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Sommaire
Selon Marc, Joseph aurait fait acheter une étoffe de lin dans lequel on aurait enroulé le corps de Jésus, avant de le déposer dans un tombeau tout près, creusé de manière verticale dans le roc; on devait avoir prévu un lieu densevelissement pour les crucifiés, i.e. des trous creusés dans la paroi rocheuse de la colline utilisée pour lexécution, par exemple des kōkîm ou sorte de pigeonnier. Matthieu reprend le récit de Marc, mais puisque pour lui Joseph est un disciple de Jésus, il rehausse la qualité de lensevelissement en enveloppant avec vénération le corps de Jésus dans une toile de lin blanche propre et en le déposant dans son propre tombeau tout neuf. Luc, pour sa part, emprunte la même direction que Matthieu avec le geste denvelopper avec vénération le corps de Jésus, et surtout de donner une perspective royale à lensevelissement avec un tombeau où personne navait encore été mis. Et il y a le rôle des femmes qui lavaient accompagné depuis la Galilée : elles notent non seulement le lieu du corps, mais le fait quon ne lavait pas parfumé dhuile, si bien quelles sen retournent à leur lieu de séjour à Jérusalem pour préparer des aromates et de la myrrhe. Avec Jean, nous avons un ensevelissement royal, dans un jardin, sous la direction de Nicodème avec 34 kg daromates secs, composés de myrrhe et daloès, déposés sous le corps et autour, un corps quon avait attaché avec des pièces détoffe; pour Jean, Nicodème est maintenant un disciple de Jésus, capable de safficher ouvertement, résultat de leau vive qui est sortie du côté de Jésus, par laquelle celui-ci est en train dattirer tout homme à lui.
Dans la mesure où on peut reconstituer la tradition préévangélique, lensevelissement de Jésus a été minimal et rapide par un membre du Sanhédrin, Joseph, sans aromates ou parfums, et le corps a été déposé tout près dans un tombeau où se trouvait également un jardin. Lévolution de cette tradition dans les milieux chrétiens a eu tendance à remplacer cet ensevelissement peu honorable, propre à un criminel, par une inhumation plus digne et même royale. Il est peu probable que la tradition préévangélique mentionnait des femmes à lensevelissement : elle nommait Marie Magdeleine et peut-être dautres femmes lors de la découverte du tombeau vide, elle nommait Marie Magdeleine et un autre Marie lors de la crucifixion, et une troisième femme, mais ce nest quaprès coup quon a postulé que ces femmes, présentes à la crucifixion et au tombeau vide le dimanche de Pâques, devait également être à lensevelissement.
- Traduction
- Commentaire
- Lensevelissement de Jésus selon Marc 15, 46-47
- Lachat dune toile de lin, la descente du corps, lenveloppement dans le tissu et lensevelissement (15, 46a)
- Rouler la pierre contre la porte du tombeau (15, 46b)
- Les deux Marie (15, 47)
- Lensevelissement de Jésus selon Matthieu 27, 59-61
- Lensevelissement de Jésus selon Luc 23, 53-56a
- Lensevelissement par Joseph (23, 53-54)
- Ce que les femmes ont vu et fait (23, 55-56a)
- Lensevelissement de Jésus selon Jean 19, 38b-42
- « Environ cent livres » (19, 39b)
- « Une mixture de myrrhe et daloès... avec des aromates, selon la coutume chez les Juifs pour lensevelissement » (19, 39b-40)
- « Attaché avec des pièces détoffe » (19, 40)
- Comment évaluer le geste de Nicodème?
- Un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf... » (19, 41-42)
- Analyse
- La préparation et linhumation du corps
- Est-ce que cest Joseph qui est responsable de lenlèvement de Jésus de la croix selon le récit préévangélique?
- Quels sont les détails sur le tombeau qui faisaient partie du récit préévangélique de lensevelissement?
- Joseph a-t-il fermé le tombeau avec une pierre dans le récit préévangélique?
- Les aromates ont-ils été mentionnés dans le récit préévangélique de lensevelissement?
- La présence et lactivité des personnages autres que Joseph
- Les femmes galiléennes
- Nicodème
- Léglise du Saint-Sépulcre de Jérusalem
- Traduction
La traduction du texte grec est la plus littérale possible afin de permettre la comparaison des mots utilisés. Les passages chez Luc, Matthieu et Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. En bleu, on trouvera ce qui est propre à Luc et Matthieu. En rouge ce qui est propre à Jean et à un autre évangéliste. Lévangile de Pierre est exclu de cette comparaison.
Marc 15 | Matthieu 27 | Luc 23 | Jean 19 | Évangile de Pierre |
| | | 38d Donc, il (Joseph) vint et emporta le corps de Jésus. | |
| | | 39 Puis, vint aussi Nicodème, létant venu vers lui de nuit au début, apportant une mixture de myrrhe et daloès, environ cent livres. | |
| | | 40 Ils prirent le corps de Jésus et ils lattachèrent avec des pièces détoffe accompagnées daromates, selon la coutume des Juifs densevelir. | |
46 Et ayant acheté une toile de lin, et layant fait descendre, il enroula dans la toile de lin et le coucha dans une tombe qui avait été taillée dans un roc; et il roula une pierre sur lentrée du tombeau. | 59 Et ayant pris le corps, Joseph lenveloppa dans une toile de lin blanche propre 60 et le déposa dans son tombeau neuf qui a été taillé dans le roc et, ayant roulé une grande pierre à lentrée du tombeau, il sen alla. | 53 Et layant fait descendre, il lenveloppa dans une toile de lin et le déposa dans une tombe sculptée dans la roche, où personne nétait avoir été placé jusque là. | 41 Puis, était en ce lieu où il fut crucifié un jardin et dans le jardin un tombeau neuf, dans lequel personne nétait encore ayant été déposé. | 6, 24 Ayant pris le Seigneur, il (Joseph) le lava, lenveloppa dans une toile de lin et le porta dans son propre sépulcre, appelé jardin de Joseph. 8, 32 Et ayant roulé une grande pierre, tous ceux qui étaient là, ensemble avec le centurion et les soldats, (la) placèrent contre la porte de la tombe. |
| | 54 Et cétait un jour de préparation et (le) sabbat se pointait. | 42 Donc, là, à cause de la préparation des Juifs, car proche était le tombeau, ils déposèrent Jésus. | |
47 Puis, Marie Magdeleine et Marie de José observaient où il avait été déposé. | 61 Puis, était là Marie Magdeleine et lautre Marie, étant assises en face du sépulcre. | 55 Puis, les femmes, lesquelles étaient venues avec lui à partir de la Galilée, ayant accompagné, regardèrent le tombeau et comment le corps de Jésus était déposé. | | |
| | 56a Puis, étant retournées, elles préparèrent les aromates et les huiles odorantes. | | |
- Commentaire
Rappelons ce que nous avons vu précédemment. La tradition la plus ancienne représentée par Marc et la couche préévangélique de Jean présentent Joseph comme un membre du Sanhédrin qui la condamné, un Juif pieux, qui voit à lensevelissement de Jésus pour des raisons religieuses : cest un ensevelissement rapide et sans cérémonie, tel quil convenait à un criminel crucifié. Mais la question se pose : quaurait été un ensevelissement honorable selon la coutume juive? Les données sont parcellaires. Au minimum, il aurait fallu laver le corps plein de sang. De fait, la Mishna Šabbat 23.5 mentionne parmi les coutumes densevelissement le lavement et lonction du corps, son arrangement et le ficelage du menton et la fermeture des yeux. Dans la littérature juive on parle aussi de la coupe de cheveu, lhabillement avec soin du corps, la couverture de la tête par un voile, et peut-être aussi lattachement des mains et des pieds pour transporter le corps. Ainsi, Tabitha (Actes 9, 37) a eu un ensevelissement honorable, car on a lavé son corps, on la déposé dans la chambre haute et les gens sont venus la pleurer. Ananie et Saphire nont pas eu densevelissement honorable (Actes 5, 6.10). Ainsi, tout indique que Jésus na pas eu densevelissement honorable : on na pas lavé son corps, et on ne la pas pleuré. Voilà le témoignage des synoptiques. Seul Jean 19, 40 sécarte de ce témoignage pour des raisons théologiques.
