Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.2: Acte 4, scène 2 - #39. L'ensevelissement de Jésus, deuxième partie : on dépose le corps dans un tombeau, pp 1242-1283, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


L'ensevelissement de Jésus, deuxième partie : on dépose le corps dans un tombeau
(Mc 15, 46-47; Mt 27, 59-61; Lc 23, 53-56a; Jn 19, 38b-42)


Sommaire

Selon Marc, Joseph aurait fait acheter une étoffe de lin dans lequel on aurait enroulé le corps de Jésus, avant de le déposer dans un tombeau tout près, creusé de manière verticale dans le roc; on devait avoir prévu un lieu d’ensevelissement pour les crucifiés, i.e. des trous creusés dans la paroi rocheuse de la colline utilisée pour l’exécution, par exemple des kōkîm ou sorte de pigeonnier. Matthieu reprend le récit de Marc, mais puisque pour lui Joseph est un disciple de Jésus, il rehausse la qualité de l’ensevelissement en enveloppant avec vénération le corps de Jésus dans une toile de lin blanche propre et en le déposant dans son propre tombeau tout neuf. Luc, pour sa part, emprunte la même direction que Matthieu avec le geste d’envelopper avec vénération le corps de Jésus, et surtout de donner une perspective royale à l’ensevelissement avec un tombeau où personne n’avait encore été mis. Et il y a le rôle des femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée : elles notent non seulement le lieu du corps, mais le fait qu’on ne l’avait pas parfumé d’huile, si bien qu’elles s’en retournent à leur lieu de séjour à Jérusalem pour préparer des aromates et de la myrrhe. Avec Jean, nous avons un ensevelissement royal, dans un jardin, sous la direction de Nicodème avec 34 kg d’aromates secs, composés de myrrhe et d’aloès, déposés sous le corps et autour, un corps qu’on avait attaché avec des pièces d’étoffe; pour Jean, Nicodème est maintenant un disciple de Jésus, capable de s’afficher ouvertement, résultat de l’eau vive qui est sortie du côté de Jésus, par laquelle celui-ci est en train d’attirer tout homme à lui.

Dans la mesure où on peut reconstituer la tradition préévangélique, l’ensevelissement de Jésus a été minimal et rapide par un membre du Sanhédrin, Joseph, sans aromates ou parfums, et le corps a été déposé tout près dans un tombeau où se trouvait également un jardin. L’évolution de cette tradition dans les milieux chrétiens a eu tendance à remplacer cet ensevelissement peu honorable, propre à un criminel, par une inhumation plus digne et même royale. Il est peu probable que la tradition préévangélique mentionnait des femmes à l’ensevelissement : elle nommait Marie Magdeleine et peut-être d’autres femmes lors de la découverte du tombeau vide, elle nommait Marie Magdeleine et un autre Marie lors de la crucifixion, et une troisième femme, mais ce n’est qu’après coup qu’on a postulé que ces femmes, présentes à la crucifixion et au tombeau vide le dimanche de Pâques, devait également être à l’ensevelissement.


  1. Traduction
  2. Commentaire
    1. L’ensevelissement de Jésus selon Marc 15, 46-47
      1. L’achat d’une toile de lin, la descente du corps, l’enveloppement dans le tissu et l’ensevelissement (15, 46a)
      2. Rouler la pierre contre la porte du tombeau (15, 46b)
      3. Les deux Marie (15, 47)
    2. L’ensevelissement de Jésus selon Matthieu 27, 59-61
    3. L’ensevelissement de Jésus selon Luc 23, 53-56a
      1. L’ensevelissement par Joseph (23, 53-54)
      2. Ce que les femmes ont vu et fait (23, 55-56a)
    4. L’ensevelissement de Jésus selon Jean 19, 38b-42
      1. « Environ cent livres » (19, 39b)
      2. « Une mixture de myrrhe et d’aloès... avec des aromates, selon la coutume chez les Juifs pour l’ensevelissement » (19, 39b-40)
      3. « Attaché avec des pièces d’étoffe » (19, 40)
      4. Comment évaluer le geste de Nicodème?
      5. Un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf... » (19, 41-42)
  3. Analyse
    1. La préparation et l’inhumation du corps
      1. Est-ce que c’est Joseph qui est responsable de l’enlèvement de Jésus de la croix selon le récit préévangélique?
      2. Quels sont les détails sur le tombeau qui faisaient partie du récit préévangélique de l’ensevelissement?
      3. Joseph a-t-il fermé le tombeau avec une pierre dans le récit préévangélique?
      4. Les aromates ont-ils été mentionnés dans le récit préévangélique de l’ensevelissement?
    2. La présence et l’activité des personnages autres que Joseph
      1. Les femmes galiléennes
      2. Nicodème
    3. L’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem

