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Sommaire
Nous assistons au petit matin à la fin du procès juif qui sest déroulé de nuit. La décision est prise par les représentants des autorités juives de le condamner à mort, et donc de le livrer au païen Pilate. On peut être surpris quon aille chez Pilate si tôt le matin, mais cela correspond aux habitudes romaines. Aussi Marc, suivi de Matthieu, raconte quon lie alors Jésus, ce quignore Luc par respect pour lui. Chez Jean, comme le procès juif a eu lieu plusieurs jours auparavant, Jésus a été lié dès son arrestation. En mentionnant que Jésus est livré à Pilate, on évoque laccomplissement de la dernière partie de la prédiction de Jésus, celle dêtre livré aux païens. Enfin, Jean est le seul à préciser que linterrogatoire de Jésus a lieu au prétoire, le palais dHérode sur la colline ouest de Jérusalem.
- Traduction
- Commentaire
- Le temps
- La rencontre
- Les participants
- Le renvoi à Pilate
- Traduction
Les passages de Matthieu, Luc ou Jean qui sont semblables à Marc sont soulignés, ceux qui sont communs à Luc et Jean sont en bleu.
Marc 15 | Matthieu 27 | Luc 23 | Jean 18 |
1 Et aussitôt, le matin, ayant fait un conseil, les grands prêtres avec les anciens et les scribes et tout le Sanhédrin, ayant lié Jésus, (l)emportèrent et (le) livrèrent à Pilate. | 1 Mais le matin étant arrivé, tinrent un conseil contre Jésus tous les grands prêtres et les anciens du peuple afin de le faire mourir. 2 Et, layant lié, ils (l)emmenèrent et (le) livrèrent à Pilate, le gouverneur. | 1 Et toute leur assemblée sétant levée, ils le menèrent devant Pilate. | 28a Ils mènent donc Jésus de chez Caïphe au prétoire. Puis, cétait le matin. |
- Commentaire
- Le temps
Quand a-t-on amené Jésus chez Pilate ? Marc écrit : « Et aussitôt ». Ce terme nexprime pas nécessairement la simultanéité avec ce qui précède, mais signifie plutôt : « Aussitôt quil fit jour ». Le mot prōi (le matin) désigne parfois la 4e veille de la nuit (3 à 6 h du matin), mais le plus souvent : « tôt le matin ». La forme féminine prōia chez Matthieu signifie : de bonne heure. Luc na pas dindication de temps pour le renvoi à Pilate, mais plus tôt il nous avait dit que la session du Sanhédrin a commencé quand il fit jour (Lc 22, 66). Dans lévangile de Jean on a la même expression que Marc : prōi (le matin).
Il faut reconnaître que les évangiles ne concordent pas sur le lieu où se trouvait Jésus à certaines heures spécifiques. Par exemple, sur lheure du midi, Jésus était encore devant Pilate chez Jean, alors que chez Marc il était en croix. Pour le renvoi à Pilate, la tradition semble lui avoir associé la forme « tôt le matin ». Ainsi, le reniement de Pierre aurait eu lieu au cours de la période de 3 à 5 heures du matin (chant du coq). Peu de temps après, Jésus aurait été amené à Pilate. On peut être surpris que Pilate puisse commencer si tôt sa journée de travail, mais cela semble une pratique généralisée dans le monde romain (voir Sénèque, De ira, 2.7.3; lempereur Vespasien qui finissait son travail de bureau avant laurore, Pline pour sa part qui le finissait avant 10 h, et Agrippa I qui se rendait au spectacle du théâtre de Césarée avant les premiers rayons du soleil).
- La rencontre
Voici les trois principales recensions pour décrire la rencontre.
- Symboulion hetoimasantes (un conseil ayant préparé): Codex Sinaïticus, Ephraemi Rescriptus
- Symboulion poiēsantes (un conseil ayant fait): Codex Vaticanus, Alexandrinus et les textes de la koinè
- Symboulion epoiēsan (un conseil il firent): Codex Bezae et Koridethi, les vieilles latines, Origène
Avant de déterminer quelle recension est la plus ancienne, il faut sentendre sur la signification de symboulion. Dune part, il signifie : conseil, consultation, rencontre. Dautre part, il signifie aussi le résultat de cette rencontre : avis, plan, décision. Il est parfois difficile de choisir entre les deux significations, comme en Mc 3, 6 qui peut aussi bien se traduire par « les Pharisiens tenaient un conseil contre lui avec les Hérodiens » que par « les Pharisiens prenaient une décision contre lui avec les Hérodiens ».
