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Glossaire
Ce glossaire comprend un certain nombre de notions, termes, personnages, documents ou événements qui font partie du contexte du Nouveau Testament et aident à le comprendre.
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Amen
Amour
Bénir dans l'Ancien Testament
Charpentier / Artisan / Ouvrier (tektōn)
Christ / Messie
Ciel / cieux (ouranos)
Démon
Diable
Enfant dans le Nouveau Testament
Esprit
Fils de l'homme
Gloire
Inclusion sémitique
Je suis (egō eimi)
Jean-Baptiste
Monnaie dans la Bible
Miracle / Acte de puissance (dynamis)
Nazareth
Pâque juive
Résurrection des morts
Saint / Sainteté
Satan
Seigneur (Kyrios)
Septante
Synagogue
Témoin / témoigner / témoignage
Vérité
Vêtements dans le Nouveau Testament
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Amen |
(Analyse avec l'aide de Jean L'Hour, 'AMAN, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 66-68, André Myre, AMÊN, Nouveau vocabulaire biblique, p. 272-276, et John P. Meier, A Marginal Jew - Rethinking the Historical Jesus. Doubleday (The Anchor Bible Reference Library): New York, 1991-2009, v.2, pp 177-233)
Amēn est la transcription grecque du verbe hébreu : אָמַן (ʾāman). La racine mn renvoit à ce qui est solide et ferme (Ps 89, 53 « Béni soit Yahvé à jamais! Amen! Amen! »). Cet « amen » final a été traduit par la Septante par genoito (que cela arrive, qu'il en soit ainsi), du verbe ginomai (arriver, survenir). Le verbe, pour sa part, décrit l'idée de qui est solide, stable, et donc fiable, comme on le voit en Gn 15, 6 : « Abram se fia (hé'émin) en Yahvé, qui le lui compta comme justice ». Nous ne serons pas surpris d'apprendre que la Septante a souvent traduit ce verbe par « croire » (pisteuein). Quand à la forme nominale אֶמֶט (ʾemeṭ), elle est souvent traduite par vérité (alētheia) pour désigner ce qui est conforme à la réalité ou comme sincère, ce sur quoi on peut se fier.
La présence de amēn dans le Nouveau Testament s'explique par deux sources : le langage de Jésus, et son utilisation dans la liturgie synagogale . Dans les évangiles, il se retrouve exclusivement dans la bouche de Jésus et est toujours suivi de legō (je dis) : (Mt = 31 ; Mc = 13; Lc = 5; Jn = 50; Ac = 0), et legō est surtout suivi de hymin (à vous) (Mt = 29 ; Mc = 12; Lc = 5; Jn = 20; Ac = 0), et parfois de soi (à toi) (Mt = 2 ; Mc = 1; Lc = 0; Jn = 5; Ac = 0). Ce qui caractérise l'évangile selon Jean est l'emploi constant du doublet « amen, amen », ce qu'il est seul à faire. De ce point de vue, l'emploi de l'expression se retrouve dans 25 versets, alors qu'il apparaît dans 31 versets chez Matthieu. On le traduit par : « croyez-en ma parole », « eh bien oui », « je vous le garantis, « croyez-moi ». Nous avons opté pour la traduction : « Vraiment, je vous l'assure ».
- Marc
Il est convenu de considérer l'évangile selon Marc comme le premier à avoir été écrit. L'utilisation de amēn cherche à donner une certaine valeur et une certaine solennité à ce que Jésus est sur le point d'affirmer et, en même temps, est un appel à le croire sur parole. Dans les 13 occurrences du mot chez Marc, onze font référence à un événement futur. Et dans ce dernier cas, l'expression apparaît quatre fois dans un contexte où Jésus s'adresse à un large public, parfois hostile, et sept où il s'adresse à ses disciples
Le futur face à un large public
- En parlant du jugement ou du royaume à venir : le blasphème contre l'Esprit Saint ne sera pas pardonné (3, 28-29); certains ne goûteront pas mort de voir le royaume (9, 1)
- En parlant du temps de l'évangile : on proclamera le geste de la femme versant du nard très cher sur sa tête (14, 9)
- En parlant de son auditoire : Aucun signe ne leur sera donné (8, 12)
Le futur face aux disciples
- En parlant de récompense : qui donne à boire à un chrétien aura sa récompense (9, 41); qui laisse tout aura la vie éternelle (10, 29)
- En parlant de la fin de temps : elle aura lieu au cours de cette génération (13, 30)
- En parlant de la foi : qui a la foi verra ce qu'il veut se réaliser (11, 23)
- En parlant du sort qui l'attend : l'un d'eux va le livrer (14, 18); c'est son dernier repas avant celui dans le royaume (14, 25); Pierre le reniera (14, 30).
Dans les deux occurrences où le regard n'est pas tourné vers le futur, Jésus s'adresse seulement à ses disciples : Qui n'accueille pas le Royaume comme un enfant n'y entrera pas (10, 15); la veuve qui a mis deux piécettes dans le trésor du temps y a mis plus que tous les autres (12, 43). Ces deux cas concernent une attitude fondamentale du coeur humain que discerne Jésus chez les gens et qu'il met en valeur.
Que conclure du amēn de Marc? Tout d'abord, Marc aime bien les termes qui ont une couleur locale, i.e. non grecs. Qu'on se souvienne de Talitha koum (5, 41), Ephphata (7, 34), ou Eloï, Eloï, lama sabaqthani (15, 34). Cette préférence de Marc n'enlève rien à la probabilité que l'expression est très ancienne et remonte sans doute au Jésus historique, étant donné les attestations multiples (Marc, Source Q, Jean). Quand on regarde l'ensemble des occurrences, on note qu'elle semble l'expression d'un prophète qui exprime ses convictions face à l'avenir, et doit donc convaincre son auditoire de le croire sur parole, ou encore un prophète qui porte un regard pénétrant sur le coeur humain et sur la vie, et invite son auditoire à y prêter attention et à retenir ce qu'il dit.
- Luc
Il en est tout autre de l'évangile du Grec Luc. Car ce dernier ne montre aucun attrait pour cette expression. Non seulement elle n'apparaît que cinq fois dans son évangile, mais trois de ces cinq occurrences sont simplement une reprise de Marc (18, 17.29; 21, 21, 32). De plus, à deux reprises il remplace le amēn de Marc par l'adverbe grec alēthōs (vraiment) (voir 9, 27; 21, 3), tout comme il le fait avec la Source Q en 12, 44. Et quand il reprend l'annonce à Pierre de son reniement chez Marc (Mc 14, 30), il supprime tout simplement le amēn (22, 34). Alors on peut se demander comment expliquer les deux occurrences de amēn qui lui sont propres? En 4, 24 (« Et il dit: "Amen, je vous le dis, aucun prophète n'est bien reçu dans sa patrie ») Jésus semble reprendre un dicton bien connu, et donc Luc aurait simplement reproduit telle quelle sa source. En 12, 37 (« Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller! Amen, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l'un à l'autre, il les servira ») nous sommes devant la conclusion d'une parabole qui provient d'une source particulière à Luc, et qu'il semble se contenter de reproduire. Bref, l'évangéliste n'exprime aucun intérêt pour amēn qu'il se contente de reprendre sans plus.
- Matthieu
Il en va tout autrement du Juif Matthieu où amēn apparaît dans 31 versets. Il est vrai que parmi ces verset, 8 viennent de Marc (Mt 10, 42; 16, 28; 18, 3; 21, 21; 24, 34; 26, 13.21.34. Et la part de la Source Q est plus compliquée : comme nous le savons, on considère les passages que partagent seulement Matthieu et Luc comme provenant d'une source qu'ils sont seuls à connaître, appelée Q (de l'Allemand Quelle, i.e. source); dès lors se pose la question : quand amēn est présent chez Matthieu et absent chez Luc dans ces passages, est-ce Matthieu qui l'a ajouté à retranscrivant le passage dans son évangile, ou est-ce plutôt Luc qui l'a retranché enretranscrivant le passage? Toute réponse a une valeur hautement hypothétique, puisqu'on n'a jamais retrouvé de copie de la source Q . Après analyse, nous optons pour l'hypothèse que Matthieu a ajouté amēn à sa source Q. Pourquoi?
- Premièrement, nous notons que les rares fois où amēn semble être présent dans la source Q, Luc l'a explicitement remplacé par son équivalent grec alēthōs (vraiment) : « En vérité je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens » (Mt 24, 27 || Lc 12, 44); c'est exactement ce qu'il avait fait avec deux passages de Marc qui contenaient amēn : Mc 9, 1 || Lc 9, 27; Mc 12, 43 || Lc 21, 3). Nous en déduisons que si Luc ne sent pas le besoin de remplacer amēn par alēthōs, c'est que amēn n'était probablement pas présent dans la source Q.
- Deuxièmement, la Source Q semble préférer l'adverbe affirmatif nai (oui). Par exemple, « Alors qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophète » (nai legō hymin, Mt 11, 9 || Lc 7, 26; voir aussi Mt 11, 26 || Lc 10, 21).
Troisièmement, Matthieu semble tellement aimer amēn qu'il l'ajoute parfois à sa source Marcienne qui, pourtant, en contient beaucoup : par exemple, « Jésus dit alors à ses disciples: "(Amen), je vous le dis, il sera difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux" » (Mc 10, 23 || Mt 19, 23; voir aussi Mc 13, 2 || Mt 24, 2).
Quel rôle fait jouer Matthieu à amēn? C'est une façon d'accentuer le caractère solennel et péremtoire de l'enseignement de Jésus. Et surtout, quand on connaît son côté juif qui met l'accent sur l'orthopraxie, alors les règles qu'il met de l'avant deviennent obligatoires :
- pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé (5, 18)
- le débiteur devra rendre jusqu'au dernier sous (5, 26)
- ne claironne pas ton aumône, ta prière ou ton jeûne (6, 2-16)
- ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié (18, 18)
- dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait (25, 40)
- Jean
Qu'en est-il maintenant de Jean? Comme nous l'avons souligné, il double toujours son amēn qui devient : amēn, amēn, et cela sur 25 versets. Bien sûr, comme pour Matthieu, cela lui permet de donner une grande solennité et importance à ce que Jésus est sur le point d'affirmer. Mais le contenu est différent. On pourrait regrouper ce contenu en quatre catégories.
- Un enseignement sur Jésus lui-même : il est le fils de l'homme en communication avec Dieu (1, 51); il connaît les choses de Dieu (3, 11); le Fils fait exactement ce que le Père fait (5, 19); « avant qu'Abraham existât, Je Suis » (8, 58); il est le berger des brebis (10, 7)
- Un enseignement sur la vie spirituelle : à moins de naître d'en haut, ou de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut voir le royaume de Dieu (3, 3-5); ce n'est pas Moïse, mais Père qui donne le vrai pain venu du ciel (6, 32); si le grain meurt, il porte beaucoup de fruit (12, 24); l'envoyé n'est pas plus grand que celui qui l'a envoyé (13, 20); quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas (21, 18)
- Un enseignement sur les fruits de la foi en Jésus : qui croit a la vie éternelle (5, 24); les morts vivront (5, 25); qui croit a la vie éternelle (6, 47); manger la chair et boire le sang de Jésus donne la vie éternelle (6, 53); qui garde la parole de Jésus ne verra jamais la mort (8, 51); qui croit fera des oeuvres encore plus grandes que celles de Jésus (14, 12); la tristesse se changera en joie (16, 20); tout ce qu'on demandera au Père, il le donnera (16, 23)
- Un enseignement qui révèle les coeurs : chercher Jésus non pour un signe, mais parce qu'on a été rassasié de pains (6, 26); quiconque commet le péché est esclave (8, 34); qui ne passe pas par la porte de l'enclos est un voleur et un bandit (10, 1); l'un des disciples le trahira (13, 21); Pierre le reniera (13, 38)
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Amour |
Dans le Nouveau Testament, le verbe « aimer » est exprimé en grec par deux mots: agapaō et phileō, tandis que le substantif « amour » est exprimé par agapē (ce qui a donné notre mot : une agape, pour désigner un banquet convivial) et philia (au sens d'amitié), et enfin l'adjectif agapētos (ami, cher) et le nom philos (ce qui a donné notre mot : philosophie, i.e. ami de la sagesse). Remontons un peu dans l'histoire.
Dans la culture grecque
Dans l'Odyssée d'Homère (fin du VIIIe siècle av. J.-C), le verbe agapaō est utilisé lorsqu'on dit à Ulysse « Ne te contentes-tu (agapaō) pas de manger avec nous... ». À partir de l'expression « se contenter de » se développe l'idée de : accueillir avec affection, ou montrer de l'affection. Et quand on utilise le mot en rapport avec les choses, il a un sens proche de phileō, i.e. désirer une chose.
Le substantif philos exprime l'appartenance à un groupe social, sans connotation sentimentale. Quand l'adjectif philos est utilisé avec les personnes, il signifie : aimé, chéri, cher. Pour sa part, le verbe phileō signifie : chérir, aimer, avoir de l'amitié pour.
En grec classique, c'est le verbe eraō et le substantif erōs (qui a donné notre adjectif : érotique) qui sert à exprimer le désir et la passion amoureuse. Cependant, aucun terme du vocabulaire érotique n'est entré dans le Nouveau Testament.
Dans l'Ancien Testament
Plusieurs mots servent à exprimer l'acte d'aimer, mais le plus important est ʾāhab (aimer, 216 fois) et son substantif ʾahăbâ (amour, 31 fois). Le verbe ʾāhab décrit toute une gamme de relations humaines : amour de parents pour leur enfant (Gn 22, 2), amour d'un époux pour son épouse (Gn 29, 30), grande amitié (1 S 18, 1), amour d'un esclave pour son maître (Ex 21, 5), relation amoureuse d'un homme et d'une femme (Gn 24, 67). Dans ce dernier cas, on ne se surprendra pas de le retrouver sept fois dans le Cantique des Cantiques. On peut comprendre l'intensité du sentiment exprimé par ʾāhab quand il apparaît avec ses antonymes : haïr, détester.
L'utilisation de ʾāhab et de ʾahăbâ pour décrire la relation de Dieu avec son peuple apparaît d'abord chez Osée (8e s. av. J.C.) : « Yahvé me dit: "Va de nouveau, aime (ʾāhab) une femme qui en aime (ʾāhab) un autre et commet l'adultère, comme Yahvé aime (ʾāhab) les enfants d'Israël » (Osée 3, 1). Mais c'est dans le Deutéronome (7e s. av. J.C.) que l'usage théologique est le plus répandue (18 sur 22 emplois) pour décrire la relation de Dieu avec Israël : en raison de cet amour Dieu exprime sa loyauté (7, 9), son élection (4, 37), son attachement (10, 15), alors que le croyant doit répondre en aimant à son tour : « Tu aimeras (ʾāhab) Yahvé ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (6, 5); de même, il s'attachera à l'observance des commandements (5, 13) et marchera dans ses voies (11, 22).
Quand vint le temps de traduire ʾāhab (aimer), la Septante a eu recours au terme grec agapaō, qui a alors de sens de : montrer de l'affection. Mais le mot revêt alors une signification religieuse qui accentue sa distinction avec eraō et phileō. Saint Jérôme, dans sa traduction latine de la Vulgate, optera pour diligere (aimer) et caritas (amour, ce qui a donné notre mot français : charité).
Dans le Nouveau Testament
Parce que dans le grec classique le verbe agapaō et le substantif agapē se spécialisaient dans l'amour raisonné, fondé sur la connaissance et l'appréciation, il fut choisi par le Nouveau Testament pour exprimer l'amour, en particulier chez Jean et chez Paul. Et on le déclinera sous toutes ses formes : « à la louange de gloire de sa grâce, dont Il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé » (ēgapēmenō, Éphésiens, 1, 6); « Oui, cherchez à imiter Dieu, comme des enfants bien-aimés » (agapēta, Éphésiens 5, 1) Quant à phileō et philos, on les retrouve surtout chez Jean et chez Luc.
Chez Paul
- Pour Paul, agapē fait partie du trio donnant à la vie chrétienne ses assises, comme on le voit dans l'une de ses premières lettres : « Nous nous rappelons en présence de notre Dieu et Père l'activité de votre foi, le labeur de votre amour (agapē), la constance de votre espérance, qui sont dus à notre Seigneur Jésus Christ » (1 Thessaloniciens 1, 3).
- Il est même le membre le plus important des trois : « Maintenant donc demeurent foi, espérance, amour (agapē), ces trois choses, mais la plus grande d'entre elles, c'est l'amour » (1 Corinthiens 13, 13).
- Mais, contrairement à ce pourrait penser, cet amour n'est pas le résultat d'un effort personnel, il est plutôt l'ouverture à un don de Dieu : « Aspirez aux dons supérieurs. Et je vais encore vous montrer une voie qui les dépasse toutes. Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit » (1 Corinthiens 12, 31 - 13, 1).
- Ce don de Dieu est offert à tous au point de départ à travers le don de l'Esprit Saint : « Et l'espérance ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné . » (Romains 5, 5).
- C'est d'abord Dieu, le premier, qui nous a aimé : « mais la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous » (Romains 8, 8).
- Et cet amour n'est pas un vague sentiment, mais une force transformatrice : « que le Christ habite en vos coeurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l'amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu. A Celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Éphésiens 3, 17-20).
- Et bien sûr, l'objet principal de cet amour, c'est le prochain : « N'ayez de dettes envers personne, sinon celle de l'amour mutuel. Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi » (Romains 13, 8).
- L'amour est ce qui donne son sens à tout ce que nous faisons, et sans lui tout est futile : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert de rien » (1 Corinthiens 13, 3).
Quant à phileō, il joue un rôle secondaire et limité. On le trouve à l'occasion dans certaines phrases où on s'attendrait à voir agapaō : « Si quelqu'un n'aime (phileō) pas le Seigneur, qu'il soit anathème! "Maran atha." » (1 Corinthiens 16, 22). C'est surtout les mots composés autour de cette racine qu'utilise Paul : philotheos (celui qui aime Dieu, 2 Timothée 3, 4), philadelphia (amour fraternel, Romains 12, 10), philēma (baiser, Romains 16, 16), philoxenia (hospitalité, Romains 12, 13).
Deux textes importants sur l'amour : 1 Corinthiens 13, 1-13; Romains 8, 35-39.
Dans les évangiles
- Chez Matthieu, sur les huit emplois du verbe, sept se réfèrent à l'amour du prochain, en particulier l'amour des ennemis dans le Sermon sur la montagne, et la seule référence à l'amour de Dieu (Mt 22, 37) est une reprise de Marc qui cite le Deutéronome.
- Chez Marc, l'usage est encore plus restreint : sur les cinq emplois du verbe, aucun ne semble venir de sa plume. Un seul passage mentionne que Jésus « aima » un homme qui lui dit observer les commandements depuis sa jeunesse (10, 21), un récit dont l'ensemble du vocabulaire ne porte pas les traits qui lui sont typiques. Les autres emplois sont un écho de Lévitique 19, 18 et Deutéronome 6, 5 sur l'amour de Dieu et du prochain qui résume toute la Loi.
- Chez Luc, tout comme chez Matthieu et Marc, l'amour désigne avant tout l'amour du prochain. Les deux seuls emplois où il s'agit de l'amour de Dieu est soit une reprise de Marc qui cite Dt 6, 5, soit une reprise de la tradition Q sur des reproches adressées aux Pharisiens qui négligent l'amour de Dieu. Il a une préférence pour le substantif philos (ami) qu'il utilise quinze fois, surtout à travers les paroles de Jésus.
À eux seuls, l'évangile de Jean et la première épitre de Jean sont responsables de 70% des utilisations d'agapaō, en particulier pour désigner le commandement de l'amour et des rapports Père-Fils. En cela, ils se détachent radicalement des évangiles synoptiques et méritent un traitement à part.
Tout d'abord, Jean utilise de manière synonyme agapaō (37 fois) et phileō (13 fois), et on chercherait en vain une différence de nuance. Pour s'en convaincre, donnons trois exemples :
- D'une part, il écrit : « Le Père aime (agapaō) le Fils et a tout remis dans sa main » (3, 35), mais d'autre part, il écrit également : « Car le Père aime (phileō) le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait » (5, 20)
- Pour désigner le disciple bien-aimé, il dit parfois : « Un de ses disciples, celui que Jésus aimait (agapaō), se trouvait à table tout contre Jésus » (13, 23), mais d'autres fois il dit : « Elle court alors et vient trouver Simon-Pierre, ainsi que l'autre disciple, celui que Jésus aimait (phileō) » (20, 2)
- Il lui arrive même dans une même phrase d'utiliser ces deux verbes pour désigner la même réalité : « Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu (agapaō) plus que ceux-ci?" Il lui répondit: "Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime (phileō)." » (21, 15)
Dans l'amour, il y a deux pôles : la personne qui aime, et l'objet de son amour. Quand on utilise cette grille pour relire l'évangile selon Jean, on peut faire un certain nombre d'observations.
Dieu Père qui aime (12 fois sur les 50 utilisations d'agapaō et phileō)
- L'objet de l'amour du Père est avant tout Jésus qu'il a aimé avant la fondation du monde (17, 24). Et parce que le Père aime Jésus, il lui a donné la gloire (17, 24), il lui a tout remis entre ses mains (3, 35), il lui montre tout ce qu'il fait (5, 20). Mais cet amour semble lié à l'acceptation par Jésus de donner sa vie (10, 17), ce qui est pour l'évangéliste une façon de soutenir que cette crucifixion odieuse est un geste d'amour qui a sa source en Dieu même.
- L'objet de l'amour du Père est aussi le monde, au point de vouloir lui offrir la vie éternelle, et pour cela, il a envoyé son Fils unique (3, 16). Mais Dieu aime avant tout ceux qui croient en Jésus (16, 27), qui l'aiment et qui gardent ses commandements (14, 21), au point qu'il habitera leur personne (14, 23). Et tous ceux là, Dieu les aime du même amour qu'il a aimé son propre Fils (17, 23).
Jésus qui aime (14 fois)
- Tout d'abord, l'évangéliste parle des amours humains de Jésus. Jésus a aimé Marthe et Marie (11, 5), il a aimé Lazare (11, 3), et il a aimé de manière spéciale ce disciple qui est désigné sous le vocable de « disciple que Jésus aimait » (13, 23).
- Mais de façon plus fréquente, Jésus aime ceux que l'évangéliste appelle « les siens » (13, 1), i.e. ceux qui gardent ses commandements et qui l'aiment (14, 21). Il les aime de la même façon dont il a été aimé par son Père (15, 9), et cet amour le conduit à se manifester à celui qui l'accueille (14, 21), à faire connaître la personne du Père (17, 26), à révéler la gloire que lui a donné le Père (17, 24), et finalement à l'habiter tout comme le fait le Père (17, 23), si bien que l'amour même du Père l'habitera 17, 26) et, ensemble, le Père, Jésus et le croyant formeront une grande unité (17, 23). Par contre, cet amour comporte des exigences pour celui qui en est l'objet : il faut demeurer dans cet amour (15, 9), il faut garder ses commandements (14, 21), et plus particulièrement le commandement de l'amour mutuel à la manière de Jésus (13, 34), ce qui signifie ultimement d'être capable de donner sa vie pour ses amis (15, 13).
- De manière étonnante, l'amour de Jésus pour son Père est peu explicitement mentionné. On l'assume à travers les multiples affirmations de la relation d'intimité entre Dieu et Jésus, mais on a peu de passages explicites comme celui-ci : « mais il faut que le monde reconnaisse que j'aime le Père et que je fais comme le Père m'a commandé » (14, 31).
Les humains qui aiment (24 fois)
- Ces humains sont avant tout les croyants qui aiment Jésus : ils l'ont accueilli comme venant de Dieu (8, 42), ils se sont ouverts à sa parole (14, 23). Le signe qu'ils aiment Jésus est qu'ils gardent ses commandements (14, 15), ils gardent sa parole (14, 24), ils se réjouissent du départ de Jésus car celui-ci retourne vers Celui qui est plus grand que lui (14, 28)
- Ces croyants se sont engagés dans l'amour mutuel (13, 34). Qui sont donc l'objet de cet amour? Les indices pointent dans la direction des frères dans la même communauté. En demandant aux croyants de s'aimer comme Jésus les a aimé (15, 12), l'évangéliste établit le cadre de la communion qu'il a avec la communauté croyante; une telle communion ne peut exister avec les incroyants.
- Il y a le cas spécial de Pierre au ch. 21 de l'évangile selon Jean (21, 15-19). Par trois fois, Jésus pose à Pierre la question : m'aimes-tu? Et trois fois, Pierre réponds : tu sais que je t'aime. Cet amour de Pierre pour Jésus devient le fondement de son rôle dans l'Église, i.e. pasteur de la communauté : Pais mes brebis. En même temps, l'évangéliste mentionne que cet amour impliquera que Pierre meure dans son rôle de pasteur (21, 19).
- Enfin, l'évangéliste évoque les cas d'amour mal dirigé : aimer les ténèbres plutôt que la lumière (3, 19), aimer la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu (12, 43), aimer sa vie plutôt que d'accepter de la perdre (12, 25). C'est ce qu'on pourrait appeler de faux amours.
On mesure l'écart entre les trois évangiles synoptiques et l'évangile selon Jean. Chez ce dernier, il n'est pas question d'amour des ennemis, mais nous sommes plutôt plongés dans un univers mystique de relations d'intimité entre Dieu, Jésus et la communauté des croyants : il s'agit d'un univers intérieur où l'amour n'est pas simplement une action à produire, mais il est l'expression de l'être même de Dieu ainsi que de son Fils Jésus, et par là de tous les croyants : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour (agapē) les uns pour les autres." » (13, 35). Le terme de cet amour est un partage total entre le Père, le Fils, le croyant et les croyants entre eux, une vaste et immense unité. Le grand défi consiste à maintenir cette communion.
Tournons-nous finalement vers la première épitre de Jean qui ne compte que 5 chapitres et 105 versets, mais où agapaō (aimer) est utilisé 28 fois, et agapē (amour) 18 fois (mais phileō et philos sont totalement absents). Cette épitre prolonge les grandes idées de l'évangile sur l'amour, mais en même temps il en accentue les traits : la communauté croyante est plus clairement isolée du monde (« Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui » 2, 15) et ne s'intéresse qu'à elle-même, on y affirme plus clairement que l'identité même de Dieu est d'être amour (« Dieu est Amour », 1 Jean 4, 16), Jésus reçoit le titre même d'Amour (« A ceci nous avons connu l'Amour: celui-là a donné sa vie pour nous », 1 Jn 3, 16), et enfin, un chrétien qui n'aime pas perd son identité (« Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour », 1 Jn 4, 8). Faisons un certain nombre d'observations.
L'accent de l'épitre est sur l'amour fraternel. En tant que pasteur de la communauté, l'auteur semble constater des manquements graves : les croyants seraient obnubilés par leur privilège d'appartenir à la communauté chrétienne et de croire en Dieu et en son Fils, au point de négliger leurs frères dans le besoin. Alors que l'évangile selon Jean avait une saveur mystique, il sent le besoin de rétablir l'équilibre et de réitérer l'importance de l'action (« Petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité », 3, 18). Aussi a-t-il des mots très durs : « Si quelqu'un dit: "J'aime Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur » (4, 20); « Quiconque hait son frère est un homicide » (3, 15). L'amour fraternelle implique de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin (« Si quelqu'un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui? » 3, 17). Son but est donc d'interpeller cette communauté.
L'auteur rappelle la motivation première de l'amour fraternel : « Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier » (4, 19); « si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres » (4, 11). Notre amour pour les autres n'est que la prolongation de l'amour que nous avons reçus de Dieu : nous avons été aimés, partageons cet amour. Et si Jésus est allé jusqu'à donner sa vie pour nous, c'est ce que nous devons faire à notre tour (3, 16).
Le défi de l'auteur est de crever la bulle de la fausse théologie (résultat d'une mauvaise lecture de l'évangile selon Jean?) dans laquelle ce sont enfermés certains, en s'imaginant qu'ils connaissent bien Dieu et Jésus son Fils. Son point est très clair : personne ne peut faire directement l'expérience de Dieu (« Dieu, personne ne l'a jamais contemplé » 4, 12), et donc prétendre le connaître. La seule façon de faire l'expérience de Dieu est de passer par la médiation de l'amour fraternelle : « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli » 4, 12). Aussi, dénonce-t-il ceux qui se font des illusions : « celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas » (4, 20). Car Dieu étant amour, la seule façon d'en faire l'expérience est d'aimer à notre tour (4, 8).
Un dernier point mérite d'être souligné. Chez l'auteur de l'épitre, il n'y pas de véritable séparation et distinction entre l'amour de Dieu, l'amour du Christ Jésus et l'amour des frères. Car on ne peut aimer Dieu sans aimer son Fils qu'il a engendré, et tous ces autres enfants qu'il a engendrés, les enfants de Dieu. Lisons ce passage :
L'épitre va beaucoup plus loin que la scène rapportée par Marc 12, 29-31 où Jésus parle de deux commandements, celui de l'amour de Dieu, citant Dt 6, 5, et l'amour du prochain, citant Lv 19, 18. Elle affirme que c'est le même amour qui englobe Dieu, le Christ Jésus et le prochain.
(Les données sur la Grèce antique, l'Ancien Testament et l'amour chez Paul proviennent de Jean-Pierre Prévost et Jean-Yves Thériault, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard - Médiaspaul, 2004, p. 51-57 et p. 256-262)
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Bénir dans l'Ancien Testament |
(Daprès Jean LHour, bārak, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 91-99)
Bénir en hébreu se dit : bārak. La racine brk serait rattachée à lougaritique berek (genou), doù « ployer le genou », et au babylonien baraku, qui sont des expressions de salutation, et donc la reconnaissance de la grandeur de celui quon rencontre. En quoi consiste cette grandeur? Dès le livre de la Genèse, nous pouvons entrevoir sa signification : « Dieu les (les êtres vivants) bénit (bārak) et dit: "Soyez féconds, multipliez, emplissez leau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre" » (Gn 1, 22). En les bénissant, Dieu rend les êtres vivants capables de se reproduire et de multiplier; bénir est donc le don dun bienfait, et Dieu en est la source. Voilà la grandeur de Dieu et voià la définition fondamentale de « bénir ».
Tout le reste découle de cette définition. En bénissant lhomme et la femme, Dieu les rendra féconds et maîtres de la terre (Gn 1, 28). En bénissant Abram, Dieu le rend père dun grand peuple. Mais laction de bénir ne consiste pas seulement dans la fécondité, mais dans tout ce qui contribue à une vie heureuse : la nourriture, leau, labsence de maladie, la protection devant lennemi, une longue vie : « Vous servirez Yahvé votre Dieu, alors je bénirai (bārak) ton pain et ton eau et je détournerai de toi la maladie. Nulle femme dans ton pays navortera ou ne sera stérile et je laisserai sachever le nombre de tes jours. Je sèmerai devant toi ma terreur, je jetterai la confusion chez tous les peuples où tu pénétreras, et je ferai détaler tous tes ennemis » (Ex 23, 25-27).
Sil arrive à des humains de bénir, ce ne peut être quau nom de Dieu, seul capable doffrir ce dont les gens ont besoin. Ainsi, quand Isaac bénit son fils Jacob, il dit : « Que Dieu te donne la rosée du ciel et les gras terroirs, froment et vin en abondance! Que les peuples te servent, que des nations se prosternent devant toi! » (Gn 27, 29). Ainsi, lêtre humain ne peut être quun médiateur, i.e. il ne peut bénir quau nom de Dieu : « Béni (bārak) soit au nom de Yahvé celui qui vient! Nous vous bénissons (bārak) de la maison de Yahvé » (Ps 118, 26). Le roi lui-même nest quun médiateur, même si dans la phrase il est le sujet de laction de bénir : « Puis le roi se retourna et bénit (bārak) toute lassemblée dIsraël, et toute lassemblée dIsraël se tenait debout » (1R 8, 14); il faut sous entendre : au nom de Dieu.
Avec cette définition où Dieu seul peut bénir lhomme en offrant ses bienfaits, comment comprendre une phrase comme celle-ci : « Salomon dit : "Béni (bārak) soit Yahvé, Dieu dIsraël, qui a accompli de sa main ce quil avait promis de sa bouche à mon père David" » (1R8, 15)? Comment lêtre humain peut-il bénir Dieu? En fait, une telle phrase est toujours accompagnée dune proposition relative « qui » où se trouvent énumérés tous les bienfaits accordés par Dieu. En dautres mots, la phrase pourrait être résumée ainsi : voilà comment a été béni l'homme ou le peuple. Dans ce cas, le mot « béni » adressé à Dieu est synonyme de « loué sois-tu »; il fait partie dune prière de louange. Par exemple : « Je bénis (bārak) Yahvé qui sest fait mon conseil, et même la nuit, mon coeur minstruit » (Ps 16, 7); ou encore : « Chantez à Yahvé, bénissez (bārak) son nom! Proclamez jour après jour son salut » (Ps 96, 2).
Dans le cas où lobjet de la bénédiction est Dieu, ne pourrait-on pas traduire bārak par « louer » au lieu de « bénir »? Cest possible, mais lhébreu possède un mot spécifique pour « louer » : hālal. Et surtout, il y a le risque de perdre une nuance importante du mot. Car « bénir » qui sadresse à Dieu est un geste de foi où le croyant reconnaît que Dieu est la source de toutes les bénédictions de ce monde, alors que le mot « louer » est simplement le souhait quon dise de bons mots sur Dieu. Prenons lexemple du Psaume 135. Il commence avec : « Allelu (hālal) ia (Yahvé)! Louez (hālal) le nom de Yahvé, louez (hālal), serviteurs de Yahvé... » (135, 1). Mais après une longue énumération de ce qua fait Yahvé pour son peuple à côté du néant des idoles, il conclut : « Maison dIsraël, bénissez (bārak) Yahvé, maison dAaron, bénissez (bārak) Yahvé, maison de Lévi, bénissez (bārak) Yahvé, ceux qui craignent Yahvé, bénissez (bārak) Yahvé. Béni (bārak) soit Yahvé depuis Sion, lui qui habite Jérusalem! (135, 19-21) Pourquoi le psalmiste na-t-il pas simplement répéter « louer » (hālal) à la fin? Cest que dans le verbe « bénir » il y a une confession de foi, la reconnaissance de laction de Dieu, et non simplement un souhait; cest comme si on disait : ensemble croyons en ce que Dieu a fait pour nous et confessons-le à la face de lunivers.
En parallèle avec ce contexte religieux, il existe quelques occurrences du verbe bārak dans un contexte tout à fait profane, dont lusage semble très ancien. Dans ce cas, il signifie simplement : saluer, remercier, renvoyer amicalement, comme lexprime létymologie du mot. Par exemple : « Or il achevait doffrir lholocauste lorsque Samuel arriva, et Saül sortit à sa rencontre pour le saluer (bārak) (1S 13, 10). De même le substantif berakah signifie: cadeau. Par exemple : « (Jacob dit) "Accepte donc le présent (berakah) qui test apporté, car Dieu ma favorisé et jai tout ce quil me faut" et, sur ses instances, Esaü accepta » (Gn 33, 11).
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Charpentier / Artisan / Ouvrier (tektōn) |
Le mot charpentier est devenu fameux pour décrire le métier exercé par Jésus. Malheureusement, ce terme est trompeur, car, techniquement, il définit une personne qui fait des travaux de charpente. Or, les charpentes étaient quasi inconnues en Palestine (Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975, p. 161). De plus, les métiers n'étaient pas clairement définis comme aujourd'hui. Marc (6, 3), repris ensuite par Matthieu (13, 55), utilise le terme tektōn, qui signifie : artisan ou ouvrier. C'est donc un terme très générique qui couvre toute une panoplie de travaux. Aujourd'hui, on parlerait d'un homme à tout faire. Comme le Nouveau Testament ne contient que ces deux références que nous venons de nommer, il faut se tourner vers l'Ancien Testament pour obtenir plus d'information. La Septante (LXX), cette traduction grecque de l'Ancien Testament, utilise habituellement tektōn pour traduire le mot hébreu ḥārāš : artisan. Dans de rares exceptions (1 Chr 29, 5; Dt 27, 15; Jr 10, 9; 24, 1; 29, 2), elle a recours à un terme synonyme : technitēs. De manière encore plus exceptionnelle, elle traduit par architektonias (Ex 35, 35) ou architektoneō (Ex 38, 23), qui a donné notre mot architecte, mais qui garde le sens de l'action d'un artisan.
Examinons donc le mot ḥārāš, qui apparaît 35 fois dans l'Ancien Testament, afin de préciser le sens d'artisan. On peut établir trois grandes catégories de textes : une première catégorie où l'auteur précise lui-même en quoi consiste le travail de l'artisan, une deuxième catégorie où la précision doit être déduite du contexte, une troisième catégorie où le mot artisan demeure générique.
- Une première série de textes précise dans quel dans quel domaine l'artisan exerçait son travail.
- 2 Samuel 5, 11 (cf 1 Chroniques 14, 1) : (LXX) Hiram, roi de Tyr, envoya une ambassade à David, avec du bois de cèdre, des artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) de bois et des artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) de mur de pierre, qui construisirent une maison pour David
- 1 Chroniques 22,15 : (LXX) Il y aura avec toi maints ouvriers, carriers, artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) en pierre et en bois, toutes sortes d'experts en tous travaux
- 2 Chroniques 24, 12 : (LXX) Le roi et Yehoyada le (l'argent) donnèrent au maître d'oeuvre attaché au service du Temple de Yahvé. Les salariés, maçons et artisans, se mirent à restaurer le Temple de Yahvé; des artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) du fer et du bronze travaillèrent aussi à le réparer.
- 2 Rois 12, 11 (LXX 2 Rois 12, 12) : (LXX) Une fois l'argent éprouvé, on le remettait aux maîtres d'oeuvres attachés au Temple de Yahvé et ceux-ci le dépensaient pour les artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) du bois et les ouvriers du bâtiment qui travaillaient au Temple de Yahvé
- Exode 28, 11 : (LXX) Avec le travail de l'artisan (ḥārāš, LXX : technē) de pierre, gravant un sceau -- tu graveras les deux pierres aux noms des Israélites, et tu les sertiras dans des chatons d'or.
- Isaïe 44, 12 : (LXX) L'artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) du fer fabrique une hache sur des braises, il la façonne au marteau, il la travaille à la force de son bras. Et puis il a faim et perd sa force, n'ayant pas bu d'eau il est épuisé.
Ces passages nous disent que l'artisan travaillait trois types de matériau : le bois, la pierre et le métal (fer et bronze).
- Le bois servait à la construction d'une maison ou du palais royal ou du temple,
- la pierre à l'édification des murs ou de stèles ou pierres gravées,
- et le fer à la fabrication d'outils comme une hache.
Dans le premier cas, la Bible de Jérusalem (BJ), la Traduction OEcuménique de la Bible (TOB) et la Nouvelle Traduction de la Bible (NTB) traduisent ḥārāš (artisan) par charpentier. Dans le deuxième cas, la BJ traduit artisan par maçon, lapidaire ou sculpteur, la TOB et la NTB par tailleur ou ciseleur de pierre. Enfin, dans le troisième cas, la BJ et la NTB traduisent artisan par forgeron, tandis que la TOB reprend telle quelle l'expression artisan sur fer.
- Une deuxième série de textes ne qualifie pas directement le travail de l'artisan, mais le contexte nous donne des indices sur quel matériau il travaille.
- Il y a d'abord ceux qui travaillent le bois :
- 2 Chroniques 24, 12 : Le roi et Yehoyada le (l'argent) donnèrent au maître d'oeuvre attaché au service du Temple de Yahvé. Les salariés, maçons et artisans (ḥārāš, LXX : tektōn), se mirent à restaurer le Temple de Yahvé; des artisans de fer et de bronze travaillèrent aussi à le réparer.
- 2 Chroniques 34, 11 : Ils le donnèrent aux artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) et aux ouvriers du bâtiment pour acheter les pierres de taille et le bois nécessaire au chaînage et aux charpentes des bâtiments qu'avaient endommagés les rois de Juda.
- 2 Rois 22:6 : pour les artisans (ḥārāš, LXX : tektōn), les ouvriers du bâtiment et les maçons, pour acheter le bois et les pierres de taille destinés à la réparation du Temple.
- Deutéronome 27, 15 : Maudit soit l'homme qui fait une idole sculptée ou fondue, abomination pour Yahvé, oeuvre de mains d'artisan (ḥārāš, LXX : technitēs), et la place en un lieu caché. -- Et tout le peuple répondra et dira: Amen.
- Esdras 3, 7 : Puis on donna de l'argent aux tailleurs de pierre et aux artisans (ḥārāš, LXX : tektōn); aux Sidoniens et aux Tyriens on remit vivres, boissons et huile, pour qu'ils acheminent par mer jusqu'à Jaffa du bois de cèdre en provenance du Liban, selon l'autorisation accordée par Cyrus, roi de Perse.
- Isaïe 40, 20 : Celui qui fait une offrande de pauvre choisit un bois qui ne pourrit pas, se met en quête d'un habile artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) pour ériger une idole qui ne vacille pas
- Jérémie 10, 3 : Oui, les coutumes des peuples ne sont que vanité; ce n'est que du bois coupé dans une forêt, travaillé par l'artisan (ḥārāš, LXX : tektōn), ciseau en main
Le contexte de ces citations est celui de la construction ou réparation du temple de Jérusalem, ou celui de la fabrication d'idoles tant honnis par les prophètes. La BJ y traduit très souvent ḥārāš (artisan) par charpentier. Dans le cas de Jr 10, 3, elle le traduira par sculpteur à cause de la présence du ciseau et du contexte qui fait référence aux idoles. Par contre, on aura remarqué que Dt 27, 15 précise que l'idole pouvait être soit en bois, soit en métal. La TOB traduit également très souvent ḥārāš (artisan) par charpentier, mais optera pour ouvrier en 2 Chr 24, 12 et pour artiste en Jr 10, 3. Enfin, la NTB préfère garder le terme d'artisan sauf pour les passages du livre des Chroniques qui sont traduits par charpentier, et celui de Jérémie par ouvrier.
- Il y a ensuite ceux qui travaillent le métal :
- 1 Chroniques 29, 5 : Qu'il s'agisse d'or pour ce qui doit être en or, d'argent pour ce qui doit être en argent, ou d'oeuvre de main d'artisan (ḥārāš, LXX : technitēs), qui d'entre vous aujourd'hui est volontaire pour le consacrer à Yahvé?"
- 2 Rois 24, 14 : Il emmena en exil tout Jérusalem, tous les dignitaires et tous les notables, soit 10 000 exilés, et tous les artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) et serruriers; seule fut laissée la plus pauvre population du pays
- 2 Rois 24, 16 : Tous les gens de condition, au nombre de 7 000, les artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) et les serruriers, au nombre de mille, tous les hommes en état de porter les armes, furent conduits en exil à Babylone par le roi de Babylone.
- Isaïe 40, 19 : Un artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) coule l'idole, un orfèvre la recouvre d'or, il fond des chaînes d'argent.
- Isaïe 41, 7 : L'artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) donne courage à l'orfèvre, et celui qui polit au marteau à celui qui bat l'enclume: il dit de la soudure: "Elle est bonne", il la renforce avec des clous pour qu'elle ne vacille pas.
- Isaïe 44, 11 : Voici que tous ses fidèles seront couverts de honte, ainsi que ses artisans (ḥārāš, LXX : tektōn) qui ne sont que des hommes. Qu'ils se rassemblent tous, qu'ils comparaissent; qu'ils soient remplis à la fois d'épouvante et de honte!
- Isaïe 54, 16 : Voici: c'est moi qui ai créé l'artisan (ḥārāš, LXX : chalkeus) qui souffle sur les braises et tire un outil à son usage; c'est moi aussi qui ai créé le destructeur pour anéantir.
- Osée 13, 2 : Et maintenant ils continuent à pécher, ils se font des images de métal fondu, avec leur argent, des idoles de leur invention; oeuvre d'artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) que tout cela! Ils disent: "Offrez-leur des sacrifices." A des veaux des hommes donnent des baisers!
- Jérémie 10, 9 : c'est de l'argent en feuilles, importé de Tarsis, c'est de l'or d'Ophir, une oeuvre d'artisan (ḥārāš, LXX : technitēs) ou d'orfèvre; on les revêt de pourpre violette et écarlate, ce sont tous oeuvre d'un homme habile
- Jérémie 24, 1 : Voilà que Yahvé me fit voir deux corbeilles de figues disposées devant le sanctuaire de Yahvé. C'était après que Nabuchodonosor, roi de Babylone, eut emmené captifs, loin de Jérusalem, Jékonias, fils de Joiaqim, roi de Juda, ainsi que les princes de Juda, les artisans (ḥārāš, LXX : technitēs) et les serruriers, et qu'il les eut amenés à Babylone.
- Jérémie 29, 2 :C'était après que le roi Jékonias eut quitté Jérusalem avec la reine-mère, les eunuques, les princes de Juda et de Jérusalem, les artisans (ḥārāš, LXX : technitēs) et les serruriers.
Le métal inclut le fer, le bronze, l'or et l'argent. On peut identifier quatre contextes. Il y a d'abord celui des idoles qu'attaquent les prophètes Isaïe, Jérémie et Osée. L'artisan est celui qui a coulé et sculpté l'idole. La BJ traduit ḥārāš (artisan) par artisan, sculpteur ou forgeron. La TOB traduit par artisan ou artiste. La NTB traduit par artisan, graveur ou sculpteur. Il y a ensuite le contexte où l'artisan est présenté avec le serrurier : on imagine qu'il fabriquait la partie métallique de la serrure. La BJ traduit ḥārāš (artisan) par forgeron. La TOB traduit par artisan du métal ou technicien. La NTB traduit par artisan, ouvrier ou forgeron. Il y a encore le contexte de la construction de temple. La BJ traduit ḥārāš (artisan) par orfèvre, la TOB par ouvrier, et la NTB par artisan. Il y a enfin le contexte de la fabrication d'outils, plus précisément une hache. La BJ et la NTB traduisent ḥārāš (artisan) par forgeron, la TOB par artisan.
- Une troisième série de textes utilisent ḥārāš (artisan) sans que le contexte nous aide à comprendre de quel travail il s'agit.
- 1 Chroniques 4:14 : Meonotaï engendra Ophra. Seraya engendra Yoab père de Gé-Harashim. Ils étaient en effet artisans (ḥārāš, LXX : tektōn)
- Osée 8, 6 : Car il vient d'Israël, c'est un artisan (ḥārāš, LXX : tektōn) qui l'a fabriqué, lui, il n'est pas Dieu, lui. Oui, le veau de Samarie tombera en miettes
- Zacharie 2, 3 : Puis Yahvé me fit voir quatre artisans (ḥārāš, LXX : tektōn)
- Isaie 45, 16 : Ils sont honteux et humiliés, tous ensemble, ils marchent dans l'humiliation, les artisans (ḥārāš, LXX : n/a, car elle a transformé totalement le sens de la phrase) d'idoles
- Ézéchiel 21, 36 : je déverserai sur toi ma fureur, je soufflerai contre toi le feu de mon emportement, et je te livrerai entre les mains d'hommes barbares, artisans (ḥārāš, LXX : teknotropheō) de destruction
Le mot se retrouve dans des contextes variés. Il y a celui des idoles (Osée et Isaïe). La BJ traduit ḥārāš (artisan) par artisan et fabricant, la TOB par artisan et faiseur (d'image), la NTB par sculpteur et fabricant. Il y a aussi celui d'une généalogie dans le livre des Chroniques. La BJ et la TOB optent pour la traduction artisan, tandis que la NTB préfère ouvrier. Chez Ézéchel, ḥārāš est utilisé pour exprimer une action de destruction dans un contexte apocalyptique et qui est rendue par « artisan de » (destruction) dans la BJ et la TOB, et par « qui vont forger » dans NTB. Enfin, il y a cette vision dans Zacharie de quatre êtres que la BJ et la TOB a traduit par forgeron (la BJ explique que le forgeron symbolise la puissance angélique) et la NTB par artisan.
Après avoir examiné la bible hébraïque, il nous reste à jeter un regard rapide sur les écrits grecs de l'Ancien Testament où apparaît le mot : tektōn.
- Siracide 38, 27 : Pareillement tous les artisans (tektōn) et gens de métier qui travaillent jour et nuit, ceux qui font profession de graver des sceaux et qui s'efforcent d'en varier le dessin; ils ont à coeur de bien reproduire le modèle et veillent pour achever leur ouvrage
- Sagesse 13, 11 : Si quelque artisan (tektōn) habile à travailler le bois, ayant scié un arbre facile à tourner, l'a dépouillé adroitement de son écorce et en a fait un meuble utile aux usages de la vie.
Les deux textes font clairement référence à quelqu'un qui travaille le bois. Dans le premier cas, l'artisan grave des sceaux en bois, dans le deuxième cas il fabrique des objets de la vie courante. La BJ traduit tektōn dans le Siracide par ouvrier, la TOB par compagnon, et la NTB par charpentier. Dans le livre de la Sagesse, tektōn est traduit par bûcheron dans la BJ et la TOB, et par charpentier dans la NTB.
Il est temps de résumer notre analyse. Qu'est-ce qu'un tektōn? C'est un travailleur manuel qui touche à peu prêt à tout : le bois de charpente s'il est impliqué dans la construction de bâtiment, mais plus souvent dans la sculpture du bois pour des objets de la vie courante ou leur réparation; le métal pour fabriquer des outils ou des objets liés au bâtiment, comme les serrures, ou encore des pièces d'orfèvrerie; la pierre pour certains travaux de maçonnerie ou de gravure sur des stèles ou des sceaux. C'est donc un homme à tout faire. Voilà pourquoi les Bibles modernes utilisent différents mots pour le décrire : charpentier, forgeron, artisan, artiste, sculpteur, tailleur, ciseleur, maçon, lapidaire, graveur, ouvrier, orfèvre, bûcheron. Dans son petit village de Nazareth, est-ce que Jésus était tout cela? De manière claire, il n'était pas impliqué dans la construction de grands bâtiments qui n'existaient pas dans cet humble hameau. Joseph Meier (A Marginal Jew - Rethinking the Historical Jesus. Doubleday (The Anchor Bible Reference Library), New York, 1991, v. 1, p. 253-315) le décrit comme un menuisier, un métier qui comportait un large éventail de tâches: la pose des poutres pour le toit des maisons en pierre, la fabrication des portes et des cadres de portes, ainsi que les croisillons des fenêtres, des meubles comme des lits, des tables, des tabourets ainsi que des placards, des coffres ou des boîtes. Justin le martyr affirme que Jésus fabriquait également des charrues et le joug pour l'animal. L'exercice de ce métier exigeait une certaine dextérité et force physique, ce qui nous éloigne de l'image de l'innocent gringalet que les images pieuses nous présentent de Jésus. Plusieurs des images qu'on met dans sa bouche dans les évangiles pourraient être un écho de son expérience de travail : « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas! » (Matthieu 7, 3); « Il est comparable à un homme qui, bâtissant une maison, a creusé, creusé profond et posé les fondations sur le roc... il est comparable à un homme qui aurait bâti sa maison à même le sol, sans fondations » (Luc 6, 48); « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière... » (Lc 9, 62); « Entrez par la porte étroite » (Matthieu 7, 13)
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Christ / Messie |
(Résumé de André Myre, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard - Médiaspaul, 2004, p. 320-324)
Dans le monde grec classique, le terme christos (oint, enduit) est connu dès le 5e siècle av. J. C. C'est un adjectif dérivé du verbe chriō (toucher légèrement, effleurer). On l'utilise dans la poésie pour décrire le fait d'être « graissée » soit avec de l'huile dans le cas d'une personne sortant du bain, soit avec de l'ambroisie dans le cas d'un cadavre, soit avec du poison dans le cas d'une flèche.