- Lensevelissement de Jésus selon Marc 15, 46-47
- Lachat dune toile de lin, la descente du corps, lenveloppement dans le tissu et lensevelissement (15, 46a)
- Sindōn est un mot grec qui peut désigner la sorte de tissue et/ou ce quon en a fait. Le sens premier renvoie à du matériel de lin de bonne qualité, et de manière secondaire à une tunique, un drap, un voile, ou une toile de ce matériel. On peut difficilement être plus précis quand à sa largeur ou longueur. Tout ce quon sait, cest que Joseph a acheté une pièce de lin.
- Certains biblistes se sont posé la question : comment Joseph a-t-il pu avoir le temps dacheter cette pièce détoffe puisque cétait déjà le soir. On peut facilement imaginer que Joseph na pas tout fait lui-même et quil a fait accomplir certaines tâches par dautres. On a un indice avec ce pluriel en Marc 16, 6 : « Voyez le lieu où ils lont mis ».
- Le seul geste funéraire qui a été accompli est celui denrouler le corps dans une toile de lin, rien dautre. Plus tôt, à Béthanie, Marc 14, 8 nous présente cette scène où une femme répand sur la tête de Jésus un parfum très cher et met dans la bouche de Jésus cette parole : « davance elle a parfumé mon corps pour lensevelissement ». Comme Marc navait pas de tradition donction du corps de Jésus à lensevelissement, insérer cette scène dans son évangile était la seule façon de donner à Jésus un ensevelissement honorable.
- Pour décrire le lieu de lensevelissement, les évangiles utilisent différents mots qui sont à peu près tous synonymes. Voici des statistiques pour lensemble des récits de la passion et de la résurrection :
- Mnēma « tombe » : Mc (2); Lc (2); EvP (3)
- Mnēmeion « tombeau » : Mc (5); Mt (3); Lc-Ac (7); Jn (9); EvP (3)
- Taphos « sépulcre » : Mt 4; EvP (7) (entaphiazein, « mettre dans un sépulcre » : Mt (1), Jn (1); thaptein, « ensevelir » : 1 Co 15, 4; Ac 2, 29)
Notons enfin quil était courant de se servir des carrières pour creuser des tombeaux, et que le Golgotha était un monticule au milieu dune carrière, inutile pour tailler des pierres, mais utile pour tailler des tombeaux.
- Rouler la pierre contre la porte du tombeau (15, 46b)
- Le tombeau était-il creusé verticalement ou horizontalement? On trouvait les deux types dans le monde juif. Le tombeau sous forme dun puits vertical était le plus commun pour lensevelissement privé. Pour Jésus, nous avons deux indices. Dune part, tous les évangiles parlent dune pierre, et même dune pierre très grosse (Mc 16, 4) pour bloquer la porte (thyra) ou entrée du tombeau, une pierre quon roule (proskyliein, apokyliein, anakylien); cela prévenait le ravage des animaux sauvages. Dautre part, Jean 20, 5 mentionne que lautre disciple doit se penchant pour voir lintérieur du tombeau, sans y entrer. Ces deux indices nous amènent à imaginer un tombeau percé sur le côté dun rocher et dans laquelle on entrait par une ouverture au niveau du sol denviron un mètre, si bien quon devait se pencher ou même ramper pour sy introduire. Pour les tombeaux plus élaborés, il existait une dalle de pierre en forme de roue quon pouvait rouler sur un rail à lentrée. Matthieu 28, 2 imagine une forme de bloc de roche à lentrée, car lange sy assoit après lavoir roulé (les évangélistes nont probablement jamais vu le tombeau de Jésus, et se limaginent chacun selon son milieu).
Arcosolium dans une catacombe
romaine (4e s.), Via Dino Campagni
À quoi ressemblait lintérieur du tombeau de Jésus? Bien souvent, un tombeau horizontal souvrait sur plusieurs pièces comme dans une caverne, assez hautes pour quun individu se tienne debout. On trouve plusieurs styles. Il y a le kōkîm, un locule (des trous larges denviron 60 cm et profonds denviron 2 m, sous forme de pigeonnier). Il y a aussi le banc de pierre, creusé sur les trois faces à lintérieur du tombeau, sur lequel on pouvait déposer le corps. Enfin, il y larcosolium, une niche semi-circulaire à un mètre du sol, profond de 2 mètres. Les évangiles ne nous disent rien sur les dispositions dhébergement, mais Marc 16, 5 présuppose une antichambre avec un banc, puisquil nous décrit un jeune homme assis à la droite. Les fouilles archéologiques autour du site de lensevelissement de Jésus ont révélé deux types de tombeau, le kōkîm et larcosolium. Si on se fie à Jean 20, 12, le corps de Jésus aurait été placé sur un banc, car un ange se trouve à lendroit où avait été placée la tête, un autre au pied. Mais la reconstruction du tombeau de Jésus à partir du site du Saint-Sépulcre pointe plutôt vers un arcosolium.
- À qui appartenait le tombeau dans lequel on a placé Jésus? Deux réponses ont été proposées.
