John P. Meier, Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire,
v.5, conclusion Des thèses démodées aux conclusions contradictoires : Adieu à une base solide,
pp 363-376, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


Que conclure sur les paraboles synoptiques?


Sommaire

Il y a 15 conclusions à tirer.

  1. Les biblistes ne s'entendent pas la définition des paraboles, car dès son origine dans l'AT sous le terme de māšāl, le terme peut désigner beaucoup de réalités diverses: proverbe, parabole, énigme, chant de raillerie, etc.
  2. Nous avons restreint la définition de la parabole à une mini-histoire avec au moins un début, un milieu et une fin implicites.
  3. Si on situe les paraboles de Jésus dans le contexte de l'AT, c'est à la tradition prophétique qu'il faut les rattacher, et non à la tradition sapientielle.
  4. Les paraboles évoquent le désir typique des prophètes chez Jésus de retourner au passé glorieux d’Israël, tout en se projetant dans la consommation future de l'histoire d'Israël, une consommation qui à la fois restaure et transcende tout ce qu'il y avait de meilleur dans ce passé glorieux.
  5. On ne peut enfermer les paraboles dans une catégorie unique, que ce soit celui d’événements tirés de la vie ou celui de récits purement fictifs, tandis que celles ayant un caractère plutôt subversif portent souvent la signature de l'évangéliste.
  6. L'Évangile copte de Thomas dépend des Synoptiques, et donc ne fournit pas d'attestation multiple indépendante d'une parabole synoptique, et par conséquent ne peut être utilisée pour démontrer l’authenticité d’une parabole particulière.
  7. Même si on peut démontrer que Jésus a prêché en paraboles, l'absence d'attestation multiple pour la grande majorité des paraboles nous empêchent de faire remonter à Jésus tel ou telle parabole particulière.
  8. S’appuyer sur le critère « esthétique » du génie littéraire des paraboles pour les faire remonter au Jésus historique n'est pas un critère, car Jésus a pu transmettre à ses disciples l'art de construire des paraboles.
  9. Il y a très peu de paraboles qui rencontrent le critère d’attestation multiple démontrant l’indépendance de leurs sources, et permant d'appuyer leur authenticité.
  10. Les traditions les plus ancienne ne présentent que peu de paraboles: quatre chez Marc, cinq dans la source Q.
  11. La source M propre à Matthieu contient des paraboles plus nombreuses et plus longues que les sources anciennes.
  12. La source L (Luc), qu’on situe chronologiquement après M, présente des paraboles encore plus nombreuses et plus longues, et une parabole comme celle du Bon Samaritain est une création lucanienne du début à la fin.
  13. Au terme, il nous reste quatre paraboles qui remontent probablement au Jésus historique: la graine de moutarde, les vignerons homicides, le grand festin, les talents/mines.
  14. Au groupe des quatre paraboles « authentiques », on ne pourrait pas en ajouter d’autres sans trahir les critères d’historicité mis en place; cela ne signifie pas pour autant que ces autres paraboles sont inauthentiques (comme le Bon Samaritain), mais qu'il faut les classer dans le groupe « on ne sait pas ».
  15. Pour comprendre le message de Jésus dans les paraboles authentiques, il faut le situer dans le cadre du portrait de lui dégagé dans les quatre volumes précédents: la parabole de la graine de moutarde montre les débuts modestes et peu impressionnants du royaume dans la prédication et les guérisons des Jésus, mais la pleine gloire et la puissance de ce royaume ne seront visibles pour tous que dans l'avenir; la parabole du Grand festin affirme que la réponse d'un individu à Jésus et à son message est le facteur déterminant de son admission au banquet eschatologique, qui est imminent; la parabole des Talents/Mines illustre que l'offre de Jésus concernant le royaume, l'appartenance à l'Israël de la fin des temps, est un don gratuit, mais un don qui contient en lui-même un défi et une exigence; dans la parabole des vignerons homicides, le ministère de Jésus touche rapidement à sa fin, et en tant que dernier prophète envoyé à une Jérusalem pécheresse, Jésus est résolument confronté à la même perspective de rejet et même de mort, et c'est peut-être à dessein qu'il fait allusion au destin de son mentor, Jean le Baptiste.