Dans le Nouveau Testament, il est utilisé comme substantif pour désigner Jésus. Il a fallu à peine quelques décennies après sa mort pour qu'il remplace « Nazaréen » comme son nom propre. Il se trouve à traduire le terme hébreu māšaḥ (frotter, oindre). On l'utilise surtout pour traduire l'intronisation d'un roi en l'oignant d'huile. Ainsi, celui qui accède à la plus haute charge est un « oint » (māšîaḥ). Utilisé depuis l'intronisation de Salomon au 10e siècle, le terme vise presqu'exclusivement la descendance de David. Quand les rois ne seront plus de cette descendance, on se mettra à espérer, du moins en Juda, un retour de cette lignée, un roi terrestre qui dirigera son peuple avec justice. Mais le Nouveau Testament, en reprenant ce terme pour l'appliquer à Jésus, en change le contenu à la lumière de Pâques.
La Septante a traduit māšîaḥ par christos (celui qui a été oint) à partir du verbe chriō, si bien qu'on se retrouve avec trois mots, l'hébreu māšîaḥ, le grec christos, et la transcription grecque de l'évangile selon Jean: messias ou mesias (voir Jn 1, 41; 4, 25), qui ont été rendus en français par les trois mots : oint, christ et messie.
Si l'on se fie à Actes des Apôtres 2, 36 ("Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude: Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié."), c'est par sa résurrection et son exaltation que Jésus, appelé jusque là « Nazaréen », devient oint, christ ou messie. Dès lors, ce titre de christos devient le plus important et même son nom propre.
La rédaction des évangiles porte la marque de l'idéologie royale qui colorait le titre de christ et avait cours à Jérusalem depuis des siècles. Cela aide à comprendre tous ces passages où le mot christ évoque soit le roi David, soit les diverses fonctions du roi, comme celui de berger, guide et sauveur de son peuple, ou l'élu de Dieu :
- Jean 7, 41 : D'autres disaient: "C'est le Christ!" Mais d'autres disaient: "Est-ce de la Galilée que le Christ doit venir? L'Écriture n'a-t-elle pas dit que c'est de la descendance de David et de Bethléem, le village où était David, que doit venir le Christ?"
- Matthieu 1, 1 : Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham
- Matthieu 2, 6 : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement le moindre des clans de Juda; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël."
- Matthieu 16, 16 : Simon-Pierre répondit: "Tu es le Christ, le Fils (le roi était considéré fils de Dieu) du Dieu vivant."
- Matthieu 23, 10 : Ne vous faites pas non plus appeler maîtres: car vous n'avez qu'un maître, le Christ
- Marc 15, 32 : Que le Christ, le Roi d'Israël, descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions!" Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l'outrageaient.
- Luc 2, 11 : aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David.
- Luc 23, 35 : Le peuple se tenait là, à regarder. Les chefs, eux, se moquaient: "Il en a sauvé d'autres, disaient-ils; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ de Dieu, l'Élu!"
Ce serait la communauté chrétienne de Jérusalem qui est à l'origine de ce titre de christ et de sa connotation royale. Cette théologie sera par la suite véhiculée à travers l'activité missionnaire dans les diverses communautés chrétiennes du monde gréco-romain.
Paul héritera de cette théologie. Pour lui, « Christ » est l'équivalent d'un nom propre et l'applique à Jésus pour l'ensemble de son parcours. Avec lui, on passe de Jésus à « Jésus Christ notre Seigneur » (1 Colossiens 1, 9). Le Christ exerce une seigneurie, mais un pouvoir subordonné à Dieu (1 Corinthiens 3, 23), et ne durera qu'un temps, lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père (1 Corinthiens 15, 24). Mais l'exercice de cette fonction a pour but de nous faire découvrir l'extraordinaire grandeur de la puissance de Dieu qui l'a ressuscité d'entre les morts et l'a fait siéger sur un trône à sa droite, dans les cieux (Éphésiens 1, 20).
En parallèle avec cette couleur royale du titre de Christ, on trouve dans les milieux chrétiens une tradition sacerdotale de ce titre que reflète la lettre aux Hébreux : « Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n'est pas faite de main d'homme, c'est-à-dire qui n'est pas de cette création, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. » (9, 11-12) Ainsi, plutôt que de parler d'un roi, on parle d'un grand prêtre qui entre dans le véritable temple de Dieu pour libérer les siens. Cette tradition s'enracine dans l'Ancien Testament où quelques textes parlent de l'onction du grand prêtre (Nombres 35, 25), reflet de son rôle politique au retour de l'exil à Babylone.
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Ciel / cieux (ouranos) |
Comme on peut limaginer, le mot ouranos assez fréquent dans les évangiles-Actes, surtout chez le Juif Matthieu où il apparaît souvent au pluriel : Mt = 82; Mc = 18; Lc = 35; Jn = 18; Ac = 26; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Avant de faire une analyse plus détaillée, il nous faut dabord considérer comment le monde juif se représentait lunivers.
La cosmologie ancienne
Dans la cosmologie des anciens, lunivers est divisé en deux grandes parties
- Gn 1, 1 : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre »
Le ciel représente le monde den haut et la terre le monde den bas. Le monde den bas est celui de la terre, une terre plate soutenue par dimmenses colonnes ou de hautes montagnes; au-dessus de la terre, très haut, il y a une voute solide, demi-sphérique, qui repose au bord de lhorizon, le firmament, qui sépare le monde den bas du monde den haut, un monde inaccessible.
Regardons maintenant le monde den haut. Sur la voute céleste ou firmament, il y a dabord les astres dont Dieu a établi leur tracé, dabord le soleil (Ps 19, 5-7), puis la lune, et enfin il a fixé les étoiles (Gn 1, 16) à leur endroit actuel.
Au-dessus des astres, on trouve les eaux supérieures que Dieu a séparées à lorigine des eaux inférieures (Gn 1, 6-8), et quil a enfermées dans des outres. Cest de ces outres que proviennent la pluie, la neige et la grêle; car la voute du firmament nest pas étanche, et peut donc sentrouvrir pour laisser passer, par exemple, la pluie (la sécheresse survient quand le firmament reste fermé, voir Lc 4, 25). Cette voute doit sentrouvrir également pour laisser passer la manne ou lEsprit Saint.
Enfin, au-dessus des eaux supérieures, au-dessus du monde visible, il y a le monde inaccessible et invisible, appelé « cieux des cieux » (voir 2Co 12, 2; Ep 4, 10), qui est la demeure de Dieu. Celle-ci apparaît comme une grande maison avec plusieurs étages, car elle doit loger les anges et diverses puissances avec leur hiérarchie, puis les élus de Dieu, et enfin Dieu lui-même qui semble habiter létage supérieur.
Ainsi, le ciel désigne habituellement lune des composantes de cette cosmologie, le monde den haut, au-dessus du firmament, par opposition au monde den bas, sous le firmament. Mais notons que ces deux composantes, le ciel et la terre, sont appelées à disparaître, ou pour employer le vocabulaire évangélique, ils sont appelées à « passer » (Mc 13, 31 || Lc 16, 17 || Mt 24, 35) (Sur cette cosmologie, voir L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984, p. 121.)
Trois significations au mot « ciel »
Une fois comprise cette cosmologie, on peut examiner lusage que font les évangélistes du mot ouranos. On peut regrouper en trois grandes catégories les réalités auxquelles le mot fait référence.
- Le mot « ciel » est un euphémisme pour désigner Dieu lui-même. Comme le ciel est lendroit où il demeure, alors faire référence à ce lieu, cest faire référence à Dieu. Par exemples :
- Jn 3, 27 : « Jean répondit: "Un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel (ouranos) »
- Lc 11, 16 : « Dautres, pour le mettre à lépreuve, réclamaient de lui un signe venant du ciel (ouranos) »
- Le ciel est cette partie de lunivers qui au-dessus du firmament, composée de multiples couches : les astres, les eaux supérieures et les habitants de la grande maison de Dieu. Par exemples :
- Mt 24, 36 : « Quant à la date de ce jour, et à lheure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux (ouranos), ni le Fils, personne que le Père, seul »
- Mc 11, 25 : « Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelquun, remettez-lui, afin que votre Père qui est aux cieux (ouranos) vous remette aussi vos offenses »
- Enfin, ouranos désigne parfois lespace au-dessus de nous jusquau firmament, ce que nous appelons latmosphère. Il comprend alors ce qui est au-dessus du sol, ce qui est dans les airs, par exemple les oiseaux du ciel ou les nuages, et ça jusquau bleu du firmament. Par exemples :
- Mt 6, 26 : « Regardez les oiseaux du ciel (ouranos): ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit! Ne valez-vous pas plus queux? »
- Lc 18, 13 : « Le publicain, se tenant à distance, nosait même pas lever les yeux au ciel (ouranos), mais il se frappait la poitrine, en disant: Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis! »
On peut maintenant proposer ce tableau sur les trois grandes réalités désignées ouranos selon les évangélistes.
| Mt | Mc | Lc | Jn | Ac |
Dieu | 37 | 4 | 6 | 11 | 0 |
Au-dessus du firmament | 35 | 7 | 21 | 6 | 18 |
Latmosphère | 10 | 7 | 8 | 1 | 8 |
| 82 | 18 | 35 | 18 | 26 |
Comme on peut le constater, pour Matthieu ouranos renvoie avant tout à Dieu et à son monde, chez Marc la référence à latmosphère et au monde céleste apparaissent à part égale, chez Luc ouranos comme monde céleste domine largement à la fois dans son évangile et dans ses Actes, enfin pour Jean son intérêt est Dieu lui-même.
Le singulier et le pluriel dans la Septante
Une fois identifiées ces trois catégories, une question demeure : pourquoi ouranos est-il parfois au singulier (ciel), pourquoi est-il parfois au pluriel (cieux)? Notons dabord que le mot hébreu pour ciel est šāmayim, un mot masculin pluriel. Pourtant la Septante, cette traduction grecque du texte hébreu, a traduit par exemple Gn 1,1 (« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ») avec ouranos au singulier, même si šāmayim est pluriel, et nos bibles ont fait de même. Par contre, André Chouraqui a traduit littéralement Gn 1, 1 : « Entête Elohîms créait les ciels et la terre », et donc šāmayim est toujours rendu par un pluriel : ciels. Sur les 599 occurrences de ouranos dans la Septante (ont été inclus les quatre livres des Maccabées, les Odes et les Psaumes de Salomon, la version de Théodotion de Daniel, Bel et Suzanne, et la version du Vaticanus de Josué, Juges et Tobit), 544 sont au singulier, soit plus de 90% des cas. Sur le sujet, J.-M. Fenasse et J. Giblet (Vocabulaire de théologie biblique. Paris : Cerf, 1981, p. 166-167) écrivent :
Le Judaïsme et le NT ont accentué la valeur religieuse de ce pluriel, au point que le Royaume des cieux devient identique à Royaume de Dieu. Néanmoins on ne peut ni dans la LXX ni dans le NT poser en règle que le ciel désigne le ciel physique, et les cieux, le séjour de Dieu. Et il arrive que ce pluriel puisse exprimer la conception répandue en Orient de plusieurs cieux superposés (cf 2 Co 12, 2; Ep 4, 10), il nest souvent quune expression de lenthousiasme lyrique et poétique (cd Dt 10, 14; 1 R 8, 27). La Bible ne connaît pas deux types de cieux, lun qui serait matériel et lautre spirituel. Mais dans le ciel visible, elle découvre le mystère de Dieu et de son oeuvre.
Rappelons que les traducteurs grecs du texte hébreu se sont permis une certaine liberté et nont pas toujours été cohérents. Mais il reste que le choix entre un singulier ou un pluriel pour ouranos semble obéir souvent à une certaine logique, même si le mot hébreu est toujours au pluriel. Prenons par exemple le livre des Psaumes où sur les 77 occurrences de ouranos, 49 sont au pluriel (64%). Quand lauteur veut mettre laccent sur la grandeur, létendue et la complexité de ce que Dieu a créé, incluant les astres et tous les niveaux de ce qui compose le ciel, il emploie le pluriel. Quand il veut faire intervenir tous ceux qui sont au ciel pour proclamer comme une grande chorale la grandeur de Dieu, il emploie le pluriel. Ou encore, quand il fait référence à la demeure de Dieu qui se trouve au dernier étage de lensemble du ciel, et pour indiquer sa supériorité par rapport à tous les êtres célestes, il emploie le pluriel. Par exemples :
- Ps 8, 4 : LXX « Quand je vois les cieux, oeuvres de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as créées, je dis »
- Ps 88, 6 : LXX « Les cieux témoignent de tes merveilles, Seigneur, et de ta vérité dans lassemblée des saints »
- Ps 112, 4 : LXX « Le Seigneur est élevé sur toutes les nations ; et sa gloire, au-dessus des cieux »
Par contre, quand il sagit de mettre en opposition ou en contraste les deux grandes réalités que sont le ciel et la terre, alors lauteur emploie le singulier (comme le traducteur de la Genèse avec « Dieu créa le ciel et la terre »). De même, quand il désigne le ciel comme un lieu par rapport à la terre, par exemple un lieu doù Dieu regarde les hommes, il emploie le singulier. Quand il entend désigner par euphémisme lêtre même de Dieu, source dintervention, il emploie le singulier. Enfin, quand il référence à latmosphère où se déploient les oiseux où sévissent les éclairs et le tonnerre, il emploie le singulier. Par exemples :
- Ps 49, 4 : LXX « Il convoquera le ciel et la terre, pour juger son peuple »
- Ps 79, 15 : LXX « Dieu des armées, viens à nous ; regarde du ciel ; et vois ; et visite cette vigne »
- Ps 77, 24 : LXX « Et il fit pleuvoir sur eux la manne pour les nourrir, et il leur donna le pain du ciel »
- Ps 103, 12 : LXX « Au-dessus delles, les oiseaux du ciel feront leur nid ; ils feront entendre leur chant du milieu des rochers »
Le singulier et le pluriel dans les évangiles
Chez les évangélistes, on observe une même tendance que ce quon a vu dans la Septante : 64% des 179 occurrences dans les évangiles-Actes sont au singulier. Mais cette proportion varie selon les évangélistes, en particulier chez Matthieu où le pluriel domine; voici le rapport singulier/pluriel selon chaque évangéliste : Mt = 27/55; Mc = 13/5; Lc = 31/4; Jn = 18/0; Ac = 24/2. Examinons chacun des évangélistes en les abordant avec les trois réalités que peut désigner ouranos.
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- Marc
Notons que Marc emploie toujours le singulier, sauf sil fait référence à un passage de lAncien Testament (Mc 1, 10-11 serait un écho de « Ah! Si tu déchirais les cieux » de Is 63, 19; Mc 13, 25 serait un écho de « toutes les étoiles tomberont » de Is 34, 4; quant à Mc 11, 25 et Mc 12, 25 ces versets auraient été influencés, selon M.E. Boismard, Synopse des quatre évangiles, p. 347, par une première version de Matthieu, appelée Matthieu intermédiaire, quaurait connu Marc). Voici un tableau de la distribution de ouranos en mot singulier/pluriel.
| Pluriel | Singulier | Total |
Dieu | 0 | 4 | 4 |
Au-dessus du firmament | 5 | 2 | 7 |
Latmosphère sous le firmament | 0 | 7 | 7 |
| 5 | 13 | 18 |
- Le ciel est un euphémisme pour désigner Dieu sans le nommer.
Dans ce cas, ouranos est toujours au singulier, comme on la vu dans les Psaumes de la Septante. Par exemple
- Mc 8, 11 : « Les Pharisiens sortirent et se mirent à discuter avec lui; ils demandaient de lui un signe venant du ciel, pour le mettre à lépreuve »
- Mc 11, 30 : « Le baptême de Jean était-il du Ciel ou des hommes? Répondez-moi. »
- Le ciel au-dessus du firmament.
Sur les sept occurrences, cinq sont au pluriel. Nous avons justifié trois de ces pluriels par le fait que Marc y fait référence à des passages dIsaïe. Quand aux deux autres pluriels, il pourrait sagir dune influence dune première version de Matthieu quaurait connu Marc; cela serait tout à fait patent en Mc 11, 25 avec lexpression « votre Père qui est aux cieux », le seul cas chez Marc, mais qui apparaît 13 fois dans lévangile de Matthieu. Remarquons enfin que Marc, bien quil soit un grand conteur, nest pas toujours cohérent. Il suffit de comparer les deux versets suivants, où dans le premier il parle des anges dans les « cieux », et dans le deuxième des anges dans le « ciel »; il est possible aussi que nous soyons devant une faute de copiste.
- Mc 12, 25 : « Car, lorsquon ressuscite dentre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux »
- Mc 13, 32 : « Quant à la date de ce jour, ou à lheure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père »
- Latmosphère jusquau firmament
Ouranos est toujours au singulier pour faire référence à lespace où se déploie les oiseaux, où circule les nuages, ou encore, pour désigner les quatre points cardinaux. Dans la même veine, le ciel est lieu où se porte le regard quand on lève la tête. Quelques exemples :
- Mc 7, 34 : « Puis, levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et lui dit: "Ephphatha", cest-à-dire: "Ouvre-toi!" »
- Mc 13, 27 : « Et alors il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de lextrémité de la terre à lextrémité du ciel (lhorizon, là où la terre et le ciel se rencontrent) »
Bref, Marc, qui sadresse dabord à sa communauté de Rome, a un intérêt limité pour le ciel et tend à simplifier cet univers.
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Le mot ouranos chez Marc |
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- Matthieu
Dentrée de jeu il faut noter que chez le Juif Matthieu, le pluriel domine largement : 55 occurrences sur 82. Il ne faut pas sen surprendre, car le terme hébreu pour désigner le ciel, šāmayim, est un mot au pluriel. Alors on comprend facilement que des expressions comme « votre Père qui est au cieux », qui revient 13 fois dans son évangile, et « royaume des cieux », qui revient 32 fois, cadrent bien dans un milieu juif.
Le tableau suivant montre la répartition du masculin et du pluriel selon les trois réalités désignées par ouranos. Nous avons raffiné notre analyse en indiquant quand le mot semble avoir été copié de Marc ou de la source Q (donc non propre à Matthieu), et quand le mot lui est propre (ne se retrouve pas chez Marc ou dans la source Q). Notons que nous avons mis dans la catégorie « propre » les cas où Matthieu a « cieux » et que son parallèle a « ciel ». Il nest pas toujours facile de déterminer lequel de Matthieu et Luc reflètent le mieux la source Q; la majorité des biblistes opinent que Luc respecte le mieux la source originale, mais, tout en adoptant cette position, nous pensons quil y a des cas où cest Matthieu qui reflète le mieux cette source très ancienne, comme cest le cas pour « royaume des cieux » que Luc aurait transformé en « royaume de Dieu ».
| Pluriel | Singulier | Total |
Dieu (propre) | 32 | 2 | 34 |
Dieu (non propre) | 0 | 3 | 3 |
Au-dessus du firmament (propre) | 17 | 7 | 24 |
Au-dessus du firmament (non propre) | 6 | 5 | 11 |
Latmosphère sous le firmament (propre) | 0 | 6 | 6 |
Latmosphère (non propre) | 0 | 4 | 4 |
| 55 | 27 | 82 |
- Le ciel est un euphémisme pour désigner Dieu sans le nommer
On peut constater quun total de 32 fois ouranos est au pluriel, ce qui semble très impressionnant. Mais il faut tout de suite ajouter que ces 32 occurrences désignent le « royaume des cieux ». Si on enlevait cette expression, on se retrouvait avec cinq occurrences du mot uniquement au singulier. Ainsi, Matthieu aime par-dessus tout désigner Dieu par le mot « cieux » dans lexpression « royaume des cieux ». Dans la cosmologie juive, Dieu occupe le dernier étage de ce monde complexe et inaccessible. Autrement il emploie le singulier, comme en 5, 34 et 23, 22 où ouranos lui est propre, ou comme en 16, 1 et 21, 25 où il copie Marc. Par exemples :
- Mt 5, 34 : « Eh bien! moi je vous dis de ne pas jurer du tout: ni par le Ciel, car cest le trône de Dieu » (voir aussi 23, 22)
- Mt 16, 1 : « Les Pharisiens et les Sadducéens sapprochèrent alors et lui demandèrent, pour le mettre à lépreuve, de leur faire voir un signe venant du ciel »
- Le ciel au-dessus du firmament
Comme on la constaté en examinant la cosmologie juive, le monde au-dessus du firmament est un monde complexe où trouvent à se loger les astres (soleil, lune, les étoiles), la mer supérieure, puis les esprits célestes et finalement Dieu. Cest un monde pluriel et cela se reflète chez Matthieu où le pluriel domine. Tout dabord, au sommet habite Dieu, si bien quon retrouve 13 fois lexpression : votre père qui est aux cieux. Par exemple :
- Mt 6, 9 : « Vous donc, priez ainsi: Notre Père qui es dans les cieux, que ton Nom soit sanctifié »
Plus bas dans cette demeure habitent les anges et diverses forces spirituelles appelées puissances. Par exemples :
- Mt 24, 36 : « Quant à la date de ce jour, et à lheure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père, seul »
- Mt 24, 29 : « Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil sobscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées »
Puis il y a une place pour les élus de Dieu, et pour les choisir, un grand livre où sont notées les bonnes actions de chacun. Par exemples :
- Mt 5, 12 : « Soyez dans la joie et lallégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux: cest bien ainsi quon a persécuté les prophètes, vos devanciers »
- Mt 19, 21 : « Jésus lui déclara: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi." »
Aussi, quand ce monde du ciel souvre, cest un univers complexe et pluriel qui souvre :
- Mt 3, 16 : « Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de leau; et voici que les cieux souvrirent: il vit lEsprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui »
Quand Matthieu emploie-t-il le singulier? Comme on la vu pour la Septante, ouranos est au singulier quand il est mis en contraste ou en opposition à la terre, comme dans lexpression « le ciel et la terre », ou quand on décrit un mouvement de va et vient entre le ciel et la terre; dans ce cas le ciel est considéré comme une seule entité. Par exemples :
- Mt 5, 18 : « Car je vous le dis, en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur li, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé »
- Mt 11, 23 : « Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusquau ciel? Jusquà lHadès tu descendras. Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourdhui »
Ainsi, lunivers de Matthieu est typique dun bon Juif.
- Latmosphère jusquau firmament
De manière très semblable à Marc, « ciel » est toujours au singulier chez Matthieu pour désigner lespace au-dessus de nous qui nous entoure, et qui désigne trois choses :
- Laire où se déploie les oiseaux : « Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent » (6, 26; voir aussi 8, 20; 13, 32)
- Le firmament vers où se porte le regard quand on lève la tête : « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit » (14, 19)
- La zone du vent, des nuages, des orages et de la couleur du firmament : « Il leur répondit: "Au crépuscule vous dites: Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu" » (16, 2; voir aussi 16, 3); ou encore : « et lon verra le Fils de lhomme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire » (24, 30; voir aussi 24, 64)
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Le mot ouranos chez Matthieu |
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- Luc
Chez Luc, tant dans son évangile que dans ses Actes, le singulier domine largement. Comme nous lavons fait pour Matthieu, nous avons identifié les occurrences qui lui sont propres dans les évangiles, i.e. qui ne sont pas une simple copie de Marc ou, lorsquil reprend la source Q, sa version est différente de celle de Matthieu.
Évangile |
| Pluriel | Singulier | Total |
Dieu (propre) | 0 | 3 | 3 |
Dieu (non propre) | 0 | 3 | 3 |
Au-dessus du firmament (propre) | 1 | 13 | 14 |
Au-dessus du firmament (non propre) | 3 | 4 | 7 |
Latmosphère sous le firmament (propre) | 0 | 4 | 4 |
Latmosphère (non propre) | 0 | 4 | 4 |
| 4 | 31 | 35 |
Actes |
| Pluriel | Singulier | Total |
Dieu | 0 | 0 | 0 |
Au-dessus du firmament | 2 | 16 | 18 |
Latmosphère sous le firmament | 0 | 8 | 8 |
| 2 | 24 | 26 |
Le contraste avec Matthieu est frappant. Dans à peu près 90% des cas, ouranos est au singulier tant dans lévangile que dans les Actes. Et ce mot sert rarement à désigner Dieu dans les évangiles, et jamais dans les Actes.
- Le ciel pour désigner Dieu
Pour désigner Dieu, ouranos est toujours au singulier. Il se concentre dans trois scènes : celle où certains demandent à Jésus « un signe du ciel » après un exorcisme pour prouver que ce nest pas par le prince des démons quil fait ces exorcismes (11, 16), ensuite dans les paraboles autour de lenfant prodigue (15, 7.18.21), et enfin celle sur le débat autour du baptême de Jean (20, 4-5).
Cette dernière scène est empruntée à Marc 11, 31-33. La deuxième scène est constituée de trois paraboles où on parle de « de joie dans le ciel » (15, 7) pour un seul pécheur se repentant et de « péché contre le ciel » (15, 18.21); on peut facilement imaginer que Luc na pas inventé ces paraboles (dailleurs la première se retrouve également chez Matthieu), et donc quil reprend une tradition quil reçoit. Enfin, la scène sur la demande dun signe venant du ciel (11, 16) est clairement un ajout de Luc qui linsère en plein milieu dune scène quil reprend de Marc. En effet, Mc 3, 22-30 raconte le scepticisme des scribes sur les exorcismes de Jésus en laccusant dexpulser les démons par Béelzéboul, suivi par la réponse de Jésus sur le fait que Satan ne peut être divisé contre lui-même. Lc 11, 15-22 reprend cette scène dans la même séquence, sauf quentre la parole de scepticisme de son auditoire et la réponse de Jésus, il insère cette demande en 11, 16 : « Dautres, pour le mettre à lépreuve, réclamaient de lui un signe venant du ciel ».
Pourquoi une telle insertion? On peut imaginer que pour son auditoire grec, les discussions autour de Béelzéboul devaient paraître un peu exotiques, et la reformulation du problème en termes de signe de Dieu pour exprimer la signification des exorcismes de Jésus était plus compréhensible.
Bref, Luc naime pas beaucoup les euphémismes pour faire référence à Dieu, et nhésite pas appeler Dieu par son nom, doù par exemple lexpression « royaume de Dieu ».
- Le ciel au-dessus du firmament
Cest en relation avec cette réalité que les occurrences de ouranos sont les plus nombreuses tant dans lévangile de Luc que dans ses Actes. Réglons tout de suite la question des quelques occurrences au pluriel. Dans les évangiles, il sagit dune reprise dune expression soit de la source Q (« un trésor dans les cieux », 18, 22), soit de Marc (« puissances des cieux », 21, 26). Dans les Actes, il sagit dabord dune introduction au Psaume 110 (2, 34) dans la bouche de Pierre, puis dune référence à Is 63, 19 (« je vois les cieux ouverts ») dans la bouche dÉtienne, la même expérience qua vécu Jésus. Il faut donc conclure que le pluriel pour ouranos nappartient pas vraiment à la plume de Luc.
Cest donc au singulier quil considère le ciel. Il ne faut pas penser pour autant que sa cosmologie est très différente de Matthieu, mais il simplifie les choses en appelant « ciel », au singulier, tout ce qui est au-dessus du firmament. Cest dabord la résidence de Dieu :
- Lc 3, 22 : « et lEsprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: "Tu es mon fils; moi, aujourdhui, je tai engendré » (voir aussi Ac 11, 9)
- Lc 11, 13 : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il lEsprit Saint à ceux qui len prient!" »
Cest le lieu de résidence des anges :
- Lc 2, 15 : « Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux: "Allons jusquà Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître." »
- Lc 22, 43 : « Alors lui apparut, venant du ciel, un ange qui le réconfortait »
Même Satan semble y habiter, ainsi que toute une panoplie dêtres :
- Lc 10, 18 : « Il leur dit: "Je voyais Satan tomber du ciel comme léclair! »
- Ac 7, 42 : « Alors Dieu se détourna deux et les livra au culte de larmée du ciel, ainsi quil est écrit au livre des Prophètes: Mavez-vous donc offert victimes et sacrifices, pendant 40 ans au désert, maison dIsraël? »
Et bien sûr, les croyants sont appelés à y habiter :
- Lc 6, 23 : « Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez dallégresse, car voici que votre récompense sera grande dans le ciel »
Et cest là quest retourné Jésus ressuscité :
- Lc 24, 51 : « Et il advint, comme il les bénissait, quil se sépara deux et fut emporté au ciel »
- Ac 3, 21 : « celui que le ciel doit garder jusquaux temps de la restauration universelle dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes »
Comme on la déjà mentionné, juste au-dessus de la voute du firmament, il y a les astres et la mer supérieure, responsable de nos phénomènes météorologiques :
- Lc 4, 25 : « Assurément, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours dElie, lorsque le ciel fut fermé pour trois ans et six mois, quand survint une grande famine sur tout le pays»
- Lc 17, 29 : « mais le jour où Lot sortit de Sodome, Dieu fit pleuvoir du ciel du feu et du soufre, et il les fit tous périr »
Comme tout ce ciel est un tout, quand il souvre, cest un ciel au singulier qui souvre :
- Lc 3, 21 : « Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel souvrit »
Bref, on retrouve dans lévangile de Luc la même cosmologie que chez les autres, mais avec un vocabulaire dont on a enlevé un peu la couleur juive.
- Lespace au-dessus de nous jusquau firmament
De manière très semblable aux autres évangiles, « ciel » est toujours au singulier pour désigner lespace au-dessus de nous qui nous entoure, et qui désigne trois choses :
- Laire où se déploie les oiseaux : « elle (la semence) a été foulée aux pieds et les oiseaux du ciel ont tout mangé » (Lc 8, 5; voir aussi Lc 9, 58; 13, 19; Ac 10, 12)
- Le firmament vers où se porte le regard quand on lève la tête : « Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit » (Lc 9, 16; voir aussi Lc18, 13; Ac 1, 10-11; 7, 55; 11, 6)
- La zone du vent, des nuages, des orages et de la couleur du firmament : « (Lorsque vous voyez un nuage se lever au couchant, aussitôt vous dites que la pluie vient... lorsque cest le vent du midi qui souffle, vous dites quil va faire chaud...) Hypocrites, vous savez discerner le visage de la terre et du ciel; et ce temps-ci alors, comment ne le discernez-vous pas? » (Lc 12, 56; voir aussi Lc 17, 24; Ac 2, 2)
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Le mot ouranos chez Luc |
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- Jean
La première chose à dire sur Jean est que le mot « ciel », sur les 18 occurrences, napparaît quau singulier, jamais au pluriel. Considérons ce tableau :
| Pluriel | Singulier | Total |
Dieu | 0 | 11 | 11 |
Au-dessus du firmament | 0 | 6 | 6 |
Latmosphère sous le firmament | 0 | 1 | 1 |
| 0 | 18 | 18 |
Comme le montre ce tableau, ouranos fait surtout référence à Dieu pour éviter de prononcer son nom, comme cela était coutume dans le monde juif. Regardons de plus près.
- Le ciel pour désigner Dieu
Après Matthieu, cest Jean qui semble utiliser le plus ouranos comme euphémisme pour désigner Dieu. Mais en fait, tout est concentré sur deux scènes : la première est une réponse de Jean-Baptiste à ses disciples pour appuyer laction de baptiser de Jésus : (Jn 3, 27 « Un homme ne peut rien sattribuer au-delà de ce qui est donné du ciel »), et la deuxième est celle entourant le discours du chap. 6 sur le pain de vie qui tourne autour de la manne/vrai pain de vie venu du ciel. On ne trouvera rien ailleurs. Ainsi, on a dune part Jean-Baptiste, digne représentant du monde Juif, et dautre part cette scène de lexode où le peuple Juif a été nourri de manne au désert, maintenant remplacé par Jésus lui-même. Ainsi, ouranos appartient pour lévangéliste Jean au monde ancien, et il ne lemploiera plus ailleurs.
- Le ciel au-dessus du firmament
La représentation de ce ciel au-dessus du firmament est assez schématique chez Jean : on napprend à peu près rien de sa composition. Bien sûr, elle est la demeure de Dieu :
- Jn 12, 28 : « Père, glorifie ton nom!" Du ciel vint alors une voix: "Je lai glorifié et de nouveau je le glorifierai." »
Cest de cette demeure du ciel que vient Jésus :
- Jn 3, 13 : « Nul nest monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme »
Et cest aussi la demeure des anges :
- Jn 1, 51 : « Et il lui dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de lhomme." »
Mais cest tout. Rien sur dautres puissances, ou les astres, ou la mer supérieure, ou même les croyants (quoiquon ait Jn 14, 3 : « Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place »)
- Latmosphère sous le firmament
Cette signification du mot est presque totalement absente du quatrième évangile, à lexception de 17, 1 : « Ainsi parla Jésus, et levant les yeux au ciel, il dit: "Père, lheure est venue: glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie" ». Ainsi, ne voit-on dans son évangile aucune référence aux oiseaux du ciel ou aux éléments de la nature comme les nuées ou le temps quil fait.
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Le mot ouranos chez Jean |
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Ainsi, « ciel » est un mot qui a une valeur symbolique et revêt différentes significations. Il peut désigner lespace quaujourdhui on appelle : atmosphère. Pour les gens du premier siècle, cest là quon trouve les oiseaux, les nuages, les éclairs et le firmament qui peut prendre différentes couleurs selon le temps quil fait. Au-delà de ce que nous appelons « atmosphère », les gens de lAntiquité plaçaient un autre monde, appelé également « ciel », où ils voyaient différentes strates, les luminaires comme le soleil, la lune et les étoiles, puis les réservoirs deau qui nous donnaient la pluie, et enfin, encore plus loin, le monde de Dieu, inatteignable et ineffable, une sorte de grande maison toute une panoplie dêtre et de strates, les élus, les anges , les diverses puissances, et finalement Dieu lui-même. À cause de ce côté composite, ce milieu était appelé « cieux », plutôt que « ciel » dans les milieux juifs. Enfin, en raison de sa nature lointaine et inatteignable, le ciel est aussi un euphémisme pour désigner Dieu, sans prononcer son nom.
En conclusion, on ne peut sempêcher de citer cette phrase de Marc 13, 31, reprise par Matthieu et Luc : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ». Cela signifie-t-il que même le ciel disparaîtra? Avec un brin dhumour, nous pourrions dire que cette ancienne cosmologie est « déjà passée », et a été remplacée par une plus moderne. Néanmoins, essayons de comprendre ce qui est ici signifié.
Rappelons que cette parole de Marc se situe dans son discours apocalyptique où tout notre univers est appelé à seffondrer. Cela signifie que pour Marc ce monde divisé entre la terre sous le firmament et ce qui au-dessus du firmament est appelé à disparaître : les étoiles avec le soleil et la lune, ainsi que la mer supérieure, qui appartiennent tous à cette partie au-dessus du firmament, sécroulent; ainsi, une partie de ce quil appelle le ciel est appelé à disparaître. Dans cette représentation finale, tout le monde se retrouve en quelque sorte dans lunivers de Dieu. Bien sûr, tout cela est relié à une cosmologie qui est pour nous désuète. Mais il y a ici une bonne nouvelle : car cest lannonce que la dualité ciel-terre est appelée à être remplacée par un monde unifié qui vit au diapason de Dieu. Ne peut-on pas trouver une plus grande source despérance?
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Démon |
(Dans cette analyse, certaines informations proviennent de André Myre, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 323-330)
Le nom « démon » traduit à la fois le mot grec masculin daimōn et le mot neutre daimonion. Mais le terme daimōn n’apparaît qu’une seule fois (Mt 8, 31) dans tout le Nouveau Testament, contre 63 fois pour daimonion.
Dans la Grèce antique
Dans l’Antiquité grecque, daimōn apparaît à côté du mot theos (Dieu) pour désigner la puissance divine qui influence la destinée humaine en bien ou en mal, d’où découle le sens de « destin haïssable » ou « bonne fortune » ou « bonheur » (voir aussi Is 65, 11). Le philosophe Platon considère ces divinités comme des êtres mixtes qu’il situe dans un espace entre les hommes et les dieux. Quant à daimonion, le terme est le diminutif de daimōn, et donc Platon le considère comme un être divin mais inférieur. Selon la racine du mot, daimōn désigne ce qui perturbe et déchire et aurait une origine animiste pour décrire les puissances positives ou négatives qui influencent le cours de la vie humaine. Mais dans la hiérarchie des forces de l’au-delà intervenant dans l’histoire, ce sont les moins élevées, et donc les plus proches, et de là les plus craintes.
Dans la Septante
Notons tout de suite que daimōn apparaît seulement en Is 65, 11 (LXX « Et vous qui m'abandonnez et qui oubliez ma montagne sainte, qui dressez une table pour le démon [daimōn] et qui mêlez le vin pour faire des libations à la fortune ») et le traducteur traduit ainsi deux mots hébreux gāḏ et menî, qui sont deux faux dieux, Gad, ou « La Chance », vénéré en Canaan, et Méni, ou « La Répartition » ou « Destin ». Dans le monde juif, daimōn désigne des divinités étrangères dont il faut se tenir loin.
C’est plutôt le nom daimonion qui est utilisé dans la Septante. Mais le terme est peu fréquent, et si on considère les textes hébreux que nous possédons et qui ont été traduits en grec par daimonion, on se rend compte qu’il n’y pas de constance. Par exemple, le texte hébreu de Dt 32, 17 utilise le terme šēḏ (mot emprunté à l'assyrien šêdu, esprit protecteur, notamment le taureau-colosse) : « ils ont sacrifié aux šēḏ et non à Dieu », et la Septante a traduit ainsi : LXX « Ils ont sacrifié aux démons (daimonion) et non à Dieu » (voir aussi Ps 106, 37); il s’agit donc de divinités étrangères que les Juifs considèrent comme des faux dieux ou des idoles. C’est la même idée qu’on retrouve en Ps 96, 5, mais cette fois c’est le terme hébreu 'ĕlîl (sans valeur) qui est utilisé; le texte hébreu présente : « toutes les divinités des peuples sont des vanités ('ĕlîl) », une phrase que la Septante a rendue ainsi : LXX « Car tous les dieux des païens sont des démons (daimonion) ». Cette définition de daimonion comme divinité étrangère apparait également chez Baruch : LXX « car vous avez exaspéré celui qui vous a fait en sacrifiant à des démons (daimonion) et non à Dieu (4, 7; voir aussi 4, 35).
Chez Isaïe, c’est plutôt le terme śāʿîr (bouc poilu ou satyre, avec une signification démoniaque) qui est traduit par daimonion. Par exemple, en Is 13, 21 le texte hébreu nous dit : « Les chats sauvages s’y arrêteront, les hiboux rempliront les maisons, les autruches y habiteront et les satyres (śāʿîr) y danseront », et la fin du verset a été traduit ainsi par la Septante : LXX « et les démons (daimonion) y danseront » (voir aussi Is 34, 14 où il s’agit de la destruction d’Édom). Rappelons le contexte : le prophète annonce la destruction de Babylone qui deviendra une terre inhabitée où errent les animaux sauvages, créant un environnement qui apparaît hanté; le fait que les satyres y dansent indique qu’ils ont pris possession des lieux. Les démons apparaissent donc comme des spectres obscurs qui font peur et ont fait des lieux désertiques leur demeure.
Au Psaume 91, le psalmiste exprime son assurance d’être protégé de toutes les calamités, et à la fin du v. 6, dans le texte hébreu, il nous dit qu’il n’a peur de rien, en particulier : « Ni de la peste qui marche dans les ténèbres, ni de la destruction (qeṭeḇ) qui se produit en plein midi ». Mais le traducteur de la Septante a rendu ainsi la dernière partie du v. 6 : LXX « ni d'une mésaventure et d'un démon (daimonion) de midi ». Le v. 6 entendait couvrir les calamités de nuit et ceux de jour, et le traducteur de la Septante a probablement considéré que les calamités du jours étaient dues aux aléas de la vie ou destin, donc a introduit la notion antique de démon comme responsable de la bonne et mauvaise fortune, comme on l’a vu en Is 65, 11.
Le livre de Tobit, où daimonion apparaît 7 fois, doit être considéré à part. Rappelons que le livre est un roman populaire juif, mais inspiré de la tradition sapientielle du monde païen. Le démon est présenté en opposition à l’ange Raphaël (celui qui guérit). Il a même un nom (3, 8): Asmodée (celui qui fait périr). Il serait amoureux de Sara, la fille de Ragouël, et donc pour la garder pour lui seul, il a fait mourir les sept hommes précédents qui voulait l’épouser (6, 15). Pour se débarrasser de lui, Raphaël propose à Tobias, au moment d’entrer dans la chambre nuptiale après les noces avec Sara, de prendre un morceau du foie du poisson ainsi que le cœur et de les mettre sur la braise du brûle-parfum : l’odeur se répandra, le démon la sentira, il s’enfuira et jamais plus on ne le reverra autour d’elle (6, 17). C’est ce qui arriva, car dès que le démon sentit l'odeur, il s'enfuit au fond de la haute Égypte, où Raphaël l'enchaîna comme il lui avait été demandé. Qu’apprend-on du livre de Tobit sur daimonion? Tout d’abord, le démon appartient au monde des esprits comme les anges, i.e. ce ne sont pas des êtres humains, mais ils ne sont pas Dieu. Mais leurs comportements s’apparentent aux êtres humains, comme le fait d’être amoureux et d’être gênés par certaines odeurs? Sont-ils de soi méchants? Ce n’est pas évident, car en 3, 17 l’auteur de Tobit parle d’Asmodée comme d’un « mauvais démon », comme s’il y avait des démons qui n’étaient pas mauvais; cependant, en 6, 8, l’auteur parle de personnes tourmentées par un « démon » ou « esprit mauvais », comme si les deux termes étaient synonymes. Étant donné que nous n’avons aucun exemple de « bon démon », il vaut assumer que dans le monde de Tobit certains malheurs de la vie étaient l’œuvre du démon.
Que conclure de la Septante? La notion de démon (daimonion) est flottante et peut désigner tant les divinités païennes, et donc des idoles en référence à êtres inexistants, que des forces obscures qui rôdent au milieu de la désolation et sont à la source des infortunes de la vie.
Dans les évangiles
C’est Marc, comme premier évangéliste, qui a introduit l’image de Jésus comme exorciste, i.e. comme chasseur de démons, une image que copieront Matthieu et Luc. Cette image est totalement absente de l’évangile selon Jean.
Ce travail d’exorciste de Jésus chez Marc est si important qu’il lui permet de résumer l’activité de Jésus : « Et il s'en alla à travers toute la Galilée, prêchant dans leurs synagogues et chassant les démons (daimonion) » (Mc 1, 39). Et quand Jésus envoie ses disciples en mission, c’est « avec pouvoir de chasser les démons (daimonion) ».
Pourquoi chasser les démons? Quel est le problème? Tout d’abord, les évangiles distinguent les exorcismes des guérisons (« il guérit beaucoup de malades atteints de divers maux, et il chassa beaucoup de démons », Mc 1, 34). À propos des guérisons, on apprend parfois le nom de la maladie : la fièvre (Mc 1, 30 || Mt 8, 14 || Lc 4, 38), la lèpre (Mc 1, 40 || Mt 8, 1 || Lc 5, 12; 17, 12), la paralysie (Mc 2, 3; 3, 1 || Mt 9, 2; 12, 10 || Lc 5, 18; 6, 6; Jn 5, 5), les hémorragies (Mc 5, 23 || Mt 9, 20 || Lc 8, 43), une maladie qui entraîne la mort (Mc 5, 35 || Mt 9, 18 || Lc 7, 2.12; 8, 42; Jn 4, 47; 11, 14), la surdité (Mc 7, 32), la cécité (Mc 8, 22; 10, 40 || Mt 9, 27; 20, 30 || Lc 18, 35-43; Jn 9, 1), le mutisme (Mt 15, 30); être estropié ou boiteux (Mt 15, 30), être hydropique (Lc 14, 2).
Mais il est plus difficile de clarifier la situation de ceux qui sont « démonisés » (daimonizomai), i.e. possédés d’un ou des démons, traduits habituellement par : démoniaques. Il y a deux cas clairs où on prend la peine de donner une description, en commençant par le possédé de Gérasa (Mc 5, 1-20 || Mt 8, 28-34 || Lc 8, 26-39) : c’est un homme qui habitait les tombes (Mt 8, 28 parle de deux démoniaques), qui brisait ses chaînes quand on essayait de le lier, et nuit et jour il criait et se blessait avec des pierres; Luc ajoute qu’il vivait nu (Lc 8, 27). Marc le décrit comme ayant un esprit impur, et quand il décline son identité, il se dit être légion, et donc ce sont plusieurs esprits qui seront expulsés pour être envoyés dans des porcs (Mc 5, 13) qui se jetteront de l’escarpement et se noieront. À travers ce récit avec une coloration folklorique on devine un cas de maladie mentale. Le fait d’utiliser « esprit impur » (Mc 5, 2) est significatif : car il ne s’agit pas d’une impureté morale, mais de la non-conformité bien sûr cultuelle, mais aussi sociale, et donc représentant un danger pour la société.
Le deuxième cas est celui d’un enfant épileptique (Mc 9, 14-29 || Mt 17, 14-21 || Lc 9, 37-43) : il est muet, il se roule par terre et il écume, il grince des dents et devient raide, il se jette dans le feu et dans l’eau; selon Matthieu, c’est un lunatique; selon Luc il crie et est secoué avec de l’écume. Selon Marc et Luc, il est possédé par un esprit impur (Mc 9, 25; Lc 9, 42). De toute évidence, l’enfant a un comportement qui défie les normes sociales.
Mais il y a d’autres situations moins claires qu’on attribue au démon. Par exemple, la fille d’une cananéenne (Mc 7, 24-30; Mt 15, 21-28), qui a un esprit impur selon Marc (Mc 7, 24), et était fort malmenée par un démon selon Mt 15, 22. De quoi s’agit-il? On ne nous donne aucun indice, sinon qu’une fois guérie, l’enfant est étendue sur le lit, le démon sorti. Un autre exemple est un récit propre à Luc (13, 10-17) d’une femme « ayant un esprit de maladie depuis dix-huit ans », étant courbée et tout à fait incapable de se redresser, et à propos de laquelle Jésus reconnaît que « Satan l’a liée voici dix-huit ans ». Pourquoi parler d’une maladie provoquée par un esprit / Satan dans le cas de la femme courbée pendant dix-huit ans, et non pas dans le cas de gens avec une paralysie totale (Mc 2, 3) ou partielle (Mc 3, 1)? Est-ce que ce handicap était plus inhabituel et plus spectaculaire?
Matthieu et Luc nous surprennent également en attribuant au démon le mutisme (Mt 9, 32; 12, 22; Lc 11, 14), et Matthieu en attribuant au démon la cécité (Mt 12, 22), alors qu’ailleurs ces maux appartenaient aux maladies ordinaires. On note donc un manque de constance. Qu’est-ce que cela signifie? Il est donc probable qu’en l’absence de connaissances étendues et scientifiques sur les maladies, on les attribuait toutes à des forces obscures, qu’on appelait démons, mais que certaines maladies plus spectaculaires comme la maladie mentale ou l’épilepsie, ou encore des maladies qui troublaient l’ordre social, évoquaient plus facilement une possession diabolique.
Notre compréhension sur le démon peut être élargie en observant que Jean-Baptiste a été accusé d’être possédé par un démon, si on en croit la Source Q : « Jean le Baptiste est venu en effet, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin, et vous dites: Il a un démon! » (Mt 11, 18 || Lc 7, 33). Pourquoi? Le comportement de Jean-Baptiste ne correspond pas au modèle habituel, et donc apparaît menaçant. Dans l’évangile de Jean, Jésus se fait accuser également d’avoir un démon (Jn 10, 20). Pourquoi? Il vient d’affirmer qu’il a le pouvoir de se dessaisir de sa vie et de la reprendre, et les gens trouvent qu’il est fou (mainomai). Dire des choses folles ou déraisonnables est l’œuvre du démon. Dans les évangiles synoptiques, Jésus ne se fait pas dire directement qu’il est possédé d’un démon, mais on l’accuse de faire des exorcismes au nom de Béelzéboul, le chef des démons (Mc 3, 20-30 || Mt 12, 24-32 || Lc 11, 15-23; 12, 10). Pourquoi? Le contexte est celui où la foule autour de Jésus est si nombreuse que lui et ses disciples ne peuvent pas prendre leur repas, que sa parenté est venue pour s’emparer de lui, considérant qu’il a perdu la tête et les scribes de Jérusalem jugeant que quelque chose d’anormal se passe. La perturbation d’un certain ordre social comme le fait Jésus ne peut être que l’œuvre du démon, mais comme Jésus opère des exorcismes, il ne peut le faire qu’au nom de son chef, Béelzéboul.
Que sont donc ces démons? Ils appartiennent au monde des esprits, et des esprits impurs, et donc en opposition avec l’ordre voulu par Dieu. Parce qu’ils sont des esprits, ils sont supérieurs aux humains, et possèdent des connaissances particulières : selon Marc (1, 34), repris par Luc (4, 41) ils connaissent l’identité de Jésus. Ils ne semblent pas très hauts dans la hiérarchie céleste, assurément pas aussi hauts que les anges, car ils ont besoins des humains et des animaux pour trouver une demeure, sinon ils sont condamnés à errer dans les régions arides (voir Lc 11, 24-26). Ils apparaissent comme un groupe organisé sous un chef, Béelzéboul (Mt 10, 25; 12, 24.27; Mc 3, 22; Lc 11, 15.18-19), un nom qui pourrait remonter au dieu cananéen Baal.