  1. Traduction

    La traduction du texte grec est la plus littérale possible afin de permettre la comparaison des mots utilisés. Les passages chez Luc, Matthieu et Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. En bleu, on trouvera ce qui est propre à Luc et Matthieu. En rouge ce qui est propre à Jean et à un autre évangéliste. L’évangile de Pierre est exclu de cette comparaison.

    Marc 15Matthieu 27Luc 23Jean 19Évangile de Pierre
    38d Donc, il (Joseph) vint et emporta le corps de Jésus.
    39 Puis, vint aussi Nicodème, l’étant venu vers lui de nuit au début, apportant une mixture de myrrhe et d’aloès, environ cent livres.
    40 Ils prirent le corps de Jésus et ils l’attachèrent avec des pièces d’étoffe accompagnées d’aromates, selon la coutume des Juifs d’ensevelir.
    46 Et ayant acheté une toile de lin, et l’ayant fait descendre, il enroula dans la toile de lin et le coucha dans une tombe qui avait été taillée dans un roc; et il roula une pierre sur l’entrée du tombeau.59 Et ayant pris le corps, Joseph l’enveloppa dans une toile de lin blanche propre 60 et le déposa dans son tombeau neuf qui a été taillé dans le roc et, ayant roulé une grande pierre à l’entrée du tombeau, il s’en alla.53 Et l’ayant fait descendre, il l’enveloppa dans une toile de lin et le déposa dans une tombe sculptée dans la roche, où personne n’était avoir été placé jusque là.41 Puis, était en ce lieu où il fut crucifié un jardin et dans le jardin un tombeau neuf, dans lequel personne n’était encore ayant été déposé.6, 24 Ayant pris le Seigneur, il (Joseph) le lava, l’enveloppa dans une toile de lin et le porta dans son propre sépulcre, appelé jardin de Joseph. 8, 32 Et ayant roulé une grande pierre, tous ceux qui étaient là, ensemble avec le centurion et les soldats, (la) placèrent contre la porte de la tombe.
    54 Et c’était un jour de préparation et (le) sabbat se pointait.42 Donc, là, à cause de la préparation des Juifs, car proche était le tombeau, ils déposèrent Jésus.
    47 Puis, Marie Magdeleine et Marie de José observaient où il avait été déposé.61 Puis, était là Marie Magdeleine et l’autre Marie, étant assises en face du sépulcre.55 Puis, les femmes, lesquelles étaient venues avec lui à partir de la Galilée, ayant accompagné, regardèrent le tombeau et comment le corps de Jésus était déposé.
    56a Puis, étant retournées, elles préparèrent les aromates et les huiles odorantes.