- La première proposition essaie dinterpréter le silence de Marc. On peut imaginer quà lextérieur des murs de Jérusalem, à lendroit où on crucifiait habituellement les criminels, il devait y avoir un lieu de sépulture pour les criminels quon avait condamné à mort, i.e. des trous creusés dans la paroi rocheuse de la colline utilisée pour lexécution; cette proximité était sans doute une nécessité pour ensevelir un mort avant le coucher du soleil. Ainsi, Joseph, comme membre du Sanhédrin, devait avoir accès à ces tombeaux pour ceux qui avaient été condamnés. La seule objection à cette proposition est que, ce quon a trouvé au Saint-Sépulcre, si cest authentiquement le tombeau de Jésus, est plus élaboré que ce quon aurait réservé pour linhumation de criminels.
- La deuxième proposition sappuie sur Matthieu 27, 60 qui parle du tombeau personnel de Joseph. Cette proposition a lavantage dexpliquer clairement pourquoi Joseph y avait droit daccès. Mais plusieurs objections apparaissent. Tout dabord, Matthieu est le seul évangéliste à mentionner quil sagirait du tombeau personnel de Joseph; cela correspondrait à son expansion du rôle de Joseph pour en faire un disciple de Jésus, et cela aurait lavantage de fournir une explication simple du droit de Joseph dy déposer Jésus. Ensuite, sur le plan historique, Joseph nétait pas un disciple de Jésus au moment de lensevelissement : comment un membre du Sanhédrin qui vient de condamner Jésus aurait-il permis quon utilise son propre tombeau pour déposer un criminel? Certains ont émis lhypothèse dune action temporaire. Mais rien dans les évangiles ne fait allusion à quelque chose de temporaire. Enfin, quelle est la probabilité que Joseph aurait choisi un lieu dexécution comme tombeau personnel? Certains ont émis lhypothèse de la proximité de la ville sainte. Mais la vallée du Cédron était aussi proche de la ville et un lieu plus probable pour les tombeaux personnels.
Ainsi, si la première proposition a lavantage de ne pas dépendre dindices extérieures, on ne peut aller plus loin que létape des conjectures. Ce qui est clair, Marc ne sattendait pas à ce que ses lecteurs posent cette question.
- Les deux Marie (15, 47)
On se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques le jeune et de José, et Salomé), à lensevelissement (Marie Magdeleine, Marie de José), au tombeau vide (Marie Magdeleine, Marie de Jacques et Salomé). Rappelons que ces femmes ne sont pas vraiment impliquées dans lensevelissement, ni ne pleurent sur Jésus. Pour Marc, elles ne font quobserver, observer non seulement où on la placé, mais aussi comment on la placé; car elles viendront au même endroit à Pâques.
- Lensevelissement de Jésus selon Matthieu 27, 59-61
- Le récit de Matthieu est marqué par le fait que Joseph est maintenant un disciple de Jésus, et cest donc son maître quil ensevelit, non un criminel. Contrairement à Marc, le Joseph de Matthieu na pas besoin dimproviser lachat dune toile de lin : on doit présumer quil sattendait à une réponse positive de Pilate et avait tout le matériel sous la main. Cette toile était katharos, propre, mais si on fie à dautres textes bibliques, ladjectif renvoie au lin fortement blanchi, doù notre traduction de blanc propre.
- Matthieu insiste sur des gestes de révérence à lensevelissement. Joseph « enveloppa » (entylissein) le corps de Jésus, plutôt que « enroula » (eneilein) comme chez Marc. On sest posé la question pourquoi Luc et Matthieu emploie le même verbe « enveloppa » alors quils ne se connaissaient pas. Il est probable que le mot « enveloppa » était devenu un mot standard pour décrire lensevelissement de Jésus à la fin du 1ier siècle, comme dailleurs le mot « déposer » (tithenai) dans lexpression : déposer le corps de Jésus dans le tombeau.
- Pourquoi Matthieu parle-t-il du tombeau personnel de Joseph et dun tombeau neuf? Pour le tombeau personnel, on peut imaginer que dans lesprit de Matthieu, puisque Joseph était riche et pouvait utiliser le tombeau de son choix, il a choisi le sien. À moins que, après être devenu chrétien, a-t-il acheté le tombeau dans lequel Jésus a été enseveli. Lévangile de Pierre (6, 24) offre une autre piste en parlant du « jardin de Joseph » : le jardin porterait le nom de Joseph à cause de son action à la mort de Jésus, et par la suite on aurait simplifié les choses en parlant du tombeau quil possédait. Pour le tombeau neuf, nous sommes peut-être encore une fois devant le développement de la tradition autour de Joseph, puisque Jean 19, 41 et Luc 23, 53, de manière indépendante, font référence au fait que personne ny avait encore été mis. Ce développement est marqué par une tendance apologétique : si on na pas trouvé le corps de Jésus le dimanche de Pâques, ce nest pas parce quil a été confondu avec un autre corps du tombeau.
- La fermeture du tombeau chez Matthieu nest pas vraiment différente de celle de Marc, sinon que cette pierre (lithos) était « grande », une information que Marc réserve pour la scène du tombeau vide (Mc 16, 4). Pour Matthieu, comme le tombeau dun homme riche devait être grand, la pierre devait lêtre tout autant. Et il ajoute : « il sen alla ». Cela permet lentrée en scène des femmes. Encore une fois, on se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée), à lensevelissement (Marie Magdeleine et lautre Marie), au tombeau vide (Marie Magdeleine et lautre Marie). Ainsi, tout comme Marc, il y a seulement deux femmes à lensevelissement. Mais contrairement à Marc, ces femmes nobservent pas. Pourquoi? Peut-être cela est inutile comme valeur de témoignage, car le témoignage des femmes dans le monde juif était nul. Peut-être aussi faut-il assumer quelles observaient, même si ne nest pas dit explicitement. Quoi quil en soit, elles disparaissent du tableau le jour suivant, remplacées par les gardes.
- Lensevelissement de Jésus selon Luc 23, 53-56a
- Lensevelissement par Joseph (23, 53-54)
Notons dabord les similitudes et les différences par rapport aux évangiles.