Bref, Béelzéboul et sa troupe de démons sont responsables des maux qui affligent les humains. Jésus, en guérissant et en chassant les démons, veut rétablir l’humanité dans son intégrité, dans toute sa grandeur; il ne s’agit pas de rétablir l’ordre social, mais l’ordre voulu par Dieu. Sa mission, et celle qu’il a confié à ses disciples, permet d’anticiper ce qu'est le royaume de Dieu.
Dans les Actes des Apôtres et les autres écrits du Nouveau Testament
Avec les Actes, même si l’auteur est le même que celui de l’évangile de Luc, la signification des démons a changé : il ne s’agit plus de ces esprits qui rôdent dans les lieux désolés et prennent possession des humains pour les aliéner et les rendre malades, mais les démons ont retrouvé la signification qu’ils ont dans le Deutéronome et le livre de Baruch : des divinités étrangères, donc des idoles qui correspondent à des dieux qui n’existent pas (Ac 17, 18). C’est la même signification chez Paul (« Nous savons qu’il n’y a aucune idole dans le monde et qu’il n’y a d’autre dieu que le Dieu unique » 1, Co 8, 4) et quand il demande aux chrétiens d’éviter les banquets païens où on mange des viandes sacrifiées aux idoles pour éviter d’entrer en communion avec les démons (1 Co 10, 20), il n’entend pas accorder une existence quelconque aux démons, mais veut éviter que le chrétien soit associé à ce qui représente l’antithèse de Dieu.
La première lettre à Timothée ne prend pas position sur l’existence du démon, mais le terme devient synonyme de ce qui est trompeur dans l’expression : « L'Esprit dit expressément que, dans les derniers temps, certains renieront la foi pour s'attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines de démons » (1 Tm 4, 1). Quant à la lettre de Jacques, elle nous ramène à ce qui était une des caractéristiques des démons dans les évangiles selon Marc et Luc, une connaissance supérieure aux humains : « Toi, tu crois qu'il y a un seul Dieu? Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent ».
Le livre de l’Apocalypse se détache des autres écrits. On y trouve bien sûr la notion de démon comme idole (9, 20) fait de métal ou de bois, tel que présenté dans l’AT, les Actes ou chez Paul, mais le démon est maintenant associé à un dragon, présenté comme l’adversaire par excellence, associé aussi à une bête, symbole de l’empire romain malfaisant, associé enfin au faux prophète, représentant l’appareil idéologique du pouvoir :
Alors, de la bouche du dragon, de la bouche de la bête et de la bouche du faux prophète, je vis sortir trois esprits impurs, tels des grenouilles. Ce sont, en effet, des esprits de démons. Ils accomplissent des prodiges et s’en vont trouver les rois du monde entier, afin de les rassembler pour le combat du grand jour du Dieu souverain (Ap 16, 13-14)
Ce qui est nouveau, c’est d’associer le démon à toutes ces forces hostiles dans le monde qui ont engagé un combat à finir avec Dieu et ses enfants.
Comment conclure cette analyse? Ce sont les Grecs qui ont introduit la notion de démon (daimonion), ces demi-dieux qui exercent une influence soit positive soit négative sur l’humanité. Mais le monde Juif, fort de sa foi en un Dieu unique et transcendant, a porté un regard négatif sur cette notion, l’associant soit aux divinités païennes, appelées idoles et ne représentant que le néant, soit aux forces obscures qui rôdent au milieu de la désolation et sont à la source des infortunes de la vie. Mais avec le temps, comme l’angéologie, la démonologie, son antithèse, s’est développée, surtout dans le contexte apocalyptique à partir du 2e siècle avant notre ère comme en témoigne 1 Hénoch : le combat était amorcé entre les forces du bien et les forces du mal. C’est ainsi que les évangiles synoptiques témoignent de cette perception que les maladies physiques et mentales proviennent du démon, et Jésus ainsi que ses disciples sont engagés dans ce combat contre le démon, aussi appelé « esprit impur ». Le livre de l’Apocalypse reprend la vision cosmique des forces du mal, dont les démons sont les valeureux soldats, se concertant contre Dieu et les croyants. Mais dans le reste du Nouveau Testament, le vocabulaire autour du démon a presque complètement disparu, non pas qu’on ne croit plus à des forces hostiles contre l’être humain, mais le terme « démon » n’est plus ce qui le véhicule le mieux.
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Le nom daimonion dans la Bible
Le nom daimōn dans la Bible
Le verbe daimonizomai dans la Bible |
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Diable |
(Dans cette analyse, certaines informations proviennent de André Myre, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 323-330)
Le terme « diable » provient de l’adjectif grec diabalos, qui a la même racine que le verbe diaballō formé de la préposition dia (à travers) et le verbe ballō (jeter, lancer), donc jeter en travers, enrayer (comme ce diabolon, un bâton utilisé pour enrayer la roue d’un char romain), un verbe qui signifie : dénoncer; c’est donc ce qui trouble l’harmonie, désunit. Dans le monde grec classique, le terme masculin ho diabolos est utilisé par Aristote pour désigner l’homme médisant ou calomniateur, alors que chez Plutarque le terme neutre to diabolon fait référence à la médisance, à la calomnie.
Dans la Septante
L’adjectif diabolos est l’un des termes choisis par les traducteurs de la Septante pour traduire le mot hébreu śāṭān, qui signifie : adversaire, un adversaire qui est parfois personnifié. Notons qu’à deux reprises (1 R 11, 23; Si 21, 27), l’hébreu śāṭān a été traduit par le terme grec satan. Pourquoi? Ce fut sans doute le choix personnel du traducteur alors que le mot joue simplement le rôle d'attribut d'une personne, et donc ne désigne pas un être personnifié.
Le terme diabolos, qui traduit toujours le terme hébreu śāṭān, lorsque nous disposons du texte hébreu, n’apparaît que dans sept livres : 1 Chroniques, Zacharie, Job, Esther grec, Psaumes, Sagesse et 1 Maccabées. Parfois, il joue le rôle d’un simple adjectif, parfois il désigne un être personnifié.
- Un adjectif
Dans le livre d’Esther grec, diabolos apparaît dans la bouche de la reine Esther (7, 4) dans son dialogue avec le roi à la cour perse pour qualifier Haman, le grand-vizir, devenu ministre important, qui avait réussi à faire émettre un édit pour la disparition du peuple juif, tout cela parce que le juif Mardochée ne s’était pas prosterné devant lui; diabolos est habituellement traduit par « calomniateur » par nos bibles, car l’accusation de Haman que les lois juives sont incompatibles avec les lois perses est injuste et fausse. Le terme apparaît également sous la plume du narrateur en 8, 1 pour désigner Haman alors qu’on le dépouille de ses possessions.
En 1 Maccabées 1, 36, diabolos est appliqué à la citadelle construite sous la direction du percepteur envoyé par Antiochus, après avoir pillé Jérusalem : cette citadelle servira à emmagasiner des armes et des vivres, et sera considérée comme un piège pour les habitants; d’où le commentaire : « Cela devint une embuscade pour le sanctuaire et un adversaire (diabolos) maléfique pour Israël en tout temps ».
- Un être personnifié
Dans la majorité des cas, cet adversaire est personnifié. C’est ainsi que dans le livre de Job il apparaît au tout début du livre lors d’une audience du Seigneur avec toute sa cour d’anges : il prend la forme d’un ange qui est un agent du renseignement chargé de faire un rapport à Yahweh sur la conduite des humains (Jb 1, 6-7). Et comme tous les agents du renseignement, il est suspicieux (1, 9) sur la véritable motivation des humains. Aussi propose-t-il de les mettre à l’épreuve (1, 11) pour vérifier leur motivation. Et pour accomplir cette tâche, il dispose de larges pouvoirs (1, 12) : catastrophes naturelles (1, 16.19), pillages (1, 15.17), maladie (2, 7), mort (1, 15-19). Dans le livre de Job, le rôle du diable se limite à être l’auteur des épreuves envoyées à l’être humain afin de vérifier la qualité de son cœur.
Mais dans le livre de Zacharie, c’est un rôle quelque peu différent qu’on fait jouer au diable dans la quatrième vision du prophète : il est présenté comme un accusateur, i.e. comme le procureur responsable des accusations (3, 1-2). Rappelons que nous sommes dans la demeure céleste, et un ange joue le rôle d’administrateur du monde au nom de Dieu. Le fait que le grand-prêtre Josué de Jérusalem soit en sa présence semble indiquer la volonté de lui faire jouer un rôle dans l’administration de la ville. Mais le diable se tient à sa droite, une position d’influence, pour accuser le grand-prêtre et empêcher qu’il joue son rôle. L’ange du Seigneur le réduira au silence. C’est ce même rôle d’accusateur que fait jouer au diable le Ps 109, 6 : dans le cadre d’un procès, le psalmiste demande à Dieu de désigner un procureur pour accuser ses ennemis de tout le mal qu’ils lui ont fait.
Le rôle du diable change encore avec le livre des Chroniques (21, 1). En effet, il ne s’agit plus simplement de mettre à l’épreuve les humains et de les accuser, mais d’introduire dans le cœur humain des intentions contraires à celles de Dieu. Or, le contexte est celui du recensement du peuple, une action gérée par des intérêts financiers et inacceptables aux yeux de Dieu. Or, selon l’auteur du livre des Chroniques, c’est Satan, traduit par « diable » dans la Septante, qui a pris l’initiative d’introduire cette intention mauvaise dans le cœur du roi David.
Enfin, le livre de la Sagesse (2, 24) complète l’image du diable : c’est un adversaire de l’être humain qui est actif depuis sa création dans le jardin d’Eden, car c’est lui qui a pris la forme du serpent qui trompa la femme (Gn 3), et, par là, introduisit la mort, jaloux qu’il était de son immortalité. Ainsi, le diable n’est pas seulement un accusateur et un adversaire de Dieu, mais il est fourbe et menteur et cherche par tous les moyens à nuire aux êtres humains.
Voilà le contexte qui nous permet de comprendre les évangiles et l’ensemble du Nouveau Testament.
Dans les évangiles
On retrouve le terme « diable » dans la source Q, chez Luc et Matthieu, ainsi que dans la tradition johannique, mais il est totalement absent de Marc qui préfère le terme « satan » : Mt = 6; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 3; Ac = 2; 1Jn = 4; 2Jn = 0; 3Jn = 0.
- La source Q
La première fonction du diable qu’on nous présente nous vient de la source Q (Mt 4, 1-11 || Lc 4, 2-13) et elle est celle de mettre à l’épreuve Jésus au tout début de sa mission. Ce rôle ressemble à celui du diable dans le livre de Job. Notons que Matthieu (4, 3) y utilise le synonyme « tentateur » (peirazōn, litt. le mettant à l’épreuve). Le récit assume que le diable est maître des royaumes du monde, car il est en mesure de les donner à qui il veut; c’est une vision assez négative du monde politico-économique, car pour régner sur ce monde il faut se prosterner devant le diable. Les trois grandes épreuves que doit subir Jésus concernent les besoins physiques (la nourriture), le désir de ne point mourir, et le besoin d’être important et d’avoir les moyens pour combler tous ses désirs; sur tous ces points, le diable met à l’épreuve l’être humain pour vérifier jusqu’à quel point il demeure fidèle à sa vocation devant Dieu. Ce rôle du diable n’est pas mauvais en soi, puisque Jésus jouera ce rôle en Jn 6, 6 pour vérifier la foi de ses disciples (« "Où achèterons-nous des pains pour qu’ils aient de quoi manger ?" En parlant ainsi il le [Philippe] mettait à l’épreuve [peirazōn]; il savait, quant à lui, ce qu’il allait faire »).
- Matthieu
Matthieu nous présente deux scènes qui lui sont propres faisant référence au diable. Le contexte de 13, 39 est celui d’une parabole de Jésus sur le royaume de Dieu (13, 24-30) où un fermier a semé du blé dans son champ, mais quand l’épi est apparu, la mauvaise herbe a aussi fait son apparition. Une fois à la maison, la parabole est présentée comme une allégorie où les images prennent une valeur symbolique : le blé désigne ceux qui hériteront du royaume, la mauvaise herbe ce sont les fils du mauvais destinés pour le dépotoir où le feu brûle sans arrêt. Le diable est le père des fils du mauvais. Ainsi, le mot mauvais (ponēros) est accolé au diable, et on le présente comme l’agent principal de l’action contre Dieu; c’est l’ennemi qui détourne les gens du royaume. La deuxième scène est une continuité de celle-là : lors du jugement final ceux qui n’ont pas eu de compassion dans leur vie seront écartés du royaume et jetés dans le grand dépotoir où le feu ne s’éteint pas, et iront ainsi rejoindre le diable et ses anges (25, 41). Parler du diable et ses anges, c’est reconnaître que le diable appartient à une population céleste, parler du dépotoir c’est affirmer que Dieu sortira vainqueur de son combat contre le diable et que ce dernier sera finalement exterminé.
Avec ses deux scène propres, Matthieu aborde la question du mal dans le monde, et en accord avec la mentalité de son temps, fait reposer la responsabilité du mal sur des êtres célestes qui dévoient les humains. C’est une façon de reconnaître qu’il y a là un véritable mystère. Mais la scène du jugement finale affirme que l'être humain porte sa part de responsabilité en s'étant laissé dévoyer par le diable.
- Luc
Luc n’a qu’une seule occurrence du mot « diable » qui lui soit propre dans son évangile dans une scène où il reprend de Marc l’explication de la parabole du semeur, mais remplace le mot « Satan » de Marc par « diable » (Lc 8, 12). Cela surprend d’autant plus qu’il aime bien le mot Satan qui apparaît cinq fois dans son évangile. Sans doute pour son auditoire grec le terme « diable » était plus compréhensible que le terme hébreu « satan » dans le contexte de la réception de la parole, et donc dans un contexte de foi qui seule permet de s’y ouvrir; le diable apparaît comme celui qui s’oppose au salut des gens, comme le diable chez Matthieu s’opposait à ce que les gens entrent dans le royaume; chez Luc, l’opposition ne prend pas la forme de la lutte contre la compassion comme chez Matthieu, mais plutôt la forme de la lutte contre la foi et l’accueil de la parole.
Dans les Actes des Apôtres, deux scènes affichent le mot « diable ». Il y a d’abord le discours de Pierre chez Corneille qui résume le ministère de Jésus qui guérissait « tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable » (Ac 10, 38). C’est une affirmation étonnante, car partout ailleurs dans les évangiles, y compris l’évangile de Luc, la maladie est associée au démon, et non pas au diable. Rappelons que le démon appartient au monde des esprits inférieurs qui habitent les humains et les animaux, quand il ne rôde pas dans les lieux désolés, tandis que le diable semble appartenir à la cour céleste, chargé de mettre à l’épreuve des humains et de les orienter loin du royaume de Dieu. La distinction semble confuse chez Luc, qui associe également à Satan le handicap de la femme courbée depuis 18 ans (Lc 13, 16), reprenant peut-être une tradition ancienne qui remonte au monde hébraïque.
L’autre mention du diable chez Luc se situe dans la scène autour du magicien Bar-Jésus qui s’oppose à la mission de Paul et Barnabas (Ac 13, 4-12) et cherche à détourner de la foi le proconsul Sergius Paulus. Alors Paul accuse Bar-Jésus, aussi appelé Élymas, d’être « pétri de ruse et de manigances », d’être « fils du diable, ennemi juré de la justice » (Ac 13, 10). On retrouve ici la même perception du diable que Luc nous avait présentée dans son évangile (Lc 8, 12) dans l’explication de la parabole du semeur : le diable cherche par tous les moyens, incluant la ruse, à empêcher les gens de croire et d’accueillir la parole. Étant ennemi de la justice, il est ennemi du salut.
- La tradition johannique
Il y a un certain nombre de similitudes entre la tradition lucanienne et johannique à propos du diable. Commençons avec Judas. Dans l’évangile de Jean, Judas a trahi Jésus parce que le diable avait mis dans son cœur le dessein de le livrer (Jn 13, 2; voir aussi 6, 70), une affirmation semblable sous la plume de Luc, mais avec la version hébraïque du diable, Satan : « Satan entra dans Judas » (Lc 22, 3). C’est la même perception que le diable est la source du mal, et c’est lui qui l’introduit chez l’être humain.
L’autre scène autour du diable concerne un discours de Jésus qui s’adresse aux Juifs et leur reproche de ne pas comprendre son langage, incapables qu’ils sont d’écouter sa parole. Et Jésus en donne l’explication : « Vous êtes bien de votre père, le diable, et vous avez la volonté de réaliser les désirs de votre père. Dès le commencement il s’est attaché à faire mourir l’homme ; il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Lorsqu’il profère le mensonge, il puise dans son propre bien parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44). Ainsi, comme chez Luc dans l’explication de la parabole du semeur, le diable empêcher les gens de croire et d’accueillir la parole de Jésus. Mais Jean est un peu plus précis sur les moyens utilisés par le diable en faisant référence au serpent en Gn 3 qui a trompé la femme par un mensonge. Et les conséquences de l’action du diable sont semblables : chez Luc, le diable s’oppose à la justice et au salut, chez Jean il conduit à la mort.
Dans sa présentation du diable, la source Q affirme que le monde politico-économique lui est soumis. Jean reprend la même idée, mais en utilisant l’expression « Prince de ce monde » (Jn 14, 30), tout en affirmant qu’il n’a aucune prise sur Jésus, même plus, qu’il sera éliminé (Jn 12, 31; 16, 11).
Ces idées sont prolongées dans la première lettre de Jean : les enfants du diable ne pratiquent pas la justice, mais il ajoute : et ils n’aiment pas leur frère (1 Jn 3, 10). Il en est de même de l’idée que la mission de Jésus est de détruire les œuvres du diable (1 Jn 3, 8), une idée qui sera également mentionné chez Luc, mais en référence à Satan (Lc 10, 18).
Bref, il y a une unanimité dans les évangiles pour affirmer que le diable est la source du mal dans le monde, qu’il est à l’œuvre depuis la création du monde, depuis qu’il a pris la forme du serpent pour tromper la femme, et qu’il est maintenant à l’œuvre pour empêcher les gens d’accueillir la parole évangélique, mais c’est la mission de Jésus de détruire ses œuvres et il est assuré que le fils de Dieu sera le grand vainqueur.
Dans le reste du Nouveau Testament
Comme on l’a vu dans la Septante, le mot « diable » peut être simplement un adjectif, ou bien être un être personnifié.
- Un adjectif
Comme adjectif, il signifie : être médisant, être calomniateur, en raison de sa racine : dia-ballō (lancer des choses de travers). L’adjectif n’apparaît que dans les lettres dites pauliniennes dont on n’est pas sûr de l’auteur; sur les trois occurrences, deux concernent les femmes. Il y a d’abord 1 Tm 3, 11 qui s’adresse soit à la femme du diacre ou à une diaconesse : « Les femmes, pareillement, doivent être dignes, point médisantes (diabolos), sobres, fidèles en toutes choses », puis Tt 2, 3 dans un paragraphe qui s’adresse aux personnes âgées : « Les femmes âgées, pareillement, doivent se comporter comme il sied à des personnes saintes : ni médisantes (diabolos), ni adonnées aux excès de vin ». Mais les hommes ne sont pas en reste, car 2 Tm 3, 3, qui décrit les traits des hommes aux derniers jours, nous dit : « [les hommes seront] sans cœur, implacables, médisants (diabolos), sans discipline, cruels, ennemis du bien ».
- Un être personnifié
Quand diabolos est personnifié, on retrouve les traits principaux présentés dans les évangiles. Le diable est la source du mal et harcelle sans cesse l’être humain pour le convaincre de ses desseins, car il est « comme un lion rugissant » qui rôde, « cherchant qui dévorer » (1 P 5, 8). Aussi, « il ne faut pas donner prise au diable » (Ep 4, 27). Le diable est rusé et menteur, et donc c’est un véritable combat qu’il faut mener, revêtant Dieu pour « tenir face aux manœuvres du diable » (Ep 6, 11). Face à son mensonge qui s’exprime à travers les contradicteurs, il faut utiliser la douceur, en espérant que Dieu leur donnera de se convertir pour connaître la vérité, « de revenir à eux-mêmes en se dégageant des filets du diable qui les tenait captifs et assujettis à sa volonté » (2 Tm 2, 26). Le monde est sous l’emprise du diable, si bien que « celui qui veut être ami du monde se fait donc ennemis de Dieu » (Jc 4, 4), d’où l’exhortation : « Soumettez-vous donc à Dieu, mais résistez au diable, et il fuira loin de vous » (Jc 4, 7). Enfin, depuis le début de la création, où par sa ruse il a introduit la mort dans le monde (Gn 3), le diable est devenu une puissance de mort, mais le fils de Dieu a réduit « à l'impuissance, par sa mort, celui qui a la puissance de la mort, c'est-à-dire le diable » (He 2, 14).
La lettre de Jude et le livre de l’Apocalypse appartiennent à un cadre un peu différent, marqué par la tradition apocalyptique.
Jude 1, 9 fait référence à un récit inconnu (peut-être l’écrit apocryphe L’Assomption de Moïse) où il y a eu une vive discussion entre l’archange Michel et le diable sur le corps de Moïse. Cette scène n’est pas sans rappeler Za 3, 2 où le diable est à la droite de l’ange du Seigneur comme procureur responsable des accusations contre le grand-prêtre Josué et que l’ange du Seigneur fait taire. Le récit considère le diable comme appartenant au monde des anges, mais qui joue le rôle de trouble-fête.
Dans l’apocalypse, plusieurs images sont fusionnées pour nous donner le portrait du diable. Il y a d’abord celle du dragon (drakōn), qui est en fait un serpent d’eau, un monstre de mer, symbole du chaos que Dieu a dû affronter pour organiser le cosmos (voir Is 27, 1). Ap 12, 7 nous raconte qu’il y a eu dans le ciel un combat entre Michaël et ses anges contre le dragon et ses anges, et vaincu, ce dernier n’avait plus sa place au ciel et donc fut précipité sur terre, et cette chute est décrite ainsi : « Il fut précipité, le grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier, il fut précipité sur la terre et ses anges avec lui » (Ap 12, 9). Ainsi, sous différents noms, c’est la même réalité. Ce diable c’est l’accusateur des chrétiens (Ap 12, 10), c’est lui qui les fait jeter en prison (Ap 2, 10), qui mène un combat sans merci contre le nouvel Israël, l’Église, et qui dure 1 260 jours et trois fois et demie, c'est-à-dire le temps de la persécution qui conduira à la fin des temps (Ap 12, 6). Enfin, l’ange du Seigneur « s’empara du dragon, l’antique serpent, qui est le diable et Satan, et l’enchaîna pour mille ans » (Ap 20, 2). Après les mille ans, le diable fut relâché de sa prison et alla séduire toutes les nations de la terre, mais finalement Dieu intervint, et « le diable, leur séducteur, fut précipité dans l’étang de feu et de soufre, auprès de la bête et du faux prophète. Et ils souffriront des tourments jour et nuit aux siècles des siècles » (Ap 20, 10).
Il est temps de conclure. Le terme diabolos est d’abord un adjectif du vocabulaire grec pour décrire un être médisant, basé sur le verbe diaballō qui signifie : dénoncer. Le traducteur de la Septante s’en est servi, en le personnifiant, pour décrire un ange de la cour céleste dont le rôle devant Dieu est d’être comme le procureur d’un procès, chargé des accusations et de trouver les failles de l’être humain. Pour accomplir cette tâche, il bénéficie de larges pouvoirs pour susciter diverses épreuves (voir le récit de Job). C’est ainsi qu’il en est venu à pousser l’être humain à commettre ce qui est mal (comme le recensement par David). De là, il devint responsable de l’introduction du mal dans le monde, d’où sont identification au serpent dans la Genèse (Sg 2, 24). Ce sont ces deux grands rôles qu’on retrouve dans le Nouveau Testament : 1) procureur, responsable des épreuves (voir le récit des tentations), pour vérifier la fidélité de l’être humain et pouvoir l’accuser, 2) et celui de source du mal en lutte contre l’évangile et contre le royaume de Dieu, et par là source de la mort. C’est ainsi que la vie croyante a été représentée par ce grand combat entre Dieu et le diable; pour l’instant le diable semble dominer le monde, mais à la fin il sera anéanti.
Les termes « démon » et « diable » servent fondamentalement chez les auteurs bibliques à exprimer deux grands mystères : le démon est associé au mystère de la maladie et de la souffrance, le diable à celui du mal dans le monde. L’intuition de base est que Dieu ne peut pas en être la source. En raison des connaissances scientifiques de l’époque, on s’est donc rabattu sur des esprits, les moins élevés, représentés par le démon, étant responsables des maux physiques, les plus élevés, représentés par le diable, responsables des maux moraux. Mais dans ce dernier cas, la responsabilité est partagée, car c’est à l’être humain de résister au diable. Finalement, que ce soit les maux physiques ou moraux, l’arrivée du royaume de Dieu annonce leur fin.
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Le nom / adjectif diabolos dans la Bible |
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Enfant dans le Nouveau Testament |
Il faut dabord circonscrire quels termes utilisent le Nouveau Testament pour désigner lenfant. Nous limiterons notre recherche aux termes qui font référence à lenfant en général, que ce soit un garçon ou une fille, et par là éliminant de notre analyse des mots comme « fils » ( huios) ou « fille » ( thygatēr). Nous considérerons six termes : teknon (enfant) et son diminutif teknion (petit enfant), pais (enfant) et son diminutif paidion (petit enfant), nēpios (plus jeune) et brephos (nourrisson).
Teknon
Teknon est un nom neutre. Il dérive du verbe tiktō qui signifie : engendrer. Il désigne donc la progéniture, mettant laccent sur lenfant engendré par les parents. Il ne fait pas référence à un âge particulier, et désigne tant les garçons que les filles. Cest le terme le plus utilisé dans le Nouveau Testament, i.e. 93 occurrences : Mt = 14; Mc = 9; Lc = 14; Jn = 0; Ac = 5; Ep. Jn =9; 1 Th = 2; 2 Th = 0; Ph = 2; 1 Co = 3; 2 Co = 3; Ga = 5; Rm = 6; Col = 2; Ep = 5; 1 Tm = 5; 2 Tm = 2; Tt = 0; Phlm = 1; 1 P = 2; 2 P = 1; Jc = 0; Jude = 0; He = 0; Ap = 3. Il apparaît pratiquement toujours dans un contexte parent-enfant, où « enfant » pourrait être souvent remplacé par « progéniture »; il est en quelque sorte synonyme de « fils » ou « fille ». Quelques exemples :
- Lc 1, 7 : « Mais ils navaient pas denfant (teknon), parce quÉlisabeth était stérile »
- Lc 3, 8 : « Car je vous dis que Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants (teknon) à Abraham »
- Lc 13, 34 : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois jai voulu rassembler tes enfants (teknon) à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes »
- Mt 2, 18 : « Une voix dans Rama sest fait entendre, pleur et longue plainte: cest Rachel pleurant ses enfants (teknon); et ne veut pas quon la console, car ils ne sont plus »
- Mc 12, 19 : « Maître, Moïse a écrit pour nous: Si quelquun a un frère qui meurt en laissant une femme sans enfant (teknon), que ce frère prenne la femme et suscite une postérité à son frère »
Mais cette progéniture peut aussi être définie de manière spirituelle. Quelques exemples :
- Lc 7, 35 : « Et la Sagesse a été justifiée par tous ses enfants (teknon) »
- Mc 2, 5 : « Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: "Mon enfant (teknon), tes péchés sont remis." »
- Mc 10, 30 : « qui (celui qui a tout laissé pour lévangile) ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, soeurs, mères, enfants (teknon) et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle »
- 1 Jean 3, 10 : « A ceci sont reconnaissables les enfants (teknon) de Dieu et les enfants (teknon) du diable: quiconque ne pratique pas la justice nest pas de Dieu, ni celui qui naime pas son frère »
- 1 Co 4, 17 : « Cest pour cela même que je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant (teknon) bien-aimé et fidèle dans le Seigneur »
Comment perçoit-on le teknon? Comment présente-t-on la relation entre les parents et leur progéniture? De manière générale, la vision est tout à fait positive.
- La naissance dun enfant est-ce quon désire plus que tout, et ne pas avoir denfant est perçu comme un malheur (Lc 1, 7 : « Mais ils navaient pas denfant, parce quElisabeth était stérile »), et il faut tout faire pour y remédier si possible (Mc 12, 19 : « Maître, Moïse a écrit pour nous: Si quelquun a un frère qui meurt en laissant une femme sans enfant, que ce frère prenne la femme et suscite une postérité à son frère »)
- Cest le rôle des parents de
- donner de bonnes choses à leurs enfants (Lc 11, 13 || Mt 7, 11 : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants »),
- de tout partager ce quils ont (Lc 15, 31 : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi),
- de les nourrir et de les entourer de soins (1 Th 2, 7 : « Comme une mère nourrit ses enfants et les entoure de soins »),
- de thésauriser pour leur venir en aide (2 Co 12, 14 : « Ce ne sont pas en effet les enfants qui doivent thésauriser pour les parents, mais les parents pour les enfants »)
- de les préférer aux animaux domestiques (Mc 7, 27 : « Laisse dabord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens »)
- Lidéal est une relation harmonieuse parents-enfants, si bien que si elle est brisée, il faut chercher à la rétablir (Lc 1, 17 : « Il (Jean-Baptiste) marchera devant lui avec lesprit et la puissance dElie, pour ramener le coeur des pères vers les enfants ») et retrouver la famille (Lc 13, 34 : « combien de fois jai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes »)
- Par contre, les liens de la foi on préséance sur les liens familiaux (Lc 14, 26 : « Si quelquun vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et jusquà sa propre vie, il ne peut être mon disciple »)
- En raison de ce lien fort parent-enfant, les parents doivent se préparer à souffrir du sort de leurs enfants (Lc 23, 28 : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi! pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants! »; Mt 2, 18 : « Une voix dans Rama sest fait entendre, pleur et longue plainte: cest Rachel pleurant ses enfants; et ne veut pas quon la console, car ils ne sont plus »), surtout lors de la période apocalyptique (Mc 13, 12 : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir »)
- Dans cette relation parents et enfants, il y a des droits et des devoirs : les enfants doivent obéir aux parents (Col 3, 20; Ep 6, 1), les vénérer et leur payer de retour (Ep 5, 4) ; par contre, les parents ne doivent pas exaspérer leurs enfants (Col 3, 21; Ep 6, 4), mais les éduquer en se servant de semonces et de corrections (Ep 6, 4)
- La relation parent-enfant est si positive quelle est élevée au niveau spirituel, et sert à décrire la relation maître-disciple :
Marc met cette parole dans la bouche de Jésus : (2, 5) « Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: "Mon enfant, tes péchés sont remis." »; (10, 24) « Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprit et leur dit: "Mes enfants, comme il est difficile dentrer dans le Royaume de Dieu! " »
Paul utilise ce langage pour parler de ceux quil a introduit à la foi chrétienne, comme Timothée (1 Co 4, 17 : « Cest pour cela même que je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant bien-aimé et fidèle dans le Seigneur », et surtout lensemble des communautés chrétiennes (Ga 4, 19 : « mes petits enfants, vous que jenfante à nouveau dans la douleur jusquà ce que le Christ soit formé en vous »
Jean et Paul se servent de cette relation pour décrire notre relation à Dieu : (1 Jn 3, 1) « Voyez quelle manifestation damour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu »; (Rm 8, 16) « LEsprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu »
Teknion
Ce terme est le diminutif de teknon et napparaît que neuf fois, et seulement chez Jean et Paul : Jn =1; 1 Jn = 7; Ga = 1. Cest un terme pour désigner affectueusement un adulte de la communauté croyante, et il faut donc lentendre au sens spirituel. Quelques exemples :
- Cest Jésus qui sadresse à ses disciples : « Petits enfants (teknion), cest pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je lai dit aux Juifs: où je vais, vous ne pouvez venir, à vous aussi je le dis à présent. » (Jn 13, 33)
- Cest lévangéliste qui sadresse à sa communauté : « Petits enfants (teknion), je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas (1 Jn 2, 1)
- Cest le pasteur Paul qui sadresse à sa communauté de Galatie : « mes petits enfants (teknion), vous que jenfante à nouveau dans la douleur jusquà ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4, 19)
Ce terme, dérivé de teknon, est tout de même révélateur de lattachement aux enfants : on ne pourrait lutiliser pour exprimer laffection et lattention à des adultes sil nexprimait pas à sa racine une vision très positive de lenfant.
Pais
Ce terme, qui peut être masculin ou féminin selon quil sagisse dun garçon ou dune fille, est beaucoup moins fréquent et ne se retrouve que 24 fois dans tout le Nouveau Testament, et seulement chez Luc et Matthieu, à lexception dune mention dans un récit chez Jean qui emploie à la fois pais et paidion : Mt = 8; Mc = 0; Lc = 9; Jn = 1; Ac = 6; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Disons tout de suite que pais, contrairement à teknon qui ne comportait pas de référence à lâge de lenfant, nous donne une idée de lâge de lenfant et doit se comprendre en conjonction avec son diminutif : paidion; comme nous le verrons plus bas, paidion désigne lenfant de la naissance jusquà ses sept ans, et pais est lenfant par la suite jusquà sa bar mitzwah (fils de la Loi), vers lâge de 13 ans, où il devient un adulte.
Chez Luc, le mot revêt deux significations : enfant et serviteur. Cette signification de « serviteur » est probablement une influence de la Septante où pais sert à traduire lhébreu ʿebed. En effet, considérons un exemple typique qui est la rencontre dAbraham avec Yahvé sous la forme de trois hommes au chêne de Mambré :
(LXX) Et il (Abraham) dit : « Seigneur, si jai trouvé grâce devant toi, ne passe point outre devant ton serviteur (grec : pais, héb. ʿebed). Que lon prépare leau, quils lavent vos pieds et les rafraichissent sous le chêne. Pour moi, japporterai du pain, et vous mangerez ; puis, vous poursuivrez votre voyage : cest pour cela que vous êtes venus vers votre serviteur (grec : pais, héb. ʿebed). Le Seigneur dit : Quil soit fait comme tu le demandes » (Gn 18, 3-5)
Cest ainsi que lorsque Luc met dans la bouche de Marie cette prière daction de grâce inspirée de lAncien Testament, pais prend le sens de serviteur : « Il est venu en aide à Israël, son serviteur (pais), se souvenant de sa miséricorde » (1, 54). Il en est de même de la prière de Zacharie (1, 69), et de pais dans deux paraboles (12, 45; 15, 26) où le mot signifie : serviteur. De même, dans ses Actes des Apôtres, sur les six occurrences du mot, cinq désignent un serviteur; la seule exception est lhistoire de ce jeune homme qui est sest endormi en entendant Paul discourir et est tombé de la fenêtre : au début du récit, Luc lappelle neanias (jeune homme, ou adolescent selon la traduction de la BJ), puis pais.
Ailleurs dans son évangile, quand il reprend le récit de Marc sur la ressuscitation de la fille de Jaïre, Luc introduit le mot pais (8, 51.54) pour parler de la fillette, alors que Marc parle de paidion : on peut assumer que Luc, qui maîtrise la langue grecque, trouve Marc bien imprécis dans son vocabulaire et, quà lâge de douze ans (Mc 5, 42), une fillette ne devrait plus être appelé paidion, un mot quil réserve pour les premières années de vie, mais bien pais.
Matthieu, tout comme Luc, reconnaît que pais peut parfois signifier : serviteur, mais cela ne survient quune seule fois, quand Hérode « dit à ses serviteurs (pais) : "Celui-là est Jean le Baptiste » (14, 2) (nous avons exclus 12, 8 qui est une citation dIsaïe 42, 1-4). Autrement, il y a seulement deux passages qui lui sont propres où pais renvoie à un enfant : dans son récit de lenfance, où de manière surprenante pais désigne les enfants de moins de deux ans (2, 16), alors que Jésus, qui a le même âge, se fait appeler paidion (2, 13); et dans cette scène au temple de Jérusalem, alors que Jésus vient den chasser les vendeurs, où des enfants (pais) crient : « Hosanna au fils de David! » (21, 15). Dans ce dernier cas, lutilisation de pais est étonnante. Car on semble avoir ici un écho du Psaume 8, 3 qui parle de proclamation de la part de nourrisson (nēpios). Cest comme si Matthieu a décidé dutiliser pais pour couvrir de manière générale tous les âges de la vie de lenfant.
Enfin, on peut traiter ensemble la source Q (Lc 7, 7 || Mt 8, 6) et le verset de Jean qui fait référence à pais (4, 51), car ils font tous référence au récit du centurion de Capharnaüm. Jean introduit ce récit en parlant de huios (fils), Luc en parlant de doulos (serviteur), et Matthieu de pais (enfant), mais par la suite tous parlent de pais. La source à laquelle puise Luc et Matthieu, et celle à laquelle puise Jean ne sont pas identiques, mais on peut penser quils font écho à un même événement. Si Luc se permet demployer le mot doulos, on peut assumer que nous sommes devant un enfant en mesure de remplir certaines tâches, et cest le sens du mot pais qui suit un peu plus loin; et on peut assumer que les récits de Matthieu et Jean qui reflètent tous deux le même événement entendent désigner un enfant du même âge.
Que conclure? Pais entend désigner lenfant à partir de 7 ans, donc un être en mesure de commencer à remplir des tâches; et dans ce sens, il signifie parfois « serviteur » comme cela est fréquent dans la Septante. Cette période se terminait vers lâge de 13 ans, le moment du bar mitzwah (fils de la Loi), où on devenait un adulte. Les évangélistes demeurent en général fidèles à cette définition, sauf quelques exceptions comme ce passage des récits de lenfance de Matthieu où pais est utilisé dans le cadre des enfants de moins de deux ans, ou chez Marc avec la ressuscitation de la fille de Jaïre qui, à 12 ans, ne devrait pas être appelée : paidion.
Quelle perception a-t-on de pais? Tout dabord, quand le mot signifie « serviteur », il a une connotation positive : Israël est le serviteur de Dieu (Lc 1, 54), de même que David (Lc 1, 69), Jésus (Ac 3, 26; 4, 30); autrement, il sagit des serviteurs de personnages des récits, et dans lanonymat ils semblent bien jouer leur rôle. Dans sa signification denfant, le mot désigne Jésus (Lc 2, 43), lenfant du centurion de Capharnaüm (Lc 7, 7 || Mt 8, 6.8.13 || Jn 4, 51), la fille de Jaïre (Lc 8, 51), lenfant épileptique (Lc 9, 42 || Mt 17, 18), les enfants que fait massacrer Hérode (Mt 2, 16) et les enfants qui crient dans le temple : « Hosanna au fils de David » (Mt 21, 15); tous ces enfants que Jésus guérit, ou qui se font massacrer à cause de lui, ou qui proclament sa louange, apparaissent sous un jour positif.
Paidion
Cest un nom du genre neutre. Dans le monde grec, selon Hérodote (rapporté par Henry George Liddell, Robert Scott, A Greek-English Lexicon), cest lenfant jusquà sept ans. Il est plus fréquent que pais puisquon retrouve 52 occurrences, surtout dans les évangiles : Mt = 18; Mc = 12; Lc = 13; Jn = 3; Ac = 0; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 0; 1 Co = 1; He = 1.
Chez Luc, sur les 13 occurrences du mot, plus de la moitié se situent dans le récit de lenfance et désignent les bébés naissants que sont Jean-Baptiste et Jésus. Telle semble être la définition du mot chez Luc, puisque lorsquil raconte lescapade du jeune Jésus au temple pour discuter avec les maîtres, il ne parle plus de paidion, mais de pais (2, 43); quelle âge devait-il avoir alors, sept ou huit an? En dehors des récits de lenfance, la seule autre occurrence qui lui est propre se trouve dans la parabole de lami inopportun en 11, 7 (« et que de lintérieur lautre réponde: Ne me cause pas de tracas; maintenant la porte est fermée, et mes enfants (paidion) et moi sommes au lit; je ne puis me lever pour ten donner »; quel âge ont ces enfants au lit? Impossible de le dire, mais probablement très jeunes. Dans le reste de son évangile, les occurrences de paidion proviennent soit de la source Q (7, 32 : « Ils ressemblent à ces gamins (paidion) qui sont assis sur une place et sinterpellent les uns les autres »), soit des récits de Marc (9, 47-48; 18, 16-17), et donc ne peuvent être versées au dossier de Luc.
De manière semblable à Luc, Matthieu concentre la moitié des occurrences de paidion dans son récit de lenfance de Jésus; en effet, le mot désigne Jésus jusque vers lâge de deux ans. Les seules autres occurrences qui lui sont propres concernent la conclusion des deux multiplications des pains (14, 21 : « Or ceux qui mangèrent étaient environ 5.000 hommes, sans compter les femmes et les enfants (paidion); voir aussi 15, 38); Matthieu mentionne donc des gens qui nont pas de statut social, i.e. les femmes et les enfants, mais comment expliquer la présence denfants dans cette scène sinon quils étaient encore inséparables de leur mère. Quant aux autres occurrences, ils proviennent soit de la source Q (11, 16; « Mais à qui vais-je comparer cette génération? Elle ressemble à des gamins (paidion) qui, assis sur les places, en interpellent dautres »), soit des récits de Marc (18, 2-5; 19, 13-14).
Marc nous apporte une tout autre perspective. Le mot paidion apparaît dans trois scènes.
- Il y a dabord celle de la ressuscitation de la fille de Jaïre (5, 35-43), que Jésus et Marc appellent paidion, dont on apprend lâge à la fin du récit : elle avait douze ans.
- Ensuite, il y a celle de Syrophénicienne (7, 24-30) dont la fille est possédée par un esprit impur et où elle répond à lobjection de Jésus quil nest pas bon « de prendre le pain des enfants (teknon) et de le jeter aux petits chiens » (7, 27) en disant : « Oui, Seigneur! et les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants (paidion)! » (7, 28); qui est-ce qui mange en faisant autant de dégâts autour deux, sinon des enfants de deux ou trois ans. Et Marc conclut : « Elle retourna dans sa maison et trouva lenfant (paidion) étendue sur son lit et le démon parti » (7, 30); on pourrait penser que lenfant était très jeune.
- Il y a de plus la scène dun garçon épileptique (9, 14-27) dont le père dit quil est ainsi depuis son enfance, et que Jésus guérit, et après lavoir guéri lui prend la main : il sagit dun enfant capable de marcher et semble avoir un certain âge.
- Enfin, il y a la scène où on amène à Jésus des enfants pour quil leur touche mais qui indispose les disciples (10, 13-15) : « Laissez les petits enfants (paidion) venir à moi; ne les empêchez pas, car cest à leurs pareils quappartient le Royaume de Dieu »; on peut seulement imaginer que ce sont de jeunes enfants, des êtres sans importance, pour que les disciples trouvent quils sont une nuisance.
Jean appartient à une classe à part.
- Commençons avec la scène du centurion royal dont le fils est gravement malade (4, 46-54) : dans sa demande de guérison, le père parle de son paidion (4, 49 : la BJ traduit par « petit enfant »), mais quand ses serviteur viennent lui annoncer son décès, ils utilisent le mot pais (4, 51 : la BJ traduit par « enfant », considérant paidion comme le diminutif de pais); en mettant le diminutif paidion dans la bouche du père, Jean a probablement voulu mettre laccent sur la tendresse du père pour son enfant et montrer leffort du père pour toucher le coeur de Jésus. Quoi quil en soit, lenfant devait être assez jeune pour quon puisse utiliser un terme si affectueux.
- La deuxième scène ne laisse aucune marge dincertitude : « La femme, sur le point daccoucher, sattriste parce que son heure est venue; mais lorsquelle a donné le jour à lenfant (paidion), elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie quun homme soit venu au monde » (16, 21); comme pour Luc, paidion désigne le bébé naissant.
- Enfin, il y a la scène finale de lévangile : « Les enfants (paidion), vous navez pas du poisson? » (21, 5). De manière unique dans la bible, paidion désigne des adultes, mais entend traduire une grande affection née dune certaine intimité; cest comme dire : mes bébés. Jean reprendra la même expression (voir 2, 14.18) dans sa première lettre.
En terminant, on peut citer lépitre aux Hébreux dont lauteur semble bien maîtriser la langue grecque et utilise paidion pour désigner de tout jeunes enfants : « Par la foi, Moïse, à sa naissance fut caché par ses parents pendant trois mois, parce quils virent que le petit enfant (paidion) était beau et ils ne craignirent pas lédit du roi » (11, 23).
Que conclure? Pour Luc, paidion désigne des bébés dans leurs premiers mois de naissance, pour Matthieu les enfants dans leurs premières années, et pour Marc il ny a rien de systématique : paidion désigne en règle générale des enfants très jeunes, mais couvre aussi un enfant de douze ans. Jean rejoint Luc et Matthieu dans sa terminologie, mais devient unique en employant paidion pour décrire toute la tendresse et laffection du maître pour ses disciples adultes.
Un mot sur la source Q dont nous avons un seul exemple : « Ils ressemblent à ces gamins (paidion) qui sont assis sur une place et sinterpellent les uns les autres » (Lc 7, 32 || Mt 11, 16); ces « gamins » ne sont pas encore en mesure daccompagner papa dans son travail quotidien comme il était habituel à lépoque, et donc sont encore à lâge de samuser avec dautres enfants sur la place publique, et donc devaient avoir entre 4 et 7 ans. Lauteur de lépitre aux Hébreux confirme quil sagit bien dun enfant tout jeune.
Que ce soit Luc, Matthieu, Marc, Jean ou lauteur de lépitre aux Hébreux, tous présentent une image positive de paidion, que ce soit sous les traits de Jésus ou Jean-Baptiste ou Moïse, ou dun être cher dont on veut la guérison, ou de disciples pour qui on nourrit une grande affection. En terminant, un mot sur Paul pour qui paidion est lenfant espiègle, parfois malicieux, qui na pas encore développé un bon jugement (1 Co 14, 20); cest lexception.
Nēpios
Cest un adjectif qui signifie : être en bas âge ou être un bébé. Il est peu présent dans les évangiles, et apparaît surtout chez Paul, pour un total de 15 occurrences : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 0; Ep. Jn =0; 1 Th = 1; 2 Th = 0; Ph = 0; 1 Co = 6; 2 Co = 0; Ga = 2; Rm = 1; Col = 0; Ep = 1; 1 Tm = 0; 2 Tm = 0; Tt = 0; Phlm = 0; 1 P = 0; 2 P = 0; Jc = 0; Jude = 0; He = 1; Ap = 0.
Commençons avec les évangiles où aucune des trois références à nēpios ne provient des évangélistes. En effet, deux références sont issues de la source Q que reprennent Luc et Matthieu : « A cette heure même, il tressaillit de joie sous laction de lEsprit Saint et il dit: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, davoir caché cela aux sages et aux intelligents et de lavoir révélé aux tout-petits (nēpios). Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10, 21 || Mt 11, 25). La troisième référence est une citation textuelle du Psaume 8, 3 dans la version grecque de la Septante : « et ils lui dirent: "Tu entends ce quils disent, ceux-là" - "Parfaitement, leur dit Jésus; navez-vous jamais lu ce texte : De la bouche des tout-petits (nēpios) et de ceux qui sont allaités, tu tes ménagé une louange?" » (Mt 21, 16). Ce quil y a de saisissant dans ces trois références, cest dattribuer à des bébés un rôle dans la révélation du mystère de Dieu. Bien sûr, il ne faut pas prendre ces textes au sens littéral, mais il nen demeure pas moins que la symbolique est percutante : on ne peut saisir le mystère de Dieu quà travers une certaine simplicité et ouverture du coeur.
Avec les épitres pauliniennes, on se retrouve sur un tout autre registre. Nēpios renvoie à ce qui na pas la capacité de comprendre les choses profondes, qui na pas de véritable colonne vertébrale intellectuelle et se laisse emporter par nimporte lequel idéologie, et il est synonyme dignorant, un état quil faut sempresser de quitter et, sur le plan social, quelquun qui a le même statut quun esclave. Quelques exemples :
- Rm 2, 20 : « (le Juif prétentieux) léducateur des ignorants, le maître des enfants (nēpios; la BJ et la TOB traduisent : des simples), parce que tu possèdes dans la Loi lexpression même de la science et de la vérité... »
- 1 Co 13, 11 : « Lorsque jétais enfant (nēpios), je parlais en enfant (nēpios), je pensais en enfant (nēpios), je raisonnais en enfant (nēpios); une fois devenu homme, jai fait disparaître ce qui était de enfant (nēpios) »
- Ep 4, 14 : « Ainsi nous ne serons plus des enfants (nēpios), nous ne nous laisserons plus ballotter et emporter à tout vent de la doctrine, au gré de limposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans lerreur »
- Ga 4, 3 : « Nous aussi, durant notre enfance (nēpios), nous étions asservis aux éléments du monde »
- Ga 4, 1 : « Or je dis: aussi longtemps quil est un enfant (nēpios), lhéritier, quoique propriétaire de tous les biens, ne diffère en rien dun esclave »
Lépitre aux Hébreux va dans le même sens quand elle dit : « Effectivement, quiconque en est encore au lait ne peut goûter la doctrine de justice, car cest un tout petit enfant (nēpios) » (5, 13). Ainsi, le chrétien est quelquun qui a quitté le monde propre au nēpios pour rejoindre le monde de la maturité intellectuelle et morale. A-t-on une contradiction entre les évangiles et les épitres? En fait, on ne parle pas des mêmes réalités : dans le premier cas, cest lêtre humain dans sa réceptivité totale au mystère de Dieu, dans le deuxième cas cest lêtre humain devenu adulte et responsable qui doit assumer le cours de sa vie et vivre authentiquement selon la foi véritable.
Brephos
Cest un nom neutre qui signifie : nourrisson, nouveau-né, embryon, foetus; cest en général le bébé qui est encore allaité par la mère. Il est très rare dans le Nouveau Testament : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 5; Jn = 0; Ac = 1; Ep. Jn = 0; 1 Th = 0; 2 Th = 0; Ph = 0; 1 Co = 0; 2 Co = 0; Ga = 0; Rm = 0; Col = 0; Ep = 0; 1 Tm = 0; 2 Tm = 1; Tt = 0; Phlm = 0; 1 P = 1; 2 P = 0; Jc = 0; Jude = 0; He = 0; Ap = 0 (il est absent de la partie hébraïque de la Bible et napparaît quen Si 19, 11; 1 M 1, 61; 2 M 6, 10; 3 M 5, 49 et 4 M 4, 25).
Cest Luc qui utilise le plus ce mot.
