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Sommaire
Divers critères dhistoricité nous amènent à affirmer que le Jésus historique a accompli un certain nombre dactions lors de son ministère public que lui-même et ses contemporains ont interprétés comme des guérisons miraculeuse de personnes malades et infirmes. Les principales catégories de guérison impliquent des personnes ayant des membres paralysés ou souffrant de cécité ou ayant diverses maladies de la peau (lèpre) ou étant sourdes et muettes. En ce qui concerne les récits individuels de miracle, un certain nombre ont des chances de remonter au Jésus historique, même sils ont été retravaillés et développés dans une perspective théologique chrétienne : lhomme paralysé quon descend à travers le toit, lhomme paralysé à la piscine de Bethesda, laveugle Bartimée qui mendie à la porte de Jéricho, lhomme aveugle de Bethsaïde, laveugle qui sest lavé à la piscine de Siloé, le sourd et muet, et le serviteur ou fils dun officier dAntipas. Par contre, le détail de ces maladies est à jamais perdu pour nous.
Quand on regarde la diversité des maladies rapportées dans le Nouveau Testament, il nest pas facile de les regrouper en catégories bien définies. Pour les besoins de notre analyse, regroupons-les ainsi : les paralytiques, les aveugles, les lépreux et les autres afflictions physiques. Le nombre de ces récits guérisons est tellement plus grand que celui des exorcismes de Jésus quon peut dire que les premières et secondes générations chrétiennes se sont souvenues de Jésus beaucoup plus comme un guérisseur que comme un exorciste.
- Les paralysés et les impotents
- Marc 2, 1-12 : le paralytique de Capharnaüm
Cest un récit complexe où, à un simple récit de guérison, se greffent des éléments étrangers, comme le pardon des péchés, la capacité de Jésus de lire les pensées de scribes et la revendication que le Fils de lHomme peut remettre les péchés. À la fin de lépoque des premières générations chrétiennes, le récit avait déjà connu plusieurs stages de développement. Mais le geste inhabituel et unique de défaire un toit pour y faire descendre le paralytique couché sur son grabat remonte probablement à un événement surprenant qui a frappé la mémoire collective.
- Jn 5, 1-9 : linfirme à la piscine de Bethesda
On a parfois voulu rapprocher ce récit de Jean où un infirme git près des eaux curatives dune piscine avec le récit du paralytique de Capharnaüm (Mc 2, 1-12). Mais les différences sont nombreuses : Jean parle dun infirme, non de paralysé; dans le récit de Jean, cest Jésus qui prend linitiative de guérir quelquun qui nexprime aucune foi et cette action est clairement accomplie le jour du sabbat; enfin, dans le récit de Jean, la guérison nest pas associée au début à un pardon des péchés.
Ce récit est donc bien distinct. Mais ce quil faut souligner, cest que cette piscine de Bethesda à cinq portiques a été confirmée à la fois par le Rouleau de cuivre de Qumran et par les fouilles archéologiques du 20e siècle qui a découvert deux grandes piscines et une séries de petites tout juste au nord du Temple, là où se trouve aujourdhui léglise Ste-Anne. De plus, la personnalité de linfirme ne cadre pas avec les récits habituels de miracle : il est ambivalent face à sa guérison, nexprime aucune gratitude, et par la suite ne se gêne pas de dénoncer Jésus aux autorités, pour finalement disparaître de lévangile. On voit mal comment tout cela pourrait être une pure création de lévangéliste. Nous sommes probablement devant des événements qui remontent à Jésus lui-même.
- Mc 3, 1-6 : lhomme à la main desséchée
Dans ce récit où Jésus guéri à la synagogue le jour du sabbat un homme avec une main desséchée, nous pouvons observer le travail rédactionnel de Marc : il lit ce récit avec le précédent pour créer un cycle de controverse avec les Pharisiens qui accusent Jésus de blasphème en raison de son attitude face au sabbat et prendront la décision de trouver une façon de le mettre à mort. Et en affirmant que le Fils de lHomme a autorité sur le sabbat il en fait moins une controverse légale quune controverse christologique. Le côté artificiel de cette controverse est accentué par le fait que Jésus ne peut pas être accusé denfreindre le sabbat, puisquil ne pose aucune action : il demande seulement à linfirme de lever la main. Enfin, on comprend mal comment des paysans de Galilée pourraient être si méticuleux face à la Loi mosaïque, quand on sait que même les Pharisiens ne sentendaient pas entre eux sur lapplication de divers points de la Loi. Ainsi, cette controverse sur le sabbat, telle que présentée en Marc 3, 1-6, ne remonte probablement pas à un événement historique. Et si on enlève cette controverse sur le sabbat, on se retrouve devant un bref récit insipide de miracle qui manque déléments singuliers nous permettant dy percevoir lécho dun événement quelconque. Est-ce assez pour dénier toute valeur historique? On ne peut pas trancher.
- Lc 13, 10-17 : la femme courbée
Ce récit unique de Luc reflète son vocabulaire, son assimilation partielle de la guérison à un exorcisme, son thème de la glorification de Dieu et de la joie devant les oeuvres merveilleuses de Jésus, à quoi sajoutent certaines phrases qui imitent le texte grec de lAncien Testament. Cependant, certains détails du récit pourraient indiquer une source pré-lucanienne : ladversaire est un chef de synagogue et aucun pharisien nest présent, la femme est affligée de cette maladie depuis dix-huit ans, chiffre qui na aucune valeur théologique. Ces détails pourraient être lécho dune tradition remontant au Jésus historique, mais ils ne sont pas suffisants pour quon puisse porter un jugement.