Après avoir émis au ch. 37 sept thèses, nous pouvons maintenant donner suite à ces thèses préliminaires avec 15 conclusions.

  1. Confusion sur ce qu’on entend par « paraboles de Jésus »

    Comme on ne s’entend pas sur sa définition, il ne faut pas s’étonner que les biblistes ne s’entendent pas sur le nombre de paraboles. Si on se réfère à sa racine étymologique en hébreu, qui est māšāl, le terme peut désigner un proverbe, une parabole, une énigme, un chant de raillerie et bien d'autres choses encore. De même, la Septante utilisera le mot « parabole » pour traduire différentes réalités. L'un des objectifs de ce volume était de faire la lumière sur cet embrouillamini verbal et conceptuel.

  2. Une définition restreinte des paraboles

    En ce qui concerne les paroles du Jésus synoptique, il est possible d'obtenir une certaine clarté en distinguant divers types de discours métaphoriques en fonction de leur longueur et de leur complexité. Une seule phrase contenant une métaphore peut être qualifiée de māšāl en hébreu et de parabolē en grec, mais difficilement de parabole pour un bibliste d’aujourd’hui. La similitude se distingue de la métaphore simple. Il s'agit d'une métaphore étirée pour créer une image plus complète et plus détaillée et une comparaison avec un certain degré de complexité. Pour notre part, nous avons rangé la parabole synoptique dans une catégorie distincte de la phrase métaphorique et de la similitude. En effet, ce qui distingue une parabole de Jésus d'une similitude, c'est qu'une parabole est un véritable récit, bien que dans certains cas il ne s'agisse que d'une mini-histoire ou d'une ébauche de récit, mais toujours avec au moins un début, un milieu et une fin implicites. Ainsi, pour nous, une « parabole » signifie « parabole narrative », une forme de « mini-histoire ».

  3. Les paraboles de Jésus se situent dans la tradition prophétique

    Les paraboles de Jésus le placent davantage dans la tradition prophétique d'Israël que dans sa tradition de sagesse. Les livres sapientiaux de l'AT ne contiennent pas de paraboles narratives telles que les vignerons homicides ou celle du blé et de l'ivraie. En revanches, les paraboles narratives sont présentes dans les livres historiques et prophétiques. Elles vont du bref récit de Nathan qui réprimande un David adultère à l'allégorie historique élaborée du prophète Ezéchiel. Ainsi, en tant que prophète eschatologique utilisant des paraboles narratives pour mettre au défi le peuple d'Israël et ses dirigeants, Jésus se situe dans la longue lignée des prophètes de l'Ancien Testament et il pousse alors ses auditeurs à prendre des décisions et à agir, le plaçant aux côtés de Nathan et d'Ezéchiel plutôt que du maître de sagesse Ben Sira.

  4. Les paraboles évoquent le désir typique des prophètes de retourner au passé glorieux d’Israël

    L’utilisation de Jésus des paraboles narratives est à l’image de l’ensemble de son ministère, i.e. sa prédication itinérante, ses gestes de guérison à la manière d’Élie, le choix d’un cercle restreint de Douze disciples. Car Jésus semble avoir consciemment renoué avec le passé classique d'Israël plutôt que de s'être simplement aligné sur les auteurs apocalyptiques et les visionnaires de son temps, comme le montrent la littérature d'Hénoch et les autres écrits apocalyptiques conservés dans les manuscrits de la mer Morte. Les paraboles de Jésus incarnent donc sa dialectique typique qui consiste à revenir aux origines et au « passé glorieux » d'Israël tout en se projetant dans la consommation future de l'histoire d'Israël, une consommation qui à la fois restaure et transcende tout ce qu'il y avait de meilleur dans ce passé glorieux. Cela est typique de la tradition prophétique.