- Il désigne dabord Jean-Baptiste encore dans lutérus dÉlisabeth : « Et il advint, dès quÉlisabeth eut entendu la salutation de Marie, que lenfant (brephos) tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie dEsprit Saint » (1, 41; voir aussi 1, 44); dans cette scène, même le foetus est ouvert à lEsprit Saint
- Il désigne ensuite Jésus qui vient de naître : « Et ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né (brephos) enveloppé de langes et couché dans une crèche » (2, 12; voir aussi 2, 16)
- En 18, 15, dans une scène quil reprend de Marc 10, 13-16 où ce dernier parle de paidion (petit enfant), Luc apporte cette précision : « On lui présentait aussi les nourrissons (brephos) pour quil les touchât; ce que voyant, les disciples les rabrouaient »; ainsi, Luc nous dit clairement que ces enfants, quon présente à Jésus pour quil les touche et desquels il dira que le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux, sont en fait des bébés encore dans la phase dallaitement.
Deux autres textes du Nouveau Testament y font référence, dabord 2 Timothée 3, 15 (« et cest depuis ton plus jeune âge (brephos) que tu connais les saintes Lettres »), une manière dire « depuis longtemps », et 1 Pierre 2, 2 (« Comme des enfants (brephos) nouveau-nés désirez le lait non frelaté de la parole, afin que, par lui, vous croissiez pour le salut »), une manière de comparer la parole de Dieu au lait maternel qui est seul capable de faire grandir.
Tous ces texte avec brephos ont un point en commun : ils insistent sur la grande valeur et le caractère précieux du bébé sur le point de naître ou qui vient de naître : avec Jean-Baptiste il réagit déjà à lEsprit, en Jésus il est lobjet dune annonce des anges de Dieu, il est si important que Jésus leur touche et proclame que le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent, cest dès cette période quon commence à se nourrir de la parole de Dieu.
Pour résumer ce qui vient dêtre dit, nous proposons le tableau qui suit basé sur ce que laisse entendre les évangélistes.
Âge |
-0.75 | 0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | Adulte |
| Teknon | Teknion |
| Paidion | Pais | |
| Nēpios | | |
Brephos | | |
On peut maintenant dresser ce tableau statistique sur le nombre d'occurrences.
Auteur | teknon | teknion | pais | paidion | nēpios | brephos |
Matthieu | 14 | 0 | 8 | 18 | 2 | 0 |
Marc | 9 | 0 | 0 | 12 | 0 | 0 |
Luc | 14 | 0 | 9 | 13 | 1 | 5 |
Jean | 0 | 1 | 1 | 3 | 0 | 0 |
Actes | 5 | 0 | 6 | 0 | 0 | 1 |
Ép. Jean | 9 | 7 | 0 | 2 | 0 | 0 |
1 Th | 2 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
Ph | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
1 Co | 3 | 0 | 0 | 1 | 6 | 0 |
2 Co | 3 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Ga | 5 | 1 | 0 | 0 | 2 | 0 |
Rm | 6 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
Col | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Ep | 5 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
1 Tm | 5 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
2 Tm | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
Phm | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
1 P | 2 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
2 P | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
He | 0 | 0 | 0 | 3 | 1 | 0 |
Ap | 3 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Total | 93 | 9 | 24 | 52 | 15 | 8 |
Il est temps de résumer cette analyse. Sur le plan chronologique, lenfance se déroule de la naissance jusquà lâge de 13 ans, au moment du bar mitzwah (fils de la Loi), où lenfant en devenant soumis à la Loi, passe à lâge adulte. Cette enfance se divise en deux parties, paidion, qui désigne lenfant de moins de 7 ans, et pais, qui désigne lenfant de 7 à 13 ans. Nēpios est le bébé au tout début de sa phase paidion, tout comme brephos dailleurs, mais ce dernier peut inclure lembryon dans le sein maternel. Quant au terme teknon, le plus fréquent dans le Nouveau Testament, cest lenfant sans aucune connotation dâge. Et teknion, son diminutif, concerne un adulte à qui on veut exprimer son affection et son attachement, comme en français lorsquon dit Ti-Jean, Ti-Louis, ou Loulou.
Dans toute cette analyse, il y a eu une constante : le regard positif quon porte sur lenfant. Lenfant est un don de Dieu (voir le récit sur Élisabeth), lenfant est celui à qui on donne de bonnes choses, celui avec qui on partage tout (voir le récit de lenfant prodigue), celui quon prend le temps déduquer, à limage de lallaitement, et celle relation parent-enfant est si profonde quelle sert danalogie pour décrire la relation à Dieu et permet de parler des enfants de Dieu. La grandeur de cette relation se voit dans les termes affectueux adressée à ses interlocuteurs dans la bouche de Jésus : « Petits enfants » (Jn 13, 33), dans la bouche de Jean : « Petis enfants » (1 Jn 2, 1), sous la plume de Paul : « mes petits enfants » (Ga 4, 19). Lenfant est si important quon demande à Jésus de les guérir sils sont malades (la fille de Jaïre, lenfant du centurion, la fille de la Syrophénicienne, lenfant épileptique), et quelquun comme Matthieu mentionne leur présence dans la scène de la multiplication des pains. Cest sous les traits dun enfant quon nous présente dabord Jean-Baptiste et Jésus. Seul Paul semble apporter une nuance à ce tableau; il faut cependant comprendre le contexte : il ne sagit pas denlever toute sa valeur à lenfant, mais sadressant à des adultes, il sattend à ce que leur foi ait muri et ne tergiverse pas au gré des diverses doctrines.
À mon avis, il y a une scène qui résume tout, celle où on apporte des bébés pour que Jésus leur touche, malgré lopposition de ses disciples. Si les premières communautés chrétiennes ont gardé en mémoire cette scène, cest quelle tranchait probablement un dilemme vécu au sein des rassemblements eucharistiques, un dilemme relié à la présence des enfants. Car cette scène affirme clairement que Jésus a voulu la présence des enfants auprès de lui, et que ces enfants étaient une parole vivante sur la façon daccueillir le royaume de Dieu. Peut-on avoir un rôle plus important?
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Textes avec le nom teknon dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom teknion dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom pais dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom paidion dans le Nouveau Testament
Textes avec l'adjectif nēpios dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom brephos dans le Nouveau Testament
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Esprit |
(Résumé de Pneuma, paraklētos, chrisma), André Myre, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard Médiaspaul, 2004, p. 463-469)
Le mot est dérivé du verbe pneō qui signifie : souffler, exhaler une odeur, respirer. Chez les auteurs grecs classiques, le substantif neutre pneuma renvoie d'abord au souffle du vent, ensuite à la respiration, à l'haleine ou à l'odeur du parfum. De manière très rare, il lui arrive de désigner l'esprit divin.
En hébreu, cette réalité est exprimée par le mot : rûaḥ (רוּחַ). Sa signification varie selon le niveau de réalité où on se situe :
- Réalité de la nature : le mot désigne alors le souffle du vent avec lequel nous sommes si familiers : « Dieu fit passer un vent (rûaḥ) sur la terre et les eaux désenflèrent », Gn 8, 1
- Réalité de l'être humain : le mot traduit le fait qu'un être est vivant par sa respiration « Pour moi, je vais amener le déluge, les eaux, sur la terre, pour exterminer de dessous le ciel toute chair ayant souffle (rûaḥ) de vie: tout ce qui est sur la terre doit périr », Gn 6, 17.
- Réalité de Dieu : le mot nomme la gamme de ses pouvoirs d'action : « Yahvé dit : « Mon Esprit (rûaḥ) ne dirigera pas toujours l'homme, étant donné ses erreurs : il n'est que chair et ses jours seront de cent vingt ans. », Gn 6, 3.
Dans le monde hébraïque, dans la mesure où il accepte de se laisser animer et diriger par la rûaḥ de Dieu, l'être humain trouve la vie et est capable à son tour de manifester des capacités extraordinaires : « Je vous donnerai un coeur neuf et je mettrai en vous un esprit (rûaḥ) neuf ; j'enlèverai de votre corps le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit (rûaḥ), je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes » (Ézéchiel 36, 26-27).
La Septante a traduit rûaḥ, un mot habituellement féminin, par pneuma, un mot au neutre. Il désigne surtout une réalité de l'ordre du pouvoir ou de la capacité d'action de Dieu. C'est dans le livre de la Sagesse, écrit directement en grec, que s'exprime le mieux cette réalité : « Et ton dessein, qui l'aurait connu, si tu n'avais toi-même fait don de la sagesse, et envoyé d'en haut ton Souffle (pneuma) saint » (9, 17). Ainsi, les êtres humains sont en mesure de saisir les intentions de Dieu, parce qu'ils ont reçus de lui cette réalité immatérielle et dynamique : « Et ton souffle (pneuma) incorruptible est en tous les êtres » (12, 1).
Le mot français « esprit » vient du latin « spiritus », qui a servi à traduire l'hébreux « rûaḥ » et le grec « pneuma ». Mais on a aujourd'hui tendance à recourir au mot « souffle » pour traduire la même réalité, car il couvre à la fois son aspect dynamique et son aspect immatériel.
Dans tout le Nouveau Testament, le mot apparaît à plus de 240 reprises. On pourrait schématiser de manière suivante ses différentes significations.
- C'est le pneuma qui permet à Dieu de nous ressusciter d'entre les morts, comme ce fut le cas pour Jésus : « Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Romains 8, 11)
- Le pneuma relève du Père ou de Jésus ressuscité, et tous les deux peuvent en faire don : « Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l'Esprit Saint, objet de la promesse, et l'a répandu. C'est là ce que vous voyez et entendez » (Actes 2, 33)
- Le pneuma a inspiré l'Écriture, ainsi que quelques grands personnages vivant à l'époque ou contemporains de Jésus : « c'est toi qui as dit par l'Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur: Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples? » (Actes 4, 25); « Et il advint, dès qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie d'Esprit Saint » (Luc 1, 41)
- Le pneuma est à l'origine de l'existence historique de Jésus et des orientations fondamentales : « L'ange lui répondit: "L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Luc 1, 35); « Jésus, rempli d'Esprit Saint, revint du Jourdain et il était mené par l'Esprit à travers le désert » (Luc 4, 1)
- Le pneuma est le dynamisme de fond de l'existence chrétienne sous toutes ses formes et oriente les décisions : « En effet, ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel; ceux qui vivent selon l'esprit, ce qui est spirituel. Car le désir de la chair, c'est la mort, tandis que le désir de l'esprit, c'est la vie et la paix » (Romains 8, 5-6)
On peut identifier trois grands théologiens de l'Esprit : Paul, Luc et Jean.
- Paul
Le cadre pour comprendre la réflexion de Paul sur le pneuma est celui de la foi chrétienne : comment expliquer son origine? « Car notre Évangile ne s'est pas présenté à vous en paroles seulement, mais en puissance, dans l'action de l'Esprit Saint, en surabondance » (1 Thessaloniciens 1, 5). Donc, la foi ne nait pas de la persuasion de la parole, mais du travail de l'Esprit dans le coeur de la personne. Tout le reste s'en suit.
- C'est donc ce pneuma qui est à l'origine de la vie chrétienne : « Et l'espérance ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » Rm 5, 5
- Il continue à agir tout au long de cette vie chrétienne : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous? », 1 Co 3, 16
- Et c'est lui qui nous entraînera dans la vie éternelle : « qui sème dans sa chair, récoltera de la chair la corruption; qui sème dans l'esprit, récoltera de l'esprit la vie éternelle », Ga 6, 8
- Luc
Le point de départ de Luc est différent de celui de Paul : il est plutôt préoccupé à comprendre le foisonnement de vie qui a marqué le premier demi-siècle de la vie de l'Église. C'est ici de le rôle fondateur de la Pentecôte : « Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Actes 1, 8). Et pour Luc, cette force est donné à chaque personne qui reçoit le baptême : « Pierre leur répondit: "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit" » (Actes 2, 38). Une fois reçu, le pneuma devient la source du dynamisme missionnaire.
- Jean
Chez Jean, le point de départ de la réflexion est encore différent : comment est-il possible d'écouter Jésus, une fois celui-ci parti et l'affrontement avec la société du temps inévitable? Voici quatre versions de sa réponse.
- Vous continuerez à écouter Jésus en prenant le chemin de l'amour, et vous recevrez l'aide d'un avocat pour affronter la société : « Vous suivrez mes préceptes, si vous m'aimez, et je prierai le Père de vous donner un autre défenseur (paraklētos) qui soit toujours à vos côtés, le Souffle (pneuma) de vérité, que le monde ne peut accueillir car il ne le voit pas et ne le connaît pas », Jn 14, 15-17
- Ce sera le rôle de ce Souffle ou Esprit de nous aider à assimiler tout l'enseignement de Jésus : « Ensuite le Défenseur (paraklētos) le Souffle (pneuma) saint que le Père enverra en mon nom, vous guidera et vous rappellera tout ce que je disais » 14, 26
- Face à la société, ce pneuma vous donnera la force d'être dans toute votre personne un témoignage vivant de la personne de Jésus : « Lorsque viendra le Défenseur (paraklētos) qu'une fois auprès du Père je vous enverrai, le Souffle (pneuma) de vérité issu du Père, il témoignera pour moi. Mais vous aussi témoignerez puisque vous êtes avec moi depuis le début », 15, 26-27
- L'action de ce pneuma, qui permet de confronter la société dans ses erreurs, n'est rendu possible que parce que Jésus appartient maintenant au monde de son Père et qu'il est en mesure d'en faire don : « Mais il de vote intérêt que je parte, je vous dis la vérité, car si je ne pars pas le Défenseur (paraklētos) ne viendra pas à vous, tandis que si je pars de vous l'enverrai. Une fois là, il instruira la cause du monde en matière de tort, de justice et de jugement » 16, 7-8
Comme on peut le constater, chez Jean paraklētos et pneuma sont synonymes. Mais d'où vient ce terme grec de paraklētos qui n'apparaît nulle part ailleurs dans toute la Bible? Il désigne quelqu'un un non-professionnel qui vient soutenir une connaissance, au cours d'un procès. C'est donc un rôle de défenseur et d'intercesseur. Pourtant, la Bible hébraïque proposait le mot mēlîṣ (מֵלִיץ, médiateur) pour décrire une fonction similaire : « Alors s'il se trouve près de lui un Ange, un Médiateur (mēlîṣ) pris entre mille, qui rappelle à l'homme son devoir » (Job 33, 23). Il faut donc penser que Jean a préféré utiliser un terme bien connu de la culture locale pour faire comprendre le rôle du pneuma, le souffle dynamique envoyé par Jésus ressuscité. Ce rôle peut être résumé ainsi.
- Il est identique à pneuma, il viendra en second, après le départ de Jésus, le premier paraklētos
- Il sera envoyé par le Père, au nom de Jésus
- Il aura comme fonction de défendre non pas le monde (kosmos), la partie adverse dans ce grand procès, mais les siens;
- il les guidera et leur rappellera ce que Jésus a dit;
- il leur donnera la force de devenir de vrais témoins
Le recours au mot paraklētos donne une idée du climat dans lequel Jean situe son évangile : celui d'un affrontement et d'un grand procès avec la société, en particulier le monde juif qui les a exclus de la synagogue, et dans lequel apparaissent les personnages typiques d'un procès, i.e. un avocat de la défense, un juge. Voilà pourquoi Jean rassure sa communauté avec la promesse de Jésus qu'il ne les laissera pas seul, mais qu'ils pourront compter sur l'aide d'un défenseur qui sera à leur côté, les guidera et leur permettra de faire revivre d'une manière nouvelle sa parole.
On ne peut conclure l'analyse du pneuma sans mentionner le terme chrisma (onction) qu'on trouve dans la première épitre johannique :
Vous, vous avez été consacré (vous avez reçu le chrisma) par le saint, et tous vous savez... Mais sur vous sa consécration (chrisma) demeure, et vous n'avez pas besoin qu'on vous instruise. Et puisque la consécration (chrisma) reçue de lui vous enseigne tout, qu'elle est vérité et non mensonge, restez en lui comme il vous l'a enseigné (1 Jn 2, 20.27).
Selon Jean, en recevant le pneuma, le croyant accepte un chrisma, une part du Christ qui se saisit de son être et permet de réinterpréter tout son enseignement. C'est le même rôle que celui du paraklētos.
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Fils de l'homme |
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Gloire |
(Daprès Jean-Pierre Prévost, Kaḇôd, et Pierre Létourneau, doxa, doxazō, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard-Médiaspaul, 2004, p. 154-155 et p. 348-355)
Le mot « gloire » sentend aujourdhui de ce qui arrive à une personne qui atteint une grande renommée ou dont la réputation est établie, parce quun certain public reconnaît son accomplissement; on dira dun artiste ou dun scientifique quil connaît la gloire, ou quil est au sommet de sa gloire. La « gloire » présuppose deux choses : une suite dactions hors de lordinaire dune personne, et la reconnaissance de la valeur de ces actions par un ensemble de personnes. La valeur de ces actions peut être à plusieurs niveaux : sportif, financier, artistique, scientifique, etc.
Mais cette signification du mot traduit mal ce dont parle le Nouveau Testament, en particulier les évangiles. Rappelons que le mot « gloire » est exprimé en grec par doxa, et le verbe « glorifier » par doxazō. Faisons un peu d'histoire.
Grèce classique
Sur le plan étymologique, le nom féminin doxa est dérivé du verbe dokeō (paraître, sembler, penser, être davis), et donc renvoie à laspect subjectif des choses : ce qui me semble, ce qui mapparaît. Chez le philosophe Parménide (5e s. avant lère moderne), il traduit lidée dopinion, par opposition à la vérité. Chez Platon, il désigne lopinion par opposition à la science, i.e. le monde sensible et des apparences qui ne peut être seulement que le reflet du monde des idées, et donc ne peut être quune conjecture, quun produit de limagination. Dans la même veine, il sentend de lopinion subjective sur une personne, négative ou positive, et donc de sa réputation, doù lidée de sa « gloire », i.e. sa grande réputation. De manière corollaire, le verbe doxazō signifie « avoir une pensée, imaginer » et, face à une personne « glorifier ».
Quen est-il de sa signification dans la Bible?
Ancien Testament
Le mot « gloire » apparaît sous le nom hébreu kaḇôd qui dérive du verbe kbd qui signifie : être lourd, avoir du poids. Il est appliqué à une personne qui est « pesante », i.e. qui a beaucoup dinfluence, et cela à plusieurs niveaux.
Ce niveau peut-être économique et financier, si bien quêtre riche et être dans la gloire sont synonymes. Par exemples :
- Ps 49, 17 : « Ne crains pas quand lhomme senrichit, quand saccroît la gloire (kaḇôd) de sa maison »
- 1 Rois 3, 13 : « Et même ce que tu nas pas demandé, je te le donne aussi: une richesse et une gloire (kaḇôd) comme à personne parmi les rois »
Ce niveau peut-être politique. Par exemple :
- Genèse 45, 13 : « Racontez à mon père toute la gloire (kaḇôd) que jai (Joseph) en Égypte et tout ce que vous avez vu, et hâtez-vous de faire descendre ici mon père.
- Isaïe 22, 23 : « Et je lenfoncerai comme un clou en un lieu solide; il (le roi Elyaqim) deviendra un trône de gloire (kaḇôd) pour la maison de son père.
Cette influence peut être aussi militaire. Par exemple :
- Isaïe 21, 16 : « Car ainsi ma parlé le Seigneur: Encore une année comme des années de mercenaire, et cen est fait de toute la gloire (kaḇôd) de Qédar »
Mais dans plus de la moitié des occurrences, le mot est appliqué à Dieu. Elle sert à décrire de manière visible la personne même de Dieu, et parfois son aspect intimidant; on ne peut voir Dieu, mais on peut voir sa gloire. Par exemples :
- Exode 16, 10 : « Comme Aaron parlait à toute la communauté des Israélites, ils se tournèrent vers le désert, et voici que la gloire (kaḇôd) de Yahvé apparut dans la nuée »
- Exode 24, 17 : « Laspect de la gloire (kaḇôd) de Yahvé était aux yeux des Israélites celui dune flamme dévorante au sommet de la montagne »
- Lévitique 9, 6 : « Moïse dit: "Voici ce que Yahvé vous a ordonné de faire pour que sa gloire (kaḇôd) vous apparaisse." »
- Isaïe 59, 19 : « Et lon craindra, depuis lOccident, le nom de Yahvé, et depuis le Levant sa gloire (kaḇôd), car il viendra comme un torrent resserré, chassé par le souffle de Yahvé »
Lidée dêtre pesant et davoir de linfluence, et donc dêtre puissant, qui sapplique à certaines personnes, sapplique de manière éminente à Dieu. Par exemple :
- Psaume 24, 7-10 : « Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portails antiques, quil entre, le roi de gloire (kaḇôd)!
Qui est-il, ce roi de gloire (kaḇôd)? Cest Yahvé, le fort, le vaillant, Yahvé, le vaillant des combats.
Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portails antiques, quil entre, le roi de gloire (kaḇôd)!
Qui est-il, ce roi de gloire (kaḇôd)? Yahvé Sabaot, cest lui, le roi de gloire (kaḇôd) »
Le livre du prophète Ézéchiel mérite dêtre souligné, car non seulement il utilise le mot « gloire » à plusieurs reprises, mais il devient quasiment synonyme de « présence divine », et une présence souvent associée aux phénomènes cosmiques. Par exemples :
- Ez 1, 28 : « laspect de cette lueur, tout autour, était comme laspect de larc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. Cétait quelque chose qui ressemblait à la gloire (kaḇôd) de Yahvé. Je regardai, et je tombai la face contre terre; et jentendis la voix de quelquun qui me parlait.
- Ez 43, 2 : « et voici que la gloire (kaḇôd) du Dieu dIsraël arrivait du côté de lorient. Un bruit laccompagnait, semblable au bruit des eaux abondantes, et la terre resplendissait de sa gloire (kaḇôd) »
Cette perspective prépare la signification quaura le mot dans le Judaïsme à lorée de la période néotestamentaire : une quasi personnification de Dieu et synonyme de « présence de Dieu » ou de Seigneur.
Quand viendra le temps pour les traducteurs de la Bible hébraïque de traduire kaḇôd en grec, on optera pour le terme doxa.
Nouveau Testament
Notons dabord que le terme doxa apparaît dans tous les écrits du Nouveau Testament, à lexception de la lettre à Philémon et les lettres de Jean. Quand au verbe doxazō, son emploi le plus fréquent est dans lévangile de Jean; on le retrouve également 12 fois chez Paul et 4 fois dans la première épitre de Pierre.
Dans notre présentation de lorigine du mot doxa dans le monde grec, nous avons fait remarquer que le terme signifie avant tout « opinion », soit une opinion philosophique, soit une opinion sur une personne, doù les sens courants de « réputation, renommée, honneur, gloire. De même, le verbe doxazō signifie tantôt : avoir une opinion, se figurer, simaginer, tantôt : célébrer, glorifier.
À quelques reprises dans le Nouveau Testament, on retrouve ce sens de réputation et dhonneur. Par exemples :
- Lc 14, 10 : « Au contraire, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, de façon quà son arrivée celui qui ta invité te dise: Mon ami, monte plus haut. Alors il y aura pour toi de la gloire (doxa) devant tous les autres convives »
- 1 Corinthiens 11, 15 : « La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que cest une honte pour lhomme de porter les cheveux longs, tandis que cest une gloire (doxa) pour la femme de les porter ainsi? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile.
Mais dans la plupart des cas, la signification de doxa doit être comprise à la lumière du mot hébreu kaḇôd, avec lidée de poids ou pesanteur, donc dinfluence et dimportance. Comme nous lavons vu pour dans lAncien Testament, cette importance peut se situer à plusieurs niveaux, comme celui des richesses ou du pouvoir politique. Par exemples :
- Lc 4, 6 || Mt 4, 8 : « et (le diable) lui dit: "Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire (doxa) de ces royaumes, car elle ma été livrée, et je la donne à qui je veux »
- Lc 12, 27 || Mt 6, 29 : « Considérez les lis, comme ils ne filent ni ne tissent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire (doxa), na pas été vêtu comme lun deux »
Mais comme avec kaḇôd, la doxa est surtout appliquée à Dieu, et par là revêt une portée théologique. Et elle est surtout épiphanique, i.e. elle décrit une manifestation de Dieu. Ainsi elle devient un attribut de Dieu.
Pour décrire cet attribut, on emploie des images liées à la lumière, comme son éclat ou son rayonnement. Par exemples :
- Lc 2, 9 : « LAnge du Seigneur se tint près deux et la gloire (doxa) du Seigneur les enveloppa de sa clarté; et ils furent saisis dune grande crainte »
- Ap 21, 23-24 : « La ville peut se passer de léclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire (doxa) de Dieu la illuminée, et lAgneau lui tient lieu de flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors »
Lidée de force, puissance et influence présente dans le mot kaḇôd-doxa sapplique de manière éminente à Dieu. C'est grâce à cette doxa quil a créé lunivers, et quil est la source du salut, et quil a ressuscité Jésus dentre les morts. Par exemples :
- Rm 1, 22-23 : « dans leur prétention à la sagesse, ils (les païens) sont devenus fous (ils nont pas reconnu la gloire de Dieu dans sa création) et ils ont changé la gloire (doxa) du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image dhommes corruptibles, doiseaux, de quadrupèdes, de reptiles »
- Ep 3, 16 : « QuIl daigne, selon la richesse de sa gloire (doxa), vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous lhomme intérieur »
- Rm 6, 4 : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire (doxa) du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle »
Mais ce qui distingue plus particulièrement le Nouveau Testament par rapport de tout le reste de la Bible, cest lattribution de la doxa de Dieu à quelquun dautre que Lui, i.e. à Jésus. Cela est possible, car par sa résurrection Jésus a été « glorifié », i.e. il a connu une ascension dans la gloire divine. Par exemples :
He 5, 5 : « De même ce nest pas le Christ qui sest glorifié (doxazō) lui-même pour devenir grand prêtre, mais il la reçue de celui qui lui a dit: Tu es mon fils, moi, aujourdhui, je tai engendré;
- He 2, 7 : « Tu las un moment abaissé au-dessous des anges. Tu las couronné de gloire (doxa) et dhonneur. Tu as tout mis sous ses pieds »
Nous avons déjà dit que, pour décrire lattribut de la gloire de Dieu, on a recours à limage de la lumière, de léclat et de lillumination. Cette association entre éclat et gloire est claire chez Luc : alors que Marc parle des vêtements resplendissants de Jésus, dune blancheur unique lors de sa transfiguration qui le représente après la résurrection, Luc, en plus de mentionner la blancheur fulgurante du vêtement de Jésus, écrit :
- Lc 9, 32 : « Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. Sétant bien réveillés, ils virent sa gloire (doxa) et les deux hommes qui se tenaient avec lui »
Cette gloire de Jésus sera surtout visible à la fin des temps. Comme une caractéristique de la gloire de Dieu est sa puissance, ainsi en sera-t-il à la fin des temps pour Jésus quand il viendra avec gloire et puissance, et pour Matthieu, dans sa fonction de juge. Par exemples :
- Mc 13, 26 : « Et alors on verra le Fils de lhomme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire (doxa) »
- Mt 19, 28 : « Jésus leur dit: "En vérité je vous le dis, à vous qui mavez suivi: dans la régénération, quand le Fils de lhomme siégera sur son trône de gloire (doxa), vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus dIsraël »
Et le chrétien, en tant quêtre sauvé, en tant que fils de Dieu, est appelé à partager cette gloire. Comme la gloire est lattribut de Dieu, partager cette gloire cest partager lêtre de Dieu, et donc être complètement transformés (aller de gloire en gloire). Par exemples :
- 2 Th 2, 14 : « cest à quoi il vous a appelés par notre Évangile, pour que vous entriez en possession de la gloire (doxa) de notre Seigneur Jésus Christ »
- 2 Co 3, 18 : « Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire (doxa) du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit »
Lévangile de Jean, qui utilise abondamment le nom doxa et le verbe doxazō mérite un traitement à part. En effet, la gloire de Jésus nest plus une réalité future dont on a eu une idée seulement à la transfiguration, mais elle est déjà perceptible dans le Jésus historique, même si le croyant ne la verra vraiment complètement que dans lau-delà. Par exemples :
- Jn 1, 14 : « Et le Verbe sest fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire (doxa), gloire (doxa) quil tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité »
- Jn 17, 24 : « Père, ceux que tu mas donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin quils contemplent ma gloire (doxa), que tu mas donnée parce que tu mas aimé avant la fondation du monde »
La gloire de Jésus se déploie sur deux axes différents, selon quil est présenté comme celui envoyé par Dieu pour sauver le monde, ou le fils de lhomme venu du ciel pour révéler les choses célestes.
- Comme envoyé de Dieu, Jésus doit légitimer sa mission au moyen de signes qui mettent en oeuvre la puissance de Dieu. Ces signes réalisent le salut tout en révélant sa doxa éternelle de Fils unique. Six signes seront dabord décrits, puis le septième sera le signe définitif et parfait de sa mort en croix, qui sera présenté comme la glorification de Jésus, i.e. la réinstallation du Fils obéissant dans la splendeur éternelle, et cela achève du même coup la révélation de Jésus comme Fils unique et véritable Sauveur. Par exemples :
- Jn 2, 11 : « Tel fut le premier des signes de Jésus, il laccomplit à Cana de Galilée et il manifesta sa gloire (doxa) et ses disciples crurent en lui »
- Jn 17, 5 : « Et maintenant, Père, glorifie (doxazō) -moi auprès de toi de la gloire (doxa) que javais auprès de toi, avant que fût le monde »
- Comme fils de lhomme venu révéler les choses célestes, la gloire de Jésus nest plus une réalité future lorsquil viendra sur les nuées. Cest maintenant la fin des temps et le temps du jugement. Car linfluence et la force de lélévation du fils de lhomme en croix, ou si lon veut, de sa glorification, est déjà à loeuvre.
- Jn 13, 31-32 : « Maintenant le Fils de lhomme a été glorifié (doxazō) et Dieu a été glorifié (doxazō) en lui. Si Dieu a été glorifié (doxazō) en lui, Dieu aussi le glorifiera (doxazō) en lui-même et cest aussitôt quil le glorifiera (doxazō).
Comment résumer cette étude de J.P. Prévost et P. Létourneau? Lexpérience humaine davoir des gens qui sont pesants, i.e. qui ont beaucoup dinfluence et exercent une certaine puissance, a fourni une image de la transcendance de ce Dieu quon ne peut voir. Lun de ces personnages puissants était le roi dans toute sa splendeur. Cette image a permis au monde juif de parler de Dieu, lêtre pesant et éclatant, sans avoir à prononcer directement son nom. Avec le Nouveau Testament, cette gloire de Dieu passe à larrière-plan, même si elle est présente, car il sagit maintenant de la gloire de Jésus qui, par sa résurrection, a été glorifié, i.e. a accédé à la gloire de Dieu, avec lequel il partage son influence et son impact, même si cette gloire ne paraîtra vraiment pour le croyant que lors de son retour à la fin des temps. De la même façon, le croyant est appelé à partager cette gloire. Dans tout ce contexte, Jean fait bande à part : la gloire de Jésus sest manifestée tout au long de sa vie publique par les signes quil a accomplis, en particulier lultime signe de son élévation ou sa glorification en croix, et cest maintenant que sexerce cette gloire de Jésus comme le montre sa victoire sur le mal.
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Inclusion sémitique |
Il s'agit d'une technique d'écriture, aussi appelée « chiasme », largement utilisée dans le monde sémitique, et présente dans les évangiles où les différents énoncés sont reprises de manière parallèles et symétriques comme des choeurs qui se répondent, si bien que la fin reprend le début, avec parfois un centre unique qui est la clé de voute pour l’interprétation. Dans sa plus simple expression, cette structure prend la forme A, B, B', A'. Une autre forme un peu plus complexe prend la forme A, B, C, B', A', où le centre n’a pas directement de parallèle mais contient la clé d’interprétation de l’ensemble.
Par exemple, regardons Mc 8, 34 où le thème de suivre Jésus apparaît au début et à la fin pour enchâsser au milieu l'idée centrale.
A) Si quelqu'un
veut suivre derrière moi,
B) qu'il se renie lui-même
B') et qu'il se charge de sa croix
A') et qu'il me suive
Bien souvent, c'est le centre de cette structure qui donne la clé de compréhension de l'ensemble. Donnons l'exemple de Luc 5, 17 6, 11 :
A) introduction 5, 17
B) guérison 5, 18-26
C) controverse 5, 27-35
DEUX PARABOLES 5, 36-39
C') controverse 6, 1-5
B') guérison 6, 6-10
A') conclusion 6, 11
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Je suis (egō eimi) |
(Largement inspiré de Raymond E. Brown, Appendix IV: EGŌ EIMI, Gospel According to John (i-xii). New York: Doubleday, 1980 (The Anchor Bible, 29), p. 533-538).
L'expression est composée du pronom personnelle egō (je, moi) et du verbe eimi (être) à l'indicatif présent. C'est une expression tout à fait banale en grec et qui signifie simplement : c'est moi, ou moi je suis. Cependant, les évangiles, l'Ancien Testament et les écrits religieux grecs lui ont aussi donné une signification solennelle et sacrée. Ainsi la retrouve-t-on avec ces deux saveurs différentes dans les évangiles-Actes (Mt = 4; Mc = 2; Lc = 8; Jn = 37; Ac = 10; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0) : d'une part, il y a le sens ordinaire (Lc 1, 19 : « Et l'ange lui répondit: "Moi je suis (egō eimi) Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et j'ai été envoyé pour te parler et t'annoncer cette bonne nouvelle »; d'autre part, il y a le sens solennel (Jn 8, 58 : « Jésus leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham existât, Je Suis." (egō eimi) »). Comme on peut le deviner, le sens solennel apparaît quand le « je » désigne Jésus, en particulier chez Jean : Mt = 2; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 32; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C'est donc avant tout au quatrième évangile qu'il faut s'intéresser.
- L'évangile selon Jean
Sur le plan grammatical, on peut distinguer trois catégories.
- L'expression « Je suis » sans prédicat
- 8, 24 : « Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés »
- 8, 28 : « Jésus leur dit donc: "Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m'a enseigné" »
- 8, 58 : « Jésus leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham existât, Je Suis." »
- 13, 19 : « Je vous le dis, dès à présent, avant que la chose n'arrive, pour qu'une fois celle-ci arrivée, vous croyiez que Je Suis »
Une telle expression, sans prédicat, semble incomplète et nous laisse un peu dans le vide. Mais, en fait, elle a une fonction révélatrice ou apocalyptique. Plus précisément, comme on le verra plus loin, elle renvoie au egō eimi comme nom divin dans l'Ancien Testament et dans le judaïsme rabbinique.
- Le cas où il n'y a pas de prédicat, mais on sait de qui il s'agit
Par exemple : « Mais il leur dit: "C'est moi (egō eimi). N'ayez pas peur." » (6, 20). En soi, l'expression veut dire : c'est bien moi, et non pas un fantôme. Mais, en même temps, il faut reconnaître que l'Ancien Testament utilise souvent une formule semblable : N'ayez pas peur, je suis le Dieu de vos ancêtres. Aussi, on peut penser que Jean donne deux saveurs à cette scène, une saveur de vie courante et une saveur épiphanique.
Un autre exemple : « (Jésus dit aux gardes : Qui cherchez-vous) Ils lui répondirent: "Jésus le Nazôréen." Il leur dit: "C'est moi (egō eimi)"... Quand Jésus leur eut dit: "C'est moi (egō eimi)", ils reculèrent et tombèrent à terre » (18, 5-6). Le fait que les hommes reculent et tombent par terre suggèrent un théophanie où les gens sont prostrés dans la crainte de Dieu.
- Le cas d'un prédicat au nominatif
- 6, 35.51 : « Je suis le pain de vie [le pain vivant] »
- 8, 12 (9, 5) : « Je suis la lumière du monde »
- 10, 7.9 : « Je suis la porte [des brebis] »
- 10, 11.14 : « Je suis le bon berger »
- 11, 25 : « Je suis la résurrection et la vie »
- 14, 6 : « Je suis la voie, la vérité et la vie »
- 15, 1.5 : « Je suis la [vraie] vigne »
L'accent est sur le « je » qui distingue Jésus des autres. Par exemple, « je suis le pain » se situe dans le contexte d'une discussion où la foule suggère que la manne donnée par Moïse viendrait du ciel (6, 31). Ou encore, l'affirmation « je suis la lumière » survient lors de la fête des Tentes et fait contraste avec les lampes festives qui brulaient dans la cour des femmes au temple. La double proclamation « je suis la porte » et « je suis le bon berger » fait contraste avec les Pharisiens mentionnés à la fin du ch. 9.
En même temps, il ne s'agit pas simplement d'un contraste avec d'autres, le prédicat est aussi important pour identifier Jésus à une réalité connue et faire connaître son rôle : sa mission est source de vie éternelle (« vigne », « vie », « résurrection »), il est le lieu pour trouver la vie (« chemin », « porte »), il guide vers la vie (« berger »), il est la vérité (« vérité ») qui est une nourriture pour vivre (« pain »). Pourtant, tout cela relève habituellement des attributs de Dieu. Mais, comme pour Jean, le Fils et le Père sont uns, ce qui est dit de l'un, peut être dit de l'autre : Dieu est esprit (4, 24), Dieu est lumière (1 Jn 1, 5), Dieu est amour (1 Jn 4, 8.16). Chez Jean, l'expression « Je suis » est un peu l'équivalent de celle qu'on trouve dans les synoptiques : « le Royaume de Dieu est semblable à... » : la parabole tourne autour d'une symbolique du visage de Dieu.
Un mot rapide sur l'Apocalypse où on trouve également le prédicat au nominatif. Alors que le quatrième évangile adapte la symbolique qu'il trouve dans l'Ancien Testament (où le pain, lumière, berger et vigne décrivent symboliquement la relation de Dieu avec Israël), l'Apocalypse réutilise tels quels les passages de l'Ancien Testament (par exemple, « Je suis l'Alpha et l'Omega » 1, 8 reprend Is 41, 4 : « Je suis le premier, et avec les derniers je serai encore »).
- L'Ancien Testament comme contexte de Jean
L'expression « Je suis » trouve certains parallèles dans les formules magiques d'Isis ou dans la liturgie du culte de Mithra. Mais on chercherait en vain un parallèle à l'utilisation absolue du « Je suis » chez Jean dans les religions païennes ou même dans les groupes gnostiques. Aussi, c'est plutôt du côté du Judaïsme palestinien qu'il faut chercher l'arrière-plan de l'expression johannique.
- L'expression « Je suis Yahvé »
En hébreu, cette expression contient simplement le pronom « Je » (heb. : אֲנִי, transl. :ʾănî) et Yahvé (heb. יְהוָה, transl. : yhwh), sans verbe de liaison : « Je Yahvé ». La traduction grecque de la Septante a traduit egō kyrios (« Je Seigneur »), mais a parfois introduit le verbe être (eimi).
- Gn 28, 13 : « Je (Heb. :ʾănî ; LXX : egō) (suis) Yahvé, le Dieu d'Abraham ton ancêtre et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance »
- Éz 20, 5 : « Le jour où j'ai choisi Israël, où j'ai levé la main vers la race de la maison de Jacob, je me suis fait connaître à eux au pays d'Egypte, et j'ai levé la main vers eux en disant: " Je (Heb. :ʾănî ; LXX : egō) (suis) Yahvé votre Dieu." »
- Ex 20, 5 : « Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car moi Yahvé (Heb ʾānōkî yhwh, LXX : egō eimi kyrios) ton Dieu, (je suis) un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants pour ceux qui me haïssent »
Dans ces passages, l'expression vise à réassurer le peuple et l'invite à ne pas avoir peur, ou encore, à affirmer son autorité
Mais l'expression a aussi une fonction révélatrice, i.e. le rôle de Dieu face à son peuple.
- Ex 6, 7 : « Je vous prendrai pour mon peuple et je serai votre Dieu. Et vous saurez que je (suis) Yahvé (Heb. :ʾănî yhwh; LXX : egō kyrios), votre Dieu, qui vous aura soustraits aux corvées des Égyptiens »
Ce passage peut être rapproché de Jn 8, 28 : « Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que Je Suis (egō eimi) et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m'a enseigné ».
- « Je suis » dans le Deutéro-Isaie (40 55)
L'expression sert d'abord à affirmer l'unicité de Dieu.
- Is 45, 18 : « Car ainsi parle Yahvé, le créateur des cieux: C'est lui qui est Dieu, qui a modelé la terre et l'a faite, c'est lui qui l'a fondée; il ne l'a pas créée vide, il l'a modelée pour être habitée. Je (suis) Yahvé (Heb. :ʾănî yhwh; LXX : egō eimi), il n'y en a pas d'autre »
Mais il sert aussi à exprimer le nom divin.
- Is 43, 25 : « Moi, moi, celui (Heb. : ʾānōkî ʾānōkî hûʾ, LXX : egō eimi egō eimi) qui efface tes crimes par égard pour moi, et je ne me souviendrai plus de tes fautes »
- Is 51, 12 : « Moi, moi, celui (Heb. : ʾānōkî ʾānōkî hûʾ, LXX : egō eimi egō eimi) qui vous console; qui es-tu pour craindre l'homme mortel, le fils d'homme voué au sort de l'herbe? »
Ces passages peuvent être aussi traduits : Je suis « Je suis » qui efface tes crimes ou vous console, ce qui fait de « Je suis » un nom. C'est dans la même ligne qu'il faut comprendre le passage suivant.
- Is 52, 6 : « C'est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom, c'est pourquoi il saura, en ce jour-là, que je (suis) qui (Heb. :ʾănî hûʾ, LXX : egō eimi autos) dis: "Me voici." »
Ainsi, Yahvé révèle son nom : « Je suis », traduit en grec par : egō eimi. C'est cette interprétation qu'on retrouve dans la tradition rabbinique du 2e siècle de notre ère.
- La tradition johannique dans ce contexte vétérotestamentaire
Le quatrième évangile devient parfaitement intelligible dans ce contexte : l'évangéliste parle de Jésus avec les mêmes termes qu'Isaïe utilise pour parler de Yahvé.
Jn 8, 28 | Is 53, 10 |
Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous saurez que Je Suis (egō eimi) et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m'a enseigné | C'est vous qui êtes mes témoins, oracle de Yahvé, vous êtes le serviteur que je me suis choisi, afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que je (suis) celui (Heb. :ʾănî hûʾ, LXX : egō eimi), avant moi aucun dieu n'a été formé et après moi il n'y en aura pas. |
Jean souligne donc l'implication de la dimension divine dans l'utilisation de egō eimi. Voilà pourquoi les Juifs voudront ensuite lapider Jésus pour ce blasphème.
L'utilisation de « Je Suis » comme nom divin dans le Judaïsme tardif peut expliquer sa présence fréquente chez Jean. C'est ainsi que Jésus révèle à ses disciples le nom du Père (17, 6.26), qu'il est venu en Son nom (5, 43), qu'il fait Ses oeuvres (10, 25), que le Père lui a donné Son nom (17, 11-12). Le fait que Jésus sera glorifié signifie également la glorification du nom du Père (12, 23.28), si bien que les croyants pourront faire des demandes au nom de Jésus (14, 13; 15, 16.23). Quel est donc ce nom qu'il glorifiera par sa mort et sa résurrection? Les Actes des Apôtres et Paul révèlent ce nom : Kyrios ou Seigneur (« Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père », Ph 2, 9-11); c'est le nom que l'Ancien Testament donne à Yahvé. Jean donne parfois ce nom à Jésus (voir 20, 28 : « Thomas lui répondit: "Mon Seigneur et mon Dieu!" »), mais il préfère de loin : egō eimi.
Cette utilisation de egō eimi de manière absolue est la base des autres utilisations, i.e. avec un prédicat (Je suis le pain, je suis la lumière, je suis la vie... etc.). Ce fut le cas de l'Ancien Testament.
- Ps 35, 3 : « Dis à mon âme: "C'est moi (Heb. :ʾănî; LXX : egō eimi) ton salut »
- Ex 15, 26 : « car je suis Yahvé (Heb. :ʾănî yhwh; LXX : egō eimi), celui qui te guérit
- Dt 32, 29 : « Voyez maintenant que moi, moi je Le suis (Heb. :ʾănî ʾănî hûʾ, LXX : egō eimi)et que nul autre avec moi n'est Dieu! C'est moi qui fais mourir et qui fais vivre »
Enfin, les écrits sapientiaux ont exercé une certaine influence sur Jean. On n'y trouve pas l'expression « Je suis » telle quelle, mais la Sagesse s'exprime à la première personne.
- Pr 8, 12 : « Moi (Heb. :ʾănî; LXX : egō), la Sagesse, j'habite avec le savoir-faire, je possède la science de la réflexion »
- Si 24, 3 : « Je (egō) suis issue de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j'ai couvert la terre »
- L'utilisation de l'expression dans les évangiles synoptiques
Dans le milieu des premières communautés chrétiennes, il ne semble pas que Jean soit le premier à utiliser l'expression : Je suis.
- Mc 14, 62 || Lc 22, 70 : « Je le (messie, fils du Béni) suis (egō eimi), dit Jésus, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel »
- Mt 14, 27 (Mc 6, 50) : « Mais aussitôt Jésus leur parla en disant: "Ayez confiance, c'est moi (egō eimi), soyez sans crainte." »
- Lc 24, 36 : « Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu d'eux et leur dit: "Paix à vous! [C'est moi (egō eimi), soyez sans crainte] (d'après le Codex Seidelianus I, 9e s. et le Codex Guelferbytanus A, 6e s.) »
Le texte de Marc pourrait être une simple affirmation, mais le fait qu'il suscite une accusation de blasphème nous oriente vers le nom divin. Matthieu pour sa part suggère plus qu'une simple reconnaissance de Jésus par le fait même que la parole de Jésus entraîne par la suite une profession de foi. Enfin, du fait que le texte de Luc se situe dans contexte pascal suggère une scène de révélation de la seigneurie de Jésus. Bref, dans ses énoncés théologiques, Jean a probablement capitalisé sur une expression qui existait déjà dans les cercles chrétiens et l'a élaborée davantage.
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Jean-Baptiste |
Il sappelle Jean (en grec Iōanēs ou Iōannēs, en hébreu yôḥānān ou yĕhôḥānān, qui signifie : « Yahweh fait grâce »), dit le Baptiste. Lattribut « baptiste » a toujours été associé à son nom, parce quil sest distingué en baptisant les gens. Pour comprendre la signification de ce geste, il faut dabord se plonger dans le contexte du premier siècle.
Contexte
Notre mot « baptiser » vient du grec: baptizō, qui signifie plonger ou tremper dans leau, et cest de ce mot grec dont sest servi la Septante pour traduire lhébreu : ṭābal. Quand on parle de plonger ou tremper, on fait référence à leau.
Depuis la nuit des temps, et surtout en Orient, on pratiquait des rites deau et on faisait des ablutions rituelles (pour ce qui suit, voir Charles Perrot, Jésus et lhistoire. Paris : Desclée, 1979, p. 99-136). Car leau lave, purifie et vivifie, elle est signe de vie et de fécondité. Dans le monde religieux, le fait de plonger dans leau permet denlever le monde profane pour entrer dans le monde du sacré, le monde divin : car la distance entre les deux mondes est tellement grande quil fallait un geste symbolique pour signifier le passage de lun à lautre. Cette « purification » opérée par leau était rituelle et avait avant tout une valeur symbolique. Cest ainsi que chez les Juifs les prêtres devaient se laver avant dentrer dans le temple (2 Ch 4, 2-6), avant et après les cérémonies, ainsi à Kippour (Lv 16, 24.26). Cette purification était aussi exigée chez lensemble de la population dans certains cas, comme chez les lépreux une fois guéris ou ceux qui avaient été en contact avec un cadavre, afin de pouvoir réintégrer la communauté cultuelle et le temple.
Mais le baptême de Jean-Baptiste est tout à fait différent : il ne sagit plus dune simple purification rituelle quon répète régulièrement, mais dune plongée dans leau une fois pour toutes, et cette plongée pardonne les péchés. Cétait donc quelque chose de nouveau et unique. Mais où Jean-Baptiste a-t-il puisé cette idée? On ne sait trop, mais on peut mettre de lavant deux faits.
- Dans lAncien Testament il y a un récit qui comporte des caractéristiques similaires, celui de Naamân, le lépreux, chef de larmée du roi dAram (2 R 5, 1-19). Selon les recommandations dune esclave juive daller voir le prophète de Samarie pour se faire guérir de la lèpre, Naamân se rendit auprès du roi dIsraël, puis auprès du prophète Élisée qui lui demanda de se baigner sept fois dans le Jourdain pour que sa chair redevienne nette. Après un moment de scepticisme, Naamân plongea dans le Jourdain comme prescrit et sa chair redevint nette comme celle dun petit enfant. Cet épisode dune forme de baptême neut pas de suite dans lhistoire dIsraël. Mais le mouvement baptiste a pu y trouver une source dinspiration.
- Au 1ier siècle (de notre ère et celle qui précède), on assiste en Palestine à un bouillonnement de ferveur religieuse. Sous limpulsion des Pharisiens, on démocratise les pratiques religieuses, i.e. on considère que la parole de Dieu sadresse à tout le monde et pas seulement aux prêtres, et selon une exégèse dExode 19, 6, tous les Israélites font partie du « peuple sacerdotale ». Dès lors, les pratiques cultuelles autour de leau vont se développer et se répandre, et surtout sappliquer à tout le monde. Mais tout cela a un effet pervers : la compartimentation progressive de la société, la séparation entre les purs et les impurs, i.e. ceux qui sont en mesure de suivre dans leur minutie toutes les règles religieuses, et ceux qui ne le peuvent pas. Et parmi ceux-ci, il y avait le groupe appelé « pécheurs » en raison même de leur travail ou de leur situation sociale, comme les médecins, les bouchers, les bergers, les prostituées et les douaniers, car leur fonction les amenait à être en contact avec les païens, les femmes ou les cadavres. Conséquence de tout cela, les « pécheurs » navaient plus accès au temple, et donc plus accès au seul lieu possible pour le pardon des péchés à travers les divers sacrifices de lautel, incluant celui du Jour de Kippour (le grand pardon); cest le cul de sac complet. Cest à cela que réagira le mouvement baptiste.