Semblable à Marc | Différent de Marc | Remarques |
Joseph nest pas un disciple de Jésus | | En plus du respect de la loi, Joseph agit probablement par respect et compassion |
| Tout comme chez Mt, Joseph na pas besoin dacheter | Sachant linjustice de la condamnation, il a dû prendre davance certaines mesures |
Joseph fait descendre le corps de Jésus | | |
| Tout comme Mt, il préfère le verbe : « envelopper » de toile de lin | Cest probablement le verbe standard de la tradition à la fin du 1ier siècle |
| Tout comme Mt, il préfère le verbe tithenai (déposer le corps) au katatithenai (coucher le corps) de Mc | |
Il préfère le mnēma (tombe) de Mc au mnēmeion (tombeau) de Mt | | |
Comme Mc, il ne parle pas dune tombe neuve | | Par contre, parlant dun lieu où personne navait été mis, il affirme léquivalent du tombeau neuf de Mt et poursuit sa perspective royale amorcée plus tôt avec lentrée de Jésus à Jérusalem, assis sur un ânon que personne navait monté (19, 30) |
| Il ny pas de mention dune pierre quon roule à lentrée du tombeau | Ce détail ne sera révélé quà Pâques |
| Luc place lindication de temps (jour de préparation et arrivée du sabbat) après lensevelissement, non avant comme chez Mc | Avec ce détail, Luc assure son lecteur que la loi juive a été respectée, et ensuite explique pourquoi les femmes doivent rentrer chez elles |
- Ce que les femmes ont vu et fait (23, 55-56a)
- Encore une fois, on se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (tous ceux connus de lui, les femmes qui lavaient suivi de Galilée), à lensevelissement (les femmes qui étaient venu avec lui de Galilée), au tombeau vide (Marie Magdeleine, Marie de Jacques, Jeanne, les autres femmes). Notons quà lensevelissement, les « tous ceux connus de lui » sont disparus. De ces femmes, Luc écrit : « ayant accompagné » (v. 55). Ayant accompagné qui? Probablement, Joseph, alors quil place le corps de Jésus dans la tombe. Les femmes notent non seulement le lieu du corps, mais le fait quon ne lavait pas parfumé dhuile (« comment le corps de Jésus était déposé »).
- « Puis, étant retournées (hypostrephein) ». Le verbe hypostrephein est typiquement lucanien. Les femmes retournèrent où? Elles retournèrent probablement là où elles séjournaient à Jérusalem, un lieu où elles avaient des aromates et de la myrrhe quelles pouvaient préparer. Il ny a aucune mention dachat, comme si Luc voulait que son lecteur sache que les femmes, dans leurs prévisions affectueuses, avaient déjà acquis ce qui est nécessaire : ces femmes qui avaient servi (diakonein) Jésus tout au cours de son ministère (8, 2-3), le serviront jusque dans la mort.
- Luc utilise le pluriel des mots grecs arōma (aromate) et myron (myrrhe), tout comme Jn 19, 40 pour arōma et Jn 19, 39 pour smyrnon, un synonyme de myrrhe. Le myron désigne toujours un liquide, donc une forme dhuile ou donction parfumée quappliquait sur le corps. Cétait donc le but des femmes de retourner au tombeau le dimanche pour parfumer le corps de Jésus.
- Luc laisse entendre que les femmes ont eu le temps de préparer les aromates et les huiles odorantes avant larrivée du sabbat le vendredi soir. Mais pourquoi se presser? La Mishna Šabbat 23.5 affirme que le jour du sabbat, « ils peuvent préparer tout ce qui est requis pour le corps, loindre, le laver, pourvu quon ne bouge aucun de ses membres ». Au-delà du fait que des lois plus sévères pouvaient avoir existé à lépoque de Jésus (la Mishna est du 2e s.), cette loi ne sapplique que dans le cas où on na pu ensevelir le mort avant le coucher du soleil, un cas différent de celui de Jésus.
- Lensevelissement de Jésus selon Jean 19, 38b-42
Le récit de Jean est très différent de celui de Marc : Jésus reçoit un ensevelissement honorable, car il sera parfumé avant de le mettre dans le tombeau. Cest la présence de Nicodème qui change tout, car cest lui qui apporte une mixture de myrrhe et daloès denviron cent livres. Cette présence est subite, car le « étant venu » signifie quil nétait pas au Golgotha lors de lexécution de Jésus. Comme le Joseph de Marc, il est un homme riche, un membre du Sanhédrin, un homme qui na pas eu le courage dexprimer sa relation à Jésus et doit le rencontrer de nuit (3, 1-10), ou encore de prendre parti pour linnocence de Jésus, se contentant de soulever un point technique de la loi (7, 50-52). Il faut assumer quil était riche, vu la quantité daromates quil apporte. Ce dernier geste démontre plus de courage quil nen a eu jusquici.
- « Environ cent livres » (19, 39b). Le litra correspond à environ 340 grammes, ce qui nous donne ici 34 kg. Cest une quantité extraordinaire (en Jn 12, 3-5, Judas est scandalisé du gaspillage dargent quand Marthe utilise une livre de myrrhe pour oindre les pieds de Jésus). Et si on parle dun produit sous forme de poudre, comme cela semble le cas ici, on se trouve à écraser le corps sous un monticule de myrrhe et daloès. Trouvant les quantités extravagantes, des biblistes ont essayé de trouver des solutions, comme remplacer hekaton (cent) par hekaston (chacun) pour obtenir : « myrrhe et daloès, environ une livre chacun »; ou encore, considérer litra comme une mesure de volume, et non de poids, ce qui donnerait environ 15 litres dhuile parfumée. Il vaut mieux prendre le texte tel quil est et reconnaître que ce nest pas la première fois que Jean utilise de grandes quantités dans des scènes symboliques pour exprimer labondance messianique, quon songe aux noces de Cana avec ses 500 ou 600 litres deau changée en vin (2, 6), ou la pêche miraculeuse avec ses 153 poissons (21, 11). Il veut créer une scène de funérailles royales (notons quà la mort dHérode le Grand, il a fallu 500 serviteurs pour transporter les aromates). Larrière-plan biblique est Jérémie 34, 5 (« cest en paix que tu (Sédécias) mourras. Et comme il y eut des parfums pour tes ancêtres, les rois de jadis qui furent avant toi, de même on en brûlera en ton honneur »). Cette idée de funérailles royales correspond à la proclamation solennelle en croix à travers lécriteau : le roi des Juifs (Jn 19, 19-20) et au fait quil fut enseveli dans un jardin.
- « Une mixture de myrrhe (smyrna) et daloès (aloē)... avec des aromates (arōma), selon la coutume chez les Juifs pour lensevelissement » (19, 39b-40). Ici, Jean ne parle pas donction (aleiphein, oindre) comme en 12, 3 à propos de laction de Marie à Béthanie. Cela pose la question de létat physique des aromates, i.e. sagit-il dune poudre sèche et de petits morceaux, ou plutôt dune huile parfumée aux aromates. En Marc 16, 1 les aromates sont clairement sous forme liquide, car les femmes veulent oindre le corps de Jésus. Par contre, dans un ensevelissement, on pouvait utiliser des aromates secs dont on saupoudrait le corps et le lieu où il était posé pour enlever les odeurs de décomposition. La description de Jean 19, 40 où on attache le corps de Jésus avec des pièces détoffe accompagnées daromates ne donne pas limpression dun liquide versé sur les pièces détoffe. Pour obtenir plus de précision, il faut analyser la relation entre les aromates et la myrrhe et laloès.