  5. Les paraboles de Jésus ne peuvent être enfermées dans une seule catégorie

    Les paraboles synoptiques parlent aussi bien de l'activité agricole quotidienne que de drames plus grands que nature dans les cours royales orientales. Elles décrivent les événements réels et récurrents de l'agriculture (le semeur, la graine de moutarde, la graine qui pousse d'elle-même), mais elles créent aussi de grandes fictions (le fils prodigue, le bon samaritain). Ainsi, on ne peut enfermer les paraboles dans une catégorie unique, que ce soit celui d’événements tirés de la vie ou celui de récits purement fictifs. Certains biblistes ont voulu associer les paraboles de Jésus à un discours subversif. S’il est vrai que les paraboles peuvent provoquer l’esprit à réfléchir et à prendre une décision, ces biblistes oublient que les paraboles qui tendent le plus à renverser les attentes traditionnelles - le bon Samaritain, le fils prodigue, les ouvriers de la onzième heure - appartiennent aux traditions spéciales L et M, et non aux paraboles plus anciennes qu’on trouve chez Marc ou dans la source Q. Cela ne signifie pas en soi que les paraboles subversives sont des créations chrétiennes plutôt que des produits du Jésus historique. Cependant, les arguments solides qui peuvent être rassemblés pour démontrer que le Bon Samaritain est une composition lucanienne du début à la fin - ainsi que la forte tonalité lucanienne de paraboles telles que le Fils prodigue et le Pharisien et le collecteur d'impôts - devraient au moins donner à réfléchir. Bref, répétons-le, pour les paraboles de Jésus il n'y a pas de taille unique, ni de description littéraire unique.

  6. L’Évangile copte de Thomas dépend des synoptiques et ne peut être utilisé comme source indépendante.

    Au cours des dernières décennies, un certain nombre de chercheurs nord-américains ont soutenu deux propositions clés concernant l'Évangile copte de Thomas (= ECT) : (i) le ECT contient des paroles de Jésus semblables à celles des Synoptiques, indépendantes, antérieures et/ou plus authentiques que les paroles des Évangiles synoptiques ; (ii) par conséquent, les paraboles de ECT qui sont parallèles aux paraboles synoptiques sont des outils précieux pour reconstruire la forme la plus ancienne des paraboles authentiques de Jésus. Ces deux propositions ont été remises en question à plusieurs reprises par notre analyse détaillée des paroles et des paraboles individuelles. Notre conclusion est que ECT reflète probablement les tendances à l'amalgame et à l'harmonisation que nous observons dans l'utilisation du matériel synoptique dans d'autres écrits chrétiens du 2e siècle. La pertinence de cette position pour notre étude des paraboles de Jésus est simplement la suivante : il est plus probable qu'improbable que le ECT ne fournisse pas d'attestation multiple indépendante d'une parabole synoptique, et donc ne peut être utilisé pour démontrer l’authenticité d’une parabole particulière.

  7. L’absence d’attestation multiples pour beaucoup de paraboles nous empêchent de conclure qu’elles sont une création de Jésus

    Seules quelques-unes des paraboles synoptiques peuvent être attribuées au Jésus historique avec une bonne probabilité. Contrairement aux affirmations de plusieurs biblistes, les paraboles ne constituent pas la voie la plus sûre ou la plus facile pour accéder à l'enseignement du Jésus historique. Il ne s'agit pas de nier que Jésus a enseigné en paraboles ; il y a suffisamment d'attestations multiples pour ce fait fondamental, soutenu également par le critère de cohérence. Mais l’absence d’attestation multiple pour une parabole particulière nous empêche de démontrer que Jésus est le créateur de cette parabole particulière. C’est ainsi que, pour beaucoup de paraboles, à la question de leur authenticité il faut répondre : on ne sait pas. On peut même affirmer, du moins pour quelques-unes des paraboles synoptiques, qu’elles sont très probablement des créations des premiers porteurs chrétiens de la tradition ou même des évangélistes eux-mêmes. C’est le cas de la parabole du Bon Samaritain qui est une pure création de Luc. On peut avancer des arguments similaires pour des paraboles telles que le Fils prodigue et le Blé et l'ivraie, des produits de la tradition chrétienne primitive, voire des évangélistes.