Le mouvement baptiste
De quoi sagit-il? Cest un « mouvement de réveil religieux, en milieu populaire surtout, qui proclame limminence du jugement eschatologique et appelle déjà au salut par la conversion du coeur et le rite dimmersion en eau vive en vue du pardon des péchés » (Perrot, op. cit., p. 111-112). Ce rite sadresse à tous, purs et impurs, Juifs ou païens, sans autre condition que celle de lattitude du coeur. Cest un rite de pardon des péchés, et donc par sa nature même, conteste la prétention du temple avec tous ses sacrifices dêtre le seul lieu du pardon des péchés. On ne peut se baptiser soi-même comme on fait des ablutions rituelles, cest quelquun dautre qui confère le baptême, et il se créé ensuite un lien spécial entre le baptisant et le baptisé (comme on le voit à Corinthe (1 Co 1, 12-15) et qui est source de division dans la communauté). Dans cette mouvance, on connaît bien sûr Jean, fils de Zacharie. Mais il y a eu aussi « un certain Bannus, qui vivait au désert, se contentait pour vêtement de ce que lui fournissaient les arbres, et pour nourriture, de que la terre produit spontanément, et usait de fréquentes ablutions deau froide de jour et de nuit, par souci de pureté » (cité par Flavius Josèphe, Autobiographie, #11). Au 2e s. de notre ère, Justin mentionne aussi des baptistes juifs dans son Dialogue avec Tryphon, 80). Encore aujourdhui, il existe au sud de lIrak et de lIran des milliers de mandéens qui se réclament de Jean-Baptiste et pratiquent le rite réitérable du baptême : celui qui pardonne le péché dans leau vive du Jourdain-Euphrate, rejetant les sacrifices sanglants et appelant tous les hommes au salut (voir J. Schmitt, art. Mandéens, dans Supplément au Dictionnaire de la Bible, 6(1957)758-787).
Que savons-nous sur Jean-Baptiste? Les témoignages sont peu nombreux, mais suffisants pour nous faire une certaine idée.
Les témoignages sur Jean-Baptiste
- Flavius Josèphe (historien juif : 37 à 100 de notre ère)
Josèphe, dans ses Antiquités juives (18, 116-119), nous offre le texte suivant sur Jean-Baptiste (en italique : quelques commentaires):
Or, il y avait des Juifs pour penser que si larmée dHérode avait péri (défaite aux mains des Nabatéens en lan 36), cétait par la volonté divine et en juste vengeance de Jean surnommé le Baptiste. En effet, Hérode lavait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et quil excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour recevoir le baptême ; car cest à cette condition que Dieu considérait le baptême comme agréable, sil servait non pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, après quon eut préalablement purifié lâme par la justice. Des gens sétaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en lentendant parler. Hérode craignait quune telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme, il aima donc mieux semparer de lui avant que quelque trouble se fût produit à son sujet, que davoir à se repentir plus tard, si un mouvement avait lieu, de sêtre exposé à des périls. A cause de ces soupçons dHérode, Jean fut envoyé à Machéronte (Jordanie actuelle, à une dizaine de kilomètres des rives de la mer Morte, voir la carte de la Palestine), la forteresse dont nous avons parlé plus haut, et y fut tué. Les Juifs crurent que cétait pour le venger quune catastrophe sétait abattue sur larmée, Dieu voulant ainsi punir Hérode (Antipas).
Quelques commentaires sur ce texte de Josèphe.
- Jean-Baptiste est perçu par Josèphe comme un homme de bien qui a invité les gens à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres, à être pieux envers Dieu afin de recevoir le baptême
- Jean-Baptiste a eu beaucoup de succès auprès des foules qui était exaltées en lentendant
- Si Jean-Baptiste a été mis à mort par Hérode Antipas, cest pour des raisons politiques : Jean-Baptiste avait une telle emprise sur les foules quHérode craignait quil suscite une révolte; ce motif est totalement différent de celui fourni par les évangélistes qui invoquent des raisons morales, Hérode nappréciant pas ses reproches sur son mariage avec la femme de son frère
- Paul de Tarse (selon ses lettres dites « authentiques » qui vont de lan 51 à 63)
Chez Paul, cest le silence complet sur Jean-Baptiste. Cela est dautant plus surprenant quil devait bien connaître toute la saga autour du Baptiste. En effet, son collaborateur, Apollos, a dabord connu le baptême de Jean-Baptiste : « Il avait été instruit de la Voie du Seigneur, et, dans la ferveur de son âme, il prêchait et enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus, bien quil connût seulement le baptême de Jean » (Actes 18, 25). De plus, selon Actes 19, 1-3, quand Paul se rend à Éphèse, il rencontre des gens qui nont reçu que le baptême de Jean-Baptiste, et Luc met dans la bouche de Paul ces paroles : « Jean a baptisé dun baptême de repentance, en disant au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, cest-à-dire en Jésus » (19, 4). Pourquoi ce silence de Paul dans ses lettres ? On ne peut que le conjecturer en faisant des déductions à partir des évangiles : Paul, et un certain nombre de chrétiens, ont voulu opérer une séparation entre le mouvement baptiste et Jésus, pour éviter la confusion et accentuer la distance. Cest ce que font les évangiles à leur façon avec des affirmations comme : « Je vous le dis: de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il ny en a pas; et cependant le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui » (Lc 7, 28 || Mt 11, 11). De même, Paul parle très peu du baptême, et dans sa lettre aux Corinthiens, il insiste pour dire quil a très peu baptisé, car sa mission était dannoncer lévangile, et non pas de baptiser (1 Co 1, 17). Jean-Baptiste a eu beaucoup dinfluence et son mouvement a continué parallèlement à celui de Jésus, et après lui, et les chrétiens ont dû chercher la façon de reconnaître son apport tout en sen distanciant. Paul a choisi le silence.
- Lévangile de Marc (vers lan 67)
Avec lévangile de Marc, nous sommes 10 à 15 ans après certaines lettres de Paul. Dentrée de jeu, il présente Jean-Baptiste comme celui qui sest trouvé à préparer le ministère de Jésus, comme son précurseur, en lidentifiant à lange que Yahvé envoie devant son peuple en route vers la terre promise en Exode 23, 20 et Malachie 3, 1, et à la voix dIsaïe 40, 3 qui annonce un nouvel exode pour quitter la captivité de Babylone et revenir au pays. Considérons le texte de Marc avec, en regard, les textes vétérotestamentaires qu'il cite.
Mc 1, 2-3 | Ancien Testament |
Ainsi quil est écrit dans le livre du prophète Isaïe, | |
Voici, jenvoie mon ange (messager) en avant de toi, pour préparer ton chemin. | Ex 23, 20 LXX : « Voici que jenvoie mon ange (messager) en avant de toi, afin quil te protège dans la voie, et quil tintroduise en la terre que je tai préparée » Ml 3, 1 LXX : « Voici que jenvoie mon ange (messager), et il surveillera la voie devant moi, et le Seigneur que vous cherchez viendra soudain dans son temple, avec lange de lalliance que vous avez désiré ; le voici, il vient, dit le Seigneur tout-puissant. » |
Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. | Is 40, 3 LXX : « Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » |
Pour Marc, Jean-Baptiste a préparé le terrain pour la mission de Jésus. De plus, il fait un certain nombre daffirmations à son sujet
- Il a exercé son ministère dans les régions isolées, quil appelle : désert (en Palestine, il ne sagit pas du Sahara, mais de régions plutôt arides sans arbres)(1, 4)
- Il a proclamé le baptême de conversion pour le pardon des péchés, typique du mouvement baptiste (1, 4)
- Les baptêmes se faisaient dans le petit fleuve Jourdain (1, 5)
- Il a connu un certain succès populaire (1, 5), à tel point que les grands prêtres, les scribes et les anciens craignent de dire du mal de lui à cause de la foule (11, 32)
- Il a eu du succès même auprès des autorités, car Hérode Antipas le considérait comme un homme juste et saint, quil lécoutait avec plaisir, et même le protégeait (6, 20)
- Les gens le considèrent comme un prophète (11, 32)
- Marc le considère comme lÉlie qui doit précéder la venue du messie, et cest ainsi quil est vêtu à la manière du prophète Élie dune peau de chameau (1, 6; voir 2 R 8, 1) et se nourrit seulement de produits que la nature lui offre
- Il avait des disciples qui sétaient attachés à lui (2, 18; 6, 29)
- Comme tout bon juif, lui et ses disciples respectaient les périodes de jeûne (2, 18)
- Il baptise Jésus, originaire de Galilée, dans le Jourdain (1, 9)
- Au moment où Jésus commence son ministère, Jean-Baptiste se fait arrêter et emprisonner (1, 14)
- Son arrestation et sa décapitation sont loeuvre dHérodiade, la femme de son frère Philippe quil avait épousée et qui était lobjet des reproches de Jean-Baptiste
Dans tout son évangile, Marc nous présente un certain nombre de scènes qui rapprochent Jésus de Jean, et un certain nombre qui les distinguent. Parmi celles qui les rapprochent, notons :
- Jésus et Jean-Baptiste sont tellement semblables quil est une source de confusion pour beaucoup de gens, en particulier Hérode Antipas qui, après avoir fait décapiter le Baptiste, pense voir en Jésus son sosie ressuscité : « Le roi Hérode entendit parler de lui, car son nom était devenu célèbre, et lon disait: "Jean le Baptiste est ressuscité dentre les morts; doù les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne." » (6, 14; voir aussi 8, 28)
Quand les Sanhédrin, composé des grands prêtres, des scribes et des anciens, questionne Jésus sur son autorité, Jésus leur demande dabord de prendre position par rapport à Jean Baptiste : est-il envoyé par Dieu, oui ou non? (11, 30); en effet, sils sont incapables de reconnaître en Jean-Baptiste un envoyé de Dieu, ils seront incapable de le voir également en Jésus, tellement tous les deux sont sur une même trajectoire.
En ayant dit tout cela, Marc apporte une nuance importante quil met dans la bouche du Baptiste : « Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés deau, mais lui vous baptisera dEsprit Saint » (1, 7-8). Cette distinction entre le baptême de Jean et le baptême de Jésus est le fruit de la réflexion chrétienne qui a dû les situer lun par rapport à lautre : tout en reconnaissant la valeur du baptême de Jean, le baptême de Jésus est unique en ce quil confère lEsprit Saint; ce dernier est donc supérieur au premier.
- Lévangile selon Matthieu (vers lan 80 ou 85 de notre ère)
Matthieu reprend de manière générale la présentation de Marc sur Jean-Baptiste. Mais il sen distingue sur un certain nombre de points.
- En reprenant le portrait de Marc sur Jean-Baptiste, il aime être plus clair et plus précis;
- Le vêtement du Baptiste est plus semblable à celui dÉlie et sa personne sera clairement identifié à Élie : « je vous le dis, Elie est déjà venu, et ils ne lont pas reconnu, mais lont traité à leur guise... Alors les disciples comprirent que ses paroles visaient Jean le Baptiste » (17, 12-13)
- La citation prétendue dIsaïe de Marc au début de son évangile est modifiée pour éliminer Ex 23, 20 et Ml 3, 1 et ne garder que la partie qui est vraiment dIsaïe
- Il insiste encore davantage que le chemin vers Jésus passe par Jean-Baptiste : « En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous navez pas cru en lui; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui; et vous, devant cet exemple, vous navez même pas eu un remords tardif qui vous fît croire en lui." » (21, 32)
- La prédication du Baptiste est un tel succès que même les Pharisiens et les Sadducéens sy présentent (3, 7)
- Il affronte une question que ne sétait pas posée Marc, mais que les chrétiens de sa communauté se posaient : si Jésus était sans péché, pourquoi est-il allé se faire baptiser?
- Il a donc cette scène où, lorsque Jésus se présente pour se faire baptiser, Jean-Baptiste sy objecte, prétextant que cest plutôt lui qui a besoin dêtre baptisé par Jésus. Finalement, la solution est que tous les deux doivent se soumettre à la volonté de Dieu (voir 3, 13-15). Cest loccasion pour Matthieu de réitérer la supériorité de Jésus (cest Jean qui a besoin dêtre baptisé par Jésus).
- Subtilement, Matthieu modifie certaines scènes de Marc pour placer le baptême de Jean dans son contexte
- Il refuse de reprendre telle quelle laffirmation de Marc que le baptême de Jean-Baptiste est un baptême « de repentir pour la rémission des péchés » : oui, pour sy présenter, il faut un repentir sincère, mais il ne confère pas la rémission des péchés dont Jésus a le privilège (le Baptiste de Matthieu dit seulement : « Repentez-vous » (3, 2); « Ils étaient baptisés dans le fleuve Jourdain par lui en confessant leurs péchés » (3, 6)); la rémission des péchés est complètement oblitérée
- Matthieu ne décrit pas le baptême de Jésus, et sa vision dêtre le Fils bien-aimé a lieu après le baptême, après être remonté de leau; cest sa façon datténuer limportance de ce baptême
- Matthieu accentue la portée eschatologique de lactivité de Jean-Baptiste, comme celle de Jésus
- Matthieu nous donne le contenu de la prédication du Baptiste : « Repentez-vous, car le royaume des Cieux est proche » (3, 2); or, cest exactement le contenu de la prédication initiale de Jésus : « Dès lors Jésus commença à prêcher et à dire : "Repentez-vous, car le royaume des Cieux est proche" » (4, 17). Quest-ce à dire? Deux choses : la mission du Baptiste et celle de Jésus sont totalement synchronisées; tous les deux nous avertissement de limminence du royaume, et pour Matthieu, larrivée du royaume correspond au jour du jugement de Dieu
- Cest ainsi quavec Jean-Baptiste est introduite une période de grands bouleversements, une atmosphère de guerre et de conflits : « Jusquà Jean ce furent la Loi et les Prophètes; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé, et tous sefforcent dy entrer par violence » (16, 16)
- Mais la plus grande différence avec Marc, cest lintroduction des éléments de la source Q (cette source commune à Matthieu et Luc) concernant le Baptiste
- Larrivée de Jean-Baptiste correspond à larrivée des derniers temps où sexerce le jugement de Dieu : « Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres; tout arbre donc ne faisant pas de fruit bon est coupé et jeté au feu » (3, 10); cest le cas aussi pour Jésus qui opère un baptême dans lEsprit Saint « et le feu », i.e. le feu qui élimine ce qui est mauvais (3, 16)
- Malgré la grande similitude entre Jésus et Jean-Baptiste, il existe une distinction fondamentale entre les deux : « En vérité je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il nen a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui » (11, 11); en dautres mots, ce qua introduit Jésus est plus grand que tout ce nous a apporté lAncien Testament. Cest la façon pour la source Q daffirmer ce que Marc disait à propos de lindignité de Jean-Baptiste de délier la lanière des sandales de celui qui vient
- Parlant de « celui qui vient », i.e. le messie, jamais Marc navait abordé la question : Jean-Baptiste savait-il que Jésus était le messie? Car le Baptiste de Marc parle seulement de celui qui vient, et en aucun moment on ne lentend dire : cest lui, Jésus. Avec la source Q, la question est réellement posée : « Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des oeuvres du Christ. Il lui envoya de ses disciples pour lui dire: "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?" » (11, 2-3). Ainsi, pour le Baptiste, lidentité de « celui qui venait » nétait pas claire
- À sa façon la source Q reprend la différence entre le comportement ascétique du Baptiste et celui de « bon vivant » de Jésus : « Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et lon dit: Il est possédé! Vient le Fils de lhomme, mangeant et buvant, et lon dit: Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs! » (11, 18-19)
Ainsi, avec lévangile selon Matthieu, le portrait de Jean-Baptiste sest précisé. La synchronisation entre la mission du Baptiste et celle de Jésus est plus nette, tout en réitérant la distinction fondamentale entre les deux. On a moins peur daborder certaines questions : Pourquoi Jésus sest-il fait baptiser, lui qui était censé être sans péché? Jean-Baptiste savait-il que Jésus était le messie? On nest pas gêné de montrer la grande différence de comportement entre les deux : lun est un ascète, lautre passe pour être un bon vivant.
- Lévangile selon Luc (vers lan 80 ou 85 de notre ère)
Luc connaît Marc et la source Q sur Jean-Baptiste dont il va reprendre le portrait. Mais avec lui, le portrait prend une nouvelle expansion avec le récit de sa naissance. En fait, il accentue la synchronisation entre les deux missions en créant un récit parallèle de la naissance du Baptiste et de Jésus :
| Jean-Baptiste | | Jésus |
1, 5-25 | Annonciation à Zacharie par lange Gabriel | 1, 26-28 | Annonciation à Marie par lange Gabriel |
1, 41-45 | Élisabeth proclame sa bénédiction et sa béatitude sur Marie | 1, 46-56 | Marie proclame son action de grâce |
1, 57-58 | Naissance de Jean-Baptiste et visite des voisins | 2, 1-20 | Naissance de Jésus et visite des bergers |
1, 59-63 | Circoncision le huitième jour | 2, 21-28 | Circoncision le huitième jour et présentation au temple |
1, 64-79 | Prophétie de Zacharie | 2, 29-38 | Prophéties de Syméon et Anne |
1, 80 | Vie cachée de Jean-Baptiste | 2, 39-52 | Vie cachée de Jésus à Nazareth et anticipation de son service de la parole à lâge de douze ans |
Cette synchronisation des deux missions est répétée de multiples façons, par exemple :
- Tout comme Jésus, Jean-Baptiste proclame la bonne nouvelle : « Et par bien dautres exhortations encore, il (Jean-Baptiste) annonçait la Bonne Nouvelle » (3, 18)
- Le message est si semblable que « tous se demandaient en leur coeur, à propos de Jean, si lui ne serait pas le messie » (3, 15)
- Les deux sont des envoyés de Dieu : « Tout le peuple qui a écouté, et même les publicains, ont justifié Dieu en se faisant baptiser du baptême de Jean » (7, 29)
De manière unique, Luc nous livre le contenu de lenseignement moral de Jean, et en ce sens nous le présente comme un enseignant qui a sa valeur propre :
- Le partage avec les plus pauvres : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui nen a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même » (3, 11)
- Le refus dextorquer les gens pour les percepteurs dimpôt : « Nexigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit » (3, 13)
- Le refus de la violence et de la calomnie pour les soldats : « Ne molestez personne, nextorquez rien, et contentez-vous de votre solde » (3, 14)
Le message de Jean-Baptiste est universel en disant « quand tout le peuple eut été baptisé », insinuant quil ny a pas eu dexception, et donc incluant non seulement le peuple ordinaire, mais aussi les gens honnis comme les percepteurs dimpôts, et même les soldats, qui pouvaient être non-Juifs.
Tout comme Matthieu, il minimise le baptême de Jésus en le passant pratiquement sous silence : « quand tout le peuple eut été baptisé et Jésus ayant été baptisé » (3, 21) ; cest comme dire : Jésus a été baptisé dans le lot de tous les baptisés, comme tout le monde; il ny rien de spécial. Cest par la suite, dans un moment de prière, quil reçoit son élection.
Bref, Jean-Baptiste et Jésus apparaissent comme deux frères dans une même mission, même si Luc reprend les paroles de la source Q : « Je vous le dis: de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il ny en a pas; et cependant le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui »; lun est plus grand que lautre.
- Lévangile selon Jean (vers lan 90 ou 95 de notre ère)
Avec Jean, nous sommes sur un tout autre registre. Dune part, il séloigne de la simple énumération factuelle pour projeter un regard théologique sur les choses, dautre part, il parsème son évangile de données factuelles qui semblent remonter à lépoque de Jésus. Ce quil nous dit sur Jean-Baptiste est beaucoup plus court, mais en même temps beaucoup plus précieux. Regardons de plus près.
Commençons avec le regard théologique, celui du prologue (1, 6-15):
Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean.
Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.
Celui-là nétait pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière...
Jean lui rend témoignage et il clame: "Cest de lui que jai dit: Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce quavant moi il était."
Dentrée de jeu, Jean affirme le rôle précis de Jean-Baptiste : rendre témoignage à la lumière afin que tous crussent par lui; en dautres mots, la valeur du Baptiste est dêtre au service de la lumière quest Jésus; il est venu avant Jésus, mais Jésus est plus grand que lui.
Nous sommes loin du questionnement quon trouve dans la source Q où Jean-Baptiste, dans sa prison, envoie des disciples senquérir auprès de Jésus sil est le messie. Dans lévangile de Jean tout est clair, et il en sera de même dans le premier chapitre :
Et voici quel fut le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander: "Qui es-tu?" Il confessa, il ne nia pas, il confessa: "Je ne suis pas le Christ" -- "Ques-tu donc? Lui demandèrent-ils. Es-tu Elie?" Il dit: "Je ne le suis pas" - "Es-tu le prophète?" Il
répondit: "Non." Ils lui dirent alors: "Qui es-tu, que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés? Que dis-tu de toi-même" -- Il déclara: "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Rendez droit le chemin du Seigneur, comme
a dit Isaïe, le prophète." On avait envoyé des Pharisiens. Ils lui demandèrent: "Pourquoi donc baptises-tu, si tu nes ni le Christ, ni Elie, ni le prophète?" Jean leur répondit: "Moi, je baptise dans leau. Au milieu de vous se tient quelquun que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandale." (1, 19-27)
Ainsi, Jean-Baptiste sait clairement quil nest pas le messie. Et lévangéliste reprend deux affirmations que la tradition de Marc connaissait : Jean est cette voix qui crie dans le désert pour préparer le chemin du Seigneur, et il nest pas digne de dénouer la courroie de sandale de ce celui dont il annonce la venue.
Mais le Jean-Baptiste de Jean sera beaucoup plus précis, car il sait, lui, qui est le messie et il va le désigner explicitement :
Le lendemain, il voit Jésus venir vers lui et il dit: "Voici lagneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Cest de lui que jai dit: Derrière moi vient un homme qui est passé devant moi parce quavant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas; mais cest pour quil fût manifesté à Israël que je suis venu baptisant dans leau." Et Jean rendit témoignage en disant: "Jai vu lEsprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, celui-là mavait dit: Celui sur qui tu verras lEsprit descendre et demeurer, cest lui qui baptise dans lEsprit Saint. Et moi, jai vu et je témoigne que celui-ci est lÉlu de Dieu." (1, 29-34)
On ne peut être plus précis et plus explicite. Selon lévangéliste Jean, Jean-Baptiste a bel et bien identifié Jésus comme le messie promis, car Dieu lui avait donné les signes pour le reconnaître, et il a vu ces signes dans lEsprit qui est descendu sur Jésus. Cest ainsi quil a pu indiquer aux gens qui venaient à lui que Jésus était le messie.
À quelques reprises dans on évangile, Jean reprendra ces affirmations : Jean-Baptiste témoigné en faveur de Jésus, et a donc été en quelque sorte une lumière, et il a permis à des gens de croire en Jésus
- « Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité. Non que je relève du témoignage dun homme; si jen parle, cest pour votre salut. Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière. Mais jai plus grand que le témoignage de Jean: les oeuvres que le Père ma donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père menvoie » (5, 33-36)
- « Beaucoup vinrent à lui et disaient: "Jean na fait aucun signe; mais tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai." » (10, 41)
Selon le style de lévangile selon Jean, tout cela constitue des affirmations théologiques, i.e. un regard réfléchi porté sur les choses après coup, à la lumière de la foi.
Mais curieusement, comme lont noté beaucoup de biblistes (voir R.E. Brown, The Gospel According to John. Garden City : New York, Doubleday (Anchor Bible, 29)), lévangile le plus théologique nous offre des pépites de données historiques.
Il y a dabord le lieu où Jean a exercé son ministère. Deux sont mentionnés :
- 1, 28 : « Cela se passait à Béthanie au-delà du Jourdain, où Jean baptisait »
- 3, 23 : « Jean aussi baptisait, à Aenon, près de Salim, car les eaux y abondaient, et les gens se présentaient et se faisaient baptiser »
Tout dabord, le village de Béthanie est à distinguer de celui qui est près de Jérusalem, puisquil était « au-delà du Jourdain », et portait probablement le nom de « Bethabara » (le lieu du gué) (voir Perrot, op. cit., note 25, p. 135; pour le lieu de ce village au nord de la mer Morte, sur le bord du Jourdain, voir la carte de la Palestine). Lindication dAenon, près de Salim, est mieux connue et correspond au site archéologique connu sous le nom de Ayn Farah (voir Aenon et Salim en Samarie, au nord-est du mont Ébal, sur la carte de la Palestine; pour cette identification entre Aenon et Ayn Farah, voir M.E. Boismard, Aenon près de Salem, dans Revue Biblique, 80(1973)218-229).
Ensuite, les premiers disciples de Jésus étaient dabord des disciples de Jean-Baptiste.
Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Regardant Jésus qui passait, il dit: "Voici lagneau de Dieu." Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus... André, le frère de Simon-Pierre, était lun des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus (1, 35-40)
On apprend également que Jésus baptisait, à la suite de Jean-Baptiste.
Ils (les disciples de Jean) vinrent trouver Jean et lui dirent: "Rabbi, celui qui était avec toi de lautre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise et tous viennent à lui!" (3, 26)
Pourquoi Jésus baptisait-il, sinon comme disciple de Jean et dans la mouvance de sa mission? Lévangéliste ne mentionne pas le baptême de Jésus, mais y fait indirectement référence : « Jai vu lEsprit descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui » (1, 32). Par la suite, Jésus ne retourne pas chez lui en Galilée, mais reste dans lentourage du Baptiste et de ses disciples. Et comme il baptisait, et quil était typique que le baptisé ait une relation spéciale avec le baptisant, ceux que Jésus a baptisé se mettent à sattacher à sa personne, doù la remarque des disciples de Jean : « le voilà qui baptise et tous viennent à lui! ». Et le succès de Jésus semble avoir assez grand que la rumeur sest répandu : « Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire quil faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean » (4, 1).
Alors, quand une séparation entre le Baptiste et Jésus sest-elle opérée? En dautres mots, quand Jésus a-t-il commencé à voler de ses propres ailes? Faute de faits précis, on peut faire certaines conjectures.
- Quand Jésus apprend que les Pharisiens ont entendu dire quil baptisait plus et faisait plus de disciples que Jean-Baptiste, Jésus décide de quitter la région où avait lieu ces baptêmes pour retourner dans sa patrie de Galilée (4, 1). Et dès lors, on nentendra plus jamais parler des baptêmes de Jésus ou de ses disciples.
- La mort de Jean-Baptiste semble avoir eu lieu tôt au début de la mission de Jésus. Sur ce point, les évangélistes sont unanimes. Tout dabord, quand lévangéliste Jean écrit que les disciples de Jean-Baptiste lui rapporte les baptêmes de Jésus, il a pris la peine de mentionner : « Jean, en effet, navait pas encore été jeté en prison » (3, 24). Marc, pour sa part, écrit : « Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée, proclamant lÉvangile de Dieu » (1, 14). Luc pour sa part, mentionne larrestation de Jean-Baptiste avant même de faire allusion au baptême de Jésus, prêtant flanc à une certaine incohérence : cest sa façon de passer sous silence le baptême de Jésus. Mais il est plus clair dans ses Actes 13, 25 : « Au moment de terminer sa course, Jean disait: Celui que vous croyez que je suis, je ne le suis pas; mais voici venir après moi celui dont je ne suis pas digne de délier la sandale »; Jean-Baptiste semble mourir au moment où il passe le « bâton » à Jésus. Matthieu est différent. Il ne nous raconte pas quand lexécution de Jean-Baptiste a eu lieu, mais en parle au milieu de son évangile comme dun événement passé : cela correspond à la structure de son évangile, où la 2e partie est orientée vers la mort de Jésus, et le rappel de la mort de Jean-Baptiste sert de toile de fond pour anticiper la mort de Jésus.
Après cette longue analyse des différents témoignages, peut-on trouver une certaine cohérence sur le plan historique?
- Tout dabord, sur la naissance de Jean-Baptiste, on na aucun moyen de vérifier le récit de Luc qui comporte une note théologique si grande et un style littéraire quon applique aux grands personnages de lhistoire sainte quil est impossible den tirer des faits probables
- Mais lexistence de Jean, surnommé le Baptiste, est indéniable et confirmée par de multiples sources, dont celle de lhistorien juif Flavius Josèphe
- Quil ait introduit une pratique nouvelle dun baptême de repentir pour la conversion des péchés est également indéniable. Cela constituait une sorte de contestation du temple de Jérusalem qui gardait lexclusivité du pardon des péchés à travers ses divers sacrifices danimaux
- Les indices sont concordants pour indiquer que sa prédication était universelle, sadressant à toutes les couches de la société
- Son activité semble avoir eu lieu dans deux endroits différents : Bethabara, sur le bord du Jourdain, au nord de la mer morte, puis Aenon, en Samarie, où se trouvaient des sources deau
- Des sources multiples confirment quil a connu un succès énorme
- Ce qui est aussi indéniable, cest quil sest fait arrêter, a été mis en prison et a été exécuté par Hérode Antipas : selon Josèphe, parce quHérode a eu peur dune révolte du peuple en raison de son succès, selon les évangiles synoptiques parce quil a fait des reproches au roi concernant son mariage avec la femme de son frère Philippe et à linstigation de cette femme. Cette mort pourrait se situer vers la fin de lan 27 ou au début de lan 28 de lère moderne : car il est probable que le ministère de Jésus se situe de lautomne 27 jusquen avril de lan 30, et cette mort est probablement située au début du ministère de Jésus
- La prédication de Jean-Baptiste a attiré des gens de Galilée dont Jésus et André, le frère de Simon-Pierre
- Jésus a été baptisé par Jean-Baptiste probablement vers lété ou lautomne de lan 27 de notre ère et tout indique quil est demeuré un certain temps auprès du Baptiste
- Il est aussi probable que Jésus sest mis à son tour à baptiser et que ses premiers disciples viennent de lentourage du Baptiste
- Quest-ce qui la amené à quitter lentourage du Baptiste et à retourner en Galilée? Il est possible que ce soit un concours de circonstances : la possibilité dun conflit avec les disciples de Jean-Baptiste devant le succès de Jésus, ce que voulait éviter Jésus (Jn 4, 1-3), et lemprisonnement et la mort du Baptiste (tous les évangiles)
- Il est peu probable que Jean-Baptiste ait reconnu en Jésus le messie promis, comme lindique plusieurs indices : la tradition a gardé le témoignage de Jean-Baptiste qui envoie des disciples à partir de sa prison senquérir sur lidentité de Jésus, et le fait même que le mouvement baptiste ait continué par la suite avec des disciples qui ignorent quil ait fait référence à Jésus
- Il est indéniable que le mouvement baptiste a continué après la mort de son fondateur, si bien quon en a un écho tout au long de lhistoire jusquà aujourdhui au sud de lIrak et de lIran
- Après lexpérience de la résurrection de Jésus dun certain nombre de disciples, il semble que les premiers chrétiens aient restitué la pratique du baptême comme signe dintégration à la communauté
- Paul de Tarse semble peu intéressé à cette pratique, et même mal à laise avec la place de Jean-Baptiste dans la vie de Jésus, même sil utilise à quelques occasions limage du baptême comme assimilation à la mort-résurrection du Christ; un tel malaise est lindice que le mouvement baptiste, encore bien vivant, est mal défini par rapport à celui de Jésus, et un peu en rivalité
- Cest plus de 35 ans après la mort-résurrection de Jésus que tous ces événements entourant Jean-Baptiste semblent mieux compris. On a eu le temps de bien relire les Écritures, et avec laide de passages comme Ex 23, 20, Ml 3, 1, et surtout Is 40, 3, on a pu situer le Baptiste dans le plan de Dieu : celui dêtre le précurseur du messie. Le fait même que Jean-Baptiste ait put annoncer la venue dun plus grand que lui, sans savoir qui, a pris alors une nouvelle dimension. On assiste alors à la réhabilitation du « prophète du désert », il a été un envoyé de Dieu, il a préparé la voie du Seigneur
- Quand Matthieu et Luc publient leurs évangiles vers lan 80 ou 85 de notre ère, on est encore moins réticent à parler de Jean-Baptiste dans une atmosphère sereine. Les perspectives de bases mises en place sont reprises, mais maintenant on peut accentuer les similitudes entre la prédication de Jean-Baptiste et celle de Jésus, et Luc va jusquà proposer un portrait similaire de leur naissance et un lien de parenté entre les deux maîtres. En même temps, on minimise le fait que Jésus ait dû passer par le baptême de Jean-Baptiste, car le fils de Dieu, sans péché, na pu reconnaître ses péchés en allant au baptême
- Avec Jean, vers lan 90 ou 95 de notre ère, le récit sur Jean-Baptiste a encore évolué : maintenant le Baptiste indique clairement aux gens que Jésus est le messie, la lumière du monde ; nous sommes moins au niveau historique que théologique, alors que la réflexion chrétienne a permis de comprendre parfaitement que toute la vie de Jean-Baptiste pointait vers Jésus. Et bien sûr, le fait que Jésus soit passé par le baptême de Jean est totalement ignoré. En même temps, on se sent moins gêné de dévoiler tous les liens qui existaient entre Jésus et Jean-Baptiste : le recrutement des disciples et lactivité baptiste de Jésus
Jean-Baptiste et Jésus
On ne peut conclure cette analyse sans établir le portrait comparatif de ces deux hommes que sont Jean-Baptiste et Jésus.
Jean-Baptiste | Jésus |
Un message universaliste, qui sadresse dabord à la foule du « peuple du pays », aux pauvres et aux petits incapable de suivre toutes les règles religieuses | Un message universaliste, qui sadresse dabord à la foule du « peuple du pays », aux pauvres et aux petits incapable de suivre toutes les règles religieuses |
Par son baptême pour le pardon des péchés, Jean-Baptiste conteste le rôle du temple et ses sacrifices comme seul lieu du pardon des péchés | Par ses guérisons et ses exorcismes, Jésus conteste aussi à sa façon le rôle du temple comme seul lieu du pardon des péchés, en plus de le contester physiquement (vendeurs chassés du temple) |
Jean-Baptiste a suscité un grand mouvement populaire, suscitant linquiétude des autorités | Jésus, daprès divers témoignages, a attiré des foules, suscitant linquiétude des autorités |
Jean-Baptiste a été arrêté, emprisonné et tué pour des raisons politiques selon Josèphe, pour des raisons morales et personnelles selon les évangiles synoptiques | Jésus a été arrêté et tué pour des raisons politiques, selon Jean (« il est de votre intérêt quun seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière », 11, 50), pour son attaque des institutions religieuses (destruction du temple) selon les évangiles synoptiques |
Jean-Baptiste sest cantonné dans le désert, et ce sont les gens qui venaient à lui | Jésus a parcouru les villes et les villages, allant au devant des gens |
Jean-Baptiste avait la réputation dêtre un homme ascétique, jeûnant régulièrement avec ses disciples | Jésus avait la réputation dêtre un bon vivant, acceptant les invitations à manger, au risque de passer pour un glouton et un ivrogne |
Laccent de la prédication du Baptiste est sur le repentir, un changement de vie et lapproche du jugement de Dieu | Laccent de la prédication de Jésus est sur la bonne nouvelle du règne de Dieu qui vient |
Au terme de ce parcours de la figure de Jean le Baptiste, que nous reste-t-il? Celui dun homme hors de lordinaire, dun innovateur qui a introduit le baptême deau pour le pardon des péchés, moyennant un sincère repentir, et par ce fait court-circuitant le temple de Jérusalem comme seul lieu du pardon des péchés, dun homme intègre, droit et passionné qui a suscité lenthousiasme des foules, dune force de caractère qui na pas eu peur de confronter les autorités, dun homme qui représente ce quil y a de meilleur dans le Judaïsme, et de qui on a dit : « Je vous le dis: de plus grand que Jean parmi les enfants des femmes, il ny en a pas » (Lc 7, 28 || Mt 11, 11).
Même si, sur le plan historique, il ny a aucune donnée qui permette de penser que Jean-Baptiste a reconnu en Jésus le messie promis, il nen reste pas moins, comme lont reconnu les évangiles beaucoup plus tard, quil a été un maillon essentiel dans la mission de Jésus. Et il a pu lêtre, parce quil a vécu cette parole quil a offerte à ses disciples, gênés devant lactivité de Jésus : « Un homme ne peut rien sattribuer au-delà de ce qui lui est donné du ciel » (Jn 3, 27); cest une façon de vivre sans agenda personnel, avec une ouverture complète aux événements et à la volonté de Dieu. Cest ainsi quil a ouvert la voie à celui qui allait transformer lhumanité.
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Textes avec le nom Iōannēs dans le Nouveau Testament |
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Monnaie dans la Bible |
(D'après Jean-Philippe Lévy, L'économie antique. Paris : Presses Universitaires de France (Que sais-je? 1153), 1969; Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975; L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984)
La pièce de monnaie se définit comme un morceau de métal de quelque forme que ce soit, d'une composition et d'un poids toujours fixe. Elle est la combinaison de la mesure (poids fixe) et de l'estampille.
Préhistoire de la monnaie
Dans l'histoire de l'humanité, la monnaie est apparue tardivement. Pendant longtemps, le commerce se faisait par le troc, par lequel on échange un objet contre un autre. Mais le défi du troc vient de la difficulté à évaluer la valeur des objets impliqués dans l'échange : comment s'assurer que ce qu'on donne ou reçoit est de valeur équivalente?
C'est ainsi qu'est apparue la « monnaie de compte », un objet qui servait seulement d'étalon pour établir la valeur d'un bien, sans être impliqué dans une transaction quelconque. Par exemple, au début du 3e millénaire av. J.C., en Égypte, on a l'exemple du scribe Thenti qui cède sa maison, évalué à 10 shâts (un anneau d'or pesant environ 7 grammes et demi) au prêtre Kemapou. Ce dernier, en paiement, remet des meubles et des étoffes qui sont évalués respectivement à 4, 3 et 3 shâts. Un autre exemple, dans l'Iliade d'Homère (8e s. av. J.C.), on remet en récompense aux vainqueurs des jeux un trépied, un chaudron et une armure que sont évalués en nombre de boeufs. Des sacs de grains, comme l'orge, joueront aussi ce rôle de monnaie de compte en Égypte et en Babylonie.
Une mesure de poids
Néanmoins, l'avantage d'utiliser le métal apparaît assez rapidement en raison de la facilité de le transporter et de le fractionner. Il y a d'abord l'or, l'argent en Mésopotamie, le cuivre et le bronze en Égypte. Il ne prend pas encore la forme d'une pièce, mais il est pesé et souvent estampillé. C'est ainsi que, avant même l'existence d'une monnaie proprement dite, les paiements s'effectuaient par un poids déterminé de métal précieux. Cela explique le fait que plusieurs monnaies ont gardé le nom d'une mesure de poids : le talent (le poids de métal qu'un homme pouvait porter, 30,3 kg en Babylonie), qui se divisait en 60 mines, et la mine se divisait en 60 sicles (même aujourd'hui une monnaie comme la livre anglaise porte le nom d'une mesure de poids, la livre).
Les débuts de la monnaie
L'apparition de la pièce de monnaie proprement dite a lieu un peu après en l'an 700 avant notre ère. Elle fut inventée dans les villes ioniennes d'Asie Mineure (Turquie actuelle) : Éphèse, Milet, Phocée, sur le bord de la Méditerranée. Les plus anciennes pièces se présentent sous la forme de pastilles, non pas rondes et plates, mais ovoïdes et renflée au milieu, portant d'un côté une empreinte en creux, plus tard en relief, et de l'autre un simple chiffonnage destiné à empêcher les fraudeurs de rogner un peu le métal. L'on possède ainsi des pièces émises à Éphèse avant 650 : elles sont en électrum (alliage naturel d'or et d'argent). Ce n'est qu'un peu plus tard qu'apparaîtra la véritable pièce plate et à peu près ronde.
La monnaie de répand par la suite assez rapidement vers l'ouest, en Grèce, où Athènes aura ses monnaies propres peu après 600, pour atteindre finalement Marseille au 4e s. avant notre ère. Au Moyen-Orient, c'est la conquête Perse de 539 qui introduit l'usage de la monnaie un peu partout. Darius émit vers 515 des dariques d'or qui portaient pour effigie l'image du roi tirant à l'arc, et des sicles d'argent. En Égypte, la monnaie de bronze se répandit un peu, mais les paiements en nature demeurèrent très longuement en usage; il faut attendre la 30e dynastie, vers 360 av. notre ère, pour voir Takhôs émettre des pièces d'or ayant le même poids que la darique, mais portant en effigie la chouette d'Athènes.
En Palestine
Qu'en est-il de la Palestine? L'Ancien Testament parle du sicle, en Grec : siklos, en hébreu : šeqel. Mais le sicle est avant tout une unité de mesure de poids (14 gr). C'est ainsi qu'on pesait l'or, l'argent, le bronze, le fer, le plomb dans les transactions commerciales. De plus, comme la frappe d'une monnaie présuppose un état indépendant, la Palestine était difficilement en mesure de la faire : Jérusalem tombe sous l'égide de l'Assyrie en 701 avant notre ère, puis sous l'égide des Araméens de Babylone en 587. Mais les choses semblent changer avec l'empire perse et l'édit de Cyrus en l'an 538 avant notre ère qui permet à l'élite juive de retourner à Jérusalem et de reconstruire le temple. La liberté offerte par les Perses a peut-être permis la frappe d'une monnaie, le sicle. C'est ce que laisse penser certains écrits du Pentateuque, commencés depuis longtemps, mais finalisés à cette époque et qui semble présenter le sicle comme une monnaie en bonne et due forme : « Quiconque est soumis au recensement donnera un demi-sicle sur la base du sicle du sanctuaire: vingt géras par sicle. Ce demi-sicle sera un prélèvement pour Yahvé » (Ex 30, 13). En archéologie, on rapporte avoir trouvé un sicle juif marquée YHD : Yehoud, et qui daterait de l'époque des Maccabées (2e s. av. notre ère). De plus, on aurait permis aux autorités assujetties, cités et royaumes de frapper librement de la monnaie de bronze selon le système du conquérant. On a ainsi retrouvé nombre de pièces des Asmonéens, des Hérodes et des Procurateurs romains. Bien sûr, on évitait d'y imprimer un visage humain pour respecter la sensibilité religieuse.
C'est d'abord le système grec qui a été introduit en Israël à l'époque des Séleucides (4e s. av. notre ère) et généralisé depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand. Pour ce système, l'unité de base est la drachme en argent (4,36 gr), divisé en 6 oboles et en 48 chalques de bronze. Deux drachmes s'appelaient un didrachme, et quatre drachmes constituaient un tétradrachme, appelé parfois statère. On trouvait aussi une pièce de bronze de très petite valeur, le lepte, 1/7e de chalque. Les très grosses sommes étaient comptées par talents et par mines, respectivement 6 000 et 100 drachmes (on se référera au tableau plus bas). Ces pièces étaient frappées dans les grandes cités provinciales comme Tyr.
Quand les Romains conquirent la région, ils introduisirent leur monnaie dont l'unité de base était le denier d'argent, avec l'effigie du César régnant, divisé en 4 sesterces de laiton et 16 as de bronze. L'as se divise en 4 quadrants.
La monnaie au temps de Jésus
On peut facilement imaginer le nombre de pièces différentes, liées à des systèmes différents qui circulaient à Jérusalem à l'époque de Jésus; en particulier, beaucoup de Juifs de l'étranger allaient en pèlerinage au temple. Cela nécessitait la présence de banquiers, qui s'occupaient de l'échange de monnaie au temple; d'ailleurs le mot banquier vient du mot « banc », car ces gens étaient assis sur un banc devant leur comptoir pour procéder à l'échange. C'est ce dont témoigne Mc 11, 15-18 || Mt 21, 10-17 || Lc 19, 45-48 || Jn 2, 13-16.
Il est difficile, sinon impossible, d'établir le pouvoir d'achat de ces pièces de monnaie. Cependant il est légitime d'utiliser la parabole des ouvriers de la onzième heure de Matthieu 20, 1-16 comme référence : le maître de maison embauche des journaliers pour aller travailler à sa vigne, et s'engage à verser un salaire équitable, qui est d'un denier, la pièce romaine d'argent. Bien sûr, on crie à l'injustice parce que ceux qui ont travaillé toute la journée ont reçu le même salaire que ceux qui ont travaillé toute la journée; mais le problème est le salaire exorbitant des derniers, pas le salaire équitable des premiers. Ainsi, il me semble légitime d'utiliser comme étalon pour le pouvoir d'achat, le salaire d'un journalier, qui serait d'un denier d'argent.
Tableau comparatif des différentes pièces de monnaie
Métal | Pièce (g) = grecque (r) = romaine (j) = juive | Valeur |
Argent | (g) talent | 1 | | | | | | | | | | |
| (r) mine | 60 | 1 | | | | | | | | | |
| (g) statère (j) sicle | 1 500 | 25 | 1 | | | | | | | | |
| (g) didrachme | 3 000 | 50 | 2 | 1 | | | | | | | |
| (g) drachme (r) denier | 6 000 | 100 | 4 | 2 | 1 | | | | | | |
Bronze | (r) sesterce | 24 000 | 400 | 16 | 8 | 4 | 1 | | | | | |
| (r) dipondius | 48 000 | 800 | 32 | 16 | 8 | 2 | 1 | | | | |
| (r) as | 96 000 | 1 600 | 64 | 32 | 16 | 4 | 2 | 1 | | | |
| (r) semis | 192 000 | 3 200 | 128 | 64 | 32 | 8 | 4 | 2 | 1 | | |
| (r) quadrant | 384 000 | 6 400 | 256 | 128 | 64 | 16 | 8 | 4 | 2 | 1 | |
| (r/g) lepte | 768 000 | 12 800 | 512 | 256 | 128 | 32 | 16 | 8 | 4 | 2 | 1 |
Description de certaines pièces de monnaie
Talent (grec : talanton, hébreu : kikkar)
Il est avant tout une unité de poids d'environ 35 kg. En grec, on dit : talanton, en hébreu : כִּכָּר (kikkar). Dans l'Ancien Testament, kikkar peut signifier : un arrondissement, un morceau, un poids rond, une unité de mesure de poids. Avec la signification d'une unité de poids, on le retrouve environ une cinquantaine de fois en Exode, 2 Samuel, 1 et 2 Rois, Tobie, 1 et 2 Chroniques, Esther, Zacharie, 1 Maccabées. Alors il est tout à fait habituel de le retrouver dans des situations où il faut peser les choses :
- Ex 25, 39 : LXX « Tous ces appareils (les pincettes et les bobèches des lampes du sanctuaire) pèseront un talent (gr. talanton, heb. kikkar ) d'or pur »
- 2 S 12, 30 : LXX « Alors, il enleva sur la tête de leur roi Molchom sa couronne, qui pesait un talent (gr. talanton, heb. kikkar ) d'or, et qui était ornée de pierres précieuses »
- 2 Esd 8, 26 (Esd 8, 26) : LXX « Je pesai ainsi entre leurs mains six cent cinquante talents (gr. talanton, heb. kikkar) d'argent, cent vases d'argent et cent talents (gr. talanton, heb. kikkar ) d'or »
Et cette pesée est associée à différentes matières : or (Ex 39, 1), argent (Ex 39, 2), plomb (Za 5, 7), bronze (Ex 38, 29), fer (1 Ch 29, 7). C'est ainsi qu'on veut évaluer la valeur d'une marchandise. Par exemple, on mentionne ainsi tout l'or reçu par Salomon : « Le poids de l'or qui arriva à Salomon en une année fut de 666 talents d'or » (2 Ch 9, 13); ou la valeur de l'achat d'une montagne (« Et Ambri acheta la montagne de Samarie, de Samar, qui était maître de cette montagne, au prix de deux talents d'argent », 1 R 16, 24), ou la valeur d'une vie humaine (« et voilà qu'un homme m'a amené un homme, et m'a dit : Garde cet homme ; s'il s'échappe, tu me donneras ta vie pour sa vie, ou tu paieras un talent d'argent », 1 R 20, 39), ou la valeur d'un esclave (« et il envoya aussitôt vers les villes maritimes, pour inviter à acheter des esclaves juifs, promettant de donner quatre-vingt-dix esclaves pour un talent », 2 M 8, 11). Notons qu'à l'époque romaine l'impôt annuel pour la Galilée jointe à la Pérée était de 200 talents, et le revenu annuel d'Hérode était de 900 talents.
Dans le Nouveau Testament, nous sommes devant une monnaie de compte en argent d'origine grecque qui équivaut à 6 000 drachmes, ou 6 000 deniers en monnaie romaine, i.e. 6 000 jours de salaire pour un journalier agricole. Il n'est mentionné que par Matthieu, et cela à l'occasion de deux paraboles. La première concerne deux débiteurs, dont le premier devait 10 000 talents à son maître, donc l'équivalant de 60 000 000 jours de salaire, et après que son maître ait radié cette dette par pitié, il a le culot de prendre à la gorge quelqu'un qui lui devait 100 deniers, i.e. 100 jours de salaire (18, 23-35). La deuxième parabole est celle d'un homme qui part en voyage et qui confie à l'un des ses serviteurs cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième et qui s'attend à recevoir un bon rendement de cet argent (25, 14-30).
Les premiers auditeurs de l'évangile de Matthieu devaient bien saisir la valeur du talent. Pour nous, en ce 21e siècle, le mot « talent » a surtout le sens d'aptitude ou de capacité, et cette signification semble avoir été introduite par Érasme, à partir de la parabole de Matthieu.
Mine (grec: mna, hébreu.: māne)
Monnaie de compte grecque en argent équivalent à 100 deniers ou à 25 cycles ou à 100 jours de salaire pour un ouvrier agricole, soit environ 436 gr. Dans l'Ancien Testament, il est avant tout une mesure de poids comme on le voit chez Ézéchiel 45, 12, alors que le prophète propose les règles à suivre lors du retour au pays et exhorte les habitants à avoir des balances justes, un boisseau juste, une mesure juste, et ajoute : LXX « Que vos poids pèsent vingt oboles, cinq sicles, quinze sicles ; et que cinquante sicles fassent une mine (gr: mna, heb.: māne) ». Et en 1 Rois 10, 17, c'est d'un poids dont il s'agit : LXX « Et trois cents armures d'or battu, de trois mines (gr: mna, heb.: māne) d'or chacune ; et il les consacra dans le palais de bois du Liban ». C'est ainsi qu'on pèse l'or et l'argent (voir les textes d'Esdras A et B).
Dans le Nouveau Testament, seul Luc fait référence à la mine, puisant à la même Source Q que Matthieu; mais alors que Matthieu parle de talent, une plus grande valeur, Luc parle plutôt de mine, sans doute un écho plus juste de sa source (Luc a tendance à être plus fidèle à la source Q, comme le montre sa version du Notre Père). Or, chez Luc (19, 13-25), la mine apparaît comme une monnaie qu'on manipule assez facilement, puisque l'homme de haute naissance est en mesure de la distribuer à ses serviteurs, qu'on peut faire fructifier ou remettre à la banque, et que le serviteur peureux peut déposer dans un linge.