Myrrhe (smyrna)
Dans le vocabulaire grec, il a deux termes pour parler de la myrrhe, myron, utilisé par Luc et que nous avons traduit par huile odorante, et smyrna utilisé par Jean. La Septante emploie myron pour traduire lhébreu šemen (huile), et Josèphe (Antiquités judaïques 19.9.1 : #358) emploie myrizein pour parler dune onction parfumée. Cette huile végétale mélangée à une substance parfumée servait au culte, aux produits cosmétiques et à lensevelissement. Dans lonction de Béthanie (Mc 25, 4-8 || Mt 26, 6-12 || Jn 11, 2-5), myron désigne une huile odorante.
Par contre, smyrna traduit lhébreu mōr (de la racine mrr, amer) dans la Septante. Cette myrrhe est obtenue par pulvérisation de la gomme-résine qui suinte dun petit arbuste de la famille de la balsamine, appelé commiphora abyssinica, qui croît au sud de lArabie et au nord du Somaliland. En plus de ses propriétés médicinales, on lutilise comme encens, cosmétique et parfum (voir le verbe smyrnizein chez Mc 15, 23 pour décrire le vin parfumé). À lensevelissement, elle servait à éliminer les odeurs désagréables. On pouvait la trouver sous la forme solide (Ct 4, 6) ou liquide (Ct 5, 5).
Aloès (aloē)
Les botanistes ne sentendent pas sur la classification des références bibliques à laloès. Pour déterminer la catégorie daloès chez Jean, deux candidats ont été proposés.
- Il y a laloès ligneux, une poudre très aromatique obtenue de laquilaria agollocha, un arbre du sud-est asiatique, semblable au bois de santal, qui était importée pendant la période biblique et utilisée comme encens et parfum. LAncien Testament (Ps 45, 9; Pr 7, 17; Ct 4, 14) associe laloès à la casse, la cannelle et le nard. Par contre, en dehors du monde biblique et aujourdhui, cette plante nest pas vraiment considérée comme un aloès.
- Le deuxième candidat est vraiment un aloès médicinal, un liquide séché obtenu de lAloe vera. Il y a plusieurs espèces dAloe vera, dont lAloe succotrina provenant des côtes du Yemen avec lequel la Palestine faisait du commerce, et qui avait une odeur âcre et déplaisante, utilisé en médecine et dans lembaumement. Par contre, il ne sagit pas ici dembaumement.
Aussi, en considérant le fait que Jean emploie aloès avec myrrhe, il faut envisager deux substances odorantes, ce qui élimine lAloe succotrina. De plus, comme la plupart des références bibliques parlent dune substance pulvérisée, il est probable que Jean entend désigner des aromates secs. Et il est même probable que les aromates ne désignent pas ici une troisième substance à côté de la myrrhe et de laloès, mais le mélange des deux. Voilà ce dont on couvre le corps de Jésus, et voilà pourquoi la présence des femmes est inutile chez Jean.
- « Attaché (dein) avec des pièces détoffe (othonion) » (19, 40). Il nest pas facile de saisir ce que Jean essaie de dire. Plus tôt, il nous a présenté une scène avec des mots semblable dans le récit de Lazare ressuscité : « Le mort sortit, les pieds et les mains attachés (dein) de bandelettes (keiria) » (11, 44). Pourquoi Lazare a-t-il été attaché avec des keiria (bandelettes), et Jésus avec des othonion (pièces détoffe) sous la plume du même auteur? Rappelons que si lutilisation des bandelettes était commune en Égypte pour les momies, elle ne létait pas en Palestine. De son côté, Marc a parlé dune toile de lin (sindōn) dans lequel on a enroulé Jésus, ce qui présuppose un resserrement du corps plus lâche. Mais surtout, il parle dune seule pièce détoffe, alors que Jean parle de plusieurs. Cela a suscité beaucoup de discussions chez les biblistes, les uns proposant que sindōn (toile de lin) est une espèce de la catégorie othonion (pièces détoffe), et dautres proposant linverse. Que conclure? Sindōn et othonion, surtout au pluriel, sont pratiquement synonymes. Et il faut admettre aussi que chaque évangéliste, plutôt que se référer à une tradition historique, ont probablement préférer décrire la pratique funéraire de leur milieu.
- Comment évaluer le geste de Nicodème? Jean nous a présenté Nicodème comme un sympathisant secret de Jésus (3, 2), qui prend sa part sur des points techniques (7, 50-51), mais qui ne va pas jusquà safficher ouvertement, si bien quil tombe sous le reproche formulé par Jésus : « Toutefois, il est vrai, même parmi les notables, un bon nombre crurent en lui, mais à cause des Pharisiens ils ne se déclaraient pas, de peur dêtre exclus de la synagogue, car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu » (12, 42-43). Alors comment évaluer son geste au tombeau?
- Certains biblistes ont interprété de manière négative cette scène : si Nicodème apporte une telle quantité daromates, cest quil na pas compris que Jésus vit par delà la mort, et lier Jésus avec des pièces détoffe est totalement inutile, car Jésus devra sans débarrasser pour ressusciter. Joseph et Nicodème sont dans un cul de sac, car ils considèrent ces funérailles comme définitives et ne voient rien par delà le tombeau. Ainsi, selon ces biblistes, lévangéliste Jean mettrait Joseph et Nicodème en contraste avec le disciple bien-aimé, qui lui, croit en la résurrection.
- Les avocats dune interprétation négative de cette scène se basent sur une mauvaise compréhension de la foi chez Jean qui a plusieurs niveaux. Bien sûr, le disciple bien-aimé est le disciple par excellence en démontrant une foi très perspicace, mais cela ne signifie pas que les autres nont pas la foi, comme le voit quand le disciple bien-aimé et Pierre sont mis en contraste (voir la scène du tombeau vide). De plus, pour Jean la scène densevelissement na rien de négatif : la résurrection ne rend pas inutile lensevelissement, il le rend insignifiant; il sagit simplement de suivre la coutume (19, 40).
- Comment donc interpréter le geste de Nicodème? Alors que jusquici il avait agit dans lombre, il agit maintenant en plein jour. Il en est de même de Joseph qui avait peur de safficher ouvertement par peur des Juifs, voilà quil est présenté en rival des Juifs en réclamant aussi le corps de Jésus. Alors que tous les deux avaient donné la priorité jusquici à « la gloire des hommes », voilà quils changent leur priorité. La quantité daromates renvoie surtout à lidée dun ensevelissement royal, et non pas à celui dun cul sac ou dun point final. Dailleurs, on aura remarqué que Joseph et Nicodème ne posent pas de pierre à lentrée du tombeau et ne le scellent pas.