  2. Commentaire

    Rappelons ce que nous avons vu précédemment. La tradition la plus ancienne représentée par Marc et la couche préévangélique de Jean présentent Joseph comme un membre du Sanhédrin qui l’a condamné, un Juif pieux, qui voit à l’ensevelissement de Jésus pour des raisons religieuses : c’est un ensevelissement rapide et sans cérémonie, tel qu’il convenait à un criminel crucifié. Mais la question se pose : qu’aurait été un ensevelissement honorable selon la coutume juive? Les données sont parcellaires. Au minimum, il aurait fallu laver le corps plein de sang. De fait, la Mishna Šabbat 23.5 mentionne parmi les coutumes d’ensevelissement le lavement et l’onction du corps, son arrangement et le ficelage du menton et la fermeture des yeux. Dans la littérature juive on parle aussi de la coupe de cheveu, l’habillement avec soin du corps, la couverture de la tête par un voile, et peut-être aussi l’attachement des mains et des pieds pour transporter le corps. Ainsi, Tabitha (Actes 9, 37) a eu un ensevelissement honorable, car on a lavé son corps, on l’a déposé dans la chambre haute et les gens sont venus la pleurer. Ananie et Saphire n’ont pas eu d’ensevelissement honorable (Actes 5, 6.10). Ainsi, tout indique que Jésus n’a pas eu d’ensevelissement honorable : on n’a pas lavé son corps, et on ne l’a pas pleuré. Voilà le témoignage des synoptiques. Seul Jean 19, 40 s’écarte de ce témoignage pour des raisons théologiques.

    1. L’ensevelissement de Jésus selon Marc 15, 46-47

      1. L’achat d’une toile de lin, la descente du corps, l’enveloppement dans le tissu et l’ensevelissement (15, 46a)

        • Sindōn est un mot grec qui peut désigner la sorte de tissue et/ou ce qu’on en a fait. Le sens premier renvoie à du matériel de lin de bonne qualité, et de manière secondaire à une tunique, un drap, un voile, ou une toile de ce matériel. On peut difficilement être plus précis quand à sa largeur ou longueur. Tout ce qu’on sait, c’est que Joseph a acheté une pièce de lin.

        • Certains biblistes se sont posé la question : comment Joseph a-t-il pu avoir le temps d’acheter cette pièce d’étoffe puisque c’était déjà le soir. On peut facilement imaginer que Joseph n’a pas tout fait lui-même et qu’il a fait accomplir certaines tâches par d’autres. On a un indice avec ce pluriel en Marc 16, 6 : « Voyez le lieu où ils l’ont mis ».

        • Le seul geste funéraire qui a été accompli est celui d’enrouler le corps dans une toile de lin, rien d’autre. Plus tôt, à Béthanie, Marc 14, 8 nous présente cette scène où une femme répand sur la tête de Jésus un parfum très cher et met dans la bouche de Jésus cette parole : « d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement ». Comme Marc n’avait pas de tradition d’onction du corps de Jésus à l’ensevelissement, insérer cette scène dans son évangile était la seule façon de donner à Jésus un ensevelissement honorable.

        • Pour décrire le lieu de l’ensevelissement, les évangiles utilisent différents mots qui sont à peu près tous synonymes. Voici des statistiques pour l’ensemble des récits de la passion et de la résurrection :

          • Mnēma « tombe » : Mc (2); Lc (2); EvP (3)
          • Mnēmeion « tombeau » : Mc (5); Mt (3); Lc-Ac (7); Jn (9); EvP (3)
          • Taphos « sépulcre » : Mt 4; EvP (7) (entaphiazein, « mettre dans un sépulcre » : Mt (1), Jn (1); thaptein, « ensevelir » : 1 Co 15, 4; Ac 2, 29)

          Notons enfin qu’il était courant de se servir des carrières pour creuser des tombeaux, et que le Golgotha était un monticule au milieu d’une carrière, inutile pour tailler des pierres, mais utile pour tailler des tombeaux.

      2. Rouler la pierre contre la porte du tombeau (15, 46b)

        • Le tombeau était-il creusé verticalement ou horizontalement? On trouvait les deux types dans le monde juif. Le tombeau sous forme d’un puits vertical était le plus commun pour l’ensevelissement privé. Pour Jésus, nous avons deux indices. D’une part, tous les évangiles parlent d’une pierre, et même d’une pierre très grosse (Mc 16, 4) pour bloquer la porte (thyra) ou entrée du tombeau, une pierre qu’on roule (proskyliein, apokyliein, anakylien); cela prévenait le ravage des animaux sauvages. D’autre part, Jean 20, 5 mentionne que l’autre disciple doit se penchant pour voir l’intérieur du tombeau, sans y entrer. Ces deux indices nous amènent à imaginer un tombeau percé sur le côté d’un rocher et dans laquelle on entrait par une ouverture au niveau du sol d’environ un mètre, si bien qu’on devait se pencher ou même ramper pour s’y introduire. Pour les tombeaux plus élaborés, il existait une dalle de pierre en forme de roue qu’on pouvait rouler sur un rail à l’entrée. Matthieu 28, 2 imagine une forme de bloc de roche à l’entrée, car l’ange s’y assoit après l’avoir roulé (les évangélistes n’ont probablement jamais vu le tombeau de Jésus, et se l’imaginent chacun selon son milieu).