Statère (grec : statēr)
Monnaie grecque d'argent (8,60 gr) et valent 4 drachmes ou un tétradrachme. Il correspond à 4 deniers ou 4 jours de travail pour un journalier agricole. On le trouve mentionné seulement chez Matthieu 17, 27 dans toute la Bible, dans cette scène où les percepteurs de didrachme (2 drachmes) s'enquièrent auprès de Pierre si Jésus paie l'impôt annuel du temple. Il faut savoir ici que tout Juif mâle, peu importe son lieu de résidence, devait payer un impôt annuel de deux drachmes (deux jours de salaire) chaque année pour le culte du temple. De plus, comme la drachme est une monnaie grecque, le temple devait offrir le service de changeurs de monnaie ou banquiers quand l'impôt était payé dans une autre monnaie, d'où leur présence dans le parvis du temple. Dans la scène de Matthieu, Jésus demande à Pierre de donner le statère trouvé dans la bouche du poisson pour payer à la fois les deux drachmes de Jésus et les deux drachmes de Pierre, soit 4 drachmes ou un statère.
Un statère d'argent de Corinthe avec Pégase et Athena

Sicle (grec : siklos, hébreu : שֶׁקֶל: šeqel)
Le sicle est avant tout une mesure juive de poids dans l'Ancien Testament (14 gr). Dans la traduction de la Septante, il revient 76 fois, surtout dans le Pentateuque, et à un degré moindre dans les livres prophétiques. Par exemple, 2 Samuel 14, 26 raconte que lorsqu'Absalon se rasait la tête chaque année parce que ses cheveux devenaient trop lourd, « il pesait sa chevelure: soit 200 sicles, poids du roi ». De même, le prophète Ézéchiel propose certaines règles pour rationner la nourriture lorsque Jérusalem est assiégé : « Et cette nourriture que tu mangeras, tu en pèseras vingt sicles par jour que tu mangeras d'un jour à l'autre (Ez 4, 10). Mais cette pesée servait surtout dans les transactions commerciales. Par exemple, Abraham veut acheter un lot pour enterrer sa femme Sara : « Abraham donna son consentement à Ephrôn et Abraham pesa à Ephrôn l'argent dont il avait parlé au su des fils de Hèt, soit 400 sicles d'argent ayant cours chez le marchand » (Gn 23, 16). De la même façon, le prophète Jérémie achète sa terre à Anatot : « J'achetai donc ce champ à mon cousin Hanaméel d'Anatot et lui pesai l'argent: dix-sept sicles d'argent » (Jr 32, 9). Le sicle était l'unité de mesure pour peser l'or, l'argent ou le bronze (voir Ex 38, 24-29).
Mais les références au sicle laissent penser qu'il est parfois utilisé pour désigner une monnaie. C'est ainsi qu'on calcule la valeur de paiement en cas de dommage : « Si c'est un esclave ou une servante que le boeuf encorne (et cause sa mort), son propriétaire versera le prix 30 sicles -- à leur maître, et le boeuf sera lapidé » (Ex 21, 32). Même quand la réparation doit être en espèces, on calcule sa valeur en sicle : « Si quelqu'un commet une fraude et pèche par inadvertance en retranchant sur les droits sacrés de Yahvé, il amènera à Yahvé en sacrifice de réparation un bélier sans défaut de son troupeau, à estimer en sicles d'argent au taux du sicle du sanctuaire » (Lv 5, 15). Quand nous avons parlé plus tôt du statère, nous avons mentionné l'impôt dû au temple évalué en monnaie grecque, i.e. deux drachmes. Exode 30, 13 évoque cet impôt : « Quiconque est soumis au recensement donnera un demi-sicle sur la base du sicle du sanctuaire: vingt géras par sicle. Ce demi-sicle sera un prélèvement pour Yahvé »; le demi-sicle équivaut à deux drachmes (voir Néhémie 10, 33 pour un taux différent d'un tiers de sicle). Enfin, c'est bien à une évaluation d'ordre monétaire qu'il faut comprendre ce passage de 2 Rois 7, 18 : « En effet, quand l'homme de Dieu eut parlé au roi, en disant : "Deux séas (30 l) d'orge coûteront un sicle et un séa (15 l) de farine coûtera un sicle, demain, à la même heure, à la porte de Samarie" ».
Le mot « sicle » n'apparaît pas explicitement dans le Nouveau Testament. Il ne faut pas s'en surprendre, car depuis plus de deux siècles la Palestine est sous domination étrangère, d'abord celle des Grecs, avec leurs drachmes, puis celle des Romains avec leurs deniers. Aujourd'hui, le sicle ou « shekel » est la monnaie qui a cours dans l'état d'Israël (environ 25 centimes de dollar US pour un shekel en ce moment).
Un sicle de Jérusalem de l'an 68, lors de la première révolte juive

Drachme (grec : drachmē), didrachme (grec : didrachmos)
La drachme est l'unité du système monétaire grec en argent (3,5 gr) qui équivaut au denier romain. Sa seule mention dans tout le Nouveau Testament se trouve dans la scène de Luc 15, 8-9 où une femme perd une drachme et se met à chercher avec soin afin de la retrouver; une drachme équivaut à une journée de salaire.
La didrachme est simplement le double de la drachme, et cette somme correspond à l'impôt dû annuellement par chaque juif mâle pour le culte du temple. Or, justement, la seule référence au didrachme dans tout le Nouveau Testament se trouve chez Matthieu 17, 24 quand les percepteurs de cet impôt demandent à Pierre si son maître paie la didrachme.
Qu'en est-il de l'Ancien Testament. Le texte hébreu ignore l'existence de la drachme ou de la didrachme. On peut le comprendre, car la conquête grecque de la Palestine par Alexandre le Grand date de l'an 332 avant notre ère. L'unité de poids et la monnaie que connaissent les Israélites, c'est le sicle, et c'est donc le sicle qui est mentionné un peu partout dans l'Écriture. Cependant, quand on entreprendra la traduction grecque du texte hébreu au cours de la période qui s'étend de l'an 250 à 150 avant notre ère, une traduction qu'on appelle « Septante », nous sommes en pleine période hellénistique et c'est donc la drachme grecque qui a cours en Palestine. Alors, pour un certain nombre de textes, le traducteur de la Septante prends parfois l'initiative de remplacer simplement le mot « sicle » par « didrachme », commettant par là une erreur : le sicle était l'équivalent de deux didrachmes, non pas d'un didrachme (voir les textes de Gn, Ex, Lv, Nb, Dt, Jos et Ne sur le didrachme dans la colonne de droite). C'est la même erreur que commet le traducteur de la Septante quand il traduit le mot beqaʿ (demi, sous-entendu « demi-sicle ») d'Exode 38, 26 par « drachme », alors qu'il aurait fallu traduire : didrachme, le montant de l'impôt dû au temple.
Les choses sont différentes pour les écrits bien situés dans la période hellénistiques comme Tobit (même s'il existerait des fragments de texte araméens) et les Maccabées écrits en grec : à ce moment, la drachme et la didrachme ont cours légal. Ainsi, le texte de Tobit vient confirmer ce que nous avait révélé Mt 20, 2 sur le salaire journalier d'un denier : « Mais dis-moi quel salaire j'aurai à te donner ? Une drachme (drachmē) par jour, et ce qui sera nécessaire à toi comme à mon fils » (5, 15); une drachme correspond à un denier.
Une didrachme d'argent avec la tête d'Apollon et un cheval au galop sous un soleil aux 16 rayons

Une drachme d'argent avec la tête de Dionysos et une grappe de raisin

Denier (grec : dēnarion)
C'est l'unité du système monétaire romain en argent (3,85 gr), de même valeur que la drachme grecque. Il portait l'inscription et l'effigie de l'empereur Tibère, avec ces mots : Tiberius Caesar Augustus, Divi Augusti Filius; au revers, la figure assise de Livie ou la victoire assise sur un quadrige avec Pontif(ex) Maxim(us). On le mentionne à quelques reprises dans les évangiles (Mt = 6; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 2), et n'apparaît ensuite qu'une fois dans l'Apocalypse. Il correspondait au salaire journalier d'un ouvrier agricole (Mt 20, 2 : « Il convint avec les ouvriers d'un denier pour la journée et les envoya à sa vigne ») ou à la dépense moyenne d'une journée (Lc 10, 35 : « Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l'hôtelier, en disant: Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour »). On évaluait en deniers le prix du blé ou de l'orge (Ap 6, 6 : « trois litres d'orge pour un denier »), du pain (Mc 6, 37 : « Faudra-t-il que nous allions acheter des pains pour 200 deniers » ; Jn 6, 7 : « Deux deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau »), du parfum (Mc 14, 5 : « Ce parfum pouvait être vendu plus de 300 deniers »; Jn 12, 5 : « Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu 300 deniers »), des dettes en général (Mt 18, 28 : « un de ses compagnons, qui lui devait cent deniers »; Lc 7, 41 : « l'un devait 500 deniers, l'autre 50 »).
Le denier est évidemment absent de l'Ancien Testament, car il est arrivé en Palestine avec la conquête de Jérusalem par le romain Pompée en l'an 63 avant notre ère.
Le denier d'argent avec la figure de Marc-Aurèle

Obole (grec : obolos, hébreu גֵּרָה: gerāh)
C'est une piécette grecque d'argent valant 1/6e de drachme et 8 pièces de cuivre (grec : khalkos). Ce mot est absent du Nouveau Testament. Pour la Septante, il sert à traduire gerāh, une ancienne unité de poids et de monnaie juive qui, selon Ex 30, 13, équivaut à 1/20e de shekel, donc à 1/5e de drachme. Gerāh apparaît cinq fois dans l'Ancien Testament, à chaque fois traduit par obolos par la Septante. En 1 Samuel 2, 36, c'est le mot agorāh (paiement) que la Septante traduit par obolos, précisant ce qu'on entendait par paiement. Dans la tradition grecque, les morts étaient ensevelis avec une obole dans la bouche, afin de pouvoir payer Charon aux portes de l'Hadès qui les aiderait à traverser la rivière Achéron ou Styx.
Une obole d'argent

Sesterce
Une monnaie de bronze du système monétaire romain qui valait un quart de denier. Son nom provient de semis (moitié) et tertius, car à l'origine sa valeur était de deux as et de la moitié d'un troisième. Introduite au 3e s. avant l'ère moderne sous forme d'une monnaie d'argent, elle devint une monnaie de bronze au 1ier s. avant notre ère et demeura en vigueur dans l'empire romain jusqu'au 3e s. de notre ère. Aucun texte biblique n'y fait référence.
Sesterce de bronze avec la figure de Vitelius

Dipondius
Le mot provient de duo (deux) pondius (livre). C'est une monnaie introduite pendant la république romaine et valant deux as, ou un demi-sesterce. Aucun texte biblique n'y fait référence.
Dipondius avec la figure de Marc-Aurèle vers 170 de notre ère

As (grec : assarion)
Il s'agit d'une monnaie romaine, le 16e d'un denier, soit un peu plus que le salaire d'une demi-journée de travail. Dans le Nouveau Testament, on ne le trouve qu'en Luc 12, 6 et Matthieu 10, 29, qui tous les deux reflètent la Source Q. On y parle des passereaux, des oiseaux chanteurs dont fait partie le moineau. D'après Luc, on les vendait 0,4 as chacun, d'après Matthieu, 0,5 as chacun, ce qui représente environ une quinzaine de minutes de travail selon le salaire de l'époque. En d'autres mots, un passereau ne vaut presque rien. Étant une monnaie romaine, l'as est totalement absent de l'Ancien Testament.
As avec la figure de l'empereur Néron

Semis
Une pièce de bronze du système monétaire romain valant deux quadrants ou quatre leptes. Son nom signifie une demie, i.e. la demie d'un as. Pendant la république romaine, on distinguait cette pièce par un « S » (pour semis) et 6 points en référence à 6 onces. Elle a été introduite au 3e s. avant notre ère et disparut vers le milieu du 2e s. de notre ère. Aucun texte biblique n'y fait référence.
Semis du 3e s. avant notre ère avec la figure de Pégase qui s'envole

Quadrant (grec: kodrantēs)
Le mot grec kodrantēs vient du latin quadrans, i.e. un quart d'as ou quadrant, et donc équivaut à deux leptes. Introduite pendant la république romaine, cette monnaie de bronze disparut vers le milieu du 2e s. de notre ère. Elle portait rarement la figure de l'empereur. On ne la trouve que chez Matthieu et Luc dans toute la Bible, et donc provient probablement de la Source Q.
Le quadrant, monnaie romaine de bronze

Chalque (grec : chalkos)
Le terme grec signifie littéralement : cuivre, ou le cuivre ou ses dérivés comme le bronze ou l'airain. C'est le nom donné à une monnaie grecque en bronze, la plus petite division, équivalent à 1/48e de drachme, soit environ le salaire pour 15 minutes de travail pour un journalier agricole de l'époque. Par rapport au système romain, il valait moins que l'as, mais plus que le lepte.
Il est mentionné par Marc, Matthieu, Paul et l'Apocalypse. Mais c'est seulement dans les évangiles, plus spécifiquement chez Marc, que copie Matthieu, que le chalque est présenté comme une monnaie. Et comme c'est la plus petite division de la monnaie grecque, sa signification est claire : quand Jésus demande à ses disciples, qu'il envoie en mission, de ne pas apporter de chalque (Mc 6, 8), il leur demande en fait de n'apporter aucune monnaie; quand la foule dépose des chalques dans le trésor du temple (Mc 12, 41), elle dépose la plus petite division de la monnaie grecque, donc presque rien.
Ailleurs dans le Nouveau Testament, et dans l'ensemble de l'Ancien Testament, chalkos désigne simplement le métal, en particulier le bronze ou l'airain. Par exemple : « Et les deux colonnes, et la mer, et les douze boeufs d'airain (chalkos) sous la mer, qu'avait faits le roi Salomon pour le temple du Seigneur. On ne sut pas le poids des vases d'airain (chalkos) » (Jr 52, 20).
Ancienne monnaie de cuivre

Lepte (grec : leptos)
Littéralement, le mot leptos signifie mince, petit. Mais on l'utilisait également pour désigner la plus petite pièce de monnaie du système romain et grec, en bronze (1,55 gr). Il représentait 1/128 de denier, soit environ la valeur de cinq minutes de travail pour un journalier agricole. C'est donc une somme insignifiante et dérisoire. Quand Luc met dans la bouche de Jésus cette phrase : « tu ne sortiras pas de là que tu n'aies rendu même jusqu'au dernier lepte » (12, 59), cela signifie rembourser tout, jusqu'au dernier centime. Et dans son récit sur la veuve qui donne tout ce qu'elle a dans le trésor du temple, i.e. deux leptes, Marc 12, 49 nous donne une idée de son extrême pauvreté.
Dans la Septante, leptos signifie seulement : petit ou mince. Par exemple, Gn 41, 3 : LXX « Après celles-là, il sortit du fleuve sept autres vaches, laides et maigres (gr : leptos, heb. : daq), qui se mirent à paître à côté des autres sur la rive ».
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Textes avec le nom talanton dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom mna dans la Bible
Textes avec le nom statēr dans la Bible
Textes avec le nom drachmē dans la Bible
Textes avec le nom didrachmos dans la Bible
Textes avec le nom dēnarion dans la Bible
Textes avec le nom obolos dans la Bible
Textes avec le nom assarion dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom kodrantēs dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom chalkos dans le Nouveau Testament
Textes avec le nom leptos dans le Nouveau Testament
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Miracle / Acte de puissance (dynamis) |
Le mot miracle dans le Nouveau Testament est la traduction du terme grec dynamis qui veut dire: force, puissance. Dans la Grèce classique, dynamis désigne la faculté de réaliser une action. Chez Homère, par exemple, il fait référence surtout à la force physique, alors que chez un philosophe comme Aristote, il renvoie à la potentialité ou capacité d'une chose par opposition à l'acte. Dans la cosmologie, il est un attribut naturel des dieux qui ont la capacité d'intervenir dans le monde (voir Pierre Létourneau, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard Médiaspaul, 2004, p. 355).
Ancien Testament
Dans la traduction grecque de l'Ancien Testament, la Septante, dynamis traduit très souvent l'hébreu yhwh ṣěbāʾôt, (Jérémie 33, 12 LXX: « Ainsi parle Yahvé Sabaot » (kyrios tōn dynameōn, le Seigneur des armées). Car dynamis fait référence aux forces militaires (Is 36, 2 LXX: « Et le roi des Assyriens envoya de Lachis, au roi Ézéchias, Rabsacès avec une armée (dynamis) nombreuse »). Il traduit également des mots hébreux comme ḥāyil : force, puissance, richesse, armée (Is 60, 11 LXX : « Et tes portes seront toujours ouvertes ; on ne les fermera ni jour ni nuit pour introduire chez toi les richesses (dynamis) des Gentils et leurs rois qu'on t'amènera »). Enfin, il traduit le mot hébreu ʿōz : force, qui est considéré comme une qualité de Dieu (Psaume 89, 11 : « c'est toi qui fendis Rahab comme un cadavre, dispersas tes adversaires par ton bras de puissance (dynamis) »). C'est cette force de Yahvé qui lui permet de sauver son peuple. Dans les écrits grecs de l'Ancien Testament, ce sont les mêmes significations qu'on retrouve : « Car les pensées tortueuses éloignent de Dieu, et, mise à l'épreuve, la Puissance (dynamis) confond les insensés » (Sagesse 1, 3); « Il remit ensuite la province à Alkime, laissant avec lui une armée (dynamis) pour le soutenir. Bacchidès s'en revint chez le roi » (1 Macchabées 7, 20); « Viens en aide au prochain selon ton pouvoir (dynamis) et prends garde de ne pas tomber toi-même » (Ecclésiastique 29, 20)
Nouvau Testament
Le Nouveau Testament reprendra le sens général de force et de puissance, mais laissera totalement tomber celui des forces armées. Pour bien comprendre son usage, il faut d'abord distinguer le pluriel et le singulier. Au pluriel, dynamis signifie la plupart du temps des actions d'éclat ou des actes de puissance que nos Bibles traduisent par miracles. Le Judaïsme du premier siècle n'a pas cette notion d'actions qui échappent aux lois de la nature; il s'agit plutôt d'actions extraordinaires et merveilleuses qui sont habituellement perçues comme un signe de l'intervention bienveillante de Dieu. Paul reconnaît que certains membres de la communauté chrétienne ont le charisme d'actes de puissance ou d'éclat, qu'il distingue du charisme de guérison (1 Co 12, 10.28-29). La capacité de poser ces actes de puissances serait même un trait distinctif de l'apôtre (2 Co 12, 12). Mais, au fond, c'est Jésus qui agit à travers les membres de la communauté chrétienne (Ga 3, 5; cf. également He 2, 4). Selon les Actes des Apôtres, Paul lui-même opérait des actes de puissance peu banals (Actes 19, 11), tout comme d'ailleurs Philippe, l'un des sept nommés par les Douze. Et bien sûr, tout le Nouveau Testament, et en particulier les évangiles, reconnaissent à Jésus cette capacité de guérir et d'exorciser les possédés du démon. Mais leur rôle est avant tout d'amener les gens à changer de vie (Mt 11, 20-23), même si chez certains c'est ce qui les amènent à le considérer comme différent (Mc 6, 2; Lc 19, 37).
Au pluriel, dynamis désigne également ces forces supraterrestres qui appartiennent au cosmos et semblent avoir une influence négative sur le cours de l'histoire (voir Rm 8, 38) et que Jésus, par sa résurrection, a finalement amenées à la soumission (1 Pierre 3, 22). Dans les récits eschatologiques des évangiles où on raconte la fin de l'univers, ces forces cosmiques sont également ébranlées (Mc 13, 25; Lc 21, 26; Mt 24, 29).
Au singulier, le mot dynamis s'est enrichi de toute une gamme de significations diverses. On pourrait les répartir dans les catégories suivantes :
- Il désigne d'abord la « puissance » de Dieu comme le chantaient les psaumes. C'est chez Paul qu'on retrouve cette utilisation la plus fréquente. Par exemple, il oppose cette puissance de Dieu à la sagesse humaine (1 Co 1, 18.24; 2, 5). Pour lui, c'est cette puissance qui a ressuscité Jésus et nous ressuscitera à notre tour (1 Co 6, 14; 2 Co 13, 4). Cette puissance s'est d'abord manifesté par la création (Rm 1, 20), puis elle s'est manifestée dans l'Évangile (Rm 1, 16) et se poursuit à travers tous ceux qui l'annoncent (2 Thess 1, 11; 2 Tm 1, 8). Dans les évangiles, c'est en raison de cette puissance que Jésus opère des guérisons selon Luc (Lc 5, 17). Si on en croit Marc, Jésus reproche aux Sadducéens d'ignorer cette puissance de Dieu dans l'après-vie. Quand on fait référence à la résurrection de Jésus, on l'exprime en se référant à ce siège qu'il occupera à la droite de la puissance de Dieu (Lc 22, 69; Mt 26, 64)
- Cette puissance de Dieu s'exprime très souvent à travers l'intervention de l'Esprit Saint. Pour Paul, c'est grâce à la puissance de l'Esprit Saint que son discours fut persuasif (1 Co 2, 4), et c'est cet Esprit qui fortifie l'être intérieur du chrétien (Eph 3, 16), tout comme par la puissance de cet Esprit qu'il a été Fils de Dieu. Selon les Actes des Apôtres, le don de l'Esprit donne aux chrétiens la force d'être témoins jusqu'aux confins de la terre. Et aussi grâce à la force donnée par l'Esprit Saint que Jésus a pu libérer les gens soumis au pouvoir du diable (Actes 10, 38). Le même Luc nous présente Jésus investi de la puissance de l'Esprit qui mène à bien son ministère.
- Ressuscité, Jésus est investi de la puissance de Dieu. Pour Paul, le but de la vie est de découvrir la puissance du Christ (Phil 3, 10), tout comme c'est elle qui s'exprime en lui malgré ses faiblesses (2 Co 12, 9), et c'est elle qui s'exprime dans la vie quotidienne du chrétien (Eph 1, 19) et qui permet à la communauté d'exclure des membres récalcitrants (1 Co 5, 4). Cette puissance se manifestera avec éclat lors du retour du Christ (2 Thess 1, 7; Mc 9, 1; 13, 26).
- Mais dynamis a aussi le sens général et commun de force, capacité, valeur. Donnons quelques exemples : « Si donc j'ignore la valeur (dynamis) du langage, je ferai l'effet d'un Barbare à celui qui parle » (1 Co 14, 11); « la force (dynamis) du péché, c'est la Loi » (1 Co 15, 56); « la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l'excès, au-delà de notre capacité (dynamis) » (2 Co 1, 8). On retrouve une utilisation semblable dans les évangiles : « Et aussitôt Jésus eut conscience de la force (dynamis) qui était sortie de lui, et s'étant retourné dans la foule, il disait "Qui a touché mes vêtements?" » (Mc 5, 30); « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions, et toute la puissance (dynamis) de l'Ennemi, et rien ne pourra vous nuire » (Lc 10, 19); « A l'un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ce dont il est capable (dynamis) » (Mt 25, 15). Dans l'Apocalypse, le mot est utilisé à la place d'un qualitatif, par exemple dans la phrase suivante : « Dans sa main droite il a sept étoiles, et de sa bouche sort une épée acérée, à double tranchant; et son visage, c'est comme le soleil qui brille dans toute sa force (dynamis) » (Ap 1, 16).
- La puissance permet d'asseoir son autorité. C'est ainsi que les termes puissance et autorité sont utilisés de manière synonyme : « La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres: "Quelle est cette parole? Il commande avec autorité et puissance (dynamis) aux esprits impurs et ils sortent!" » (Lc 4, 36). Mais c'est dans l'Apocalypse que ce sens est le plus fréquent, surtout pour exprimer la soumission à cette autorité universelle de Jésus, l'Agneau immolée : « Tu es digne, ô notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l'honneur et la puissance (dynamis), car c'est toi qui créas l'univers; par ta volonté, il n'était pas et fut créé. » (Ap 4, 11).
- Dans la tradition paulinienne, dynamis est parfois synonyme d'action, et s'oppose donc à parole, dans la mesure où l'agir doit accompagner la parole. Par exemple, à Corinthe, Paul reproche à certains chrétiens de ne pas avoir une vie conforme à ce qu'ils proclament : « Je jugerai alors non des paroles de ces gonflés d'orgueil, mais de leur puissance (dynamis); car le Royaume de Dieu ne consiste pas en parole, mais en puissance (dynamis) » (1 Co 4, 19-20). Car l'Évangile doit s'exprimer par une action correspondante : « Car notre Évangile ne s'est pas présenté à vous en paroles seulement, mais en puissance (dynamis), dans l'action de l'Esprit Saint, en surabondance » (1 Th 1, 5).
- Terminons avec quelques cas où dynamis au singulier est utilisé dans le sens même sens qu'il a au pluriel. Il y a d'abord le sens d'acte de puissance ou d'éclat, traduit souvent par miracle, comme on le voit chez Paul (« Sa venue à lui, l'Impie, aura été marquée, par l'influence de Satan, de toute espèce d'oeuvres de puissance (dynamis), de signes et de prodiges mensongers », 2 Thes 2, 9) ou chez Marc (« Mais Jésus dit: "Ne l'en empêchez pas, car il n'est personne qui puisse faire un miracle (dynamis) en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi », Mc 9, 39). Et il y a ensuite le sens de Puissance cosmique qu'on note chez Paul : « Puis ce sera la fin, lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance (dynamis) » (1 Co 15, 24; voir aussi Ep 1, 21).
Cette analyse nous fait comprendre que le monde juif, et le Nouveau Testament en particulier, na pas de terme spécialisé comme miracle. Pour le monde contemporain, le mot « miracle » désigne, si nous nous sommes dans un contexte de foi religieuse, un événement inexplicable par les lois de la nature et attribué à Dieu, et si nous sommes dans un contexte profane, un événement surprenant, inattendu, inespéré, merveilleux. dynamis, qui se traduit par puissance ou force ou capacité, est un terme grec générique qui couvre un large éventail de significations.
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Nazareth |
(D'après Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975, p. 385, et L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984, p. 703.)
La ville apparait dans le Nouveau Testament sous le terme grec de Nazaret ou de Nazara. Elle est inconnue de l'Ancien Testament, tout comme de l'historien juif Flavius Joseph (1ier siècle) et du Talmud (5e et 6e siècle). Elle semble avoir été fondée par des exilés revenus en Galilée. Située à moins de cinq kilomètres de Séphoris, elle fait partie de cette route secondaire reliant Damas au nord, l'Égypte au sud. Qui a parcouru la ville de Nazareth aujourd'hui aura remarqué les rues en pente : elle est située à 350 m d'altitude. L'écho que nous en donne Jean (1, 46: Nathanaël lui dit: "De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon?" ) laisse entendre une petite ville sans prestige.
Sur le plan archéologique, une inscription trouvée à Césarée sur Mer, datée du 3e ou 4e s. de l'ère moderne nous suggère une racine hébraïque du nom avec naçar : garder, veiller, et qui est à la source du mot nécèr : bourgeon (qui sommeille en hiver et s'éveille au printemps). En 1955, des fouilles ont dégagé des habitations rupestres avec silos, caves et un pressoir revêtu de mosaïque. La céramique atteste une habitation du 1ier siècle av. J.-C. et les siècles suivants. On y a retrouvé les vestiges d'une église byzantine datée de la fin du 5e siècle. Les croisés y ont construit une église jamais achevée qui fut ruinée totalement en 1263. Une petite construction de style classique a duré de 1730 à 1955. Aujourd'hui une basilique occupe les lieux. La crypte a conservé les restes des habitations et des églises antiques.
À l'époque de Jésus, Nazareth devait avoir une population de 1 600 à 2 000 personnes, et possédait sa synagogue (que des fouilles archéologiques ont retrouvée).
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Nazareth avec le Tabor en arrière-plan
Une de ces rues en pente
Une vue sur la basilique de Nazareth
Une vue sur la basilique et Nazareth
Une rue ordinaire de Nazareth
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Pâque juive |
(Extrait de Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, Seuil, 1975, p. 405).
Grec pascha, hébeux pèsah, araméen pashâ (étymologie discutée : « apaisement », « coup » frappant les premiers-nés, « sauter par-dessus » les maisons es Hébreux). Désigne aussi bien la fête que l'agneau immolé.
La principale solennité d'Israël commençait en avril au soir du 14 nisan (dernier jour avant la pleine lune qui suit l'équinoxe de printemps) et se prolongeait durant sept jours, la semaine des Azymes (Ex 12, 15-20). L'antique fête nomade du printemps (les bergers offraient les prémices du troupeau) avait été transformée en commémoration de l'événement fondateur du peuple : Yahweh faisant sortir les Hébreux d'Égypte à travers la mer des Roseaux (Ex 12, 11-14.23). Tout juif devait, en principe, aller en pèlerinage à Jérusalem célébrer la fête par excellence de la Pâque, ce qu'a fait Jésus.
Selon le rituel probablement en vigueur au temps de Jésus, le repas pascal était préparé à la fin de l'après-midi du 14 nisan. On ne pouvait consommer du pain fermenté pendant les sept jours qui suivaient. Chaque famille devait immoler au Temple un agneau (ou un chevreau) mâle d'un an, sans défaut. Son sang était soigneusement recueilli, puis, avec une branche d'hysope, on en marquait les montants et le linteau de la porte des maisons. Ensuite l'agneau était rôti entier sans qu'on lui brisât aucun os (Jn 19, 33). Puis, en nombre suffisant, les convives se réunissaient de préférence dans la chambre haute, ornée de tapis pour la circonstance. Le repas était inauguré par une coupe de vin sur laquelle le président prononçait deux bénédictions et qu'ensuite on faisait circuler autour de la table. Une bassine d'eau passait de main en main pour permettre aux participants de se purifier avant la manducation de la Pâque. Pendant que circulait une seconde coupe de vin, le président expliquait au plus jeune des convives la signification des différents rites. L'agneau est celui qui a détourné des maisons des Hébreux l'Ange exterminateur, avant la sortie d'Égypte; le pain sans levain est celui que les Hébreux avaient emporté à la hâte, en fuyant d'Égypte, sans qu'il ait eu le temps de fermenter (Ex 12, 17-20). Puis, après le chant du début du Hallel (Ps 113-114), le président du repas prenait les pains, les rompait et les distribuait aux convives. On mangeait l'agneau pascal avec des herbes amères et des morceaux de pain azyme trempés dans du harosèt (compote de figues et de raisins cuits dans du vin, qui symbolisait les briques fabriquées par les Hébreux pendant leur servitude en Égypte). L'agneau pascal devait être mangé tout entier et ses restes brûlés avant le lever du jour. On buvait alors la coupe de bénédiction, puis on entonnait la fin du Hallel (Ps 115-118). Une dernière coupe de vin clôturait le repas. On se séparait, mais sans quitter la maison dont il n'était pas permis de sortir pendant toute la nuit pascale.
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La résurrection des morts |
Dans la langue grecque, il n'y pas de terme technique pour faire référence à la résurrection. Mais dans les évangiles-Actes, deux verbes sont utilisés dans ce contexte : anistēmi (faire se lever, susciter, se lever, se dresser, ressusciter, s'élever) et egeirō, qui signifie d'abord « se réveiller », mais dont la valeur symbolique a été étendue à : faire se lever, mettre sur pied, ériger, dresser, susciter. Regardons de près ces deux termes.
Anistēmi, composé du préfixe ana, qui signifie dans le contexte « en haut », et du verbe istēmi qui signifie : mettre debout, placer, dresser, dans son sens transitif, et : se tenir, tenir ferme, se maintenir, dans son sens intransitif. Ce verbe se retrouve un peu partout dans les évangiles-Actes, mais surtout dans les oeuvres composées par Luc : Mt = 4; Mc = 17; Lc = 27; Jn = 8; Ac = 45; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans nos bibles, il est souvent traduit par « ressusciter ». Cependant, il faut savoir que ce verbe désigne quatre grandes réalités différentes.
- Le geste de se lever pour se mettre en marche. Par exemple, Lc 1, 39 : « En ces jours-là, Marie se leva (anistēmi) et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda »
- Le fait pour Jésus d'être relevé du monde des morts et d'être passé dans le monde de Dieu, et qu'on traduit habituellement par « être ressuscité ». Par exemple, Lc 24, 46 : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait (anistēmi) d'entre les morts le troisième jour »
- La croyance juive qu'à la fin des temps il y aura une résurrection des morts. Par exemple, Mc 12, 25 : « Car, lorsqu'on ressuscite (anistēmi) d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux »
- Le fait pour une personne de revenir à la vie, qu'on pourrait traduire par une ressuscitation ou une réanimation. Par exemple, Lc 9, 19 : « Ils répondirent: "Jean le Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, un des anciens prophètes est ressuscité (anistēmi)" »
Parmi ces quatre grandes réalités, c'est la première qui domine largement, comme on peut le voir avec ces statistiques.
anistēmi | Mt | Mc | Lc | Jn | Ac |
Se lever | 4 | 9 | 21 | 1 | 36 |
Jésus qui est ressuscité | 0 | 6 | 3 | 1 | 7 |
Retour à la vie ou ressuscitation | 0 | 0 | 3 | 1 | 2 |
Résurrection finale des morts | 0 | 2 | 0 | 5 | 0 |
Total | 4 | 17 | 27 | 8 | 45 |
Mais notre analyse ne peut être complète sans la mention de anastasis (action de se dresser, de se mettre debout, d'où le relèvement, la résurrection), sa forme nominale : Mt = 4; Mc = 3; Lc = 6; Jn = 4; Ac = 5; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Or, anastasis signifie pratiquement toujours la résurrection finale des morts (la seule exception étant Lc 2, 34, ce passage du récit de l'enfance où Syméon annonce que Jésus amènera le « relèvement » d'un grand nombre en Israël). Ainsi, dans l'expression « résurrection des morts », c'est toujours le nom féminin anastasis qui est utilisé; on peut mentionner sous forme d'exception Mt 27, 53 qui parle de la résurrection de Jésus avec le mot egersis, la forme nominale de egeirō qu'il nous faut maintenant analyser.
Les évangiles-Actes utilisent également un autre verbe, de manière synonyme, pour décrire les mêmes réalités : egeirō, qui signifie d'abord « se réveiller », mais dont la valeur symbolique a été étendue à : faire se lever, mettre sur pied, ériger, dresser, susciter. On le retrouve au total avec la même fréquence que anistēmi : Mt = 35; Mc = 19; Lc = 18; Jn = 13; Ac = 13; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0, la différence se situant dans les préférences personnelles des évangélistes dans le couple anistēmi/egeirō : Mt = 4/35; Mc = 16/19; Lc = 27/18; Jn = 8/13; Ac = 45/13. Par exemple, Luc préfère largement anistēmi, Matthieu egeirō. Mais posons la question : comment se répartissent avec egeirō les quatre grandes réalités que nous avons repérées avec anistēmi? Voici le tableau, où il a fallu ajouter la réalité de « se réveiller », sa signification originelle.
egeirō | Mt | Mc | Lc | Jn | Ac |
Se lever | 19 | 10 | 11 | 7 | 6 |
Jésus qui est ressuscité | 9 | 3 | 3 | 2 | 6 |
Retour à la vie ou ressuscitation | 4 | 3 | 3 | 4 | 0 |
Résurrection finale des morts | 0 | 1 | 1 | 0 | 1 |
Se réveiller | 3 | 2 | 0 | 0 | 0 |
Total | 35 | 19 | 18 | 13 | 13 |
Qu'observe-t-on?
- Le geste de se lever et de se mettre debout domine encore largement
- En ce qui concerne la référence à la résurrection de Jésus, tous les évangélistes utilisent de manière synonyme et à une fréquence semblable anistēmi et egeirō, à l'exception de Matthieu qui n'utilise que egeirō
- Pour décrire un retour à la vie ou réanimation, Luc et Jean utilisent de manière synonyme les deux verbes, alors Matthieu et Marc n'emploient que egeirō
- Enfin, pour la résurrection finale des morts, seul Marc utilise les deux verbes de manière synonyme, alors que Luc n'emploie que egeirō, Jean n'emploie que anistēmi et sa forme nominale anastasis, et Matthieu n'emploie que anastasis.
On peut enfin mentionner que seul Matthieu a recours à la forme nominale egersis (réveil, résurrection) : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 0; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C'est une référence à la résurrection de Jésus, en accord avec ce que nous avons dit sur egeirō chez Matthieu.
Disons maintenant un mot sur cette résurrection des morts à la fin des temps. Dans le Judaïsme, cette notion est apparue tardivement autour du 2e s. av. JC. Jusque là, on imaginait que les gens décédés séjournaient dans le shéol, où ils menaient une vie lugubre et larvaire. Où était alors la justice de Dieu? On croyait que si on avait mené une bonne vie, c'est dès cette vie qu'on était récompensé par de nombreux enfants et une bonne situation, tandis que les pécheurs étaient punis par des catastrophes de leur vivant. Mais progressivement s'est introduite l'idée que Dieu est capable de redonner vie aux morts (voir Os 6, 3; Ez 37, 11-14), une idée qui s'est développée au grand jour avec la persécution d'Antiochus Épiphane (215 164 av. JC) : comment Dieu pouvait-t-il abandonner ses amis qui mourraient martyrs? Nous avons deux témoignages en cette possibilité de vie après la mort, d'abord le 2e livre des Maccabées, puis le livre Daniel, tous les deux du 2e siècle.
- 2 M 7, 9 : « Au moment de rendre le dernier soupir: "Scélérat que tu es, dit-il, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera (anistēmi) pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois." »
- Dn 12, 2 : LXX « Et nombre de ceux qui dorment sous des amas de terre se réveilleront (egeirō), les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la confusion éternelle »
Deux observations s'imposent. D'abord, les verbes anistēmi et egeirō sont tous les deux utilisés, le premier par le livre des Maccabées, le deuxième par celui de Daniel. Ensuite, il semble y avoir deux visions de la résurrection des morts : dans un premier cas, seuls les justes ou les amis de Dieu ressuscitent, comme en témoigne le livre des Maccabées, dans un deuxième cas, les bons et les méchants ressuscitent tous les deux, mais les uns pour la vie éternelle, les autres pour ce qu'on peu décrire comme une honte, ou opprobre, ou horreur ou confusion éternelle. Cette tension entre deux perspectives se poursuit dans les évangiles-Actes. Considérons chaque évangéliste.
Marc nous a introduit à la résurrection des morts dans le récit de la controverse avec les Sadducéens qui niaient la possibilité d'une résurrection des morts (Mc 12, 18, 27). Ce récit ne semble pas faire de distinction entre les justes et les pécheurs : même si l'argument de Jésus part d'Abraham, d'Isaac et Jacob, des hommes justes qui sont décédés, ce qu'il en déduit semble s'appliquer à tous : « Dieu n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants ». Et quand Jésus explicite cette vie après la mort, sa présentation semble s'appliquer à tous : « Car, lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux ».
Matthieu, pour sa part, se contente de reprendre telle quelle cette scène avec sa version en 22, 23-32. Par contre, au moment de la mort de Jésus, il nous présente cette scène où de nombreux corps de saints trépassés ressuscitent (27, 52). Bien sûr, nous ne sommes pas à la fin des temps, mais cette scène veut préfigurer les perspectives ouvertes par la mort de Jésus, et donc pointe vers la fin des temps. Or, qui ressuscite dans cette scène? Les saints. Pour les autres, on ne sait rien. Enfin, il y a cette scène du jugement final en 25, 31-46 où le fils de l'homme sépare les brebis des boucs, et où il dit aux premiers : « recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Et aux seconds : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges ». Cette scène est ambigüe : on ne semble s'adresser qu'aux vivants (« Devant lui seront rassemblées toutes les nations »), et rien n'est dit de ceux qui sont déjà morts. Une seule chose est claire : il y a une distinction entre ceux qui auront fait le bien, et ceux qui auront fait le mal, et ces derniers « seront jetés dans les ténèbres extérieures, là seront les pleurs et les grincements de dents » (8, 12; voir aussi : 13, 42.50; 22, 13; 24, 51; 25, 30).
Chez Luc on retrouve cette tension entre deux perspectives. D'une part, il reprend lui aussi la scène de Marc sur la controverse des Sadducéens avec Jésus (20, 27-38). Mais en reprenant cette scène, il ajoute cette parole de Jésus : « Les fils de ce siècle-ci, se marient et sont données en mariage; mais ceux qui auront été jugés dignes d'avoir part à ce siècle-là et à la résurrection d'entre les morts ni ne se marient ni ne sont épousées » (20, 34-35); ainsi, seulement « ceux qui auront été jugés dignes d'avoir part à ce siècle-là » ressusciteront. Dans la même ligne, Luc nous présente une scène où Jésus est invité à repas chez un Pharisien et l'exhorte à inviter des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles lorsqu'il donne un festin, et conclut : « heureux seras-tu alors de ce qu'ils n'ont pas de quoi te le rendre! Car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes » (14, 14); ainsi, seuls les justes semblent ressusciter. Mais d'autre part, il met dans la bouche de Paul dans ses Actes des Apôtres, alors qu'il s'adresse au gouverneur Félix : « ayant en Dieu l'espérance, comme ceux-ci l'ont eux-mêmes, qu'il y aura une résurrection des justes et des pécheurs » (24, 15); donc, contrairement ce qu'il a dit dans son évangile, à la fois les bons et les méchants ressuscitent.
Qu'en est-il de Jean? On peut parler de la même ambiguïté. D'une part, il semble assumer que seul le croyant ressuscite : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » (6, 39); clairement, seulement le croyant héritera de la vie éternelle et sera ressuscité par Jésus au dernier jour. Mais d'autre part, dans un discours adressé aux Juifs, Jésus a cette parole : « N'en soyez pas étonnés, car elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa (fils de l'homme) voix et sortiront: ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement (5, 28-29); clairement, ceux qui ont fait le bien et ceux qui ont fait le mal ressuscitent, même s'il n'est pas clair quel sera le sort de ceux qui subissent un jugement.
Que conclure de tout ce que nous avons ramassé comme données? On ne peut éliminer une forme d'ambiguïté. Et c'est compréhensible. D'une part, les textes du Nouveau Testament ont une perspective pastorale et s'adresse avant tout à une communauté croyante : le sort de l'ensemble de l'humanité n'est pas la préoccupation première. D'autre part, la situation future de l'humanité dans un contexte de fin des temps est inaccessible et peut laisser libre cours à l'imagination, selon ses convictions personnelles. Mais ce qui est clair, il faut entrer dans l'univers du Judaïsme pour jeter un peu de lumière à tous ces textes.
Tournons-nous brièvement vers le Juif Paul. D'une part, il semble parler de résurrection universelle.
- 1 Co 15, 21-22 : « Car, la mort étant venue par un homme, c'est par un homme aussi que vient la résurrection (anastasis) des morts. De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ.
Dans la même ligne, quand il aborde la question de ses frères juifs qui ont rejeté le message de Jésus, il écrit : « Car si leur mise à l'écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission, sinon une vie (zoē) d'entre les morts? » (Rm 11, 15); Paul s'attend à cette réconciliation et à leur résurrection d'entre les morts. Par contre, quand il résume le sens de sa vie, il termine en disant : « afin d'obtenir si possible la résurrection (exanastasis) d'entre les morts » (Ph 3, 11). La phrase laisse entendre que la résurrection des morts n'est pas garantie. Cela est confirmé par plusieurs passages comme celui-ci, ce chapitre où il combat ceux qui nient la résurrection des morts et décrit comment il voit la résurrection finale :
- 1 Co 15, 23 : « Mais chacun à son rang: comme prémices, le Christ, ensuite ceux qui seront au Christ, lors de son Avènement »
Ainsi, pour ressusciter d'entre les morts, il faut appartenir au Christ, i.e. être croyant. Qu'arrive-t-il des autres? Il n'en parle pas, sa perspective étant centrée sur la communauté croyante.
- 1 Th 4, 16-17 : « Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l'archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront (anistēmi) en premier lieu; après quoi nous, les vivants, nous qui serons encore là, nous serons réunis à eux et emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs. Ainsi nous serons avec le Seigneur toujours »
Ce texte ne parle que des croyants, les croyants décédés ressusciteront en premier, puis les croyants encore vivants lors de l'avènement du Christ. Si on n'avait que les textes de Paul, et qu'il fallait poser la question : les non croyants ressusciteront-ils? La réponse serait probablement : non. Car pour Paul, ressusciter c'est vivre avec le Christ, celui qu'il a cherché dans toute sa mission (« ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l'a ressuscité des morts », Col 2, 12).
On ne peut conclure sans préciser deux aspects de l'univers juif. Le premier est celui d'une fin de l'histoire humaine. La foi chrétienne est née dans un contexte eschatologique où l'histoire n'est pas infinie, mais aura un terme, un terme vu avec une vision apocalyptique, i.e. d'intervention et de révélation finale de Dieu qui s'accompagnera d'un jugement (« jusqu'à la venue de l'Ancien qui rendit jugement en faveur des saints du Très-Haut, et le temps vint et les saints possédèrent le royaume », Dn 7, 22). Le deuxième est celui de l'obligation d'avoir un corps pour vivre; dans l'univers juif, il n'y pas « d'âme » sans un corps. C'est ainsi que Paul doit répondre à la question : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils? Avec quel corps reviennent-ils? » (1 Co 15, 35). Sa réponse sera de parler d'un corps « spirituel (1 Co 15, 44), que tous devront revêtir comme on revêt une aube. Dans ce contexte, le milieu juif envisageait une résurrection des morts pour tous les gens décédés, afin d'abord de bien les identifier, pour ensuite exercer un jugement final, envoyant les uns vers la lumière, les autres vers la nuit (pour un exemple de cette vision, on lira 1 Hénoch).
Une telle vision eschatologique est incapable de répondre aux questions provenant d'une vision où l'histoire humaine n'aurait pas de fin, et où les connaissances anthropologiques et psychologiques posent un regard complexe sur l'humanité.
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Sur Jean seulement, voir l'analyse de Jn 6, 44
Verbe anistēmi dans le Nouveau Testament
Verbe egeirō dans le Nouveau Testament |
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Saint / Sainteté |
(Résumé de Jean L'Hour et Jean-Yves Thériault, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard Médiaspaul, 2004, p. 165-170 et p. 386-390)
Ancien Testament
Dans l'Ancien Testament, le vocabulaire de sainteté (842 emplois) est dérivé de la racine qōdeš. Dans les littératures akkadienne, babylonienne et ougaritique, ce mot signifie d'abord : consacrer, dédier une personne ou une chose à la divinité. En conséquence d'une telle consécration, la personne ou la chose est retirée de l'usage commun. On a même un exemple en Syro-Palestine où le mot désigne une déesse de l'amour et de la fertilité, la déesse Qudshu : étant l'épouse de tous les dieux, elle leur était sans doute consacrée.
Quand on parcourt l'Ancien Testament, on trouve différentes nuances du vocabulaire de sainteté qu'on peut regrouper ainsi.
- Les textes de la tradition sacerdotale (Ex 20-31; Lv 1-16; section législative des Nombres), le terme qōdeš est utilisé comme un attribut du sanctuaire ou une annexe de celui-ci au terme d'un acte de consécration, mais jamais comme un attribut de Yahvé lui-même ou du peuple; on met donc au service du culte des personnes, des lieux ou des objets.
- Le Deutéronome fait un usage modéré du mot (17 fois). Ce qui le caractérise est l'emploi de l'expression « peuple saint » ʿam qādōš pour exprimer le fait qu'il appartient exclusivement à Yahvé en raison de son élection et de sa mise à part parmi tous les peuples (Deutéronome 7, 6 : Car tu es un peuple consacré (ʿam qādôš) à Yahvé ton Dieu; c'est toi que Yahvé ton Dieu a choisi pour son peuple à lui, parmi toutes les nations qui sont sur la terre). De là découle certaines exigences comme celle d'observer les commandements, de s'abstenir d'animaux impurs et des idoles, de se tenir loin des pratiques païennes.
- La loi de sainteté (Lv 16-27) offre un autre ensemble où le mot désigne d'abord tout ce qui est consacré au culte, comme dans la tradition sacerdotale. Mais il a en plus un emploi très particulier : Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint (19, 2). En effet, Yahvé est le Dieu d'Israël, car il a fait sortir son peuple d'Égypte (19, 36); par ce geste il en a pris possession. Dès lors, le peuple a le devoir d'appartenir totalement à Yahvé en obéissant aux lois cultuelles et éthiques.
- Chez Isaïe on rencontre l'expression « Saint d'Israël » (qědôš yiśrāʾēl). Dieu est unique, car il s'est attaché à Israël et Israël s'est attaché à Lui. La sainteté n'exprime pas une qualité métaphysique de Dieu, mais sa relation à son peuple. Aussi peut-on chanter dans un cadre liturgique : « Ils (les séraphins) se criaient l'un à l'autre ces paroles: "Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot, sa gloire emplit toute la terre." » (Isaïe 6, 3)
- Enfin, le prophète Ézéchiel nous offre un autre ensemble de textes particuliers sur la sainteté, avec par exemple l'expression : saint nom (šēm qādšî). Dans la première partie de son livre, Dieu manifeste sa sainteté en intervenant avec puissance dans l'histoire pour tantôt punir, tantôt pour sauver. Malgré tout cela, le peuple n'a pas su manifester la sainteté du nom de Dieu. Aussi, Yahvé y verra lui-même : « Je sanctifierai mon grand nom qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l'avez profane... Alors je vous prendrai parmi les nations, je vous rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol. Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifies... Et je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ezéchiel 36, 23-28). La deuxième partie du livre se passe au temple où Dieu manifeste sa seigneurie en consacrant les hommes et les choses à son service exclusif à travers le culte. Il y a donc une distinction entre le saint et le profane : « Ses prêtres ont violé ma loi et profané (ḥālal) mes sanctuaires; entre le saint (qōdeš) et le profane (ḥōl), ils n'ont pas fait de différence et ils n'ont pas enseigné à distinguer l'impur et le pur » (Ez 22, 26).
Nouveau Testament
Dans le monde grec, l'adjectif « saint » (hagios) apparaît pour la première fois chez l'historien Hérodote (5e av. J.C.) pour qualifier un temple. Est saint ce envers quoi on éprouve une crainte respectueuse, ce qui est consacré et avec lequel on ne doit avoir de contact, en parlant de lieux et de choses.
Dans le Nouveau Testament l'adjectif désigne diverses réalités : le Souffle ou Esprit divin, Dieu, Jésus, le temple, une personne, les anges, les apôtres, les prophètes, la loi, un baiser, la cité, l'alliance, la terre, l'offrande, les prémices, la racine, la montagne, la foi, une église, un appel, une conduite, une nation, le sacerdoce, les milices; selon les circonstances, presque toute réalité peut devenir sainte. Dans le cas des personnes, on dit qu'elles sont proches ou imprégnées de Dieu, qu'elles lui sont liées, dévouées ou consacrées : « Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jean 6, 69). Sur les choses, on dira qu'elles sont d'origine divine ou qu'elles mettent relation avec Dieu.