- Il est important de situer cette scène dans le cadre de la la structure du récit de Jean présentée plus tôt. Les deux premiers épisodes (1. lécriteau sur le roi des Juifs au-dessus de la tête de Jésus; 2. le partage des vêtements par les soldats) montraient comment les ennemis de Jésus ont contribué, sans le savoir, à la victoire de la croix, et maintenant les deux derniers épisodes (5. le côté percé de Jésus et témoignage de celui qui a vu; 6. lensevelissement par Joseph et Nicodème) décrivent deux groupes différents de croyants qui glorifient Jésus en faisant ressortir les implications de cette mort : il y a dabord le disciple bien-aimé qui témoigne que, la demande des Juifs à Pilate, amène un soldat à amorcer la réalisation de la promesse de Jésus de leau vivante de lEsprit qui sortira de lui, puis cest maintenant Joseph et Nicodème qui ont reçu le courage de témoigner publiquement. On voit se réaliser la parole de Jésus : « Une fois élevé de terre, jattirerai tous les hommes à moi » (12, 32).
- Un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf dans lequel personne nétant encore ayant été déposé. Donc, là, à cause de la préparation des Juifs, car proche était le tombeau, ils déposèrent Jésus » (19, 41-42). Le récit de Jean implique que le lieu densevelissement de Jésus nétait pas loin du lieu où il fut crucifié, ce qui est également impliqué par les synoptiques. Mais ce quil y a de particulier chez lui, cest que le tombeau se trouvait dans un jardin (kēpos), une tradition qui apparaît probablement de manière indépendante dans lévangile de Pierre. Ce fait est-il plausible? Et quelle signification Jean lui donne-t-il?
- Vraisemblance
Lensevelissement chez les Juifs avait lieu à lextérieur des murs de la ville. Au temps de Jésus, une jonction majeure à louest du mur nord, qui englobait le site de la forteresse Antonia (voir le 2e mur de la carte sur Jérusalem), sappelait Gennath (Josèphe, La guerre juive, 4.4.2 : #146), un nom lié à la Porte du jardin (de lhébreu gan, et laraméen gannā = jardin), lune des quatre portes du mur nord. Le nom de cette porte provenait de la présence de jardins dans cette section nord. Et il y avait des sépultures importantes au nord des murs, par exemple ceux des grands prêtres Jean Hyrcan et Alexandre Jannée. Cyril de Jérusalem (vers 350) rapporte quon peut encore voir les restes dun jardin qui avait existé autrefois sur un site adjacent à la basilique du Martyrion que Constantin venait récemment de construire pour honorer le site traditionnel du tombeau de Jésus (voir Catéchèses 14.5). Ainsi, le scénario de Jean où le tombeau de Jésus serait dans un jardin est tout à fait plausible.
- Signification
Nous avons déjà fait remarquer que le récit de la passion de Jean commence dans un jardin, de lautre côté du Cédron (18, 1). Le fait quil se termine également dans un jardin fait inclusion. Est-ce voulu. Cest fort possible. Mais la signification que lauteur entend donner à la symbolique du jardin est moins claire. Dans la Bible, les rois de Judas étaient ensevelis dans des tombeaux situés dans des jardins (2 Rois 21, 18.26). Daprès Néhémie 3, 16, cela aurait été le cas du sépulcre du roi David. Alors Jean, qui entend présenter des funérailles royales, invite-t-il son lecteur à faire ce rapprochement? Les données manquent pour le démontrer, mais ce serait tout à fait approprié de sa part.
- Analyse
- La préparation et linhumation du corps
La description de linhumation chez Marc est laconique : Joseph fait descendre le corps, lattache avec une toile de lin, le dépose dans un tombeau taillé dans le roc. Matthieu et Luc ont embelli le récit à leur façon. Après lensevelissement, Marc nous dit que Joseph roule une pierre sur lentrée du tombeau. Le récit de Jean est plus compliqué en raison de la présence de Nicodème. Néanmoins, si on se concentre seulement sur Joseph, en oubliant Nicodème et ses aromates, on se retrouve avec ceci : Joseph vient et prend le corps, lattache avec des pièces détoffe, et le dépose dans un tombeau situé dans un jardin tout près, un tombeau nouveau dans lequel personne navait été placé. La partie en italique représente un embellissement qui provient probablement dune étape ultérieure de la tradition johannique. Une fois enlevé cet embellissement, les récits de Marc et Jean apparaissent semblables. Comme Jean est indépendant de Marc, on peut affirmer quune tradition commune sest formée en langue sémitique à un stade préévangélique, et que cette tradition commune a pris des variantes différentes quand elle a été formulée en grec, avant même dêtre utilisée par les évangélistes. Dans sa version préévangélique, il ny a rien dans cette tradition qui rend improbable sa valeur historique. Regardons maintenant dautres détails.
- Est-ce que cest Joseph qui est responsable de lenlèvement de Jésus de la croix selon le récit préévangélique?
Les évangiles sentendent pour dire quil fallait la permission de Pilate, mais ne sentendent plus sur la suite des choses : pour lun, les soldats de Pilate se sont occupés de détacher les corps (Matthieu implicitement, Jean), pour lautre cest Joseph (Marc, Luc). Malheureusement, les données manquent sur la coutume romaine concernant les funérailles particulières des crucifiés. Les Romains tenaient-ils à se montrer maître de la situation en ne laissant personne toucher au corps, ou au contraire, sépargnaient-ils leffort de détacher les corps et laissaient avec mépris le requérant faire le travail physique? Faute de données, on ne peut trancher cette question, mais la première réponse apparaît la plus probable.
- Quels sont les détails sur le tombeau qui faisaient partie du récit préévangélique de lensevelissement?
Marc nous dit que le tombeau était taillé dans le roc, un détail que ne mentionne pas Jean, qui écrit plutôt quil était situé dans un jardin tout près du site de la crucifixion. Nous avons déjà mentionné que des tombeaux taillés dans le roc étaient communs dans cette section nord de Jérusalem, et quil y avait une porte appelée « porte du jardin », vraisemblablement en raison de la présence de jardins ou vergers. Ainsi, si des chrétiens ont conservé le souvenir du tombeau de Jésus, tous ces détails pourraient exprimer des faits, comme la présence dune pierre pour bloquer lentrée dun tombeau à lhorizontal et le fait quil était tout près du lieu de la crucifixion, un détail vraisemblable en admettant le peu de temps dont on disposait pour transporter le corps. Mais il ny aucun moyen de poser un jugement définitif. Il est peu probable que les chrétiens se souvenaient du tombeau exact où Jésus a été déposé. Et le fait quil ny ait pas daccord chez Marc et Jean sur ces détails rend peu probable quils faisaient partie dune tradition préévangélique. Quant au détail sur le tombeau neuf où personne navait été placé (Matthieu, Jean), cest clairement un ajout ultérieur dans un but apologétique.