  8. S’appuyer sur le critère « esthétique » du génie littéraire des paraboles pour les faire remonter au Jésus historique ne fonctionne pas

    Certains biblistes évoquent la voix unique, le ton et l'art inimitables, le génie littéraire suprême de telle ou telle parabole pour affirmer qu’elle ne peut provenir que du Jésus historique. Deux réponses peuvent être apportées à cet argument « esthétique ».

    1. Cet argument est désespérément subjectif, follement romantique et, en fin de compte, non vérifiable. Alors que certains entendent la voix unique et artistique de Jésus dans la parabole du bon Samaritain, d’autres au contraire entendent la voix unique et artistique de Luc.

    2. Beaucoup de biblistes oublient le processus de transmission orale et écrite des paraboles. L'affirmation selon laquelle les Évangiles synoptiques contiennent des paraboles qui proviennent réellement du Jésus historique et qui préservent fidèlement son enseignement présuppose que, lorsque Jésus a prononcé la parabole X à l'origine, il y avait des « témoins auditifs » qui non seulement ont entendu la parabole X, mais s'en sont également souvenus, à la fois avant et après la crucifixion de Jésus. Par le biais de multiples « représentations » ces témoins auditifs auraient répété cette parabole à d'autres premiers chrétiens qui, à leur tour, sont devenus les porteurs de cette tradition particulière de paraboles jusqu'à ce qu'elle devienne une unité dans un évangile écrit. Comment peut-on sous-estimer le génie créatif des premiers chrétiens et leur capacité de composer eux-mêmes des paraboles basées sur l’enseignement de Jésus? Jésus était-il un si mauvais mentor et ses disciples de si mauvais apprentis qu'il pouvait passer des années à leur enseigner des paraboles mémorables sans, par le fait même, leur enseigner également comment construire des paraboles mémorables ? Autrement dit, si nous admettons que les disciples de Jésus et, plus tard, les disciples de ces disciples ont appris, développé et transmis les paraboles de Jésus, pourquoi n'admettons-nous pas que ces apprentis aient pu également créer des œuvres d'art verbales similaires en imitation de leur maître ?

    Cela explique d'ailleurs pourquoi on trouve de telles paraboles dans la tradition synoptique, mais pas, par exemple, dans les lettres pauliniennes. Le Jésus historique avait un grand talent pour construire des paraboles, et il a tout naturellement transmis non seulement ses paraboles, mais aussi son habileté à formuler des paraboles à ses disciples immédiats et, à travers eux, aux porteurs de la tradition synoptique. Par conséquent, nous devons être ouverts en principe à la possibilité que les paraboles synoptiques proviennent en partie du Jésus historique et en partie de ses disciples et même de leurs disciples.

  9. Il y a très peu de paraboles qui rencontrent le critère d’attestation multiple démontrant l’indépendance de leurs sources

    À part quelques rares exceptions (comme la parabole des Vignerons homicides), nous nous retrouvons avec peu de paraboles qui rencontrent le critère d’attestation multiple démontrant l’indépendance de leurs sources. Cela signifie que la grande majorité des paraboles n'apparaissent que dans une seule source indépendante, soit Marc, soit la source Q. Il est inutile de souligner par exemple qu’une parabole particulière est rapportée à la fois par Marc, Matthieu et Luc, car Matthieu et Luc ne font que retravailler la version de Marc.

  10. Les traditions les plus ancienne ne présentent que peu de paraboles

    Notre analyse des paraboles nous a conduit à une observation étonnante : les traditions les plus anciennes reflétées par Marc et la source Q ne présentent que peu de paraboles : l’évangile de Marc n’en contient que quatre, la tradition Q que cinq (en comptant la parabole de la graine de moutarde, un chevauchement entre Marc et Q). C’est plus tard que les paraboles se multiplieront.