          Arcosolium dans une catacombe
          romaine (4e s.), Via Dino Campagni
          Arcosolium À quoi ressemblait l’intérieur du tombeau de Jésus? Bien souvent, un tombeau horizontal s’ouvrait sur plusieurs pièces comme dans une caverne, assez hautes pour qu’un individu se tienne debout. On trouve plusieurs styles. Il y a le kōkîm, un locule (des trous larges d’environ 60 cm et profonds d’environ 2 m, sous forme de pigeonnier). Il y a aussi le banc de pierre, creusé sur les trois faces à l’intérieur du tombeau, sur lequel on pouvait déposer le corps. Enfin, il y l’arcosolium, une niche semi-circulaire à un mètre du sol, profond de 2 mètres. Les évangiles ne nous disent rien sur les dispositions d’hébergement, mais Marc 16, 5 présuppose une antichambre avec un banc, puisqu’il nous décrit un jeune homme assis à la droite. Les fouilles archéologiques autour du site de l’ensevelissement de Jésus ont révélé deux types de tombeau, le kōkîm et l’arcosolium. Si on se fie à Jean 20, 12, le corps de Jésus aurait été placé sur un banc, car un ange se trouve à l’endroit où avait été placée la tête, un autre au pied. Mais la reconstruction du tombeau de Jésus à partir du site du Saint-Sépulcre pointe plutôt vers un arcosolium.

        • À qui appartenait le tombeau dans lequel on a placé Jésus? Deux réponses ont été proposées.

          1. La première proposition essaie d’interpréter le silence de Marc. On peut imaginer qu’à l’extérieur des murs de Jérusalem, à l’endroit où on crucifiait habituellement les criminels, il devait y avoir un lieu de sépulture pour les criminels qu’on avait condamné à mort, i.e. des trous creusés dans la paroi rocheuse de la colline utilisée pour l’exécution; cette proximité était sans doute une nécessité pour ensevelir un mort avant le coucher du soleil. Ainsi, Joseph, comme membre du Sanhédrin, devait avoir accès à ces tombeaux pour ceux qui avaient été condamnés. La seule objection à cette proposition est que, ce qu’on a trouvé au Saint-Sépulcre, si c’est authentiquement le tombeau de Jésus, est plus élaboré que ce qu’on aurait réservé pour l’inhumation de criminels.

          2. La deuxième proposition s’appuie sur Matthieu 27, 60 qui parle du tombeau personnel de Joseph. Cette proposition a l’avantage d’expliquer clairement pourquoi Joseph y avait droit d’accès. Mais plusieurs objections apparaissent. Tout d’abord, Matthieu est le seul évangéliste à mentionner qu’il s’agirait du tombeau personnel de Joseph; cela correspondrait à son expansion du rôle de Joseph pour en faire un disciple de Jésus, et cela aurait l’avantage de fournir une explication simple du droit de Joseph d’y déposer Jésus. Ensuite, sur le plan historique, Joseph n’était pas un disciple de Jésus au moment de l’ensevelissement : comment un membre du Sanhédrin qui vient de condamner Jésus aurait-il permis qu’on utilise son propre tombeau pour déposer un criminel? Certains ont émis l’hypothèse d’une action temporaire. Mais rien dans les évangiles ne fait allusion à quelque chose de temporaire. Enfin, quelle est la probabilité que Joseph aurait choisi un lieu d’exécution comme tombeau personnel? Certains ont émis l’hypothèse de la proximité de la ville sainte. Mais la vallée du Cédron était aussi proche de la ville et un lieu plus probable pour les tombeaux personnels.