- Joseph a-t-il fermé le tombeau avec une pierre dans le récit préévangélique?
Daprès Marc, Joseph a roulé lui-même la pierre sur la porte du tombeau. Par contre, ni Luc ni Jean ne précisent qui a apporté cette pierre. Dans lévangile de Pierre, ce sont les soldats romains et les autorités juives. Mais, le dimanche de Pâques, les cinq évangiles sentendent pour dire que la pierre a été enlevée. Et dans la tradition préévangélique sur la découverte du tombeau vide par Marie Magdeleine, on spécifie que le tombeau est ouvert parce que la pierre a déjà été enlevée. Quel sens donner à tout cela? On peut imaginer que, connaissant cette tradition de la découverte le dimanche matin de la pierre enlevée, on a extrapolé que cette pierre a dû être mise là par celui qui était responsable de son ensevelissement, Joseph. Parler dextrapolation nempêche pas que cela puisse être un fait historique, tout comme accepter comme probablement historique que Joseph ait fermé le tombeau de Jésus nimplique pas nécessairement que cela fasse partie de la tradition préévangélique. Ce dernier point napparaît pas chez Jean, et cela suggère quil ny avait pas de fermeture de tombeau dans la tradition préévangélique. Mais il faut reconnaître que cest peut-être Jean qui a éliminé ce détail pour montrer que Joseph, nouveau disciple, était ouvert sur la résurrection.
- Les aromates ont-ils été mentionnés dans le récit préévangélique de lensevelissement?
Jean mentionne, dans la scène autour de Nicodème, la myrrhe, laloès et les aromates sous forme solide. Luc raconte que des femmes préparent le vendredi soir, avant larrivée du sabbat, des aromates et de la myrrhe sous forme liquide. Chez Marc, les femmes achètent des aromates liquides le matin de Pâques, avant de se rendre au tombeau. Comme aucun de ces trois évangélistes nassocient les aromates à Joseph, on peut conclure quil est peu probable que la tradition préévangélique sur lensevelissement contenait une mention des aromates.
- La présence et lactivité des personnages autres que Joseph
- Les femmes galiléennes
- Si on se réfère au tableau sur les femmes que nous avons présenté plus tôt, on se rappellera quelles apparaissent à trois moments : à la croix, à lensevelissement et au tombeau vide à Pâques. Le consensus général chez tous les évangélistes est Marie Magdeleine trouvant le tombeau vide le dimanche de Pâques. Si on ajoute à cela la tradition ancienne sur Marie Magdeleine comme la première personne à avoir fait lexpérience de Jésus ressuscité, tout cela a pu contribuer à nourrir la mémoire sur les femmes galiléennes. Dans ce souvenir, on peut inclure la tradition de la présence de ces femmes sur le lieu de la crucifixion de Jésus, comme en témoigne à la fois Marc 15, 40 et Jean 19, 25 : il est fort probable que la tradition préévangélique mentionnait la présence de trois femmes à la crucifixion, Marie Magdeleine, une autre Marie, et une troisième femme.
- Mais leur présence à lensevelissement présente des problèmes. Chez Jean, elles sont absentes. Chez Marc, elles ne jouent aucun rôle dans lensevelissement. Il est donc tentant dy voir une création après coup : à partir de leur présence au tombeau vide et de la tradition de leur présence à la crucifixion, on a assumé quelles devaient être là au moment de lensevelissement. Pour Marc, cela permettait de faire le lien entre la crucifixion et la résurrection : Joseph se trouve à conclure le récit de la passion avec lensevelissement, tandis que lobservation des femmes nous oriente vers la résurrection qui sen vient.
- Ainsi, la tradition ancienne sur les femmes à la crucifixion contenait trois noms : Marie Magdeleine, une autre Marie et une troisième femme, et la tradition ancienne au tombeau vide contenait le nom de Marie Magdeleine (et vaguement dautres femmes). On peut imaginer que les noms des femmes au tombeau vide furent harmonisés avec celle à la crucifixion, mais sous une forme abrégée : chez Marc, cest devenu Marie Magdeleine, Marie de Jacques et Salomé (16, 1). Quant à leur présence à lensevelissement, une création après coup, cette forme abrégée chez Marc sest poursuivie, mais cette fois avec la décision consciente de nommer ici celui qui sera omis en 16, 1: Marie Magdeleine et Marie de José. Matthieu a poussé plus loin la simplification en parlant seulement de Marie Magdeleine et de lautre Marie à la fois à lensevelissement et au tombeau vide.
- Nicodème
- Ce personnage napparaît que chez Jean, et donc est absent des synoptiques. Comment expliquer cela? Les biblistes se sont demandés : en plus de Joseph, il y a peut-être eu dautres membres du Sanhédrin sympathiques à Jésus, et la tradition les aurait sans doute tous amalgamés dans la figure de Joseph, sauf lévangéliste Jean? Le problème avec ce point de vue est quil contredit le fait que Jésus aurait reçu un ensevelissement rapide et minimal, typique pour un criminel dans une situation où on veut simplement respecter la loi; il ny a pas de place pour une figure juive sympathique à Jésus. À lopposé, certains biblistes ont soutenu que Nicodème est une pure création de lévangéliste Jean, un sosie de Joseph pour lui attribuer dautres fonctions en dehors de lensevelissement, un modèle pour les chefs de synagogues qui avaient des sympathies pour les chrétiens de la communauté johannique, sans safficher ouvertement. Ce dernier point de vue est peu probable.
- Commençons avec 2 observations quon peut faire avec assurance.
- Le rôle de Nicodème était absent du récit préévangélique de lensevelissement; ce rôle est typiquement johannique dans sa présentation de lensevelissement comme le sommet dans la croix victorieuse
- Tout comme le disciple bien-aimé avec la scène sur le sang et leau, Nicodème a pour fonction détablir la symbolique théologique de la scène densevelissement
Mais parler dune fonction théologique ne signifie pas quil ne sagit pas dune figure historique. Par exemple, à plusieurs reprises Simon Pierre joue une fonction symbolique, cela nempêche pas quil puisse également être un figure historique. Il en est de même du disciple bien-aimé, une figure insignifiante dans la tradition commune, surtout si on la compare à celle des Douze, mais qui avait une importance majeure dans la communauté johannique pour laquelle il était un modèle à suivre. Aussi, on na aucune raison de nier lhistoricité de la figure de Nicodème, sans aller cependant jusquà garantir quil était présent à lensevelissement, tout comme on ne peut garantir de la valeur historique de toutes les apparitions du disciple bien-aimé chez Jean. Pour établir la valeur historique dune scène, il faut dautres éléments, en particulier la présence ou labsence de contraction avec les récits synoptiques. Dans le cas qui nous occupe, il y a apparemment une contraction.