- Le serviteur du centurion (Mt 8, 5-13 parr.)?
Matthieu est le seul à parler dun cas de paralysie pour ce récit quil reçoit de la tradition Q, alors que Luc, habituellement plus fidèle à ses sources, parle plutôt dun malade sur le point de mourir, tout comme Jean dans un récit similaire. Alors il vaut mieux traiter plus tard ce récit sous la catégorie des maladies diverses.
- « Les boiteux marchent » (Mt 11, 5 par.)
Nous avons analysé ce texte où Jésus répond aux envoyés de Jean Baptiste dans notre chapitre sur Jean Baptiste. Quand Jésus veux résumer son action, la guérison des boiteux est lun des cinq types de miracles qui lui vient à lesprit. Ainsi, peu importe le jugement que nous portons sur les miracles individuels, le fait que Jésus ait accompli ce type de miracle est fermement ancré dans la tradition la plus ancienne sur le ministère de Jésus.
- Les aveugles
- Bartimée (Mc 10, 46-52 parr.)
Le récit de la guérison de laveugle Bartimée à Jéricho est un point pivot dans la section 8, 22-10, 52 de Marc. Tout dabord, il y a eu une première guérison daveugle à Bethsaida en Mc 8, 22-26. Ce dernier a une valeur symbolique en référence à Pierre. En effet, tout de suite après ce récit nous assistons à la profession de foi de Pierre qui « voit » Jésus comme le « Messie ». Mais pour Marc cette profession de foi est incomplète, car on ne peut comprendre ce « Messie » quaprès sa mort en croix, lorsque le centurion sécriera en le voyant expirer : « Vraiment cet homme était fils de Dieu. »; à ce moment le voile du temple se déchirera en deux, symbolisant le dévoilement de la vérité des choses. Pour aller jusquà cette profession de foi, il faut une deuxième guérison de son aveuglement, et cest ce que symbolise la guérison de Bartimée. De fait, après sa guérison, Marc écrit que Bartimée se met à le suivre sur le chemin, ce chemin qui mène de Jéricho à Jérusalem, donc au lieu de sa mort sur une croix.
Étant donné la valeur hautement théologique de ce récit, il serait extrêmement naïf dy voir un film vidéo des événements. Et pourtant, un certain nombre de détails surprennent, à commencer par le nom de laveugle : Bartimée. On ne nomme jamais le bénéficiaire dun miracle dans tout le Nouveau Testament, sauf ici. Dailleurs, Luc et Mattieu qui reprennent ce récit omettent son nom. Nous avons donc un argument de discontinuité pour le récit de Marc
Ensuite, on retrouve dans notre récit des mots araméens, la langue de Jésus. Sadressant à un public non juif, Marc sent le besoin de préciser le sens du nom Bartimée, le fils de Timée (bar Timai). Un autre trait laisse pressentir lorigine palestinienne de ce récit, lutilisation du mot araméen « Rabbouni » par Bartimée, qui veut dire : maître ou professeur.
En plus, les données géographiques sont extrêmement révélatrices. Tout se passe à la sortie de Jéricho, à la porte de la ville qui mène à Jérusalem, trente kilomètres plus loin. Pourquoi un aveugle se tiendrait-il là? La raison est simple. Nous sommes tout près de la Pâque juive, et donc beaucoup de Juifs, dont ceux de Galilée au nord, prennent la route du sud pour faire leur pèlerinage à Jérusalem. Et comme on essaie déviter la route qui passe au centre par la Samarie, ces hérétiques violents, on utilise à lest la vallée du Jourdain qui permet déviter la Samarie, et cette route passe nécessairement par Jéricho. Et ceux qui prennent la porte de Jéricho qui conduit à Jérusalem sont majoritairement des pèlerins pleins de bonnes dispositions et prêts à donner laumône à des mendiants, comme Bartimée. Notre récit est donc cohérent avec le milieu religieux-culturel.
Enfin, il y a dans le récit une expression souvent mal comprise par les biblistes qui accentue encore davantage ses traits palestiniens : fils de David. Deux fois Bartimée interpelle Jésus avec ce titre, alors quon ne retrouve jamais ce titre dans les récits de miracle chez Marc, et dailleurs nulle part ailleurs dans les récits de miracle du Nouveau Testament, sauf ceux qui dépendent de ce récit. Inutile de chercher une explication du côté de la notion de messie comme fils de David : jamais la tradition na associé la capacité de faire des miracles au messie. Par contre, au 1ier siècle, le roi Salomon, fils de David, avait acquis la réputation dans les milieux juifs dêtre un grand exorciste et guérisseur. Lhistorien juif Flavius Josèphe nous raconte lhistoire dÉléazar qui fait des exorcismes en invoquant le nom de Salomon et en utilisant des incantations quil aurait composées. Le Testament de Salomon, écrit apocryphe du 3e siècle de notre ère, mais qui sappuie sur une tradition séculaire, reflète la même perception. Mais cette association de Salomon avec le charisme de guérison est totalement absente du Nouveau Testament, sauf dans le récit de Bartimée. Comment interpréter cet élément unique, sinon comme une relique de la façon dont certains Juifs avec des infirmités regardaient Jésus au premier siècle.