Mais Paul nous présente une utilisation particulière du terme avec « sanctification » (hagiasmos) et le verbe « sanctifier » (hagiazō ). Le verbe a Dieu comme sujet : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement » (1 Thessaloniciens 5, 23). Il est lié à l'action de justification de Dieu : « Mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l'Esprit de notre Dieu » (1 Corinthiens 6, 11). Nous retrouvons en quelque sorte l'idée de l'Ancien Testament : par son action de justification ou de libération, Dieu a choisi et s'est acquis un peuple : « C'est ainsi qu'Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour » (Éphésiens 1, 4); un peuple saint est un peuple consacré à Dieu, et donc consacré à une vie amoureuse, et à marcher dans les pas de celui qui est miroir de Dieu, Jésus. La sanctification implique donc un cheminement : « En possession de telles promesses, bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu » (2 Corinthiens 7, 1).
Bref, dire d'une réalité qu'elle est sainte, c'est bien sûr dire qu'elle est différente des autres, i.e. du monde ordinaire ou profane, mais on ne parle de sa valeur intrinsèque, mais plutôt du fait qu'elle est consacrée à Dieu; nous sommes au niveau de la relation. Dans l'Ancien Testament, en intervenant pour libérer Israël, Dieu s'est acquis une relation exclusive avec ce peuple et attend qu'on obéisse à ses lois et que le culte et ses objets rappelle cette exclusivité. Dans le Nouveau Testament, des personnes et des objets saints désigneront également des réalités consacrées à Dieu, mais à travers Paul le mot « sanctification » et le verbe « sanctifier » reçoivent une lumière nouvelle pour décrire la réalité nouvelle opérée par Dieu en Jésus qui libère et s'acquiert un peuple qui lui est consacré et doit apprendre à devenir tout ce qu'implique cette vie nouvelle, qui est fondamentalement reflet de Dieu tel que perçu en Jésus.
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Satan |
Le terme « satan » provient du mot hébreu śāṭān, qui signifie : adversaire, ennemi. Il apparaît 27 fois dans les livres de l’Ancien Testament dont nous possédons une copie du texte hébraïque. La plupart du temps, le terme hébreu a été traduit en grec par diabolos (diable) dans la Septante. Mais parfois on l’a translittéré tel quel en grec : satan ou satanas. Dans le Nouveau Testament, les deux termes, diabolos (Mt = 6; Lc = 5; Jn = 3; Ac = 2; Ep. Jn = 4; Ep = 2; 1 Tm = 3; Tt = 1; 2 Tm = 2; 1 P = 1; Jc = 1; Jude = 1; He = 1; Ap = 5) et satanas (Mt = 4; Mc = 6; Lc = 5; Jn = 1; Ac = 2; 1 Th = 1; 2 Th = 1; 1 Co = 2; 2 Co = 3; Rm = 1; 1 Tm = 2; Ap = 8), sont utilisés pour désigner la même réalité. Aussi, on se réfèrera à notre article « diable » ci-haut pour une présentation de cette réalité. Le présent article sur satan se concentre sur les passages où on trouve le mot grec satan ou satanas.
Dans la Septante
Voici un tableau des versets où apparaît le mot hébreu śāṭān, ainsi que sa traduction dans la Septante.
N. | Référence | Texte hébreux | Septante |
1 | Nb 22, 22 | l’ange du Seigneur se posta sur le chemin comme adversaire (śāṭān) sur la route | l'ange de Dieu se leva pour s’opposer (endiaballō) |
2 | Nb 22, 32 | Tu le vois, c’est moi qui suis venu comme adversaire (śāṭān) sur la route car, pour moi, c’est un voyage entrepris à la légère | Me voici, je suis venu comme opposition (diabolē) à toi, parce que ton voyage ne m'est pas agréable |
3 | 1 S 29, 4 | que nous ne l’ayons pas [David] pour adversaire (śāṭān) pendant le combat | et qu'il n'aille pas avec nous au combat, et qu'il ne soit pas un traitre (epiboulos) contre le camp. |
4 | 2 S 19, 22 | David dit : « Qu’y a-t-il entre moi et vous, fils de Cerouya, pour que vous agissiez envers moi aujourd’hui comme adversaire (śāṭān) ? | Mais David dit : Qu'y a-t-il entre vous et moi, fils de Sarouia, pour qu'aujourd'hui vous deveniez des traîtres (epiboulos) ? |
5 | 1 R 5, 4 | Mais maintenant, le Seigneur mon Dieu m'a donné du repos de tous côtés, de sorte qu'il n'y a plus ni adversaire (śāṭān) ni malheur. | Maintenant, le Seigneur mon Dieu m'a donné la paix tout alentour ; il n'est point de traître (epiboulos) contre moi ni de mauvaise rencontre. |
6 | 1 R 11, 14 | Le Seigneur suscita un adversaire adversaire (śāṭān) à Salomon : Hadad l’Edomite, de la race royale d’Edom. | Et le Seigneur avait suscité des satans (satan) contre Salomon : Ader l'Iduméen et Esron, fils d'Eliadaé de Raama, jadis serviteur d'Adadézer, roi de Suba; ils avaient rassemblé des hommes contre lui, et Ader, chef de cette troupe, avait pris Damas ; il fut un satan (satan) pour Israël tant que vécut Salomon, et il était de la famille des rois de l'Idumée. |
7 | 1 R 11, 23 | Dieu suscita un autre adversaire (śāṭān) à Salomon : Rezôn, fils d’Elyada. | Et le Seigneur suscita [un autre] satan (satan) à Salomon, Rezon, fils d'Eliada de Barameeth [qui s'était enfui] d'Adadézer, roi de Suba, son seigneur. |
8 | 1 R 11, 25 | Rezôn fut un adversaire (śāṭān) pour Israël pendant toute la vie de Salomon. | et il a été l’adversaire (antikeimenos) d'Israël pendant toute la durée de Salomon. |
9 | 1 Ch 21, 1 | Satan (śāṭān) se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer Israël. | Et le diable (diabolos) se leva contre Israël ; il excita le roi David à faire le dénombrement du peuple. |
10 | Jb 1, 6 | Le jour advint où les fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur. Satan (śāṭān) vint aussi parmi eux. | Or, l'un de ces jours-là, les anges de Dieu s'en vinrent comparaître devant le Seigneur, et le diable (diabolos) vint avec eux. |
11 | Jb 1, 7 | Le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « D’où viens-tu ? » – Satan (śāṭān) répondit et dit : « De parcourir la terre et d’y rôder. » | Et le Seigneur dit au diable (diabolos): D'où viens-tu ? Et le diable (diabolos) répondit : J'arrive après avoir fait le tour de la terre et parcouru tout ce qui est sous le ciel. |
12 | Jb 1, 8 | Et le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a pas son pareil sur terre. | Et le Seigneur lui (autō) dit : As-tu remarqué Job, mon serviteur ? as-tu reconnu qu'il n'a point son pareil sur la terre, que c'est un homme irréprochable, sincère, pieux, et qui s'abstient de toute mauvaise action ? |
13 | Jb 1, 9 | Mais Satan (śāṭān) répliqua au Seigneur : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? | Et le diable (diabolos) répondit et dit devant le Seigneur : Est-ce gratis que Job honore le Seigneur ? |
14 | Jb 1, 12 | Alors le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « Soit ! Tous ses biens sont en ton pouvoir. Évite seulement de porter la main sur lui. » Et Satan (śāṭān) se retira de la présence du Seigneur. | Alors le Seigneur dit au diable (diabolos) : Tu vois tout ce qui est à lui, je te le livre, mais ne touche pas à sa personne. Et le diable (diabolos) sortit de devant le Seigneur. |
15 | Jb 2, 1 | Le jour advint où les Fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur. Satan (śāṭān) vint aussi parmi eux à l’audience du Seigneur.» | Or, peu de jours après, les anges s'en vinrent comparaître devant le Seigneur, et le diable (diabolos) au milieu d'eux, comparut devant le Seigneur. |
16 | Jb 2, 2 | Le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « D’où est-ce que tu viens ? » – Satan (śāṭān) répondit et dit : « De parcourir la terre et d’y rôder. » | Et le Seigneur dit au diable (diabolos) : D'où viens-tu ? Et le diable (diabolos) répondit : J'arrive après avoir traversé tout ce qui est sous le ciel et parcouru toute la terre. |
17 | Jb 2, 3 | Et le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a pas son pareil sur terre. C’est un homme intègre et droit qui craint Dieu et se garde du mal. Il persiste dans son intégrité, et c’est bien en vain que tu m’as incité à l’engloutir. | Et le Seigneur dit au diable (diabolos) : As-tu remarqué Job mon serviteur ? as-tu reconnu qu'il n'a point son pareil sur la terre ? C'est un homme exempt de méchanceté, sincère, irréprochable, pieux : il s'abstient de tout mal et il a conservé son innocence, et toi tu t'étais proposé vainement de détruire ce qu'il possédait. |
18 | Jb 2, 4 | Mais Satan (śāṭān) répliqua au Seigneur : « Peau pour peau ! Tout ce qu’un homme possède, il le donne pour sa vie. | Et le diable (diabolos) répliqua : La peau seule vaut la peau, pour sa vie l'homme donnera tout ce qui lui appartient. |
19 | Jb 2, 6 | Alors le Seigneur dit à Satan (śāṭān) : « Soit ! Il est en ton pouvoir ; respecte seulement sa vie. » | Et le Seigneur dit au diable (diabolos) : Je te le livre ; seulement veille à conserver sa vie. |
20 | Jb 2, 7 | Et Satan (śāṭān), quittant la présence du Seigneur, frappa Job d’une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête. | Et le diable (diabolos) sortit de devant le Seigneur, et il frappa Job des pieds à la tête d'un mauvais ulcère. |
21 | Ps 109, 6 | Désigne contre lui un méchant, un accusateur (śāṭān), qui se tienne à sa droite. | Établis sur mon ennemi un pécheur, et que le diable (diabolos) se tienne à sa droite. |
22 | Za 3, 1 | Puis le Seigneur me fit voir Josué, le grand prêtre, debout devant l’ange du Seigneur : or le Satan (śāṭān) se tenait à sa droite pour l’accuser. | Et le Seigneur me montra Jésus, le grand prêtre, se tenant devant l'ange du Seigneur, et le diable (diabolos) était à sa droite, pour s'opposer à lui. |
23 | Za 3, 2 | L’ange du Seigneur dit au Satan (śāṭān) : « Que le Seigneur te réduise au silence, Satan (śāṭān) ; oui, que le Seigneur te réduise au silence, lui qui a choisi Jérusalem. Quant à cet homme-là, n’est-il pas un tison arraché au feu ? » | Et le Seigneur dit au diable (diabolos) : Que le Seigneur te réprime, ô diable (diabolos); que le Seigneur, qui a choisi Jérusalem, te réprime ! Vois : cela n'est-il pas comme un tison retiré du feu ? |
Qu’observe-t-on?
- Sur les 27 occurrences de śāṭān, 18 ont été traduites par le mot grec diabolos (diable), trois par epipoulos (traître), trois par satan, une par diabolē (opposition), une par endiaballō (s’opposer), et une par antikeimenos (adversaire); seule l’occurrence en Jb 1, 8 n’a pas été traduit, le traducteur préférant un pronom personnel pour éviter la répétition (« Seigneur lui (autō) dit »).
- Sur les 27 occurrences de śāṭān, huit désignent l’attribut de l’action ou de la situation d’un personnage, et en grec il est traduit par différents mots, sauf diabolos :
- dans les oracles de Balam, le mot décrit l’action de l’ange de Dieu qui barre la route à Balaam répondant à l’appel de Baraq, un roi moabite (Nb 22, 22.32);
- en 1 S 29, 4, le mot décrit l’opposition du chef des Philistins à voir David prendre part au combat;
- en 2 S 19, 22, le mot décrit dans la bouche de David l’action d’Avishaï qui s’oppose à ce qu’il accorde son pardon à Shiméï qui l’a maudit plus tôt;
- en 1 R 5, 4, après avoir fait la paix avec le roi de Tyr et alors qu’il se prépare à construire le temple, Salomon constate qu’il est dans une situation où il n’a plus d’adversaire;
- 1 R 11 nous présente la situation de Salomon qui fait face à un adversaire en la personne d’Hadad l’Édomite (1 R 11, 14), puis de Rezôn, fils d’Elyada (1 R 11, 23.25).
- Deux occurrences (1 R 11, 14.23) du śāṭān hébreu ont été traduites en grec par satan pour décrire le fait que Salomon a fait face à des adversaires.
- Enfin, quand śāṭān désigne ce personnage de la cour céleste qui joue le rôle d’accusateur et d’ennemi de Dieu, il est toujours traduit par diabolos (diable).
Dans les évangiles
- Marc
C’est Marc qui a d’abord introduit le terme satan dans les évangiles (il n’emploie jamais le terme « diable »). Il l’utilise dans quatre scènes : la tentation de Jésus au désert (Mc 1, 13), puis quand sa famille pense qu’il est devenu fou et que les scribes venus de Jérusalem pense qu’il fait des exorcismes en utilisant la force de Béelzéboul, le chef des démons (Mc 3, 23-26), dans l’explication de la parabole du semeur (Mc 4, 15), enfin dans le qualificatif que Jésus attribue à Pierre après l’annonce de sa passion (Mc 8, 33). Qu’apprend-on?
- Tout d’abord, dans la figure de Satan de Mc 1, 13 on retrouve celle qui est apparue dans le livre de Job, le tentateur ou accusateur, qui met à l’épreuve les gens fidèles à Dieu, que la Septante avait traduit par « diable », ce qu’a fait également la source Q. De toute évidence, Marc ignore cette source Q, et la source particulière qu’il utilise semble influencée par le monde hébreu.
- Le récit où on accuse Jésus de chasser les démons par Béelzéboul pose problème (Mc 3, 23-26). Car, comme nous l’avons observé plus tôt dans notre analyse du démon et du diable dans les évangiles, ces deux types d’esprit sont des entités différentes : le démon est un esprit inférieur responsables des maux physiques, tandis que le diable, terme grec pour Satan, appartient à la cour céleste des anges et est responsable des maux moraux. Et Jésus dans sa réponse, fait référence à Satan qui expulse Satan, comme si les démons, Satan et Béelzéboul appartenaient tous à la même catégorie d’esprits. Comment expliquer cela? Il est possible que Jésus n’ait parlé que de Satan, le mot « démon », d’origine grecque, ne faisant pas partie de son vocabulaire et n’ayant pas d’équivalent unique dans l’hébreu. Dans ce cas, le mot « démon » serait apparu quand l’évangile est entré dans l’univers grec. De plus, comme Satan/le diable appartient à une classe supérieure d’esprits, il serait normal qu’il ait autorité sur tout le monde des maux, et qu’il délègue les maux physiques à des esprit mauvais inférieurs. Ainsi, ce passage de Marc témoignerait de deux traditions qui auraient été cousues ensemble : une tradition très ancienne qui fait écho au langage de Jésus sur Satan, et une tradition qui remonte aux Juifs hellénisés qui parlaient couramment de possession démoniaque.
- Dans l’explication de la parabole du semeur, Marc attribue à Satan la situation de ceux qui n’accueillent même pas la parole de l’évangile quand elle est annoncée (Mc 4, 15). Il faut comprendre que Satan fait en sorte que cette parole apparaisse étrangère et inacceptable. Matthieu a repris le texte de Marc, mais en étant plus explicite : « ils ne la comprennent pas », et remplace Satan par « le Mauvais » (Mt 13, 19). De même, Luc explicite le texte de Marc en faisant référence à la foi : « de peur qu’ils croient », et remplace Satan par son équivalent grec : le Diable (Lc 8, 12). Que Satan soit remplacé par « le Mauvais » ou « le Diable » est indicatif que l’auditoire de Matthieu et Luc comprend une bonne proportion de gens de culture grecque. On notera que dans la suite de l’explication de la parabole Marc parle de deux autres situations qui empêchent d’accueillir la parole, la persécution et les soucis et désirs de ce monde comme la richesse, mais n’attribue pas ces situations à Satan.
- Enfin, Marc nous présente la scène où Pierre, après avoir entendu Jésus annoncé les souffrances et la mort qu’il aura à subir, le rabroue, pour se faire dire qu’il est un Satan (Mc 8, 33). Pourquoi? En voulant faire dévier Jésus de sa mission, Pierre joue le même rôle que Satan, s’opposer à la voie proposée par Dieu; dans l’AT, Satan est l’adversaire de Dieu. En ajoutant à l’adresse de Pierre : « Tu ne penses pas les choses à la manière de Dieu, mais à la manière des hommes », le Jésus de Marc se trouve à assumer que l’ensemble des humains est sous l’emprise de Satan.
Satan chez Marc présente donc les mêmes traits que le Diable : c’est le tentateur et l’accusateur, il est responsable des maux sur cette terre, en particulier du refus de la parole évangélique, c’est l’adversaire de Dieu qui semble exercer un certain contrôle sur l’humanité. De plus, le fait qu’il utilise Satan plutôt que Diable pourrait s’expliquer par son art de la narration où il aime donner une couleur « exotique » à son récit, comme le fait d’introduire des mots araméens.
- Matthieu
Matthieu n’a qu’une référence qui lui soit propre : « Retire-toi, Satan » (Mt 4, 10), une phrase qu’il ajoute au récit de la tentation de Jésus qu’il reçoit de la source Q où on ne parle que du diable. Cela peut surprendre. Mais en ajoutant cette phrase qui est une parole qu’il met dans la bouche de Jésus, l’évangéliste est probablement conscient que Jésus ne pouvait qu’avoir prononcé le mot Satan, et non le mot d’origine grecque : diable.
- Luc
Luc présente trois occurrences de Satan dans son évangile qui lui soient propres.
- En Lc 10, 18, Jésus réagit au retour des disciples qui se réjouissent du résultat de leurs exorcismes, i.e. les démons leur étaient soumis. La phrase de Jésus qui y voit Satan tomber du ciel, i.e. tomber de son trône, annonce la fin de son règne. En cela, le Satan de Luc rejoint ce que disent les évangiles sur le diable : c’est lui qui règne sur le monde, mais sa fin approche. En même temps, il confirme une certaine confusion entre le démon et le diable qui sont habituellement des êtres différents dans les évangiles, les démons étant responsables des maux physiques, du moins une partie d’eux (comme l’épilepsie, la maladie mentale, parfois la cécité et le mutisme), Satan/le diable responsable des maux moraux. Mais le fait d’associer Satan aux démons s’expliquent sans doute par la tendance à faire reposer sur les épaules de Satan la responsabilité de tous les maux de la terre, y compris la maladie. Luc fera la même chose en Lc 13, 16 (le récit de la femme courbée).
- Le récit de la femme courbée pendant 18 ans (Lc 13, 16 : « Et cette fille d'Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans ») est un autre exemple de confusion entre le rôle du démon et celui de Satan. Dans les évangiles, il y a une constante où les maladies, du moins une partie d’eux (comme l’épilepsie, la maladie mentale, parfois la cécité et le mutisme), sont causées par une possession diabolique, tandis que Satan/le diable est présenté comme 1) procureur, responsable des épreuves (voir le récit des tentations), pour vérifier la fidélité de l’être humain et pouvoir l’accuser, 2) et il est celui qui introduit le mal moral en lutte contre l’évangile et contre le royaume de Dieu, et par là source de la mort. D’ailleurs, le début du récit de la femme courbée mentionne que la femme était possédée d’un esprit (Lc 13, 11) qui signifie habituellement « esprit mauvais » ou « démon » dans les évangiles. Comment expliquer la confusion? Encore une fois, Luc fusionne probablement deux sources, dont l’une, peut-être orale, serait très ancienne autour d’une parole de Jésus qui ne parlait que de Satan, et jamais de diable ou de démon. Et Luc a habituellement tendance à respecter le vocabulaire de ses sources.
- En Lc 22, 31 Luc nous donne probablement un autre exemple de source très ancienne avec la mention de Satan et l’utilisation de Simon comme nom du chef des apôtres : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous secouer dans un crible comme on fait pour le blé ». Comme nous l’avons répété, le terme « Satan » appartient au vocabulaire juif, et il est probable qu’il se soit retrouvé dans la bouche de Jésus. Mais, la phrase porte à confusion, car le « vous » est un pronom personnel au pluriel, et donc ne s’adresse pas à Simon, mais aux apôtres à table avec Jésus. Ce n’est pas la première fois que la syntaxe de Luc porte à confusion. Quoi qu’il en soit, le rôle de Satan est très clair à travers l’image du tamis qui sépare le blé de la paille : c’est le responsable des épreuves pour vérifier la qualité de l’engagement du disciple (voir le récit de la tentation de Jésus) et, le cas échéant, pouvoir formuler des accusations comme le procureur dans un procès.
Dans ses Actes des Apôtres, Luc utilise deux fois le terme « Satan », tout d’abord dans un discours de Pierre à Annanias (« Pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur ? Tu as menti à l’Esprit Saint », Ac 5, 3), ensuite dans un discours de Paul à Agrippa qui lui explique sa mission auprès des païens (« pour leur ouvrir les yeux, les détourner des ténèbres vers la lumière, de l’empire de Satan vers Dieu », Ac 26, 18). On retrouve ici deux rôles traditionnels du diable : celui d’introduire le mal dans le cœur humain, et celui d’être maître du monde (voir l’une des tentations de Jésus de recevoir le monde en héritage s’il se soumet au diable). Pourquoi le Luc des Actes, qui emploie à l’occasion le mot diable, a-t-il choisi ici le terme « Satan »? Une réponse possible est que Luc aime revêtir ses récits d’un vernis d’antiquité. Le juif Simon/Pierre devait avant tout parler de « Satan » en Palestine, et non de « diable ». Et il en est de même de Paul qui, si on se fit seulement aux lettres dont on est sûr qu’il est l’auteur, n’utilise que le terme « Satan », jamais « diable ».
- Tradition johannique
On ne trouve qu’une seule occurrence de « Satan », et elle apparaît en Jn 13, 27, après que Jésus eut offert à Judas Iscariote bouchée qu’il avait trempée : « C’est à ce moment, alors qu’il lui avait offert cette bouchée, que Satan entra [eisēlthen satanas eis] en Judas ». Pourquoi l’évangéliste emploie-t-il le terme « Satan », alors que deux fois auparavant il a utilisé en référence à Judas le terme diable (« l'un d'entre vous est un diable », Jn 6, 70; « Au cours d'un repas, alors que déjà le diable avait mis au coeur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer », Jn 13, 2). La réponse probable est que Jean se sert ici d’une tradition également connue de Luc (« Or Satan entra en [eisēlthen satanas eis] Judas, appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze », Lc 22, 3). Que ce soit Satan ou le Diable, le rôle est le même : introduire de mauvais desseins dans le cœur humain.
Les autres écrits du Nouveau Testament
Considérons d’abord les lettres dites pauliniennes. Les traits qui se dégagent de Satan peuvent être rassemblés ainsi :
- Satan est l’ennemi de l’évangile et emploie tous les moyens pour s’y opposer. En 1 Th 2, 18 Paul écrit qu’il a voulu se rendre à plusieurs reprises à Thessalonique pour revoir la communauté qu’il a fondée, mais que Satan l’a en empêché. Derrière Satan, il faut voir des individus, probablement des Juifs, qui levé divers obstacles; mais pour Paul, tout cela est l’œuvre de Satan. C’est dans le même sens qu’il faut probablement lire 2 Co 12, 7 (« il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil ») : dans plusieurs des communautés qu’il a fondées se sont élevés des opposants qui l’ont affronté personnellement, des gens qu’il appelle des faux apôtres (2 Co 11, 13), des gens qui l’ont amené à écrire cette lettre dans les larmes (1, 12 - 2, 13).
- Satan est le maître du monde et c’est le rôle de la communauté chrétienne de fournir un abri pour échapper à son emprise. Aussi, exclure quelqu’un de la communauté chrétienne, c’est le renvoyer à Satan, comme l’écrit Paul à propos de ce chrétien qui a épousé sa belle-mère (« qu’un tel homme soit livré à Satan pour la destruction de sa chair », 1 Co 5, 5), ou l’auteur de la première lettre à Timothée à propos d’Hyménée et Alexandre qui aurait blasphémé et dont la foi aurait fait naufrage (« je les ai livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer », 1 Tm 1, 20).
- Satan est un esprit rusé et fourbe, qui dispose de puissants moyens. Aussi, Paul exhorte les chrétiens à ne pas être « dupes de Satan. Car nous n’ignorons pas ses intentions » (2 Co, 2, 11), et Satan peut même agir à travers des missionnaires chrétiens, « camouflés en apôtres du Christ » (2 Co 11, 13), car Satan peut se camoufler en ange de lumière et en serviteurs de la justice (2 Co 11, 14-15). Mais c’est dans les temps qui précède le retour du Christ que Satan se manifestera avec le plus d’éclat avec de prétendus signes et prodiges (2 Th 2, 9).
- Satan est le tentateur par excellence. C’est pourquoi Paul prévient les couples mariés, qui font abstinence pendant un certain temps afin de se consacrer à la prière, de reprendre dès que possible leur vie sexuelle « de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter » (1 Co 7, 5). De même, l’auteur de la première lettre à Timothée recommande que les jeunes veuves se remarient, « car il en est déjà quelques-unes qui se sont égarées en suivant Satan » (1 Tm 5, 15) : leur situation de veuve les amène à être désœuvrées, à courir les maisons, à être bavardes et indiscrètes, à parler à tort et à travers (1 Tm 5, 13-14).
- Mais Satan sera bientôt vaincu : « Le Dieu de la paix écrasera bien vite Satan sous vos pieds » (Rm 16, 20).
Tous ces traits de Satan rejoignent ce que nous avons dit du diable dans le Nouveau Testament.
Le livre de l’Apocalypse mérite un traitement à part. Tout d’abord, les deux termes « Satan » et « Diable » y apparaissent et sont souvent traités de manière synonymes (Ap 12, 9; 20, 2). Satan/le Diable ont été précipités du ciel sur terre et sont engagés dans une lutte sans merci le nouvel Israël, l’Église, et qui dure 1 260 jours et trois fois et demie, c'est-à-dire le temps de la persécution qui conduira à la fin des temps (Ap 12, 6). Enfin, l’ange du Seigneur « s’empara du dragon, l’antique serpent, qui est le diable et Satan, et l’enchaîna pour mille ans » (Ap 20, 2). Après les mille ans, le diable fut relâché de sa prison et alla séduire toutes les nations de la terre, mais finalement Dieu intervint, et « le diable, leur séducteur, fut précipité dans l’étang de feu et de soufre, auprès de la bête et du faux prophète. Et ils souffriront des tourments jour et nuit aux siècles des siècles » (Ap 20, 10). Si l’affirmation que le monde est sous le contrôle de Satan n’est pas nouveau dans le Nouveau Testament, ce qui est nouveau est d’associer explicitement Satan à l’empereur romain, à ses officiers, et au culte requis, et peu comme les imans d’Iran parlent de l’empire américain comme du grand satan.
Mais Satan reçoit une signification spéciale tout d’abord dans l’expression « synagogue de Satan » (Ap 2, 9; 3, 9). L’expression apparaît dans les lettres adressées aux églises de Smyrne et Philadelphie. Elle peut paraître surprenante, mais elle est conforme à tradition johannique où les principaux opposants à l’évangélisations sont les frères juifs qui ont refusé d’accueillir Jésus comme le messie et qui ont favorisé par la suite la persécution; l’expression assume que la vraie synagogue, c’est désormais la communauté chrétienne. N'oublions pas que Satan a été défini comme l’adversaire de l’évangélisation, et l’auteur de l’apocalypse est fort probablement d’origine juive.
La lettre à l’église de Pergame, l’auteur utilise l’expression « trône de Satan » (Ap 2, 13), ce qui peut faire référence au statut de la ville en tant que centre principal du culte impérial en Asie Mineure ; en effet, un temple à l'esprit de Rome y existait déjà en 195 av. JC, et en reconnaissance envers Auguste, un temple à la divinité de César y avait été construit en 29 av. JC.
Dans la lettre à l’église de Thyatire, Satan est également mentionné dans le contexte d’une idéologie simili-gnostique couplée à un certain libertinage (ce qui va ensemble, car dans le monde gnostique seule l’esprit et la connaissance importent, non le corps et la moralité), et l’auteur semble reprocher à certains membres de la communauté cette mentalité d’initiés qui veut approfondir une doctrine qu’il attribue à Satan (Ap 2, 24), une doctrine qu’il considère sans doute erronée et perverse, et donc antiévangélique. Ce vocabulaire rejoint l’auteur de la première lettre à Timothée (4, 1) qui doit lui aussi faire face de faux enseignements, et qui parlent de doctrines de démons.
En guise de conclusion
Le terme « satan » est un terme hébraïque qui signifie : adversaire. Dans l’Ancien Testament, il peut simplement signifier l’opposition à une action quelconque ou à une personne, tout comme il peut être personnifié et alors désigner ce personnage de la cour céleste qui exerce le rôle de procureur chargé de mettre à l’épreuve les humains et de porter des accusations, tout comme c’est lui qui introduit de mauvais desseins en opposition à Dieu. La traduction grecque de la Septante a opté pour différents mots dans le cas d’une opposition à une action ou à une personne, mais a toujours opté pour « diable » quand il s’agit du personnage céleste.
Dans les évangiles, le terme « satan » est surtout présent chez Marc et Luc. Chez Marc Satan présente les mêmes traits que le Diable : c’est le tentateur et l’accusateur, il est responsable des maux sur cette terre, en particulier du refus de la parole évangélique, c’est l’adversaire de Dieu qui semble exercer un certain contrôle sur l’humanité. De plus, le fait qu’il utilise Satan plutôt que Diable pourrait s’expliquer sa tendance à donner une couleur « exotique » à ses récits, comme il l’a fait avec des termes araméens. Chez Luc, Satan est le maître du monde, plus spécifiquement du monde païen, le tentateur qui met à l’épreuve les disciples, celui qui introduit de mauvais desseins et par là attaque l’Esprit Saint, mais sa fin prochaine est assurée. Il est possible que la présence chez lui du terme « satan » s'explique par l'utilisation d'une tradition ancienne dont il respecte le vocabulaire.
Dans le reste du Nouveau Testament, Satan apparaît comme un être rusé et fourbe qui utilise divers moyens pour s’opposer à l’évangélisation, en particulier à la mission de Paul. Hors de la communauté chrétienne, il règne en maître. Vis-à-vis de tous il est le tentateur par excellence. Mais le croyant est convaincu qu’il sera bientôt vaincu.
L’apocalypse se distingue des autres écrits, car Satan porte différents noms, comme Diable, Dragon, Serpent. Jetés du ciel, il fait la guerre au nouvel Israël, l’Église. Cette guerre se fait à travers l’empereur romain et le culte impérial. Il se fait aussi à travers des Juifs qui ont refusé d’accueillir Jésus comme le messie et qui ont favorisé par la suite la persécution. Il se fait aussi à travers certains membres qui se sont laissés égarés par une forme de gnosticisme et de religion pour « initiés ».
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Le nom satanas dans la Bible |
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Seigneur (Kyrios) |
(Résumé de André Myre, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard Médiaspaul, 2004, p. 431-436)
Le substantif masculin kyrios désigne en grec classique « celui qui est maître de, qui a autorité », c'est-à-dire le maître, le maître de maison, le représentant légal, le tuteur.
C'est la Septante (LXX), cette traduction grecque de la Bible hébraïque complétée au 2e siècle avant notre ère, qui a marqué de façon déterminante l'histoire de ce mot. Car elle choisit de remplacer le tétragramme YHWH (en hébreu : יהוה), nom propre du Dieu d'Israël qu'un Juif pieux évite de prononcer par respect, par « Seigneur » (grec : kyrios) (Voir par exemple Genèse 15, 8 , où « Mon Seigneur Yahvé » (hébreu : אֲדֹנָי
יְהוִה, translittération : ʾ ădōnāy yhwh) est devenu Despota Kyrie (littéralement : maître Seigneur). Alors que le mot kyrios n'était pratiquement pas utilisé jusque là pour désigner la divinité dans le monde grec, voilà qu'il est maintenant chargé de toute la puissance du Dieu personnel d'Israël, créateur du cosmos et acteur majeur de l'histoire humaine. Mais une certaine ambiguïté subsiste, car le mot continue d'être utilisé pour désigner toutes sortes de « seigneurs » : des possesseurs d'esclaves aux souverains de divers royaumes, en passant par d'autres dieux.
Les premiers chrétiens, grands utilisateurs de la Septante, ont repris le terme kyrios pour l'attribuer à Jésus ressuscité, lui qui est assis à la droite de Dieu. Mais la langue araméenne a pu également influencer l'utilisation de kyrios pour désigner Jésus. Car le mot araméen mare, qui se traduit par « maître » ou « seigneur », est aussi utilisé pour désigner Dieu (voir Daniel 5, 23), celui qui jugera l'humanité à la fin des temps. La Septante traduira également mare par kyrios. On trouve le terme mare dans le Nouveau Testament : « Marana tha ! » (littéralement : Notre Seigneur, viens, 1 Co 16,22). La même expression semble derrière ce passage de l'Apocalypse 20, 22 : « Amen, viens, Seigneur Jésus! » La formule Marana tha permet donc de faire remonter la foi en l'exaltation de Jésus, et donc le titre de « seigneur » qui en découle, à une communauté chrétienne palestinienne de langue araméenne. Quand Paul rédige sa première lettre aux Corinthiens, autour de l'an 55, soit vingt-cinq ans après la mort de Jésus, il reproduit une formule araméenne tellement bien arrêtée et connue qu'il n'a pas besoin de la traduire. Il faut donc qu'elle soit née tout près des débuts de la communauté araméenne.
Le psaume 110, 1 semble avoir joué un rôle important dans l'attribution du titre Seigneur à Jésus. Le texte hébreu dit ceci : « Oracle de Yhwh à mon maître ['adôn] : /Assieds-toi à ma droite/jusqu'à ce que je place tes ennemis / en tabouret pour tes pieds. » La Septante a fidèlement rendu le texte, sauf dans le cas de la première ligne dont elle a fait ceci : « Le kyrios a dit à mon kyrios : [...] » (LXX : Ps 109,1). Dans le texte hébreu, il est clair que Yhwh parle au roi régnant, descendant de David, lui promettant victoire et pouvoir. Le grec, lui, est ambigu. Les synoptiques ont distingué comme suit ces deux kyrioi : «Le Seigneur [Yhwh] a dit à mon seigneur [Jésus] : [...]» (Mt 22,44). Jésus est donc à la fois le messie ou Christ, fils de David, et l'exalté assis à la droite de Dieu. Des appellations, jusque-là réservées au descendant de David régnant à Jérusalem, sont ainsi transférées à Jésus exalté. Et il n'est pas rare, dans le Nouveau Testament, de les voir surgir en grappes, comme dans cette parole de Marthe : « Oui, seigneur (kyrios), dit-elle, je crois que tu es Christ, fils de Dieu, envoyé dans le monde » (Jn 11,27).
Dans le Nouveau Testament, ils sont donc deux à porter le titre de Seigneur. Il y a d'abord le Dieu vivant : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, "Il est, Il était et Il vient", le Maître-de-tout » (Apocalypse 1, 8). Mais il y a aussi celui qui l'est par délégation de pouvoir, Jésus, en vertu de l'exaltation réalisée après sa mort-résurrection : « ...concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection des morts, Jésus Christ notre Seigneur » (Romains 1, 3-4). Mais même si Jésus a reçu sa seigneurie après sa mort, on appliquera ce titre à l'ensemble de sa trajectoire terrestre, à commencer par son baptême des mains de Jean Baptiste (voir Ac 1,21-22).
En fait, il y a trois réalités. Car l'exaltation de Jésus - les Actes sont clairs là-dessus - se définit par le don que Dieu lui a fait de son propre pouvoir d'action, lequel a pour nom hagion pneuma « Souffle saint ». « C'est ainsi : élevé glorieusement à la droite de Dieu, ayant reçu du Père la promesse du Souffle saint, Jésus a répandu autour de lui ce que vous voyez et entendez. [...] Ce même Jésus que vous avez crucifié, Dieu, lui, l'a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 33.36). Il y a donc le Père, le Fils et l'Esprit, comme l'exprime clairement Mt 28, 18-20 avec la demande de faire des disciples et de la baptiser : dans l'ordre il y a en haut, dans les cieux, le Père, d'où l'exaltation tire son origine, au centre (ou à la droite de Dieu, ayant son pouvoir du Père), le Fils, et en bas, sur terre, le Souffle saint, pouvoir de Dieu que le Fils contrôle et fait agir dans sa communauté. Ces trois réalités porteront le titre de Seigneur (voir 1 Co 12,4-6). Mais seul le Dieu vivant mérite d'être appelé « Seigneur des seigneurs ».
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Septante |
Naissance de la Septante
La Septante est fondamentalement la traduction grecque de la bible hébraïque. Cette traduction fut d'abord celle du Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome) réalisée à Alexandrie en Égypte sous le règne du roi Ptolémée II Philadelphe (285 à 247 av. l'ère moderne). Selon ce qu'écrit la Lettre d'Aristée, c'est l'oeuvre de 72 érudits juifs venus de Jérusalem et complétée en 72 jours, d'où le nom de Septante, i.e. soixante-dix ou LXX. Notons cependant que cette traduction ne fut connue sous son nom latin de Septuaginta qu'à l'époque de s. Augustin (354430).
Par la suite, la traduction des autres livres de la bible hébraïque s'est poursuivie, impliquant une grande variété de traducteurs, mais on a conservé le nom « Septante » pour toutes ces traductions. Vu le grand nombre d'érudits impliqués, on comprend facilement la grande variété dans la qualité de la traduction, certains s'en tenant à la traduction la plus littérale possible, d'autre se permettant une assez grande liberté dans l'interprétation du texte original.
Si on en croit le prologue du Siracide (0, 27-29 : « C'est en l'an 38 du feu roi Evergète, qu'étant venu en Égypte et y ayant séjourné, j'y découvris une vie conforme à une haute sagesse »), la traduction de tous les livres hébraïques fut complétée sous le règne de Ptolémée VIII Évergète II Tryphon, co-roi d'Égypte de 170 à 163 av. l'ère moderne, puis roi de 140 à 116; ainsi, vers l'an 132 av. notre ère, la traduction était complétée.
Selon la Lettre d'Aristée, la Septante reçut une reconnaissance par la communauté juive d'Alexandrie. Pour des auteurs comme Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe, c'est leur livre de référence principal.
Le texte actuel de la Septante
La Septante comprenait originellement ce qui allait constituer le canon de la Bible hébraïque : 1) la Torah ou Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome), 2) les Prophètes, i.e. d'abord les premiers prophètes (Josué, Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois), puis les derniers prophètes, d'abord Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, suivi des douze : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie, enfin 3) les Écrits (Psaumes, Proverbes, Job, Cantique des Cantiques, Ruth, Lamentations, Qohélet, Esther, Daniel, Esdras et Néhémie, présenté comme Esdras B, les deux livres des Chroniques).
Au noyau originel on a ajouté par la suite Judith, Tobie, 1 et 2 Maccabées, Siracide, Sagesse, Baruch, Lettre de Jérémie, des textes qu'on considère deutérocanonique, i.e. un deuxième canon ou un ajout au canon originel, ainsi que des additions à Esther (le « songe de Mardochée » et le « complot contre le roi », l'« édit d'Artaxersès », « Mardochée à Esther », la « prière de Mardochée » et la « prière d'Esther », la « rencontre d'Esther et du roi », le « nouvel édit d'Artaxersès », l'« explication du songe de Mardochée » et la « conclusion de la version grecque ») et Daniel (prière d'Azariah, le cantique des trois enfants, l'histoire de Suzanne et les vieillards, Bel et le serpent). On a aussi ajouté des écrits considérés aujourd'hui comme deutérocanoniques, ou encore apocryphes : 1 Esdras, présenté comme Esdras A, 3 Maccabées et 4 Maccabées, le Psaume 151, les Odes et les Psaumes de Salomon, la prière de Manassé.
Le texte hébreu utilisé par la Septante n'est pas toujours identique au texte massorétique que nous connaissons. Pour la Pentateuque, il n'y pas de problème. Par contre, le texte de Jérémie apparaît plus court, ou encore, le texte de Josué montre de petites variantes, ou encore, certains Psaumes reflètent un texte hébreu avec des voyelles définies autrement.
De plus, la traduction de la Septante n'est pas systématique : le même mot hébreu n'est pas toujours traduit de la même façon, et parfois certains groupes de livres ont leur vocabulaire particulier. Quant aux livres poétiques, leur traduction n'est pas toujours heureuse et contient beaucoup d'approximation. Enfin, si certains traducteurs ont cherché à représenter rigoureusement le texte hébreu, d'autres ce sont donné plus de liberté.
Pour les manuscrits, il existe quelques papyrus du 2e s. av. l'ère moderne avec le Lévitique et le Deutéronome, et des fragments du 1ier s. av. l'ère moderne avec le Pentateuque, et les prophètes mineurs, mais ce n'est qu'après les Hexaples d'Origène qu'on a pu obtenir le texte complet avec le codex Vaticanus (4e s.) et le codex Alexandrinus (5e s.).
La Septante aux premières siècles de l'ère moderne
Comme une bonne partie des premiers chrétiens est issue du judaïsme hellénistique, la Septante était leur première référence à l'Écriture. C'est ainsi que le Nouveau Testament, en particulier les épitres de Paul, contiennent un certain nombre de citations de la Septante. On a même trouvé certains manuscrits de la Septante à Qumran. Quelqu'un comme Justin (vers l'an 160 de notre ère) raconte que le Septante était la version la plus fiable de l'Ancien Testament et qu'elle était lue lors des assemblées hebdomadaires de la communauté chrétienne avec la lecture de la mémoire des Apôtres. Mais, se référant donc au même livre, chrétiens et Juifs entrèrent en polémique sur son interprétation. Un exemple typique est Isaïe 7, 14 (« Voici, la jeune femme (héb. ʿalmâ = jeune femme, LXX : parthenos = vierge) est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel »); pour les premiers chrétiens, le sens originel était l'annonce de la naissance virginale du messie, pour les Juifs une telle interprétation trahissait le sens originel. Allant plus loin, certains chrétiens ne se sont pas gênés de faire des ajouts au texte de la Septante, par exemple ajoutant « à partir de la croix », au Psaume 95, 10 (Héb. 96, 10) : « Le Seigneur règne [à partir de la croix] ». Tout cela a contribué à ce que le milieu juif prenne ses distances face à la Septante.
De plus, à la fin du 1ier siècle de notre ère, à la suite de la destruction du temple de Jérusalem, les Juifs religieux se sont regroupés dans la ville de Jamnée et ont commencé à dresser l'inventaire de leur héritage religieux, et ont entrepris en particulier de fixer définitivement quels livres appartenaient à l'Écriture, ce qu'on appelle le canon de l'Écriture. Or, la Septante, qui s'était constituée avant cette période, avait appliqué des règles beaucoup moins strictes et contenait des livres ou portions de livres différents du canon palestinien, et même reflétant un texte hébreu différent. Cela a contribué à atténuer la valeur de la Septante aux yeux des Juifs.
Aquila et la Septante
Au début du 2e s. rabbi Akiva ben Yosseph développa une méthode d'exégèse biblique où chaque lettre de l'Écriture était sacrée, et donc contenait une signification voulue par Dieu. C'est ainsi, par exemple, que la particule hébraïque ʾēt qui ne vise qu'à introduire un complément d'objet direct (Gn 1, 1 : « Au commencement, Dieu créa (ʾēt) le ciel et (ʾēt) la terre ») et n'a aucune signification en soi, en vint à signifier pour Akiva « avec », et donc devait être lue : Dieu créa avec le ciel le soleil, la lune et les constellations, et avec la terre les arbres, les plantes et le jardin d'Eden. Dans un tel contexte, la traduction parfois très libre de la Septante perdait sa valeur.
Alors un disciple de rabbi Akiva, Aquila de Sinope, entreprit une nouvelle traduction grecque qui avait pour but de rendre littéralement le texte hébreu, si bien qu'on pourrait y appliquer les mêmes principes d'exégèse. Cette traduction fait preuve d'une grande ingénuité pour demeurer collée au texte hébreu, mais au prix d'un massacre de la langue grecque, voire d'un texte incompréhensible pour un non initié. Par exemple, en Gn 1, 1 (Au commencement (héb. rēʾšît, LXX : archē), Dieu créa (ʾēt) le ciel et (ʾēt) la terre), le mot rēʾšît est traduit par la Septante par archē (commencement, début), mais Aquila, considérant que rēʾšît est dérivé en hébreu de rōʾš (tête) a opté plutôt pour le terme grec kephalaion (point principal, total), car il est dérivé de la racine kephalē (tête), ce qui donne : « En point principal, Dieu... ». Et à l'exemple de rabbi Akiva, Aquila traduit ʾēt, non traduit par la Septante car n'étant qu'une particule introduisant un complément d'objet direct, par la préposition grecque sun (avec). Quand différents termes hébreux sont dérivés de la même racine, il applique le même principe à sa traduction grecque : par exemple, tous les dérivés de la racine hébraïque yĕšûʿâ (salut) sont également traduits par les dérivés de la racine grecque de sōtēria (salut). Les mots grecs masculins ou neutres servent à traduire les mots hébreux qui sont aussi au masculin. Avec les termes hébreux qui sont plus longs, Aquila offre une traduction avec des termes grecs plus longs. Il réussit parfois le tour de force de traduire un terme hébreu avec la même lettre finale.
Pendant plusieurs siècles les Juifs ont tenu cette traduction en grand estime, l'utilisant même lors de leur liturgie. Mais avec l'empire byzantin qui apparut au 5e siècle et avec l'exigence imposée aux communautés juives d'étudier l'original hébreu, cette traduction perdit son autorité. Aujourd'hui, tout ce qui nous en reste, c'est un certain nombre de fragments.
D'autres traductions grecques
D'autres érudits juifs, insatisfaits de la traduction de la Septante, proposèrent leur propre traduction de la Bible hébraïque. L'un de ceux-là est Théodotion, peut-être originaire d'Éphèse, qui publia sa version dans la 2e partie du 2e s. de notre ère. Son but était de proposer une traduction plus exacte du texte hébreu. Un exemple typique est celui d'Isaïe 25, 8. Le texte hébreu a : « Il a fait disparaître la mort à jamais (neṣaḥ) », traduit par la Septante par : « La mort, ayant prévalu »; conservant le texte grec, il a simplement ajouté : eis neikos (à jamais) pour être plus près du texte hébreu.
Un autre de ces érudits est Symmaque l'Ébionite, un judéo-chrétien de la même époque. Son désir était de fournir une traduction de toute la Bible hébraïque en suivant de près le texte, mais en offrant en même temps au beau style grec. C'est ainsi qu'il cultive les constructions participiales par lesquelles la proposition principale du texte hébreu devient une subordonnée.
On pourrait aussi mentionner d'autres traductions de livres individuels de la Bible hébraïque qui ne nous sont connus seulement que par les Hexaples d'Origène.
L'École chrétienne d'Alexandrie
À Alexandrie, en Égypte, les chrétiens ont mis en marche un mouvement intellectuel très fort qui a donné naissance à l'École chrétienne d'Alexandrie. C'est elle qui a épuré la Septante de toutes ses additions chrétiennes.
L'un des membres les plus proéminents de cette école fut Origène (184 253). L'une de ses oeuvres majeures est constituée par les Exaples, une édition de la Bible dans laquelle il présente sur six colonnes le texte hébreu, suivi de sa translittération grecque, puis la traduction d'Aquila et celle de Symmache, ensuite celle de la Septante, suivie enfin par celle de Théodotion. Afin de noter les sections de la Septante qui n'apparaissent pas l'original hébreu, il utilise des obèles : , ̣, ÷); et à l'inverse, il ajouta des mots, affublés de l'astérisque (*), quand il les considérait manquant dans la traduction de la Septante. Origène fit d'autres modifications, comme celle de corriger la forme des noms propres, ou encore celle de modifier l'ordre des mots afin de s'aligner avec l'ordre des mots du texte hébreu en regard, d'autant plus que chaque colonne ne contenait que quelques mots.
Les Hexaples ne visaient que la communauté des érudits, et en particulier à leur fournir des outils dans leurs altercations avec les Juifs. Mais, à la fin, ils n'eurent pas d'influence sur les communautés chrétiennes, d'autant plus qu'Origène lui-même souhaitait que celles-ci s'en tiennent à la version traditionnelle de la Septante.
L'école d'Antioche
Le fondateur de cette école est Lucien, appelée au Lucien d'Antioche ou Lucien de Samosate (240 312). Grand admirateur d'Origène, il entreprit à son tour de la traduire en grec la bible hébraïque. Mais il le fit avec une grande liberté de style, remplaçant souvent les formes hellénistiques de la Septante par les formes attiques, ce dialecte de la ville antique d'Athènes. Son oeuvre fut largement reçue et exerça une grande influence, en particulier chez les théologiens et exégètes d'Antioche. Elle s'étendit même jusqu'à Constantinople, alors capitale de l'empire romain byzantin. Selon Jérôme, vers l'an 400, c'était la version de la Bible la plus connue dans la région s'étendant d'Antioche à Constantinople.
Par contre, en Palestine il y a eu une réaction contre l'influence d'Antioche. Elle vint de Pamphile de Césarée (250 - 309), fondateur de l'école théologique et de la fameuse bibliothèque de Césarée, et aussi grand admirateur d'Origène. Avec l'aide d'Eusèbe, son élève et futur auteur d'une histoire de l'Église, il reprit et publia dans un texte séparé la version d'Origène de la Septante; cela permit de remettre en valeur cette version de la Bible, indépendamment des Hexaples. Selon Jérôme, c'était la version dominante en Palestine vers l'an 400.
(D'après Alfred Rahlfs. Septuaginta. Stuttgart : Deutsche Bibelstiftung, 1935, p. lvii-lxv; Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975, p. 491, et L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984, p. 692-693.)
Remarque sur la traduction de la Septante
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Lettre d'Aristée
Texte de la Septante avec traduction française de Pierre Giguet
1 Esdras
3 Maccabées
4 Maccabées
Daniel Grec
Esther Grec
Odes de Salomon
Prière de Manassé
Psaume 151
Les Psaumes de Salomon
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Synagogue |
Le mot grec synagōgē signifie « réunion » ou « assemblée », traduisant le mot araméen : kenichtâ (maison de prière). La synagogue remonte à l'exil alors qu'il n'y avait pas de temple, et était répandu dans les pays hors de Palestine où existait une communauté juive importante.