- Léglise du Saint-Sépulcre de Jérusalem
- Cette église est située là où il est vraisemblable que Jésus fut crucifié et enseveli, i.e. au nord du second mur, près de la « Porte du jardin ». Les fouilles ont révélé une ancienne carrière qui avait commencé à être remplie pour servir de jardin pour les céréales et les arbres fruitiers (figues, caroubes, olives), ainsi que de site densevelissement, surtout des kōkîm (sorte de pigeonnier). Mais pourquoi le site du Saint-Sépulcre serait-il le plus probable, parmi tous les sites possibles?
- Commençons par la question : quelle est la probabilité que les chrétiens se seraient souvenus correctement du tombeau de Jésus, alors quils nont pas gardé de souvenir sur beaucoup dautres événements qui lui sont associés? Même si une tradition ancienne raconte la découverte du tombeau vide par Marie Magdeleine, les récits que nous avons sont lourdement marqués par une perspective théologique, comme en témoigne lajout dun ou des anges, pour exprimer la signification religieuse du tombeau vide. Malheureusement, lintérêt pour la symbolique du tombeau ne saccompagne pas nécessairement dune connaissance exacte du site. Même la remarque de Marc dun tombeau taillé dans le roc ne nous aide pas beaucoup.
- Ce quon sait par ailleurs, il y avait à cette époque une vénération croissante pour les tombeaux des martyres et des prophètes. Les tombeaux présumés des Maccabées étaient vénérés. Au 4e s., des chrétiens dAntioche avaient fait des tombeaux juifs un lieu de prière et de pèlerinage (voir La vie des Prophètes, dont la tradition pourrait remonter au 1ier s., sur les tombeaux dIsaïe à Jérusalem, dAggée, de Zacharie). La vallée du Cédron et le nord de Jérusalem sont couverts de tombeaux monumentaux. Un exemple typique est le tombeau de la reine Hélène dAdiabène, morte environ 25 ans après Jésus, qui est taillé dans une carrière, contenant à la fois un kōkîm et un arcosolium, fermé par une pierre quon roule. Alors, dans ce contexte, puisque le tombeau vide de Jésus était associé à sa résurrection, les chrétiens ont peut-être vécu ce que dit Berakot 9.1 : « Quand un lieu indique lendroit où sest opéré des merveilles en Israël, dites : Que soit béni Celui qui a fait des merveilles pour nos ancêtres à cet endroit ».
- Dautres facteurs ont pu jouer dans le souvenir du lieu. Jacques, le frère de Jésus, était une figure imminente dans lÉglise de Jérusalem jusquà ce quil soit mis à mort en lan 62 par le grand prêtre Ananie II (Josèphe, Antiquités Judaïque 20.9.1 : #200). Au cours de cette période qui sétend de lan 30 (mort de Jésus) jusquà sa mort, il a pu démontrer un intérêt familial pour la tombe de son frère, tout comme le reste des membres de la famille, un intérêt qui a pu contribuer à une tradition vivante. Les ensevelissements dans ce jardin de la carrière se sont arrêtés avec la construction dun troisième mur par Agrippa I (41-44), étendant les limites de la ville beaucoup plus au nord (voir la carte sur Jérusalem). Le souvenir du site a été davantage compliqué avec la seconde révolte juive quand lempereur Hadrien, après avoir mâté la révolte, a reconstruit la ville sous un nouveau nom, Aelia Capitolina, et en lan 135, a fait construire un temple à Aphrodite, une structure carrée sise sur une immense plateforme couvrant, probablement de manière accidentelle, le lieu même du site du tombeau de Jésus (voir la maquette du site et du temple). Quant au Golgotha, si on en croit saint Jérôme, il sortait en saillie de la plateforme et servait de base à la statue dAphrodite.
- Cest en 325, selon Eusèbe de Césarée et Cyrille de Jérusalem, tous deux contemporains des événements, que les architectes de lempereur Constantin, qui voulait mettre à jour les lieux saints et les honorer avec une église, consultèrent la tradition locale sur le site de la crucifixion et du tombeau. Après avoir démoli les bâtiments et creusé le remplissage, ils arrivèrent à un tombeau sous forme de caverne. Cyrille de Jérusalem, qui a prêché dans la basilique de Constantin vers lan 350, parle dune grotte ou caverne, prétendant que la pierre pour la fermer était encore là. Les architectes de Constantin ont dabord construit un basilique orientée est-ouest, appelée Martyrion (complétée en 336, voir la maquette du site). Puis, ils ont travaillé sur le tombeau, dans un jardin de la cour de la basilique, laissant intact lintérieur avec sa niche, mais éliminant lantichambre ainsi que le mur de roc qui lentourait, laissant simplement la forme dun bloc se détachant du sol; sur cet ensemble ils ont édifié un édicule, appelé « anastasia » (résurrection), avec une coupole dorée et des colonnes de marbre. Quant au Golgotha, il jouxtait le mur ouest de la basilique. Ainsi, lédicule de la résurrection, la basilique et le Golgotha formaient un complexe avec trois sites majeurs.
- Regardons rapidement la suite des événements.
614 | Les Perses envahissent la ville et enlèvent les précieuses décorations de lédicule, mais ne touchent pas au tombeau qui nest pas endommagé par lincendie accompagnant le pillage |
Vers 900 | Incendie majeur qui nendommage pas le tombeau |
1009 | Ḥākim, du califat fatimide du Caire, dans un effort pour abolir le christianisme, détruit tout le complexe et nivelle pratiquement le tombeau, laissant seulement les traces des murs nord et sud |
1049 | On érige une réplique du tombeau et on restaure partiellement lédicule, mais sans rebâtir la basilique |
1099 | Les croisées construisent une église couvrant à la fois le tombeau et le calvaire, complétée en 1149 et ayant à peu près la forme de léglise actuelle (voir la maquette). Le Golgotha, à lintérieur de léglise, est équarri et recouvert dun coffre de marbre. Quand au site du Saint-Sépulcre, il devient un lieu densevelissement pour les rois croisés du Royaume latin de Jérusalem |
1187 | Les croisés sont expulsés |
13e 20e s. | Une suite dincendies et de tremblements de terre laissent beaucoup de cicatrices et affaiblissent la structure de léglise. Léglise est enlaidie par un ensemble de poutres qui demeurent là pour lempêcher de sécrouler |
1959 | Début de sa reconstruction et redécouverte des structures souterraines, en particulier des vestiges timides des murs de la caverne qui a les meilleurs chances dêtre le lieu densevelissement taillé dans le roc où Joseph aurait déposé le corps de Jésus. |
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Chapitre suivant: L'ensevelissement de Jésus, troisième partie : le jour du sabbat; le garde au sépulcre
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