Ainsi, malgré le rôle théologique que Marc fait jouer à ce récit, son coeur remonte à des éléments historiques de la période de Jésus et nest pas une pure création chrétienne.
- Laveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-26)
Bethsaïde est un petit village de pêcheurs situé sur la rive nord-est du lac de Galilée. Ce récit où Jésus se prend à deux reprises pour guérir laveugle est si étrange que Luc et Mattieu lon éliminé de leur évangile.
Le récit comporte un aspect éditorial, car il occupe un point pivot dans lensemble 6, 30 à 8, 21. Cette section quon appelle « section des pains », car le mot pain est le thème unificateur de lensemble, comporte deux multiplications des pains. La première multiplication permet de nourrir cinq mille personnes et se termine par la guérison dun sourd-muet (7, 32-37). La deuxième multiplication permet de nourrir quatre mille personnes et se termine avec la guérison de notre aveugle à Bethsaïde. Ainsi, après les reproches de Jésus de ne pas voir ce que signifie cette multiplication des pains, cette guérison signifie ce dont ils ont besoin. Et le fait même que cette guérison se passe en deux étapes pointe vers les deux étapes par lesquelles devront passer les disciples, dabord la profession de foi de Pierre qui suit à Césarée, où il proclame que Jésus est messie, une profession incomplète de foi, et finalement la profession complète après Pâques. Tout cela cadre avec lagenda théologique de Marc où on ne peut découvrir lidentité de Jésus que progressivement, et de manière complète seulement après sa mort en croix.
Malgré son aspect catéchétique, le récit comporte des éléments historiques, en commençant par la mention de Bethsaïde. Il est très rare quune ville soit associée à un récit de miracle (voir également Jéricho, Capharnaüm, Gerasa). Et on peut utiliser le critère dattestations multiples (Marc et la source Q) pour soutenir laffirmation que Jésus a fait des miracles à Bethsaïde. Ensuite, on peut utiliser le critère dembarras : Jésus non seulement utilise de la salive pour guérir, mais selon le sens littéral du texte il crache dans les yeux de laveugle. À lépoque, la salive jouait un rôle magique et Jésus pose les mêmes gestes que les guérisseurs ou les magiciens de Galilée. Cette scène devait être dautant plus embarrassante pour les premiers chrétiens que Jésus doit questionner le patient sur les effets de la cure (« Aperçois-tu quelque chose? ») et appliquer un second traitement (il mit de nouveau les mains sur les yeux de laveugle). À cela on peut ajouter largument de discontinuité : le rôle de la salive comme instrument de guérison napparaît quici et dans le récit précédent de Marc (7, 33) que certains biblistes voient comme un doublet de notre récit, et ne cadre avec aucun courant christologique de léglise primitive. Enfin, on notera labsence dun certain nombre de thèmes quon voit souvent dans les récits de miracle, comme la foi tant chez les bénéficiaires que chez les quémandeurs, ou encore lémerveillement de la foule.
Bref, malgré lutilisation catéchétique que fait Marc de ce récit, le coeur du récit est historique : Jésus a probablement guéri un homme aveugle aux alentours de Bethsaïde.
- Laveugle-né (Jn 9, 1-41)
Ce long récit constitue une oeuvre littéraire et théologique qui révèle la main fine de lévangéliste, en particulier dans les différents dialogues. Quand on a applique la critique des formes, on peut dabord isoler le récit primitif qui se limite aux sept premiers versets et où on retrouve la structure habituelle : 1) présentation du problème; 2) le geste de guérison; 3) affirmation/démonstration de la guérison avec réaction des témoins. La critique des formes nous permet également de repérer des éléments secondaires, comme le fait que la guérison a lieu un jour de sabbat, mentionné au verset 14, qui ne vise quà introduire la controverse avec les Pharisiens. De même, le dialogue (vv 2-5) avec les disciples suscité par la question sur la cause de la cécité est également secondaire, car il reflète les thèmes johanniques, et on pourrait lenlever sans briser la continuité du récit. Le récit primitif de miracle se résume donc aux vv 1.6-8.
En passant, Jésus aperçut un homme qui était aveugle depuis sa naissance... Jésus cracha à terre et fit de la boue avec sa salive, puis appliqua la boue à ses yeux en lui disant : « Va te laver à la piscine de Siloé (ce qui se traduit par “lEnvoyé”). » Il partit donc se laver, et revint en voyant clair.
Ce récit est semblable à dautres récits de guérison provenant de la tradition orale. Mais il ne semble dépendre daucun en particulier. Cest le deuxième miracle de Jésus à Jérusalem, après celui de la piscine de Bethesda, et le récit assume une bonne connaissance de la topographie de la ville de Jérusalem avant 70. La piscine de Siloé est située au coin sud-ouest de la colline orientale de la Jérusalem biblique, là où se rencontre les vallées du Cédron et de la Géhenne. Cette piscine est mentionnée tant par lhistorien juif Flavius Josèphe que par le Rouleau de cuivre de Qumran. La mention de la piscine de Siloé est unique dans les traditions de miracle de tout le Nouveau Testament.