  11. La source M propre à Matthieu contient des paraboles plus nombreuses et plus longues que les sources anciennes

    En effet, la source M nous présente onze paraboles, si l'on inclut le Grand festin et les Talents. Les paraboles synoptiques ne sont donc pas limitées aux sources de « première génération » que sont Marc et Q, et elles n'y sont pas les plus abondantes. De plus, certaines des paraboles de M (par exemple, le Serviteur impitoyable les Ouvriers de la onzième heure) se sont transformées en récits d'une longueur considérable, et un bon nombre de paraboles de M (par exemple, le Blé et l'ivraie) témoignent d'un vocabulaire et d'une théologie spécifiquement matthéennes.

  12. La source L (Luc), qu’on situe chronologiquement après M, présente des paraboles encore plus nombreuses et plus longues

    Nous pouvons attribuer seize paraboles à la source lucanienne (L). Comparons cela aux quatre ou cinq paraboles propres à Marc et à peu près le même nombre à Q. Qui plus est, c'est dans la tradition spéciale L que nous trouvons les paraboles narratives les plus longues du corpus synoptique : le Fils prodigue, l'Homme riche et Lazare, et les Mines. Comme dans le cas du matériau M, les paraboles spécifiquement lucaniennes sont marquées par un vocabulaire et une théologie typiquement lucanienne. En bref, nous constatons une évolution notable à mesure que nous passons de Marc et Q (antérieurs à l'an 70 ou aux alentours), puis à Matthieu (vers l’an 80) à Luc (vers 85 ou 90). Au fil du temps, le nombre de paraboles augmentent et certaines paraboles s'allongent notablement. En outre, dans la source L, les paraboles sont souvent agrémentées de touches de psychologie humaine, de drame et de monologue intérieur. Notre examen détaillé du Bon Samaritain nous a ainsi conduit à la conclusion qu'il s'agit probablement d'une création de Luc du début à la fin.

  13. Au terme, il nous reste quatre paraboles qu'on peut démontrer qu'elles remontent probablement au Jésus historique

    Malgré toutes ces constatations, nous avons pu identifier quatre paraboles qui, après un test plus approfondi, se sont avérées être des candidats crédibles pour le jugement critique de « provenir du Jésus historique ». Dans le cas de la graine de moutarde (chevauchement Marc-Q), du Grand festin (Matthieu et Luc) et des Talents/Mines (Matthieu et Luc), l'argument de base en faveur de l'historicité, comme on pouvait s'y attendre, était l'attestation multiple de sources indépendantes. Le cas le plus étrange est celui des Vignerons homicides, où une analyse critique de la forme et de la rédaction nous a fourni une version primitive de la parabole qui répondait aux critères d'embarras et/ou de discontinuité. Dans tous les cas, la conclusion a pu être soutenue par le critère de cohérence.

  14. Au groupe des quatre paraboles « authentiques », on ne pourrait pas en ajouter d’autres sans trahir les critères d’historicité mis en place

    Aux quatre paraboles qui nous avons classés comme « authentiques », pourrait-on en ajouter d’autres? On peut soupçonner que certaines des autres paraboles répertoriées dans l'inventaire proviennent effectivement de Jésus. Le problème est qu’il n’y a aucun moyen d'étayer ce qui n'est qu'un simple soupçon, sans trahir les critères mis en place depuis les débuts de la quête du Jésus historique. Dès lors, soit une parabole peut passer le test des critères, soit elle doit demeurer dans les « limbes » du : on ne sait pas. Il convient de souligner que ce jugement n'est pas la même chose que d'être jugé inauthentique, comme le Bon Samaritain. Mais renoncer à l'exigence de répondre aux critères au nom de sentiments chaleureux à l'égard des paraboles synoptiques, c'est ouvrir toute la quête du Jésus historique au subjectivisme rampant et accepter de prendre ses désirs pour la réalité. D'une certaine manière, les critères exercent le rôle indispensable mais ingrat des parents : dire non à certaines demandes de ses enfants.

