession du royaume; 13, 47.49; 25, 37.46
      • Les autres seront envoyés au feu éternel : 13, 50; 25, 41

    • Selon le bibliste M.-É. Boismard (voir Synopse des quatre évangiles en français, Tome II : Paris, Cerf, 1972, p. 368), Matthieu se serait inspiré du document Le traité des Deux Voies, un petit traité moral juif, rédigé primitivement en araméen, que nous ne connaissons plus que sous sa forme grecque à travers la Didachè, et dans une traduction latine qui nous est parvenue sous le titre de Doctrina Apostolorum. Voici une partie du texte tel qu’on peut le reconstituer à partir de la Didachè avec certaines variantes de la Doctrina :

      1, 1Il y a deux voies, celle de la vie et celle de la mort (Doctr. ajoute : de la lumière et des ténèbres, sur lesquelles ont été établis deux anges, l’un de justice et l’autre d’injustice).
      1, 2Telle est la voie de la vie : premièrement, tu aimeras le Dieu qui t’a fait; deuxièmement, ton prochain comme toi-même. Tout ce que tu voudrais qu’il ne t’arrive pas, et toi
      1, 3ane le fais pas à autrui; tel est l’enseignement (Doctr. : l’interprétation) de ces paroles :
      2, 2Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne feras pas d’infanticide, tu ne forniqueras pas, tu ne voleras pas, ...tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain, tu ne te parjureras pas, tu ne témoigneras pas à faux, etc.
      2, 7Tu ne haïras personne, mais : certains, tu les réprimanderas; d’autres, tu leur feras miséricorde; d’autres, tu prieras pour eux; d’autres, tu les aimeras plus que ton âme.
      3, 1Mon fils, fuis tout (ce qui est) mal.
      3, 2Ne sois pas coléreux, car la colère conduit au meurtre.
      3, 3Ne sois pas sujet à la convoitise, car la convoitise conduit à la fornication...

      La pièce centrale de ce traité est « ce que tu hais, ne le fais à personne ». C’est ce qu’essaie de préciser l’Ancien Testament :

      • Ezéchiel 18, 7 : « n’opprime personne, rend le gage d’une dette, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim et couvre d’un vêtement celui qui est nu »;
      • Isaïe 58, 7 : N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair?
      • Tobie 4, 16 : Donne de ton pain à ceux qui ont faim, et de tes habits à ceux qui sont nus. De tout ce que tu as en abondance, prends pour faire l’aumône; et quand tu fais l’aumône, n’aie pas de regrets dans les yeux.

      Et c’est ce qu’essaie de faire Matthieu ici.

  4. Intention de l'auteur en écrivant ce passage

    • C’est le dernier discours de Jésus avant que commencent les événements qui aboutiront à son procès et à sa mort. Matthieu a placé de manière tout à fait logique un enseignement adressé à sa communauté, concernant la façon d’agir pendant l’absence de son maître, et rappelant que tous auront à rendre compte de leur action lors du jugement final. En faisant cela, Matthieu n’innove pas, car l’essentiel se trouve déjà dans l’Ancien Testament : la sollicitude avec les assoiffés, les affamés, les pauvres, les étrangers, les malades et les prisonniers est présente un peu partout; et la perspective d’un jour de Yahvé où Il jugera chacun selon ses actes fait partie de la foi d’un grand nombre de Juifs, et on verra à ce moment qui a choisi la vie et qui a choisi la mort. Néanmoins, Matthieu donne à tout cela une perspective chrétienne : c’est le Christ ressuscité, appelé Fils de l’homme, qui présidera ce jugement final et évaluera les actions humaines, et les gestes de compassion vis-à-vis des hommes sont fondamentalement des gestes de compassion vis-à-vis du Christ ressuscité lui-même. Il donne également à la scène une dimension universelle : les critères de jugement s’appliquent à tous, Chrétiens et non Chrétiens, Juifs et non Juifs, si bien que le critère de jugement n’est pas la foi ou l’appartenance religieuse ou le fait d’être baptisé, mais la compassion démontrée. La surprise des gens qui ne savaient même pas que c’est le Christ ressuscité qu’ils soutenaient laisse entendre qu’il pourrait s’agir de gens qui n’ont même jamais entendu parler du Christ, mais qu’on considère comme des « chrétiens » sans le savoir.

    • Rappelons-nous également que la communauté judéo-chrétienne de Matthieu vit des moments difficiles : elle est rejetée par la communauté juive et est probablement exclue des synagogues, beaucoup des lois rituelles et des prescriptions alimentaires qui faisaient partie de l’identité juive sont tombées, et voilà que ce retour du Christ qu’on attendait pour bientôt n’arrive pas. Tout cela est suffisant pour provoquer une crise d’identité et une forme de déprime communautaire. Matthieu entreprend le projet de « catéchiser » à nouveau sa communauté. En Jésus, ils ont un nouveau Moïse qui leur donne une loi nouvelle, et donc ils ne sont pas sans loi. Et cette loi se résume dans l’amour du prochain. Pour sortir la communauté de sa torpeur, Matthieu va frapper son imagination en agitant la menace pour les chrétiens d’être exclus du royaume et d’être rejetés dans les ténèbres ou dans la géhenne de feu. Il leur rappelle qu’ils ont à choisir entre le chemin de la vie et celui de la mort. C’est ce que reprend cette scène du jugement dernier. À ce moment il sera inutile de revendiquer leur titre de chrétien : seuls leurs actes compteront.