Mais quand on choisit la traduction « conseil », cela implique-t-il que le Sanhédrin a tenu une deuxième réunion au petit matin après celle de nuit ? Beaucoup de biblistes le pensent, en se référant en particulier à la Mishna Sanhedrin 4.1 qui exigeait une deuxième réunion dans un cas de sentence capitale ; une telle option aiderait à harmoniser la version de Marc avec celle de Luc où la réunion du Sanhédrin a lieu le matin. Malheureusement, il faut rejeter cette option pour un certain nombre de raisons :
- La réunion du Sanhédrin chez Luc est identique à celle de Marc qui a lieu de nuit, et il faut attribuer à son travail éditorial le fait de lavoir déplacée au petit matin
- La règle de la Mishna (2e siècle) ne sapplique pas à lépoque de Jésus comme nous lavons déjà démontré (voir arrière plan du procès juif) ; de plus, la règle exigeait que la 2e réunion se tienne un jour différent, ce qui nest pas le cas dans le récit de la passion
- Les biblistes qui tentent dexpliquer le besoin dune 2e réunion, quelque soit leur motif, commettent lerreur de confondre histoire et récit de Marc ; dans ce dernier, il est clair que la décision dexécuter Jésus est prise dès le début de la réunion, et jamais il ne parle dun besoin dexaminer plus avant la légalité du geste ou du besoin décrire une charge contre Jésus à transmettre à Pilate
Si on opte donc pour une seule réunion, celle de nuit, que signifie laffirmation de Marc que le Sanhédrin « a préparé/fait un conseil » le matin? Tout dabord, un nombre impressionnant de biblistes optent pour la recension « ayant préparé » (hetoimasantes), compris au sens de "ayant préparé leur décision". Dans ce cas, lexpression rappelle que le Sanhédrin a déjà tenu sa réunion. Par contre, certains biblistes préfèrent la recension « ayant fait ou tenu un conseil », car elle est mieux attestée et constitue la lecture la plus difficile, et elle permet déviter lambiguïté quil y ait eu une deuxième réunion. Dans ce cas, Marc nous présenterait une récapitulation de ce qui sest passé, une récapitulation dautant plus nécessaire que la réunion du Sanhédrin a été interrompue par le reniement de Pierre (et la récapitulation appartient au style de Marc, par exemple voir 14, 66-67 après 14, 54).
Du côté de Matthieu, Mt 27,1 noffre aucune objection à voir Mc 15, 1 comme une récapitulation. Encore ici, Matthieu ne présente pas une 2e réunion, mais conclue la première : ils tinrent conseil (symboulion elabon)... afin de le faire mourir, i.e. ils ont pris une décision contre Jésus, expression équivalente à celle Marc 14, 64 qui parle de katekrinan (condamner). Son récit est plus lisse que celui de Marc et lui permet dintroduire ce qui suit, lhistoire de Judas qui fera référence au katakrinein contre Jésus. Quant au récit de Luc, on comprend mal sa décision de déplacer la réunion au petit matin.
- Les participants
- Marc
Une grande partie du récit du procès de Jésus en Mc 14 provient dune tradition antérieure, même si Marc la modifié et réinterprété, le plaçant la veille de la mort de Jésus. Par contre, Mc 15, 1 est totalement une de ses créations. On y retrouve son vocabulaire avec la liste des participants (grands prêtres, anciens, scribes et tout le Sanhédrin). Ajouter le Sanhédrin à la fin de cette liste peut sembler une tautologie, mais cest une façon pour lui dinsister, non pas sur une participation individuelle, mais sur le fait que ces individus représentent le gouvernement religieux juif.
- Matthieu
En parlant de « tous » les grands prêtres et les anciens « du peuple », Matthieu traduit la même idée de représentants de la communauté juive, mais en évitant les apparences de tautologie. À larrière plan, il y a lévocation biblique du juste qui se tient seul devant tous ses adversaires.