  15. Pour comprendre le message de Jésus dans les paraboles authentiques, il faut le situer dans le cadre du portrait de lui dégagé dans les quatre volumes précédents

    Pour comprendre le message véhiculé par les quatre paraboles authentiques de Jésus, il faut d’abord avoir fait tout le parcours des volumes précédents de la quête du Jésus historique. De cette manière, les histoires métaphoriques isolées de paraboles qui, en elles-mêmes, pourraient être ouvertes à un nombre presque illimité d'interprétations différentes et conflictuelles, peuvent trouver une plus grande détermination et une plus grande clarté au cœur ministère d'un Juif palestinien du 1er siècle dont l'intention avait déjà été largement comprise en dehors des paraboles.

    Le portrait de Jésus qui s’est dégagé dans les volumes précédents est celui d’un prophète eschatologique dans le moule d'Elie, envoyé en Israël à l'apogée de son histoire pour commencer le rassemblement de tout le peuple, un peuple préparé à l'avènement du royaume définitif de Dieu par l'accomplissement radical de sa volonté selon la Torah telle qu'elle est interprétée par Jésus. Placées dans un tel contexte, les paraboles que nous avons jugées authentiques ont un sens parfait au cœur de la prédication et de l'activité de ce prophète eschatologique et guérisseur du 1er siècle, originaire de la Palestine juive.

    La parabole de la graine de moutarde montre les débuts modestes et peu impressionnants du royaume dans le ministère de Jésus, même s'il s'agit d'un royaume déjà puissamment à l'œuvre - pour ceux qui ont des yeux pour voir - dans sa prédication et ses guérisons. Mais la pleine gloire et la puissance de ce royaume ne seront visibles pour tous que dans l'avenir, lorsque les douze tribus d'Israël seront rassemblées et que la domination de Dieu ne sera plus partielle, cachée ou apparemment absente. Le contraste entre le début et la fin défie presque l'entendement, mais le point culminant du royaume est déjà présent et garanti dans ses petits débuts.

    Cependant, tous les membres du peuple élu de Dieu ne répondent pas positivement à l'appel eschatologique de Jésus. En particulier, les riches, les puissants et les professionnels pieux se montrent trop souvent sourds ou hostiles, alors que les marginaux sociaux et/ou religieux affluent vers le prédicateur qui promet le royaume aux pauvres, aux affamés, aux rejetés et aux pécheurs. L'Israël reconstitué des derniers jours impliquera un grand renversement, les initiés devenant les exclus et vice versa. Ce message, mis en scène dans la parabole du Grand festin, contient une affirmation surprenante : Jésus ose faire de la réponse d'un individu à lui et à son message le facteur déterminant de son admission au banquet eschatologique, qui est imminent. Aucune excuse pour ignorer ou repousser l'appel de Jésus ne sera valable au dernier jour. Nous entendons déjà dans cette parabole l'élément de lutte dans le ministère de Jésus, sa confrontation au rejet dans le moment présent, et les graves conséquences qu'il prévoit pour ceux qui refusent sans réfléchir son invitation au royaume.

    En effet, comme l'indique la parabole des Talents/Mines, l'offre de Jésus concernant le royaume, l'appartenance à l'Israël de la fin des temps, et il s'agit d'un don gratuit, mais un don qui contient en lui-même un défi et une exigence. Ceux qui acceptent le message de Jésus doivent agir en fonction de l'acceptation qu'ils expriment. Ils doivent changer leur vie en vivant selon la morale radicale proposée par Jésus. En bref, ils doivent s'efforcer de faire la volonté de Dieu telle qu'elle est proclamée par Jésus, même si, pour l'instant, le Dieu d'Israël peut sembler étrangement distant ou absent. Bientôt, il introduira son royaume dans toute sa plénitude et, à cette occasion, il demandera des comptes à chaque Israélite. L'issue de ce compte rendu final, l'admission ou non au sein de l'Israël des derniers jours, dépendent de la manière dont on répond au défi de Jésus et dont on le vit dans le moment présent. Ceux qui reçoivent le don de la bonne nouvelle de Jésus et qui n'en font rien peuvent s'attendre à ne rien recevoir à la fin.