            Ainsi, si la première proposition a l’avantage de ne pas dépendre d’indices extérieures, on ne peut aller plus loin que l’étape des conjectures. Ce qui est clair, Marc ne s’attendait pas à ce que ses lecteurs posent cette question.

      3. Les deux Marie (15, 47)

        On se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques le jeune et de José, et Salomé), à l’ensevelissement (Marie Magdeleine, Marie de José), au tombeau vide (Marie Magdeleine, Marie de Jacques et Salomé). Rappelons que ces femmes ne sont pas vraiment impliquées dans l’ensevelissement, ni ne pleurent sur Jésus. Pour Marc, elles ne font qu’observer, observer non seulement où on l’a placé, mais aussi comment on l’a placé; car elles viendront au même endroit à Pâques.

    2. L’ensevelissement de Jésus selon Matthieu 27, 59-61

      • Le récit de Matthieu est marqué par le fait que Joseph est maintenant un disciple de Jésus, et c’est donc son maître qu’il ensevelit, non un criminel. Contrairement à Marc, le Joseph de Matthieu n’a pas besoin d’improviser l’achat d’une toile de lin : on doit présumer qu’il s’attendait à une réponse positive de Pilate et avait tout le matériel sous la main. Cette toile était katharos, propre, mais si on fie à d’autres textes bibliques, l’adjectif renvoie au lin fortement blanchi, d’où notre traduction de blanc propre.

      • Matthieu insiste sur des gestes de révérence à l’ensevelissement. Joseph « enveloppa » (entylissein) le corps de Jésus, plutôt que « enroula » (eneilein) comme chez Marc. On s’est posé la question pourquoi Luc et Matthieu emploie le même verbe « enveloppa » alors qu’ils ne se connaissaient pas. Il est probable que le mot « enveloppa » était devenu un mot standard pour décrire l’ensevelissement de Jésus à la fin du 1ier siècle, comme d’ailleurs le mot « déposer » (tithenai) dans l’expression : déposer le corps de Jésus dans le tombeau.

      • Pourquoi Matthieu parle-t-il du tombeau personnel de Joseph et d’un tombeau neuf? Pour le tombeau personnel, on peut imaginer que dans l’esprit de Matthieu, puisque Joseph était riche et pouvait utiliser le tombeau de son choix, il a choisi le sien. À moins que, après être devenu chrétien, a-t-il acheté le tombeau dans lequel Jésus a été enseveli. L’évangile de Pierre (6, 24) offre une autre piste en parlant du « jardin de Joseph » : le jardin porterait le nom de Joseph à cause de son action à la mort de Jésus, et par la suite on aurait simplifié les choses en parlant du tombeau qu’il possédait. Pour le tombeau neuf, nous sommes peut-être encore une fois devant le développement de la tradition autour de Joseph, puisque Jean 19, 41 et Luc 23, 53, de manière indépendante, font référence au fait que personne n’y avait encore été mis. Ce développement est marqué par une tendance apologétique : si on n’a pas trouvé le corps de Jésus le dimanche de Pâques, ce n’est pas parce qu’il a été confondu avec un autre corps du tombeau.

      • La fermeture du tombeau chez Matthieu n’est pas vraiment différente de celle de Marc, sinon que cette pierre (lithos) était « grande », une information que Marc réserve pour la scène du tombeau vide (Mc 16, 4). Pour Matthieu, comme le tombeau d’un homme riche devait être grand, la pierre devait l’être tout autant. Et il ajoute : « il s’en alla ». Cela permet l’entrée en scène des femmes. Encore une fois, on se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée), à l’ensevelissement (Marie Magdeleine et l’autre Marie), au tombeau vide (Marie Magdeleine et l’autre Marie). Ainsi, tout comme Marc, il y a seulement deux femmes à l’ensevelissement. Mais contrairement à Marc, ces femmes n’observent pas. Pourquoi? Peut-être cela est inutile comme valeur de témoignage, car le témoignage des femmes dans le monde juif était nul. Peut-être aussi faut-il assumer qu’elles observaient, même si ne n’est pas dit explicitement. Quoi qu’il en soit, elles disparaissent du tableau le jour suivant, remplacées par les gardes.