Un autre élément unique est lutilisation de la boue quon applique aux yeux de laveugle. On pourrait rapprocher ce récit où Jésus crache par terre à celui de Marc où Jésus crache sur les yeux de laveugle, mais il reste quil sagit dune utilisation différente de la salive et renforce lélément de discontinuité contenu dans notre récit. Parmi les autres éléments uniques, notons labsence dune expression de foi qui amènerait le miracle, comme on le voit habituellement dans les autres récits de miracle : cest Jésus qui prend linitiative de guérir.
Tous ces éléments uniques nous amènent à conclure que la tradition primitive est historique : il est hautement probable que Jésus ait guéri un homme aveugle à Jérusalem dans les circonstances curieuses mentionnées en Jn 9, 6-7. Cet homme était-il vraiment aveugle de naissance? Ça, on ne peut pas le confirmer.
- « Les aveugles voient » (Mt 11, 5 || Lc 7, 22)
Nous avons analysé ce texte où Jésus répond aux envoyés de Jean Baptiste dans notre chapitre sur Jean Baptiste. Le fait que Jésus prétende avoir guéri des aveugles est confirmé par les attestations multiples des sources (Marc, Q, Jean) et les attestations multiples des formes (récits de miracle et discours de Jésus).
- Les personnes affligées par la « lèpre »
Nous sommes confrontés ici à trois difficultés.
- Le nombre de récits est extrêmement restreint, en fait deux récits dont beaucoup de biblistes attribuent lexistence à lactivité créatrice des évangélistes.
- La guérison de la lèpre, plus que tout autre genre de guérison, est reçue avec scepticisme par la critique. Lallemand Pesch considère que les évangélistes cherchent simplement à faire de Jésus un prophète eschatologique, quelquun qui fait des miracles comme Élie et Élisée. Pourtant, ce visage de Jésus comme prophète eschatologique est fortement ancré dans la tradition qui remonte à Jésus, et étant donné quil se distingue des autres en opérant des miracles, il ne faut pas se surprendre quon lassocie à Élie ou Élisée.
- Il nest pas clair ce que le Nouveau Testament entend par lèpre. Aujourdhui, il sagit de la maladie de Hansen, causée par le bacille mycobacterium leprae. Dans lAncien Testament, le Lévitique (ch. 13-14), mis par écrit vers le 6e s. avant JC, utilise le mot hébreu saraat pour décrire des champignons ou de la moisissure sur les tissus et dans les maisons tout comme pour décrire diverses infections de la peau. La maladie de Hansen est apparue plus tard, après lépoque dAlexandre le Grand (4e siècle). Même sil est possible que le milieu du Nouveau Testament connaissait la maladie de Hansen, il vaut mieux sen tenir à la définition du Lévitique dune maladie de la peau.
- Marc 1, 40-45 (parr.)
À la base on retrouve la structure traditionnelle des récits de miracle : 1) présentation du problème qui inclut une demande de guérison; 2) Jésus opère la guérison en étendant la main; 3) la confirmation de la guérison sera finalisée par le prêtre et loffrande prescrite par Moïse. Mais ce récit de base se voit revêtu de sentiments tant chez le lépreux (il supplie, se met à genou, fait confiance à Jésus) que chez Jésus (ému de compassion, puis semporte contre lui, lexpulse). Et enfin, dans le v. 45 qui conclu le récit, on voit clairement la main rédactionnelle de Marc où existe une tension entre le secret messianique et la réputation de Jésus qui ne cesse de sétendre. Mais le fait même que Marc modifie une tradition, qui autrement serait très schématique et austère, nous empêche de dire que ce récit est purement une création de Marc.
- Luc 7, 11-19
Ce récit comporte deux parties clairement définies : dabord dix lépreux demandent à Jésus de prendre pitié deux, et Jésus répond en leur demandant daller se faire voir aux prêtres, puis dans un deuxième temps, les lépreux ayant été guéris en chemin, un lépreux Samaritain revient à Jésus pour lui exprimer sa gratitude. Ces deux parties correspondent à deux genres littéraires, le récit concis dun miracle par Jésus à laide dune simple parole, puis un apophtegme, i.e. un court récit qui joue un rôle préparatoire à lénoncé dune sentence mémorable. Cette deuxième partie donne le sens théologique du récit : la guérison quapporte la foi du Samaritain est un véritable salut et est plus importante que la simple guérison physique obtenue par les neuf autres juifs. On a ici une thématique importante de Luc, dabord lopposition Juifs-Samaritains (ou Gentils) quon retrouvera dans ses Actes des Apôtres et laccent sur la puissance de Jésus qui guéri à distance (les lépreux seront guéris alors quils sont en route).
Est-ce une pure création littéraire de Luc? Non. Dailleurs, si le récit apparaît si complexe, cest que Luc semble retravailler cette source qui lui est propre, appelée L. Cela est confirmé par deux observations importantes.