- Luc
Si on se souvient bien, la séance du Sanhédrin sétait terminée avec la phrase : « Quavons-nous encore besoin de témoignage? Car nous-mêmes lavons entendu de sa bouche » (22, 71). Aucune décision explicite na été prise. Cest par le fait quils se lèvent et mènent Jésus à Pilate quon devine quune décision a été prise. Le fait de se lever à la cour a probablement une nuance légale, indiquant un moment décisif. Ceux qui prennent cette décision sont les anciens du peuple, les grands prêtres et les scribes (Lc 22, 66), auxquels se joindront un peu plus loin les foules (Lc 23, 3).
- Jean
Les participants sont nommés par « ils ». Il sagit des gardes présents lors de linterrogatoire par Anne (18, 22), puis Anne lui-même quand il envoie Jésus lié à Caïphe. Ainsi, sous lexpression « ils » le lecteur voit les gardes et les grands prêtres.
- Le renvoi à Pilate
- Jésus est lié
Marc mentionne abruptement « ayant lié Jésus ». En ajoutant « et », Matthieu présente une transition plus douce. Chez les deux évangélistes, cest la première fois que Jésus est lié, puisquil est maintenant déclaré être un criminel. Luc, par contre, refuse cette présentation dun Jésus lié, ce qui serait indigne de lui, dautant plus quil insiste pour dire que Jésus se déplace librement tout au long de sa passion. Chez Jean, comme il ny a aucun procès formel la nuit de son arrestation, puisquil a eu lieu en fait auparavant (11, 47-53), Jésus est lié comme criminel dès son arrestation.
- On lemporte / lemmène / le mène
Alors que Marc parle demporter (apopherein) et Matthieu demmener (apagein), Luc et Jean utilisent la forme simple : mener (agein). Ce dernier cas nest pas inusité dans le cadre dun criminel quon livre, puisque Josèphe lemploie (Guerre juive, 6.5.3 ; #303).
- Il est livré (paradidonai)
Chez Marc, le fait que Jésus soit livré accompli la prédiction de 10, 33 (« le Fils de lhomme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens »). Le récit du procès devant le Sanhédrin a accompli la première partie de la prédiction, et cest maintenant laccomplissement de la deuxième partie, celle dêtre livré aux païens. Matthieu suit ici parfaitement Marc. Jean ne parle pas ici de « livrer », mais il le fait avec Judas comme sujet (18, 2.5), et plus loin avec lévocation des Juifs qui ont livré Jésus à Pilate (18, 30.35), et aussi avec Pilate comme sujet qui livre Jésus pour être crucifié (19, 16). Luc restreint ce verbe à Judas et Pilate comme sujet, et ne lemploie pas avec les autorités juives.
- À Pilate
Cest notre première référence à Pilate. Marc introduit ce nom sans attribut, assumant quil est bien connu. Matthieu précise quil est gouverneur (hēgemōn), un titre qui semble équivalent à celui de procurateur ou préfet utilisé par Josèphe (Antiquités judaïques, 18.3.1 ; #55). Luc a déjà mentionné plus tôt que Pilate gouvernait (hēgemoneuein) la Judée (2, 2). Quant à Jean, il ne le mentionne que plus loin (18, 29), et comme Marc, il le fait sans introduction.
- Prétoire
Jean est le seul à préciser où se trouve Pilate : au prétoire. Car ce lieu joue un rôle important dans son récit à cause de son scénario autour de lintérieur et de lextérieur de lédifice. Dans les Synoptiques, on na pas dindication de lieu avant le moment où on remet Jésus aux mains des soldats pour la crucifixion, qui lamèneront au prétoire ; on a alors limpression que linterrogatoire de Jésus a eu lieu à lextérieur du prétoire, un scénario bien différent de celui de Jean. Notons que ce prétoire est probablement le palais dHérode, avec ses trois grandes tours au sommet de la colline ouest de Jérusalem, et non pas la forteresse Antonia sur le « chemin de la croix » médiéval et moderne (voir la carte de Jérusalem).
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Chapitre suivant: Judas, le chef des prêtres, et le prix du sang innocent
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