    3. L’ensevelissement de Jésus selon Luc 23, 53-56a

      1. L’ensevelissement par Joseph (23, 53-54)

        Notons d’abord les similitudes et les différences par rapport aux évangiles.

        Semblable à MarcDifférent de MarcRemarques
        Joseph n’est pas un disciple de Jésus En plus du respect de la loi, Joseph agit probablement par respect et compassion
        Tout comme chez Mt, Joseph n’a pas besoin d’acheterSachant l’injustice de la condamnation, il a dû prendre d’avance certaines mesures
        Joseph fait descendre le corps de Jésus
        Tout comme Mt, il préfère le verbe : « envelopper » de toile de linC’est probablement le verbe standard de la tradition à la fin du 1ier siècle
        Tout comme Mt, il préfère le verbe tithenai (déposer le corps) au katatithenai (coucher le corps) de Mc
        Il préfère le mnēma (tombe) de Mc au mnēmeion (tombeau) de Mt
        Comme Mc, il ne parle pas d’une tombe neuve Par contre, parlant d’un lieu où personne n’avait été mis, il affirme l’équivalent du tombeau neuf de Mt et poursuit sa perspective royale amorcée plus tôt avec l’entrée de Jésus à Jérusalem, assis sur un ânon que personne n’avait monté (19, 30)
        Il n’y pas de mention d’une pierre qu’on roule à l’entrée du tombeauCe détail ne sera révélé qu’à Pâques
        Luc place l’indication de temps (jour de préparation et arrivée du sabbat) après l’ensevelissement, non avant comme chez McAvec ce détail, Luc assure son lecteur que la loi juive a été respectée, et ensuite explique pourquoi les femmes doivent rentrer chez elles

      2. Ce que les femmes ont vu et fait (23, 55-56a)

        • Encore une fois, on se réfèrera au tableau précédent sur les Galiléenne qui apparaissent dans trois scènes différentes : en croix (tous ceux connus de lui, les femmes qui l’avaient suivi de Galilée), à l’ensevelissement (les femmes qui étaient venu avec lui de Galilée), au tombeau vide (Marie Magdeleine, Marie de Jacques, Jeanne, les autres femmes). Notons qu’à l’ensevelissement, les « tous ceux connus de lui » sont disparus. De ces femmes, Luc écrit : « ayant accompagné » (v. 55). Ayant accompagné qui? Probablement, Joseph, alors qu’il place le corps de Jésus dans la tombe. Les femmes notent non seulement le lieu du corps, mais le fait qu’on ne l’avait pas parfumé d’huile (« comment le corps de Jésus était déposé »).

        • « Puis, étant retournées (hypostrephein) ». Le verbe hypostrephein est typiquement lucanien. Les femmes retournèrent où? Elles retournèrent probablement là où elles séjournaient à Jérusalem, un lieu où elles avaient des aromates et de la myrrhe qu’elles pouvaient préparer. Il n’y a aucune mention d’achat, comme si Luc voulait que son lecteur sache que les femmes, dans leurs prévisions affectueuses, avaient déjà acquis ce qui est nécessaire : ces femmes qui avaient servi (diakonein) Jésus tout au cours de son ministère (8, 2-3), le serviront jusque dans la mort.

        • Luc utilise le pluriel des mots grecs arōma (aromate) et myron (myrrhe), tout comme Jn 19, 40 pour arōma et Jn 19, 39 pour smyrnon, un synonyme de myrrhe. Le myron désigne toujours un liquide, donc une forme d’huile ou d’onction parfumée qu’appliquait sur le corps. C’était donc le but des femmes de retourner au tombeau le dimanche pour parfumer le corps de Jésus.