L'édifice est orienté vers Jérusalem. Il consiste en une salle avec une armoire sacrée contenant les rouleaux de la Loi et de Prophètes. Le responsable de la synagogue, ou chef de synagogue, est un laïc choisi par les notables. Il est assisté du hazzan, sorte de sacristain, qui fait aussi fonction de chantre et de maître d'école. Selon la règle, hommes et femmes occupaient séparément les deux côtés de la synagogue. Le local servait également de maison commune à laquelle étaient annexés des services d'entraide.
L'office du sabbat se composait de prières, de lectures de la Loi et d'un passage prophétique, le tout traduit de l'hébreu en araméen, car la plupart des gens ne parlaient qu'araméens et ne comprenaient plus l'hébreu. Le tout s'accompagnait d'une instruction souvent assurée par les Pharisiens, mais qui pouvaient l'être par l'un des assistants. La réunion se terminait avec une bénédiction. En semaine, des scribes enseignaient aux jeunes gens le sens des Écritures. C'est à partir de la synagogue que la jeune communauté chrétienne proclamera sa foi.
(D'après Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Paris : Seuil, 1975, p. 507, et L. Monloubou F.M. Du But, Dictionnaire biblique universel. Paris-Québec : Desclée Anne Sigier, 1984, p. 715.)
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Témoin / témoigner / témoignage |
Sur le témoignage, la langue grecque de la Bible nous offre cinq mots apparentés : le verbe martyreō (être témoin, rendre témoignage), le nom féminin martyria (action de témoigner, témoignage, attestation de), le nom masculin martys (témoin, martyr), et de manière moins fréquente, le verbe martyromai (attester, assurer, appeler à témoigner) et le nom neutre martyrion (preuve, témoignage).
L'idée même de témoignage renvoie à l'expérience de quelqu'un qui a vu de ses propres yeux quelque chose et qui peut en parler : il y a donc deux éléments essentiels, une personne (un chien ne peut pas témoigner), et un événement (on ne peut pas témoigner sur la théorie de la relativité). Dans notre monde moderne, il me semble que la notion de témoignage apparaît dans six contextes différents.
- Contexte judiciaire : on parlera de témoin, appelé devant le juge ou un jury à témoigner ce qu'il a vu et entendu, et ce qu'il aura dit sera considéré comme un témoignage
- Contexte événementiel : on parlera de quelqu'un qui a été témoin d'un accident ou d'une scène de ménage ou d'une catastrophe, qui a vu et entendu ce qui s'est passé, et donc peut en témoigner; les journalistes sont à l'affût du témoignage des gens
- Contexte contractuel : on parlera de quelqu'un qui a été témoin de la signature d'un contrat, par exemple les témoins à un mariage ou à la signature d'un testament
- Contexte d'expérience personnelle : On fera référence à l'expérience particulière vécue par quelqu'un, on parlera également de témoignage : par exemple, un ancien alcoolique racontera ses difficultés avec l'alcool et comment il a réussi à vaincre sa dépendance; on dira qu'il a donné un témoignage
- Contexte du jugement populaire : On parlera aussi de témoignage dans le contexte où des gens expriment un jugement personnel sur quelqu'un ou sur une situation : par exemple, entendre les bons témoignages sur un personnage public
- Contexte d'objets ou d'actions qui ont une valeur symbolique : le témoignage peut renvoyer à des objets ou des gestes, bref à des choses tangibles qui sont l'expression, la preuve ou le signe d'une action, d'un sentiment, d'une attitude, d'une conviction : par exemple, recevoir des témoignages de sympathie, ou d'appréciation, témoigner de son amour envers quelqu'un en lui offrant des fleurs, ou encore une action où on a pu témoigner de son courage
Qu'en est-il dans la Bible? Commençons d'abord par l'Ancien Testament que nous lirons à travers sa traduction grecque, appelée Septante. D'une certaine façon, le monde juif ressemblait au nôtre pour les principaux aspects du témoignage.
- Contexte judiciaire. Le contexte judiciaire est très présent et on a très tôt établi certaines procédures : LXX « Un seul témoin (martys) ne suffira pas contre un homme au sujet de quelque iniquité, de quelque faute, de quelque péché que celui-ci aurait commis ; le jugement s'appuiera sur la bouche de deux témoins (martys) ou la bouche de trois témoins (martys) » (Deutéronome 19, 15); de même, on invite à témoigner avec honnêteté : LXX « Tu ne porteras point de faux témoignage (martyria) contre ton prochain » (Exode 20, 16)
- Contexte événementiel. Quoique dans une moins grande mesure, on parle aussi de témoignage dans un contexte événementiel, comme ce qui suit où une personne doit témoigner de ce qu'elle a vu et entendu : « Si une âme pèche et entend quelqu'un faisant un serment, si elle a été témoin (martys) de la chose, et qu'elle ne découvre pas ce qu'elle a vu et connu elle-même, elle se rendra coupable d'un délit » (Lévitique 5, 1)
- Contexte contractuel. On devine bien que le contexte contractuel est présent depuis la nuit des temps, d'où le besoin d'avoir la preuve d'un contrat : « Abraham répondit : Tu recevras de moi ces sept agneaux, afin qu'ils puissent être un témoignage (martyrion) que c'est moi qui ai creusé le puits » (Genèse 31, 30)
- Contexte du jugement populaire. Ce contexte est présent dans un monde où l'honneur et la réputation sont importants : « La ville murmure contre celui qui est avare en ses repas, et le témoignage (martyria) rendu à son avarice est exact » (Siracide 31, 24)
- Contexte symbolique. Enfin, on parle de témoignage dans le contexte où une chose ou une action a une valeur symbolique, i.e. elle porte un message : « Et, en témoignage (martyrion) de leur perversité, cette terre demeure aride et fumante, et de ses arbres les fruits ne mûrissent pas ; et une statue de sel est le mémorial de la femme incrédule » (Sagesse 10, 7); la terre aride témoigne symboliquement de l'incroyance.
On aura peut-être remarqué qu'on a pu trouver dans l'Ancien Testament des exemples de tous les contextes modernes où on parle de témoignage, à l'exception d'un, celui du témoignage personnel d'une expérience intime; il ne faut pas s'en surprendre, car il fait partie d'une société individuelle et intimiste, où le partage des expériences intérieures est important, ce qui n'était pas le cas dans l'Antiquité. Par contre, on trouve dans le monde juif un cadre que nous n'avons pas nommé jusqu'ici, le cadre religieux. Il faut s'y attarder un peu, car il donne une nouvelle couleur à la notion de témoignage.
Quand Dieu entre en jeu, il y a trois dimensions à la notion de témoignage qui prédominent, celui d'un procès où il faut déterminer le vrai Dieu, celui de l'alliance entre Dieu et son peuple qui fait appel aux signes de ce contrat, et celui des symboles qui témoignent de l'action de Dieu.
- Contexte judiciaire. C'est surtout dans les écrits prophétiques qu'on assiste à un immense procès contre les faux dieux, et chacun amène ses témoins. Les païens ont leurs propres témoins : « Voilà tous les Gentils rassemblés à la fois, voilà leurs princes. Qui d'entre eux annoncera ces choses ? Qui annoncera les choses à partir du commencement ? Qu'ils produisent leurs témoins (martys), qu'ils se justifient, qu'ils écoutent et disent la vérité » (Isaïe 43, 9); les serviteurs de Dieu témoignent aussi à ce procès : LXX « Soyez pour moi des témoins (martys), et moi-même je serai témoin (martys), dit le Seigneur Dieu ; et aussi mon serviteur, celui que j'ai élu, afin que vous sachiez, que vous croyiez et compreniez que je suis. Avant moi il n'y a pas eu d'autre Dieu, et il n'en sera point après moi ». Mais il arrive aussi que Dieu prenne à partie son peuple et témoigne contre lui en raison de sa méchanceté : LXX « Parce qu'ils avaient fait l'iniquité en Israël ; qu'ils avaient commis des adultères avec les femmes de leurs concitoyens, et dit en mon nom des paroles que je ne leur avais point commandé ; et j'en suis témoin (martys) contre eux, dit le Seigneur » (Jérémie 29, 23).
- Contexte contractuel. Pour sceller l'alliance, Dieu a donné à son peuple le deux tables de pierre sur lesquelles étaient inscrite la Loi, le comportement qu'Il attendait de son peuple; respecter cette Loi était signe de fidélité à cette alliance. Or, pour désigner la Loi ou l'ensemble de ses lois écrites « du doigt de Dieu », plusieurs livres (surtout Exode et Deutéronome, mais aussi certains psaumes, ainsi que Nombres et Lévitique) ont utilisé le mot ēdût (עֵדוּת: témoignage), car ces lois servaient de témoin du contrat entre Dieu et son peuple. La Septante a traduit le mot hébreu par le mot grec martyrion au pluriel : les témoignages. C'est ainsi que Moïse réunit son peuple pour expliquer les termes du contrat : LXX « Voici les témoignages (martyrion), les préceptes et les jugements que Moïse fit connaître aux fils d'Israël après leur sortie d'Égypte... » (Deutéronome 4, 45), puis demande au peuple d'exprimer son engagement : LXX « Tu observeras les commandements du Seigneur ton Dieu, les témoignages (martyrion) et les ordonnances qu'il t'a fait connaître » (Dt 6, 17), et enfin place ces témoignages dans l'arche du temple comme rappel de l'engagement : LXX « Et tu mettras dans l'arche les témoignages (martyrion) que je te donnerai » (Exode 25, 16)
- Contexte symbolique. On parle de symbole quand une chose ou une personne témoigne de l'action de Dieu. Par exemple, David est présenté dans ce contexte : « Voilà que j'ai donné aux nations un témoignage (martyrion); c'est lui (David), le prince, le maître des Gentils » (Isaïe 55, 4). Bien souvent, un événement destructeur est vu comme une action de Dieu pour punir le peuple de son infidélité : « Et je (Yahvé) détruirai sa vigne et ses figuiers, parce qu'elle a dit : Ce sont les salaires que m'ont donné mes amants. Et Moi, J'en ferai un témoignage (martyrion); les bêtes des champs viendront y paître, et les oiseaux du ciel, et les reptiles de la terre » (Osée 2, 14).
Dans l'ensemble de l'Ancien Testament, on peut dire que le contexte judiciaire et le contexte contractuel dominent largement. D'une part, sur le plan civil, on doit réglementer les conflits et les procès des hommes, et sur le plan religieux la foi en Yahvé entre en conflit avec les autres dieux dont il faut faire le procès; dans tout cela il faut de bons témoins. D'autre part, l'alliance entre Yahvé et son peuple exige, comme tout contrat, la présence d'un témoin, dont le rôle est joué par les tables de la loi qui seront baptisées « témoignages » et mises dans l'arche comme rappel perpétuel. Bref, le tout a une saveur très légale.
Maintenant, que disent les évangiles-Actes-épitres johanniques sur le témoignage? D'abord, regardons les statistiques :
- le verbe martyreō (être témoin, rendre témoignage) : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 33; Ac = 11; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 4
- le nom féminin martyria (action de témoigner, témoignage, attestation de) : Mt = 0; Mc = 3; Lc = 1; Jn = 14; Ac = 1; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 1
- le nom masculin martys (témoin, martyr) : Mt = 2; Mc = 1; Lc = 2; Jn = 0; Ac = 12; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0
- le verbe martyromai (attester, assurer, appeler à témoigner) : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0
- le nom neutre martyrion (preuve, témoignage) : Mt = 3; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0
Sur les 112 occurrences de ces 5 mots, 64 appartiennent à la tradition johannique, soit 57%. On aura noté que si Jean aime beaucoup les mots martyreō (témoigner) et martyria (témoignage), il n'emploie jamais martys (témoin), martyrion (preuve) ou martyromai (appeler à témoigner); son spectre d'intérêt est très spécifique. C'est ce que nous verrons.
Comme on pouvait s'y attendre, le contexte s'est déplacé avec le Nouveau Testament. Autant les procès et les contrats, en particulier le contrat lié à l'alliance, appelaient au témoignage dans l'Ancien Testament, autant maintenant c'est ce qu'on a vu et entendu et ce qu'on sait qui appelle au témoignage : la résurrection de Jésus est au centre de tout cela. C'est ainsi qu'est apparu un nouveau contexte : celui de la révélation de ce qui était caché, une révélation qui prend sa source dans la foi. Commençons par une vue d'ensemble.
- Contexte judiciaire. Il est peu présent : Mt = 4; Mc = 5; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Dans la majorité des cas, il s'agit du procès de Jésus devant le Sanhédrin, par exemple : « Or, les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un témoignage (martyria) contre Jésus pour le faire mourir et ils n'en trouvaient pas » (Mc 15, 55)
- Contexte événementiel. Ce contexte apparaît fréquemment dans la tradition johannique et dans les Actes des Apôtres: Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 14; Ac = 16; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 5. Dans le récit sur les débuts de la communauté chrétienne, les apôtres qui ont vécu avec Jésus, et surtout qui ont été témoins de sa résurrection, sont appelés à témoigner de ce qu'ils ont entendus et vus : « Dieu l'a ressuscité, ce Jésus; nous en sommes tous témoins (martys) » (Actes 2, 32).
- Contexte contractuel. Il est absent (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0), à une exception près qui est en fait une référence aux tables de la Loi de l'Ancien Testament, appelées « témoignages », et qu'on avait entreposées dans l'arche, placée d'abord dans la tente qui servait de temple au désert, puis au temple de Jérusalem : « Nos pères au désert avaient la Tente du témoignage (martyrion), ainsi qu'en avait disposé Celui qui parlait à Moïse, lui enjoignant de la faire suivant le modèle qu'il avait vu » (Ac 7, 44)
- Contexte du jugement populaire. Ce contexte contribue à la réputation de quelqu'un. On ne le trouve que chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 0; Ac = 4; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Par exemple, « Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation (littéralement, ayant reçu un témoignage (martyreō)), remplis de l'Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office » (Ac 6, 3)
- Contexte symbolique. Dans ce contexte, une chose, une personne ou un événement est un signe, il porte un message. On le rencontre peu souvent : Mt = 1; Mc = 2; Lc = 2; Jn = 2; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Chez les premiers chrétiens, les miracles opérés par les disciples sont un témoignage venu de Dieu : « Paul et Barnabé prolongèrent donc leur séjour assez longtemps, pleins d'assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage (martyreō) à la prédication de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains » (Ac 14, 3)
- Contexte apocalyptique. Le mot apocalypse renvoie à la révélation de ce qui était caché. Dans ce contexte, témoigner signifie témoigner de ce qu'on sait, i.e. le proclamer, l'affirmer; l'accent est sur la connaissance, et une connaissance qui vient de la foi. C'est une signification du mot qu'on retrouve dans le Nouveau Testament, et qui était absent de l'Ancien Testament, et est également absent de notre culture moderne : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 30; Ac = 3; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Par exemple, « C'est de lui que tous les prophètes rendent ce témoignage (martyreō) que quiconque croit en lui recevra, par son nom, la rémission de ses péchés » (Ac 10, 43). Comme on peut le constater, c'est la tradition johannique qui l'a mise de l'avant.
Il est maintenant temps de nous centrer sur cette tradition johannique. On n'y retrouve vraiment que trois contextes (le contexte judiciaire apparaît brièvement sous la forme d'une référence à l'Ancien Testament en 8, 17 : « et il est écrit dans votre Loi que le témoignage (martyria) de deux personnes est valable »).
- Contexte événementiel. Nous avons déjà précisé qu'il fait habituellement référence à l'expérience vécue avec Jésus de Nazareth et de sa résurrection. Mais dans la tradition johannique, ce contexte prend d'autres couleurs.
- Commençons avec ce contexte commun avec les synoptiques et les Actes où il s'agit de témoigner sur les événements entourant Jésus, comme on le trouve à la fin de l'évangile : « C'est ce disciple qui témoigne (martyreō) de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage (martyria) est véridique » (21, 24). Un appendice à ce témoignage général est celui plus particulier à la mort de Jésus, quand un soldat perce son côté et qu'il en sort du sang et de l'eau, signe du don de l'Esprit : « Celui qui a vu rend témoignage (martyreō) - son témoignage (martyria) est véritable, et celui-là sait qu'il dit vrai - pour que vous aussi vous croyiez » (19, 35).
- Parfois le témoignage est retreint à des événements particuliers reliés à ce que Jésus a dit et fait, par exemple ce qu'il a dit à la Samaritaine : « Un bon nombre de Samaritains de cette ville crurent en lui à cause de la parole de la femme, qui témoignait (martyreō) : "Il m'a dit tout ce que j'ai fait." » (4, 39); ou encore, ce qu'il a fait pour Lazare : « La foule qui était avec lui, quand il avait appelé Lazare hors du tombeau et l'avait ressuscité d'entre les morts, rendait témoignage (martyreō) » (12, 17).
- Mais il peut s'agir aussi d'être témoin du comportement d'un individu, en particulier du comportement exemplaire de sa vie chrétienne, comme on le voit dans la 3e lettre de Jean, d'abord en introduction quand l'auteur s'adresse à Gaïus : « Je me suis beaucoup réjoui des frères qui sont venus et qui ont rendu témoignage (martyreō) à ta vérité, je veux dire à la façon dont tu vis dans la vérité » (1, 6; voir aussi 1, 6.12).
- Il y a le cas unique de Jean Baptiste qui nous introduit à cette couleur proprement johannique du témoignage. Car son témoignage est une révélation et une affirmation sur l'identité de Jésus. Mais il ne part pas d'une expérience ordinaire, comme c'est le propre du contexte événementiel, mais d'une forme de vision mystique : « Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, celui-là m'avait dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint. Et moi, j'ai vu et je témoigne (martyreō) que celui-ci est l'Élu de Dieu » (1, 33-34; voir aussi 3, 28 qui en fait écho).
- Dans la même ligne, il y a le témoignage de toute la communauté johannique. Cette communauté dans son ensemble, à la fin du premier siècle, n'a pas connu Jésus sur les routes de Palestine, mais elle se permet de dire qu'elle a « vu » celui qui est la Vie, sans doute un écho de son expérience de foi : « Car la Vie s'est manifestée: nous l'avons vue, nous en rendons témoignage (martyreō) et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1, 2; voir aussi 1 Jn 4, 14). Témoigner est synonyme de témoigner de sa foi en l'identité véritable de Jésus, et donc se situe au niveau d'un savoir qu'on révèle et qu'on proclame.
- Enfin, il y a le cas particulier du témoignage dans la bouche même de Jésus. On peut être surpris de voir rangé dans le contexte événementiel le témoignage de Jésus : de quel événement peut-il témoigner? Ce passage nous éclaire : « (Celui qui vient du ciel) témoigne (martyreō) de ce qu'il a vu et entendu, et son témoignage (martyria), nul ne l'accueille » (3, 32; voir aussi 3, 11.33). Jésus appartient à cette classe unique de quelqu'un qui a fait l'expérience de l'intimité de Dieu, et donc peut le révéler et le faire connaître. Pour Jean, le contenu de cette révélation s'appelle : la vérité (alētheia); témoigner, c'est faire connaître la vérité, i.e. l'intimité de Dieu, ce qui inclut son envoyé, Jésus.
- Contexte symbolique. Il n'y a que deux références réelles, mais elles sont fondamentales dans le récit de l'évangile de Jean. Car tout son évangile peut se diviser en deux parties, l'évangile des signes (ch. 1-12), et l'évangile de la gloire (ch. 13-21)(Voir R. E. Brown, The Gospel According to John : Garden City : New York, Double Day (The Anchor Bible, v. 29-29a), 1966). Or, les signes renvoient aux actes de puissance de Jésus, communément appelés miracles (l'eau changée en vin aux noces de Cana (Jn 2, 1-11), la guérison de l'enfant du fonctionnaire royal à Capharnaüm (Jn 4, 46-54), la guérison du paralytique à la piscine de Bethzatha (Jn 5, 1-9), l'alimentation d'une foule en pains (Jn 6, 1-14), la guérison de l'aveugle-né (Jn 9, 1-7), la résurrection de Lazare (Jn 11, 1-45)). Ces signes ne sont pas neutres, mais elles donnent un témoignage : « Mais j'ai plus grand que le témoignage (martyria) de Jean: les oeuvres que le Père m'a donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage (martyreō) que le Père m'envoie » (5, 36; voir aussi 10, 25). Ces oeuvres, ce sont les actes de puissance de Jésus, ce qu'on appelle ses miracles, qui sont un témoignage, i.e. qui confirment qu'en Jésus c'est Dieu qui agit.
- Contexte apocalyptique. C'est le plus important dans la tradition johannique. Le début de l'évangile donne le ton : Au commencement était la parole, et cette parole s'est faite chair, et cela s'est fait révélatrice de ce qui était inaccessible au genre humain, et cette connaissance est lumière et vie.
Mais commençons par les occurrences du témoignage qui ne sont pas centrées sur la révélation du mystère de Dieu en Jésus.
- Il peut s'agir de la révélation du coeur humain : « Il (Jésus) n'avait nul besoin qu'on lui rendît témoignage (martyreō) au sujet de l'homme : il savait, quant à lui, ce qu'il y a dans l'homme » (2, 25)
- Dans cette même ligne, on peut révéler la méchanceté humaine : « Le monde ne peut pas vous haïr, tandis que moi, il me hait parce que je témoigne (martyreō) que ses oeuvres sont mauvaises » (7, 7)
- C'est ainsi que Jésus fait connaître les intentions de celui qui est sur le point de le livrer : « Ayant ainsi parlé, Jésus fut troublé intérieurement et il témoigna (martyreō) : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un d'entre vous va me livrer » (13, 21)
- À l'inverse, on peut demander à quelqu'un de révéler en quoi une parole est mauvaise : « Jésus lui répondit : « Si j'ai mal parlé, témoigne (martyreō) en quoi ; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
- Ainsi, bien souvent le verbe « témoigner » pourrait être remplacé par « déclarer », comme l'exemple suivant : « Il avait en effet témoigné (martyreō) lui-même qu'un prophète n'est pas honoré dans sa propre patrie » (4, 44)
- Quand le témoignage est centré sur une personne, il vise à en révéler l'identité, comme c'est le cas pour Jean-Baptiste par lui-même : « Et voici quel fut le témoignage (martyria) de Jean lorsque, de Jérusalem, les autorités juives envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question : « Qui es-tu ?... Il affirma : "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : "Aplanissez le chemin du Seigneur", comme l'a dit le prophète Esaïe" » (1, 19.23
Ainsi, « témoigner » peut renvoyer à une affirmation ou à une déclaration sur la vie ordinaire ou sur des gens. Mais la plupart du temps, le témoignage est centré sur la personne de Jésus. Intéressons-nous à deux points : qui fait ce témoignage? Quel est son contenu?
Qui fait le témoignage?
Sept acteurs sont nommés dans l'évangile de Jean.
- Le premier nommé est Jean-Baptiste : « Il y eut un homme, envoyé de Dieu : son nom était Jean. Il vint en témoignage (martyria), pour rendre témoignage (martyreō) à la lumière, afin que tous croient par lui » (1, 6-7)
- Mais il y a aussi les actions d'éclats de Jésus, ses guérisons et sa ressuscitation de Lazare, le tout regroupé sous le titre de « oeuvres », qui portent témoignage sur l'identité de Jésus : « Or je possède un témoignage (martyria) qui est plus grand que celui de Jean : ce sont les oeuvres que le Père m'a données à accomplir ; je les fais et ce sont elles qui portent à mon sujet témoignage que le Père m'a envoyé » (5, 36)
- Derrière les actes guérisons, c'est l'action de Dieu Père qui se profile : « Le Père qui m'a envoyé a lui-même porté témoignage (martyreō) à mon sujet. Mais jamais vous n'avez ni écouté sa voix ni vu ce qui le manifestait » (5, 37)
- Tout comme on le note chez les autres évangélistes, c'est dans les Écritures qu'on trouve la source pour comprendre les événements autour de Jésus, et par là ils deviennent une forme de témoignage : « Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez acquérir par elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage (martyreō) à mon sujet » (5, 39)
- Au moment où Jésus prépare son départ, il annonce l'arrivée d'un autre témoin, l'Esprit ou le Paraclet : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage (martyreō) de moi » (15, 26; voir aussi 1 Jn 5, 6-8)
- Et il y a le témoignage que Jésus se rend à lui-même dans l'évangile de Jean. Après s'être proclamé « lumière du monde », les Pharisiens lui reprochent de se rendre témoignage à lui-même, ce que Jésus reconnaît : « Jésus leur répondit : « Il est vrai que je me rends témoignage (martyreō) à moi-même, et pourtant mon témoignage (martyria) est recevable, parce que je sais d'où je viens et où je vais ; tandis que vous, vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais » (8, 14)
- Enfin, il y a le témoignage que les disciples de Jésus rendront : « Et à votre tour, vous me rendrez témoignage (martyreō), parce que vous êtes avec moi depuis le commencement » (15, 17)
Quel est son contenu?
Suivons la piste de ceux qui ont témoigné.
- Dans son témoignage, Jean-Baptiste dit trois choses; tout d'abord, de manière directe, il dit que Jésus est lumière du monde (1, 7), et qu'il « le précède », ce qui peut s'entendre sur le plan hiérarchique (plus grand), et sur le plan temporel (a existé avant) : « Voici celui dont j'ai dit : après moi vient un homme qui m'a devancé (litt. devant moi il est venu), parce que, avant moi, il était (litt. : premier de moi était) » (1, 15). De manière indirecte, à travers Jésus, nous apprenons qu'il a témoigné de la vérité : « Vous avez envoyé une délégation auprès de Jean, et il a rendu témoignage à la vérité » (5, 33)
- De quoi les oeuvres (l'eau changée en vin aux noces de Cana (Jn 2, 1-11), la guérison de l'enfant du fonctionnaire royal à Capharnaüm (Jn 4, 46-54), la guérison du paralytique à la piscine de Bethzatha (Jn 5, 1-9), l'alimentation d'une foule en pains (Jn 6, 1-14), la guérison de l'aveugle-né (Jn 9, 1-7), la résurrection de Lazare (Jn 11, 1-45)) peuvent-elles témoigner? On pourrait le résumer ainsi : la vie en plénitude apportée par Jésus.
- La façon pour le Père de témoigner est d'accomplir à travers Jésus toutes ces oeuvres, communément appelées miracles, appelées « signes » par Jean, et qui, dans la bouche de Jésus, veulent témoigner qu'il a vraiment été envoyé par Dieu, qu'il est son représentant et son visage : « Le Père qui m'a envoyé a lui-même porté témoignage à mon sujet. Mais jamais vous n'avez ni écouté sa voix ni vu ce qui le manifestait » (5, 37)
- Les Écritures témoignent que Jésus est la source de la vie éternelle : « Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez acquérir par elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage à mon sujet. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie éternelle » (5, 39-40)
- Quant au Paraclet, son témoignage peut être déduit de son synonyme : « Esprit de vérité », et l'évangéliste le précise ainsi : « Lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir » (16, 13); ainsi le disciple sera en mesure de comprendre tout ce que Jésus a dit et fait
- La référence au témoignage par Jésus sur lui-même apparaît en 8, 12 : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie ». Mais si on recueille toutes les affirmations de Jésus sur lui-même avec l'expression « Je suis », on obtient une petite liste :
- Je suis le messie (4, 26)
- Je suis le pain de vie (6, 35)
- Je suis la porte des brebis (10, 7)
- Je suis le bon berger (10, 11)
- Je suis la résurrection (11, 25)
- Je suis le chemin, la vérité et la vie (14, 6)
- Je suis la vigne véritable (15, 1)
Tout cela sans inclure l'expression « Je suis » sans attribut, une allusion au titre même de Dieu. Devant Pilate, Jésus résumera ainsi le témoignage qu'il est venu apporter : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (18, 37)
- Pour connaître le contenu du témoignage des disciples, il faut se tourner vers la fin de la première lettre de Jean où l'auteur affirme que Jésus est source la vie éternelle : « Et voici ce témoignage: c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son Fils » (1 Jn 5, 11)
Comment résumer ce contexte apocalyptique? Le témoignage est d'abord la communication d'un savoir, un savoir qui a jusqu'ici échapper à l'humanité. Voilà pourquoi l'évangéliste peut dire que Jean-Baptiste est venu rendre témoignage à la lumière et que Jésus se proclame lumière du monde. Ce savoir pourrait se résumer ainsi : en Jésus nous avons pu voir l'intimité de Dieu, un Dieu qui est Père, un Dieu qui aime, un Dieu qui guérit, un Dieu qui veut partager sa vie éternelle, et donc invite à entrer dans cette intimité, à cohabiter avec lui en quelque sorte. Cette connaissance est chemin et vie, car en révélant le chemin à prendre, elle nous indique comment devenir enfants de Dieu, partageant la même vie. C'est tout cela que Jean appelle « la vérité », et qui s'incarne dans une personne, Jésus de Nazareth.
En terminant, on pourrait se demander : dans cette révélation de Dieu en Jésus, pourquoi avoir utilisé le verbe « témoigner », et les noms « témoin » et « témoignage »? Tout d'abord, l'ensemble de l'évangile de Jean apparaît comme un grand procès où s'affrontent les communautés chrétienne et juive : en fait la communauté johannique semble au banc des accusés et doit produire des éléments de preuves démontrant que Jésus est vraiment l'envoyé de Dieu. Mais il ya plus. Contrairement aux conclusions de la science qui s'imposent à l'intelligence humaine, ce que révèle Jésus de Dieu fait appel à une disposition du coeur, et donc à la liberté humaine et à la foi. C'est ainsi que Jean peut conclure son évangile qu'il nous présente comme son propre témoignage : « Ceux-ci (les signes rapportés) l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20, 31). L'évangile ne peut être présenté que sous forme de témoignage. .
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Vérité |
(D'après Alētheia, Pierre Létourneau, Nouveau vocabulaire biblique. Paris-Montréal : Bayard Médiaspaul, 2004, p. 263-271)
L'adjectif alēthēs (vrai, sincère, réel, authentique) est composé de la racine verbale lanthanō (être caché, ignoré, passer inaperçu), précédée du préfixe négatif a-. Il qualifie donc ce qui ne passe pas inaperçu, ce qui n'est pas caché, qui n'est pas dissimulé. Homère l'utilise pour parler des personnes qui ne mentent pas ou ne se trompent pas. Le nom féminin alētheia désigne la « vérité », i.e. le discours qui ne cache rien, par opposition à l'erreur, au mensonge ou aux apparences. Le verbe alētheuō signifie : dire la vérité, et l'adjectif alēthinos (véritable, sincère) suggère l'idée d'authenticité en faisant par exemple référence aux vrais amis ou aux matières véritables.
L'Ancien Testament
La Septante a traduit la plupart du temps par le mot alētheia le terme hébraïque : ʾĕmet (אֱמֶת, vérité, fidélité, loyauté). Dans le monde juif, ʾĕmet est utilisé surtout pour exprimer trois faits de la vie : la conformité avec la réalité, la sincérité d'une personne, la solidité d'une chose ou d'une personne.
- La conformité avec la réalité
Le mot sert parfois à exprimer l'adéquation avec la réalité ou l'exactitude d'une affirmation, tout comme aujourd'hui quand on affirme qu'une chose est vraie : « Mais si la chose est vérité (ʾĕmet / LXX : ep alētheias) et qu'on n'ait pas trouvé à la jeune femme les signes de la virginité » (Dt 22, 20)
- La sincérité ou la bonne foi d'une personne
Dans certains cas, c'est l'attitude d'une personne qui est en cause, et alors ʾĕmet sert à assurer de la bonne foi ou de la sincérité de la personne, qui n'a pas d'arrière pensée : « Ainsi donc, si c'est en vérité (ʾĕmet / LXX : en alētheia) et en toute sincérité que vous avez agi et que vous avez fait roi Abimélek » (Jg 9, 16)
- La solidité d'une chose ou d'une personne
Dans le mot ʾĕmet on trouve aussi l'idée de solidité, de loyauté et de fidélité. Ainsi, un homme de vérité est quelqu'un de « sûr », fiable, sur qui on peut compter, comme le montre ce conseil du beau-père de Moïse à ce dernier pour qu'il choisisse des juges : « Mais choisis-toi parmi tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des hommes de vérité (ʾĕmet / LXX : dikaious), incorruptibles, et établis-les sur eux comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaines et chefs de dizaines (Ex 18, 21). Cette fois-ci, la Septante a préféré traduire ʾĕmet par le mot grec dikaios : juste. Dans la même ligne, les commandements de Dieu sont des lois de vérité, car elles constituent une norme sûre pour la vie : « Tu es descendu sur le mont Sinaï, et du ciel leur as parlé; et tu leur as donné des ordonnances justes, des lois de vérité (ʾĕmet / LXX : alētheias), des préceptes et des commandements excellents » (Ne 9, 13).
Il va sans dire que le terme de vérité convient avant tout à Yahvé, qui est décrit comme un Dieu de « grâce et de vérité (fidélité) » : « Yahvé passa devant lui (Moïse) et il cria: "Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce (ḥesed) et en vérité (ʾĕmet) » (Ex 34, 6).
Nouveau Testament
Dans le Nouveau Testament, les différentes formes d'alētheia se concentrent dans les écrits johanniques et pauliniens ; par exemple le substantif alētheia apparaît ainsi : Mt = 1; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 25; Ac = 3; 1Jn = 9; 2Jn = 5; 3Jn = 6; 1Th = 0; 2Th = 3; Ph = 1 ; 1Co = 2 ; 2Co = 8 ; Ga = 3 ; Rm = 8 ; Col = 2 ; Ep = 6 ; Phm = 0 ; 1Tm = 6 ; 2Tm = 6 ; Tt = 2; Jc = 3 ; 1P = 1 ; 2P = 2 ; Jude = 0 ; He = 1 ; Ap = 0. Dans l'ensemble, on y retrouve également les trois grands champs sémantiques repérés dans l'Ancien Testament.
- La conformité avec la réalité
En ce sens, alētheia entend désigner un rapport aux faits : « Oui, en vérité, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d'Israël » (Ac 4, 27); il ne s'agit moins de sincérité que d'exactitude : « En vérité, celui-là aussi était avec lui, et d'ailleurs il est Galiléen! » (Lc 22, 59). Nous sommes dans un monde purement objectif.
- La sincérité ou la bonne foi d'une personne
Alētheia désigne ici ce qui est vrai, droit et sincère et apparaît souvent dans l'expression : dire la vérité (legein / lalein tēn alētheian) : « Alors la femme, craintive et tremblante, sachant bien ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité » (Mc 5, 33). De même Paul l'utilise comme un argument rhétorique pour convaincre son auditoire de la sincérité de sa parole : « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens point -- ma conscience m'en rend témoignage dans l'Esprit Saint » (Rm 9, 1). Dans ce cadre, Jésus est présenté comme celui qui enseigne en vérité, i.e. qui exprime ouvertement et sincèrement sa pensée, sans être à la remorque de qui que ce soit et sans se laisser influencer par les apparences : « Maître, nous savons que tu es véridique (alēthēs) et que tu ne te préoccupes pas de qui que ce soit; car tu ne regardes pas au rang des personnes, mais tu enseignes en toute vérité (alētheia) la voie de Dieu » (Mc 12, 14). Cette sincérité est l'opposé de l'hypocrisie (voir Ph 1, 18) ou de l'imposture (voir 2 Co 6, 8).
- La solidité d'une chose ou d'une personne
Ici, on a eu tendance à opposer la notion hébraïque et hellénistique de vérité, l'un ayant la connotation plus existentielle de se fier à quelqu'un de sûr, exprimée par exemple par le verbe ʾāman, d'où est tiré notre Amen, l'autre une connotation de véracité-sincérité. On trouve dans le Nouveau Testament des passages où prédomine l'idée d'une chose ou d'une personne sûre, solide, fiable.
- Paul s'insurge contre ceux qui se sont laissés séduire par des prodiges mensongers, au lieu de se fier aux choses sûres : « et par toutes les séductions de l'injustice pour ceux qui se perdent, faute d'avoir accueilli l'amour de la vérité (alētheia) qui les aurait sauvés... afin que soient jugés tous ceux qui n'ont pas cru à la vérité (alētheia) mais ont pris plaisir à l'injustice (2 Th 2, 10.12)
Comme on peut le noter ici, la vérité s'oppose à l'injustice : la vérité est vue comme synonyme de l'évangile, un chemin qui conduit à la vie, alors que l'injustice est vue comme un chemin tordu qui ne mène nulle part, sinon à la perdition. On retrouve cette idée en Rm 1, 25 : « Ils ont échangé la vérité (alētheia) de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen ». Quoi de plus solide que la parole de Dieu!
- La vérité de la doctrine chrétienne ou orthodoxie
Dans les lettres pastorales et les lettres catholiques, apparaît une nouvelle connotation au mot « vérité », celle de la doctrine authentique : « Toutefois, si je tardais, tu sauras ainsi comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité (alētheia) » 1 Tm 3, 15. Accepter la vérité, c'est accepter le message chrétien : « (Dieu notre Sauveur) qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (alētheia) » (1 Tm 2, 4).
Les écrits johanniques
En raison de l'importance du mot alētheia, ces écrits méritent un traitement particulier.
- La vérité comme révélation de Dieu
Au-delà de la vérité comme adéquation avec la réalité, ou sincérité dans l'attitude personnelle, ou même la solidité d'une personne ou d'une chose, la vérité est ce que Dieu révèle de lui-même dans la personne de Jésus.
- « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité (alētheia), il tient du Père » (1, 14)
- « Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité (alētheia) sont venues par Jésus Christ » (1, 17)
Nous avons vu que dans l'Ancien Testament, grâce (ḥesed) et vérité (ʾĕmet) étaient l'attribut de Dieu, maintenant ils sont l'attribut de Jésus, un attribut qu'il tient de son Père. Et on ne peut saisir cette vérité qu'en s'ouvrant à la vie et aux paroles de Jésus. D'où la phrase : « Je suis le chemin et la vérité (alētheia) et la vie. Personne ne va au Père si ce n'est par moi » (14, 6). En d'autres mots, Jésus est vérité parce qu'il manifeste l'être véritable du Père, ce qui en fait le chemin authentique vers Dieu, dont la connaissance instaure une communion de vie stable et durable.
- La vérité comme connaissance intime du Père
La vérité johannique n'est pas une catégorie théorique ou philosophique se laissant définir en une sentence, mais plutôt une connaissance intime du Père qui s'acquiert par un attachement durable au fils dans la foi. Voilà pourquoi Pilate n'y comprend rien (« Qu'est-ce que la vérité? », 18, 38), voilà pourquoi cela n'est possible qu'avec l'aide de l'Esprit ou Souffle de vérité : « Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité (alētheia), il vous introduira dans la vérité (alētheia) tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu'il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir » (16, 13). C'est cette connaissance intime du Père qui permet de vivre comme Jésus et comme Lui, d'où cette phrase : « Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité (alētheia) ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père » (4, 23)
- La vérité comme témoignage
Parce que la vérité est une entrée dans l'intimité du Père, elle ne peut être communiquée que par un témoignage vivant, et non par un enseignent magistral : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (alētheia). Quiconque est de la vérité (alētheia) écoute ma voix » (18, 37). À l'inverse, pour accueillir ce témoignage, il faut une prédisposition intérieure, appelée ici : être de la vérité (ek tēs alētheias). Ailleurs, on apprend que cette prédisposition s'appuie sur une vie authentique : « celui qui fait la vérité (alētheia) vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses oeuvres sont faites en Dieu » (3, 21).
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Vêtements dans le Nouveau Testament |
Trois mots grecs servent à désigner ce qui constituait lhabillement habituel des gens en Palestine tel que nous le décrit le Nouveau Testament : chitōn, traduit généralement par tunique, himation traduit généralement par manteau, et stolē traduit généralement par robe. On peut dire que lhabillement normal était composé de deux pièces de vêtement : la tunique ( chitōn), un vêtement court et léger qui se portait directement sur la peau, sur laquelle on revêtait le manteau ( himation) pour la vie en société. Quant au stolē, il était le manteau dapparat pour les grandes occasions et ressemblait à une robe ample. Regardons de plus près.
Commençons avec chitōn (Mt = 2; Mc = 2; Lc = 3; Jn = 2; Ac = 1; 1Jude = 1) qui est cette tunique ou chemise quon portait directement sur la peau et servait de sous-vêtement. Cest ainsi quun Jude écrit : « les autres (les déviants de la communauté) enfin, portez-leur une pitié craintive, en haïssant jusquà la tunique (chitōn) contaminée par leur chair » (1, 23); si la tunique a été contaminée par la chair, cest quelle se portait directement sur la chair. Aussi, quand Jean 19, 23 mentionne que les soldats firent quatre parts avec les vêtements (himation) de Jésus, puis quand ils arrivèrent à la tunique (chitōn) qui était sans couture, ils décidèrent de ne pas la déchirer et de la tirer au sort, il se trouve à dire que Jésus sest retrouvé complètement nu pour être crucifié (sur la nudité de Jésus à la crucifixion, voir R.E. Brown). Quand le Jésus de Marc envoie ses disciples en mission en leur disant : « Ne mettez pas deux tuniques », il les invite à voyager léger. Pour sa part, Luc met cette parole dans la bouche de Jésus dans son discours dans la plaine : « à qui tenlève ton manteau (himation), ne refuse pas ta tunique (chitōn) »; cela signifie aller jusquà donner ses sous-vêtements et se retrouver nu.
Cette tunique était un vêtement léger et minimal, qui cachait sa nudité. Le fait quil était léger permettait le travail physique. Cest ainsi que les agriculteurs, par exemple, travaillaient au champ revêtus simplement de la tunique, sans le manteau : « et que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau (himation) (Mc 13, 16) ». Et on peut également affirmer que cette tunique était de moindre valeur quun manteau, car le grand prêtre, pour exprimer son indignation, ne se gêne pas, nous dit Marc 14, 63, de déchirer ses tuniques (en avait-il plusieurs?); il fait on déchirait simplement le haut ou le col de la tunique.
Le mot le plus courant pour parler des vêtements est himation : Mt = 13; Mc = 12; Lc = 10; Jn = 6; Ac = 8; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Il sagit dune pièce détoffe rectangulaire portée sur le chiton, donc une sorte de manteau utilisé comme survêtement. Chez les Romains, himation fait référence à la toge. Comme laffirme Jn 19, 23, Jésus portait la tunique (chiton) directement sur la peau, sur lequel il mettait un manteau (himation). Cest ainsi que lhémorroïsse réussi à toucher par derrière à ce manteau dans lespoir dêtre guérie (voir Mc 5, 27). Quand Marc 10, 50 écrit que laveugle Bartimée, quand il se fait appeler, rejette son manteau, bondit et vint à Jésus, on imagine que le manteau était lourd et encombrant, et donc permettait difficilement de courir. De même, Jésus doit se départir de son manteau encombrant pour pouvoir laver les pieds de ses disciples (Jn 13, 4).
Le manteau appartient à la vie sociale, et on nest pas surpris dapprendre par Lc 8, 27 quun possédé du démon navait pas mis de manteau (himation) depuis longtemps et ne demeurait pas dans une maison, mais dans les tombes. Et cest le manteau de Jésus qui devient resplendissant lors de la scène de la transfiguration (voir Mc 9, 3). Ainsi, en public on portait toujours le manteau, ce qui explique que les gens aient pu étendre leurs manteaux devant Jésus dans son entrée triomphale à Jérusalem (Mc 11, 8).
Comme aujourdhui, ce vêtement pouvait être de différentes qualités. Cest ce que laisse entendre Lc 7, 25, en mettant cette parole dans la bouche de Jésus, en référence à Jean-Baptiste : « Alors quêtes-vous allés voir? Un homme vêtu dhabits (himation) délicats? » De même, l Pierre 3, 3 fait cette mise en garde : « Ne cherchez pas à vous mettre en valeur par des moyens extérieurs : cheveux tressés, colliers dor ou vêtements (himation) élégants ». Quand Jean 19, 2 écrit que les soldats romains ont revêtus Jésus dun manteau (himation) pourpre, on comprend bien quil sagit dun habit royal.
Le manteau est très lié à la personne, elle est en quelque sorte son identité. Ainsi, quand les témoins de la lapidation dÉtienne déposent leurs vêtements (himation) aux pieds de Saul (Actes 7, 58), ils laissent un témoignage et une preuve de leur accord (voir Actes 22, 20).
Bref, les deux pièces de vêtement des gens étaient la tunique (chiton), portée sur la peau, et le manteau (himation) mis sur la tunique. Aussi, la chrétienne Dorcas dont on pleure la mort, couvrait par son travail lensemble de lhabillement des gens : « Aussitôt arrivé, on le fit monter à la chambre haute, où toutes les veuves en pleurs sempressèrent autour de lui, lui montrant les tuniques (chiton) et les manteaux (himation) que faisait Dorcas lorsquelle était avec elles » (Ac 9, 39).
Dans ce contexte, où situer stolē? Nous sommes devant une pièce de vêtement comme himation. Mais, d'après W. Grimm (Greek-English Lexicon of the New Testament), il s'agirait d'une pièce de vêtement ample qui descendait jusqu'aux pieds et réservé aux hommes. Malheureusement, nous n'avons que trois occurrences dans les évangiles pour nous faire une idée de ce qu'est ce vêtement : il y a Mc 12, 38 qui dénonce les Pharisiens qui aiment se promener en longues robes (stolē), il y a aussi Mc 16, 5 qui parle de ce jeune homme assis à droite du tombeau, vêtu d'une robe (stolē) blanche et Lc 15, 22, une parabole où le père veut célébrer le retour de son fils perdu et demande aux serviteurs de revêtir son fils de son « premier » vêtement (stolē), qu'on traduit habituellement par « sa plus belle robe » (on ne compte pas Lc 20, 46 dans le nombre d'occurrences, car c'est une copie de Mc 12, 38). Ailleurs dans le Nouveau Testament, on le retrouve dans l'Apocalypse où il est utilisé de manière synonyme à himation. Agrandissons donc notre champ de recherche pour inclure la Septante où stolē apparaît environ 90 fois. Par contre, tout comme pour le Nouveau Testament, himation est beaucoup plus fréquent (environ 214 fois).
Quand on parcourt l'ensemble de l'Ancien Testament, on se rend compte que la traduction grecque de la Septante a associé stolē à un vêtement d'une certaine qualité. Par exemple, Gn 41, 42 :
LXX : Puis, le Pharaon ôtant l'anneau de sa main, le mit à la main de Joseph ; il le revêtit d'une robe (stolē, héb. beged) de lin (byssinos, héb. shesh) le plus fin, et lui passa autour du cou un collier d'or.
Les vêtements de lin sont considérés d'une qualité supérieure, et c'est ainsi que Pharaon honore Joseph. Dans la même ligne, nous avons ce passage d'Ézéchiel 10, 2 :
LXX : Et le Seigneur dit à l'homme revêtu d'une robe (stolē, héb. bad = lin) : Entre au milieu des roues sous les chérubins, et prends à pleines mains des charbons au foyer qui est entre les chérubins, et disperse-les sur la ville. Et il y entra devant moi.
Le texte hébreu parle de bad, une étoffe de lin, et la Septante l'a traduit par stolē, et certains ont traduit stolē en français par : longue robe, pour essayer de rendre l'idée d'un vêtement de qualité. Mais tout cela est clarifié plus loin quand Ézéchiel parle de l'entrée au temple des prêtres lévites : « lorsqu'ils entreront par la porte du parvis intérieur, ils seront revêtus de robes (stolē, héb. beged) de lin (linon, héb. pesheth) » (44, 17).
Le stolē est souvent mentionné comme manteau des rois.
LXX : Et ce jour-là, j'appellerai mon serviteur Elyaqim fils d'Hilqiyyahu. Et je le revêtirai de ta robe (stolē, héb. kethoneth = tunique), et je lui donnerai ta couronne avec l'empire, et je confierai ton ministère à ses mains, et il sera comme un père pour ceux qui résident à Jérusalem et habitent en Judée. Et je lui donnerai la gloire de David, et il gouvernera, et il n'aura point de contradicteur (Isaïe 22, 20-22)
C'est l'annonce de l'intronisation du roi Elyaqim. Mais il n'y a pas que les rois qui porte le stolē, il y a aussi les prêtres qui doivent officier au temple.
LXX : Après quoi, Aaron entrera dans le tabernacle du témoignage, il ôtera la robe (stolē, héb. beged) de lin (linon, héb. bad) qu'il aura revêtue pour entrer dans le sanctuaire, et il l'y déposera. (Lv 16, 23)
Cette présentation du prêtre avec un vêtement de qualité a un écho jusque dans le Siracide, écrit probablement au 2e s. av. J.C.
LXX : Quand il (le grand prêtre Simon) avait pris la robe (stolē) d'honneur (doxa), et revêtu tous ses ornements, et qu'il montait à l'autel saint, il faisait resplendir les abords du sanctuaire (Si 50, 11)
Malgré tout ce que nous venons de dire, stolē ne doit pas être considéré comme un terme technique pour désigner un vêtement spécifique. D'ailleurs, nous avons pu le remarquer : pour le désigner comme vêtement de qualité, il faut ajouter un qualificatif : de lin, ou d'honneur, ou beau. En soi, il pourrait désigner n'importe quel vêtement, comme on le voit en Deutéronome 22, 5 :
LXX : La femme ne portera pas de vêtements (skeuē, héb. keli = tenue) d'homme, l'homme ne portera pas de robe (stolē, héb. simlah = manteau) de femme ; quiconque fait ces choses est en abomination au Seigneur ton Dieu.
Le fait même que la Septante a traduit la référence à un manteau féminin par stolē, alors que Grimm, plus tôt, nous dit dans son dictionnaire que stolē est un vêtement d'homme, confirme que ce mot doit être pris au sens général de vêtement, même si c'est ce mot que la Septante préfère à himation lorsqu'il entend décrire un vêtement de qualité.
Il est temps de conclure. Dans la Bible, les gens portent deux types de vêtements. Il y a dabord la tunique (chitōn), un vêtement léger qui se portait directement sur la peau. Cest probablement ce vêtement quon portait dans lintimité de la maison ou pour des tâches manuelles, comme le travail au champ. Sur la tunique, on revêtait le manteau (himation) quand on sortait de la maison et circulait dans le village ou la ville. Ce manteau variait en qualité selon les moyens financiers de la personne. Quand ce manteau est dune grande qualité, on tend à utiliser le terme stolē, par exemple dans le récit de lenfant prodigue où le père donne à son fils retrouvé la « plus belle robe » (stolē).
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Textes sur chiton dans le Nouveau Testament
Textes sur himation dans le Nouveau Testament
Textes sur stolē dans le Nouveau Testament
Le chitōn

Himation

Toge romaine qui donne une idée du stolē
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