    • Bref, Matthieu leur dit ceci : notre maître est absent, mais vous pouvez le rejoindre dès aujourd’hui en exprimant votre compassion envers ceux qui sont dans le besoin, et par là vous hériterez de la vie éternelle, et vous ne vous retrouverez pas avec ceux qui connaîtront le châtiment éternel.

  5. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

    1. Suggestions provenant des différents symboles du récit

      • La symbolique du jugement peut emprunter plusieurs directions. Habituellement, nous n’aimons pas cette symbolique qui a une connotation négative. Pourtant, elle fait partie de la vie quotidienne. À l’école, les jeunes voient leur rendement scolaire évalué. Les fonctionnaires doivent passer par une évaluation annuelle de rendement. Beaucoup de hauts gestionnaires espèrent un bonus suite au rendement de leur portefeuille. Qu’on apprécie ou non ces évaluations, un fait demeure : les êtres humains évoluent différemment, certains dépassent les attentes, d’autres déçoivent. Qu’est-ce qui se passe quand on se place sur le plan religieux? Peut-on simplement dire : Dieu est bon, et ce que nous faisons n’a pas d’importance?

      • La symbolique de la séparation, comme celle du jugement, nous repousse. On désire tellement l’égalité que commencer à distinguer les gens les uns des autres, à la mettre dans des catégories différentes, nous apparaît antihumain. Pourtant, tout cela fait partie de la vérité des choses. Il a des gens qui savent bien écrire, d’autres qui ne le peuvent pas; il y a des gens qui savent bien parler, d’autres qui ne le peuvent pas. Il y a des gens qui ont su développer une immense capacité d’aimer, et d’autres qui sont encore au stade où les autres sont une menace. Sachant que notre humanité est une telle mosaïque, quelle est l’attitude juste? Une chose est claire, la séparation finale appartient à Dieu seul.

      • La symbolique d’un royaume dont hérite des gens qu’estime Dieu ouvre une perspective inouïe : la vie ne se termine pas avec la mort, mais se déploie dans une dimension éternelle que Dieu seul peut offrir. Cela ne fait qu’accentuer la valeur de cette vie-ci, sachant qu’elle est la première étape et le tremplin pour une réalité beaucoup plus grande. Cela ne change-t-il pas notre regard?

      • La symbolique du rejet ou de l’envoi à la poubelle d’un groupe de personnes peut donner le frisson, surtout en référence à un châtiment éternel. On peut se surprendre à les prendre en pitié. Il ne faut pourtant pas perdre de vue l’affirmation centrale : nos gestes, nos décisions, nos actions ont des conséquences. Tout comme se jeter du haut d’un édifice a un impact sur le corps, ainsi certaines de mes décisions peuvent me détruire. Nous avons sans doute besoin des autres pour voir clair. Sommes-nous prêt à ça?

      • La symbolique de l’homme invisible, i.e. du Christ qui est derrière chaque être dans le besoin est intéressante. Elle rehausse chaque individu, même le plus humble, d’une aura de mystère, d’une dimension spirituelle. Elle peut également signaler notre myopie, comme cette histoire qu’on raconte sur Don Bosco. Il était venu un jour en France et des prêtres lui avaient donné une minable pièce du grenier dans presbytère pour le loger. Plus tard, quand il fut élevé à la sainteté, ces prêtres dirent : « Avoir su, nous lui aurions donné une meilleure pièce ». L’histoire ne se répète-t-elle pas?

    2. Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement

      • Presque chaque jour le bulletin de nouvelle et les journaux parlent de la menace de l’Ébola. Aujourd’hui, un titre : « Le manque de solidarité mondiale inquiète l’ONU ». Qu’apporte l’évangile de ce jour dans une telle situation? Pouvons-nous rester indifférents?

      • Sur le plan international, aider des gens dans le besoin n’est pas évident. On s’en rend compte devant les attaques de l’État islamique. Comment venir en aide à ceux qui ont tout perdu et qui sont déplacés, transis de peur. Accentuer les bombardements aériens? Envoyer des convois de militaire? Chacun y va de sa solution. Quel est le minimum qui peut être fait?

      • Un synode spécial sur la famille se termine au Vatican. Des visions opposées s’affrontent : doit-on montrer plus de compassion vis-à-vis des gens qui ne vivent pas selon les règles de l’Église catholique? Dans toutes ces discussions, qui évoquera l’évangile de ce jour? Parions que l’accent sera mis sur la doctrine immuable de l’Église, sans égard aux gens. Et après avoir tout compartimenté, on se posera la question : où finit la doctrine, où commence la pastorale? Cela reflète-t-il l’approche de Jésus?

      • Il y a un certain temps, un homme avec une maladie mentale, et en état de crise, est mort, tué par les balles de fusil d’un policier dans une situation de légitime défense. Mais une analyse approfondie sur l’ensemble des circonstances ont montré que tout cela aurait pu être mieux géré dès l’origine avec une meilleure préparation de la part des policiers. L’évangile de ce jour peut-il nous motiver à investir temps et énergie pour mieux gérer des malades mentaux mêmes violents?

      • Ma vie est faite de rencontres, dans l’autobus, dans le corridor d’un édifice, au bureau, à la maison. Faut-il chercher longtemps pour trouver des moments où vivre l’évangile?

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 2014