- Le récit souvre par une phrase quasi inintelligible qui se dit littéralement : Jésus passait par le milieu de la Samarie et de la Galilée. Tout dabord lexpression « par le milieu » (dia meson ) nexiste nulle part dans le Nouveau Testament ou dans la version grecque de lAncien Testament, et ne fait pas partie du style de Luc. Mais surtout, la séquence Samarie puis Galilée na aucun sens dans le cadre du récit de Luc où Jésus vient de quitter la Galilée au nord, en route vers la Judée au sud, avec la Samarie au milieu de ces deux régions : la séquence aurait dû être Galilée, puis Samarie, puisque Jésus est en route vers Jérusalem, et encore mieux, il aurait fallu ne pas mentionner la Galilée puisque Jésus a déjà quitté cette région. Comment expliquer cette incongruité? Luc emprunte probablement un récit qui appartient à un autre cadre géographique.
- On trouve dans ce récit beaucoup de mots et de phrases quon ne retrouve nulle part ailleurs dans lévangile de Luc et les Actes des Apôtres, et même dans tout le Nouveau Testament : lépreux comme adjectif (leproi), hommes (andres), Jésus maître (Jesou epistata), étranger (allogenes), etc.
Ce récit que Luc aurait reçu de la tradition L serait-il une création de lÉglise primitive basée sur le récit du lépreux de Mc 1, 40-45 que nous avons analysé plus haut? Les différences entre les deux récits sont trop nombreuses pour quil en soit ainsi : le cadre géographique est différent (Galilée vs Samarie), les personnages sont différents (un lépreux juif vs dix lépreux dont un Samaritain), lattitude des personnages sont différents (contact physique vs maintien dune distance), la façon de guérir est différente (guérison immédiate en étendant la main vs guérison retardée et à distance avec une parole), la réaction après la guérison (propage partout la nouvelle vs retour à Jésus pour exprimer sa gratitude et sa foi). Bref, la tradition L de ce récit est indépendante de la tradition de Marc.
- Conclusions sur la guérison de la lèpre
Si nous ajoutons aux deux textes analysés la réponse de Jésus aux envoyés de Jean Baptiste (« Les lépreux sont purifiés », Mt 11, 5 par), nous avons alors trois traditions indépendantes (Marc, L et Q) qui affirment que Jésus a été perçu comme quelquun qui a guéri des lépreux. Ainsi, la guérison des lépreux est une tradition qui remonte au Jésus historique et nest pas une pure création de lÉglise primitive. Cependant, nous ne pouvons dire rien de plus au niveau des détails concrets.
- Guérison de diverses maladies dont un seul cas est rapporté
Le problème avec les récits de miracle qui suivent est que nous en avons quun seul exemplaire, et de manière corollaire, nous en avons quune seule source indépendante. Dès lors, pour être fidèle aux critères mis en place, il faut sattendre à ce que nous soyons incapable de démontrer quils puissent être historique. Cependant, avant de porter un jugement global, analysons les un par un.
- La belle-mère de Pierre (Mc 1, 29-31 parr.)
Le contexte est celui dune journée typique de Jésus. Le récit lui-même est extrêmement bref, seulement trois versets : Jésus sapproche de la belle-mère fiévreuse et la fit se lever en lui prenant la main. On pourrait dire quil ne sagit pas de guérison, puisque la fièvre est un symptôme, non une maladie. Le récit contient des détails concrets et précis sur quatre points : 1) le temps, i.e. le jour du sabbat à sortie de la synagogue; 2) le lieu, i.e. la maison de Simon Pierre à Capharnaüm; 3) lauditoire, i.e. Simon Pierre, son frère André, Jacques et Jean, les deux fis de Zébédée; 4) le bénéficiaire, i.e. la belle-mère de Simon Pierre. On pourrait évoquer ces détails comme appui à lhistoricité. Mais comme nous lavons vu, les détails concrets et colorés ne sont pas en eux-mêmes une preuve dhistoricité. Toutefois, on pourrait évoquer le critère dattestations multiples pour affirmer que Simon Pierre était marié, puisque nous avons deux témoignages, ce récit ainsi que lépitre de Paul aux Corinthiens (1 Co 9, 5).
- La femme avec des hémorragies (Mc 5, 24-34 parr.)
La structure de ce récit est assez particulière, car nous avons deux récits de miracle imbriqués lun dans lautre, ou plutôt la guérison de lhémorroïsse est prise en sandwich entre le début et la fin de la ressuscitation de la fille de Jaïre. Cette structure littéraire, appelée également A-B-A est assez typique de Marc, car on la retrouve lors dune scène dopposition rencontrée par Jésus auprès de sa famille et les scribes de Jérusalem (Mc 3, 20-35), la malédiction sur le figuier et la purification du temple (Mc 11, 12-25), le procès devant le Sanhédrin et le reniement de Pierre (Mc 14, 53-72). Mais pour comprendre notre récit, nous navons pas besoin de lautre récit.
Le sujet du récit est assez délicat, un problème gynécologique (sans doute des hémorragies utérines chroniques). Ce problème entraînait pour la femme un état dimpureté rituelle, selon la loi du Lévitique, et rendait également impure les êtres quelle touchait. On imagine le conflit intérieur de la femme qui partage la croyance populaire et magique quelle pourrait être guérie par le contact physique avec Jésus, mais sait quen même temps elle va contaminer un saint homme. Sa solution : toucher furtivement le vêtement de Jésus par derrière lui. Selon Marc, Jésus sentit un pouvoir de guérison sortir de son corps, à la manière dun courant électrique. Ce récit nous plonge quelque peu dans un monde magique. Il est étonnant de constater que le pouvoir de Jésus ne va pas jusquà savoir qui la touché, puisquil doit poser la question et attendre que la femme sidentifie. En conclusion, Marc essaie datténuer le côté magique de son récit en terminant avec la mention de la foi de la femme.