    L'élément d'hostilité possible et même d'opposition violente à la mission de Jésus en Israël, déjà décelable dans certaines de ces paraboles, atteint son point culminant dans la parabole des vignerons homicides. Très probablement prononcée alors que Jésus affrontait les autorités de Jérusalem lors de son dernier pèlerinage de la Pâque, cette parabole est un réquisitoire prophétique qui n'est pas sans rappeler les réquisitoires adressés aux autorités du temple par le prophète Jérémie, avec des résultats similaires. Le ministère de Jésus touche rapidement à sa fin. En tant que dernier prophète envoyé à une Jérusalem pécheresse, il est résolument confronté à la même perspective de rejet et même de mort, et c'est peut-être à dessein qu'il fait allusion au destin de son mentor, Jean le Baptiste. Il est fort possible que cette parabole soit la dernière que Jésus ait prononcée, du moins dans notre petite collection de paraboles authentiques. Elle sert d'avertissement final aux derniers initiés dans l'enceinte du temple : ils risquent fort de jouer le rôle de leurs ancêtres qui, dans cette ville sainte, ont assassiné les prophètes que Dieu leur avait envoyés. Si le désastre a frappé les anciens dirigeants de Jérusalem en représailles de leurs actes sanglants, quel sera le sort des autorités auxquelles Jésus est confronté si elles choisissent la même voie à l'égard du prophète eschatologique ? Que leur arrivera-t-il lorsque le royaume viendra pleinement - et il viendra, malgré ou même à travers la fin violente à laquelle Jésus pourrait être confronté en tant que dernier des prophètes d'Israël, tué à Jérusalem ?

    Les allusions sombres et troublantes de cette parabole, qui suggèrent que Jésus pressent le sort qui l'attend au cours de ce voyage particulier à Jérusalem, suggèrent également que ce sort personnel est en quelque sorte lié au sort d'Israël, de Jérusalem et de ses dirigeants, et suggèrent, étrangement et métaphoriquement, que Jésus est le dernier prophète d'Israël à être tué à Jérusalem, étrangement et métaphoriquement, qu'il n'est pas simplement un autre prophète, mais qu'en tant que dernier prophète, il est aussi le fils envoyé par le propriétaire de la vigne qu'est Israël - toutes ces indications, qui laissent tant de choses en suspens dans la fin choquante et violente de la parabole, nous amènent à nous demander : qui ou quoi, finalement, Jésus s'est-il pris pour lui-même ? Quelles affirmations implicites ou explicites à son sujet ressortent non seulement de cette parabole, mais aussi de toutes les lignes convergentes de ses diverses paroles et actions que nous avons retracées tout au long de ces cinq volumes ?

Que conclure? Les paraboles de Jésus, aussi importantes qu'elles soient dans les évangiles synoptiques pris tels quels, ne le sont pas dans une reconstruction critique du Jésus historique. Il ne s'agit pas de nier que les paraboles doivent figurer dans une telle reconstruction. Mais comparées au rôle prépondérant du prophète eschatologique qu'est Jean le Baptiste, comparées à la prédication centrale du royaume de Dieu présent et futur, comparées à l'activité d'un guérisseur à la manière d'Elie, comparées à l'appel et à la formation des disciples et en particulier des Douze, comparées aux interprétations surprenantes de la Torah pour la fin des temps, les paraboles authentiques, peu nombreuses et éloignées les unes des autres, perdent de leur importance. Elles ont un rôle à jouer dans notre quête du Jésus historique, certes. Mais ce rôle est secondaire et modeste.

 

 

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