Il est inutile dinvoquer la touche de magie pour faire remonter le récit à un événement de lépoque de Jésus. Tout dabord, tous les autres cas de récits de miracle avec une haute saveur de magie se retrouvent uniquement en Marc (sourd-muet en Mc 7, 31-37, laveugle de Bethsaïde en Mc 8, 22-26), ce qui peut-être une tendance de lévangéliste ou de sa tradition. De plus, les traits magiques dun récit tout comme son caractère vivant et coloré ne sont pas une garantie dhistoricité. Et ici, comme nous ne pouvons pas évoquer le caractère dattestations multiples, nous ne pouvons pas valider son historicité.
- Lhydropique (Lc 14, 1-6)
Tout le récit est orienté vers une controverse avec les Pharisiens, car Jésus prend linitiative de les confronter avec une question : « Est-il permis, le sabbat, de guérir, ou non? » Devant le silence de son auditoire, il conclut par une question rhétorique : « Lequel dentre vous, si son fils ou son boeuf vient à tomber dans un puits, ne len tirera aussitôt, le jour du sabbat ? » Lensemble du texte montre un travail rédactionnel important de Luc. De plus, le récit de Luc est similaire à celui de Matthieu 12, 11 (lhomme à la main paralysée), même si dans le récit de Matthieu on parle plutôt de brebis qui tombe dans un trou. Ce récit est aussi similaire à celui de Marc 3, 4 qui pose la question sil est mieux de faire le bien ou le mal le jour du sabbat. Est-ce que tous ces récits proviendraient dun événement unique et leur différence serait due à une évolution de la tradition orale ? Cest possible, mais il reste que le plus gros obstacle à son historicité est quil est peu probable quune guérison par Jésus au moyen dun toucher ou une parole le jour du sabbat ait été considérée comme une violation grave du sabbat par la plupart des Juifs.
On peut évoquer certains uniques du récit, à commencer par la maladie dhydropisie qui nest mentionné nulle part ailleurs dans lAncien et le Nouveau Testament, de même le fait que la guérison na pas lieu dans une synagogue, mais dans une maison de Pharisien, ou encore le fait que Jésus guérit non pas seulement par une parole, mais par un toucher, ou encore, le fait que son action nentraîne pas un complot hostile contre lui. Mais ces traits uniques ne suffisent pas à déterminer si le récit provient dun événement historique, et donc il vaut mieux ne rien conclure.
- Le sourd et muet (Mc 7, 31-37)
Lanalyse de ce récit permet de voir le travail rédactionnel de Marc, car il sinsère dans un ensemble quon appelle « section des pains » (Mt 6, 30 8, 21) en raison du thème du pain qui parcourt toute la section. Le récit de la guérison du sourd et muet doit se lire en parallèle avec celui de laveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-26), car les deux récits représentent symboliquement la surdité et laveuglement des disciples à qui Jésus reproche tout au long de la section de ne rien comprendre (6, 52 : ils navaient pas compris le miracle des pains, mais leur esprit était bouché; 7, 18 : vous aussi, vous êtes à ce point sans intelligence? 8, 17 : vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas? Avez-vous donc lesprit bouché?). Enfin, en situant géographiquement ce récit en territoire de Gentils, Marc anticipe la mission chrétienne auprès des païens.
Cela étant dit, il faut toutefois noter la présence dans les sept versets du récit dun nombre impressionnant de mots quon ne retrouve nulle part ailleurs dans lévangile de Marc. De plus, le récit est plein dactions rituelles et symboliques qui ont une saveur de magie : Jésus place ses doigts dans les oreilles du sourd, puis sa salive sur la langue de lhomme qui est également muet, avant de pousser un gémissement avec les yeux tournés vers le ciel. Il faut reconnaître que la méthode de Jésus correspond à ceux des guérisseurs de son époque et que son gémissement nest probablement quun geste de prière. Mais il reste que Matthieu et Luc se sont sentis gênés par ce récit au point de lomettre de leur évangile. Enfin, Jésus prononce un mot araméen en guérissant lhomme : « Ephphata » (Ouvre-toi), le seul mot araméen de guérison dans tout lévangile de Marc.
Bref, la présence de mots et de phrases uniques dans tout lévangile, et le fait quon puisse évoquer les critères dembarras et de discontinuité plaident en faveur dun événement qui aurait eu lieu dans la vie de Jésus. On pourrait ajouter enfin le critère dattestations multiples, puisque au récit de Marc on peut ajouter la source Q (voir Mt 11, 5 par.) qui évoque la réponse de Jésus aux envoyés de Jean Baptiste en disant que les sourds entendent.
- Loreille de lesclave du grand-prêtre (Lc 22, 49-51)
Les quatre évangélistes rapportent le récit de base : lors de larrestation de Jésus à Gethsémani, quelquun frappe lesclave du grand-prêtre et lui coupe loreille. Cest le seul point commun des évangélistes qui écrivent quatre histoires différentes.
Marc présente le récit le plus court. Il ne dit jamais que la personne qui sest servie de son épée est un disciple de Jésus, mais parle vaguement de quelquun de lassistance. (Mc 14, 47). Ainsi, au milieu de la confusion totale, quelquun de la foule venue arrêter Jésus a accidentellement coupé loreille dun esclave anonyme du grand-prêtre.
Matthieu na pas dautre source pour le récit de la passion que celle de Marc. Les différences de son évangile sexpliquent par son travail de théologisation de loeuvre de Marc. Cest ainsi quil accentue le thème de la relation de Jésus avec ses disciples, en particulier le désir de Jésus dêtre avec ses disciples dans les moments de crise, même si ceux-ci sen montrent incapable tout au long de son ministère. Cest donc une pointe dironie quil introduit quand il fait de ce personnage anonyme qui dégaine son épée un disciple de Jésus : lun de ceux qui nont pas su veiller et prier avec lui essaie maintenant dêtre avec lui par la violence, cette même violence que dénonçait le Sermon sur la montagne (Mt 5, 38-48). De même, comme le Jésus de Matthieu est toujours en contrôle de la situation, il profite de la mêlée de son arrestation pour enseigner à ses disciples. Ainsi, la version de Matthieu de loreille coupée de lesclave du grand-prêtre peut être expliquée par ses intérêts rédactionnels.
Luc est daccord avec Matthieu pour faire de lhomme à lépée un disciple de Jésus, mais il précise quil sagit de loreille droite, sans doute la plus importante des deux. De plus, le Jésus de Luc répond à la violence non sollicitée de deux manières particulières. Premièrement, quand les disciples diront : « Seigneur, frapperons-nous du glaive ? », et que lun deux lui enlèvera loreille droite, Jésus répliquera : « Laissez; cela suffit. » Cette scène fait écho à celle du dernier repas quand Jésus annonce que le temps de crise est arrivé, quil faut vendre son manteau pour acheter un glaive, et que les disciples répondent : « Seigneur, voici deux glaives ici »; à ce moment Jésus leur dit : « Cest assez. » Ces deux scènes montrent lincompréhension des disciples et leur confiance erronée dans les armes. Deuxièmement, Jésus répond à la violence en guérissant loreille de lesclave : « Et, ayant touché loreille, il le guérit. » Cette scène est une pure création de Luc, puisque sa seule source semble être Marc qui na pas cette scène. De plus, toute la péricope est imprégnée du style et du vocabulaire de Luc, et est en accord avec sa théologie axée sur la compassion de Jésus pour tous les malades.
Chez lévangéliste Jean, les tendances à créer une légende avec cette scène atteint sa conclusion logique : on christianise lhomme à lépée pour lidentifier maintenant à Simon Pierre. Cette identification lui est très utile dans sa construction littéraire : nayant pas de scène de prière à Gethsémani, cest une façon pour lui de réintroduire Pierre au lecteur et de le remettre en selle dans le récit de la passion, et de créer un lien avec la scène de son reniement de Jésus, montrant toute lampleur du désastre spirituel. En effet, le troisièmement reniement est suscité par les remarques dun parent de lesclave de qui il a tranché loreille. Ainsi, la scène de Pierre dégainant son épée est une invention littéraire et théologique de lévangéliste lui-même.
On doit donc conclure que la scène de la guérison de loreille de lesclave du grand-prêtre est une création de Luc lui-même et ne peut prétendre remonter au Jésus historique.
- Le cas spécial du serviteur du centurion (Mt 8, 5-13 parr.)
Ce récit provient sans doute de la source Q, puisquil se retrouve à la fois chez Matthieu et Luc. Il existe également un récit semblable chez Jean, la guérison dun fils du fonctionnaire royal. Entre ces trois récits, on note tout de suite des variations quant à la maladie : chez Matthieu, la personne est paralysée et souffre terriblement, tandis que chez Luc et Jean la personne est sur le point de mourir. On peut établir également un parallèle entre ce miracle qui se fait à distance et dautres miracles de même type qui se font également à distance : la ressuscitation de la fille de Jaïre, la guérison de la fille de la Syro-phénicienne, la guérison des dix lépreux. Cependant, les différences lemportent sur les similitudes, et donc il vaut mieux réserver une étude spéciale à ce cas spécial du serviteur du centurion.
Il nous faut dabord répondre à deux questions : 1) est-ce que le récit autour du serviteur du centurion de la source Q et celui autour du fils de lofficiel royal en Jean sont une variation de la même tradition primitive? 2) est-ce que la version de Jean dépend de celle de Matthieu et Luc?
Regardons dabord les similitudes entre les trois récits :
- La personne malade demeure à Capharnaüm où résiderait également le centurion ou officier royal
- Le centurion ou officier demande une guérison miraculeuse pour son serviteur ou fils
- Jésus donne une réponse initiale à la demande
- Réagissant à la réponse de Jésus, le requérant lance un appel plus pressant
- Jésus réagit à cet appel en guérissant à distance le serviteur ou fils
- À la fin de la péricope, la guérison est confirmée
À côté de ces similitudes, il y a les divergences, mais ces divergences peuvent être expliquées par lagenda théologique de chaque évangéliste, ou par les variations dune tradition primitive qui évolue dans son stage orale. Examinons-les de plus près.
- Le lieu du miracle est différent. La tradition la plus ancienne devait placer le miracle à Capharnaüm, une zone frontière entre la tétrarchie dHérode Antipas et celle de son demi frère Philippe, donc un poste de douane et une garnison militaire. Par contre, Jean place la scène à Cana. Cette localisation est probablement due à un choix littéraire de lévangéliste qui, dune part, en accentuant la distance entre Jésus et le malade, accentue la puissance thérapeutique de Jésus, et dautre part, crée une inclusion avec le premier signe de Cana (leau changé en vin) pour relier les deux scènes.
- Lidentité du requérant est différente. Matthieu et Luc parlent dun centurion. Même si, techniquement, le mot désigne quelquun qui, dans larmée romaine, commande 100 soldats, on observe quà travers les âges le centurion en est venu à exercer dautres tâches que celles militaires, comme celle de gardien, policier, surveillant de projet de construction ou encore juge. Ce nétait pas un groupe homogène. Quelquun comme Antipas avait sa propre armée pour surveiller les frontières de la tétrarchie de Galilée-Pérée, et cette armée nétait pas romaine. Aussi, lorigine ethnique du centurion de notre récit demeure ambiguë. Matthieu et Luc font de ce centurion un Gentil. Cela correspond à leur agenda théologique, Matthieu pour annoncer un renversement de situation où les Gentils précéderont les Gentils dans le Royaume, Luc pour préfigurer la scène du centurion Cornélius dans les Actes des Apôtres (ch. 10). Pour Jean, le requérant, appelé officier royal, est clairement Juif. Dans le quatrième évangile, les Gentils ne parlent jamais directement à Jésus, car cest seulement après sa mort-résurrection que les Gentils seront appelés au salut par lEsprit répandu dans le monde. Ainsi, faire du requérant un Juif correspond à lagenda théologique de Jean. Lequel des trois évangélistes a raison? Il faut croire que la tradition primitive était demeurée vague sur lidentité du requérant, ce qui a permis à chaque évangéliste de lui donner une tournure personnelle.
- Lidentité de la personne guérie est différente. Luc parle dun esclave, un garçon qui est esclave. Jean parle dun fils, un petit garçon qui est son fils, Matthieu, enfin, est beaucoup plus vague en mentionnant seulement un garçon. Il est possible que la tradition primitive de Q et Jean nutilisait que le terme vague de garçon (gr. pais), ce qui a permis à la tradition tant orale quécrite dinterpréter différemment ce terme. Dailleurs la même ambiguïté se retrouve dans le terme araméen sous-jacent, talya, qui signifie garçon, tant pour désigner le serviteur que le fils.
Que conclure? Premièrement, les similitudes entre les trois récits sont suffisantes pour affirmer quelles reflètent la même tradition primitive. Deuxièmement, on peut confirmer lindépendance de Jean par rapport à la tradition Q de Matthieu et Luc, car le mélange bizarre des similitudes et des différences sexplique le mieux en admettant que Jean a utilisé une source indépendante. Troisièmement, on peut affirmer que le coeur de la tradition prend probablement sa source dans un événement historique, et cela pour les raisons suivantes. Tout dabord, nous avons ici un cas dattestations multiples, puisque Jean et la source Q témoignent du même événement. Ensuite, on peut évoquer le critère dembarras, car le récit nous montre un Jésus surpris et étonné devant la foi du requérant, un trait qui montre lhumanité de Jésus, un trait rapidement éliminé par Jean qui accentue lorigine divine de Jésus. Enfin, le récit contient un certain nombre de sémitismes et éclaire lenvironnement palestinien, en particulier Capharnaüm, une ville frontière où il était normal quun centurion ou un fonctionnaire exerce son métier. Quest-ce qui sest passé? Alors que Jésus approchait de la ville de Capharnaüm ou était entré dans la ville, un fonctionnaire dHérode Antipas, probablement un centurion, stationné dans la ville, a demandé à Jésus de guérir un garçon de sa famille, et Jésus aurait acquiescé à sa demande en guérissant à distance.
- Conclusion
Divers critères dhistoricité nous amènent à affirmer que le Jésus historique a accompli un certain nombre dactions lors de son ministère public que lui-même et ses contemporains ont interprété comme des guérisons miraculeuse de personnes malades et infirmes. Les principales catégories de guérison impliquent des personnes ayant des membres paralysés ou souffrant de cécité ou ayant diverses maladies de la peau (lèpre) ou étant sourde et muette. En ce qui concerne les récits individuels de miracle, un certain nombre ont des chances de remonter au Jésus historique, même sils ont été retravaillés et développés dans une perspective théologique chrétienne : lhomme paralysé quon descend à travers le toit, lhomme paralysé à la piscine de Bethesda, laveugle Bartimée qui mendie à la porte de Jéricho, lhomme aveugle de Bethsaïde, laveugle qui sest lavé à la piscine de Siloé, le sourd et muet, et le serviteur ou fils dun officier dAntipas. Par contre, le détail de ces maladies est à jamais perdu pour nous.
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