        • Luc laisse entendre que les femmes ont eu le temps de préparer les aromates et les huiles odorantes avant l’arrivée du sabbat le vendredi soir. Mais pourquoi se presser? La Mishna Šabbat 23.5 affirme que le jour du sabbat, « ils peuvent préparer tout ce qui est requis pour le corps, l’oindre, le laver, pourvu qu’on ne bouge aucun de ses membres ». Au-delà du fait que des lois plus sévères pouvaient avoir existé à l’époque de Jésus (la Mishna est du 2e s.), cette loi ne s’applique que dans le cas où on n’a pu ensevelir le mort avant le coucher du soleil, un cas différent de celui de Jésus.

    4. L’ensevelissement de Jésus selon Jean 19, 38b-42

      Le récit de Jean est très différent de celui de Marc : Jésus reçoit un ensevelissement honorable, car il sera parfumé avant de le mettre dans le tombeau. C’est la présence de Nicodème qui change tout, car c’est lui qui apporte une mixture de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres. Cette présence est subite, car le « étant venu » signifie qu’il n’était pas au Golgotha lors de l’exécution de Jésus. Comme le Joseph de Marc, il est un homme riche, un membre du Sanhédrin, un homme qui n’a pas eu le courage d’exprimer sa relation à Jésus et doit le rencontrer de nuit (3, 1-10), ou encore de prendre parti pour l’innocence de Jésus, se contentant de soulever un point technique de la loi (7, 50-52). Il faut assumer qu’il était riche, vu la quantité d’aromates qu’il apporte. Ce dernier geste démontre plus de courage qu’il n’en a eu jusqu’ici.

      1. « Environ cent livres » (19, 39b). Le litra correspond à environ 340 grammes, ce qui nous donne ici 34 kg. C’est une quantité extraordinaire (en Jn 12, 3-5, Judas est scandalisé du gaspillage d’argent quand Marthe utilise une livre de myrrhe pour oindre les pieds de Jésus). Et si on parle d’un produit sous forme de poudre, comme cela semble le cas ici, on se trouve à écraser le corps sous un monticule de myrrhe et d’aloès. Trouvant les quantités extravagantes, des biblistes ont essayé de trouver des solutions, comme remplacer hekaton (cent) par hekaston (chacun) pour obtenir : « myrrhe et d’aloès, environ une livre chacun »; ou encore, considérer litra comme une mesure de volume, et non de poids, ce qui donnerait environ 15 litres d’huile parfumée. Il vaut mieux prendre le texte tel qu’il est et reconnaître que ce n’est pas la première fois que Jean utilise de grandes quantités dans des scènes symboliques pour exprimer l’abondance messianique, qu’on songe aux noces de Cana avec ses 500 ou 600 litres d’eau changée en vin (2, 6), ou la pêche miraculeuse avec ses 153 poissons (21, 11). Il veut créer une scène de funérailles royales (notons qu’à la mort d’Hérode le Grand, il a fallu 500 serviteurs pour transporter les aromates). L’arrière-plan biblique est Jérémie 34, 5 (« c’est en paix que tu (Sédécias) mourras. Et comme il y eut des parfums pour tes ancêtres, les rois de jadis qui furent avant toi, de même on en brûlera en ton honneur »). Cette idée de funérailles royales correspond à la proclamation solennelle en croix à travers l’écriteau : le roi des Juifs (Jn 19, 19-20) et au fait qu’il fut enseveli dans un jardin.

      2. « Une mixture de myrrhe (smyrna) et d’aloès (aloē)... avec des aromates (arōma), selon la coutume chez les Juifs pour l’ensevelissement » (19, 39b-40). Ici, Jean ne parle pas d’onction (aleiphein, oindre) comme en 12, 3 à propos de l’action de Marie à Béthanie. Cela pose la question de l’état physique des aromates, i.e. s’agit-il d’une poudre sèche et de petits morceaux, ou plutôt d’une huile parfumée aux aromates. En Marc 16, 1 les aromates sont clairement sous forme liquide, car les femmes veulent oindre le corps de Jésus. Par contre, dans un ensevelissement, on pouvait utiliser des aromates secs dont on saupoudrait le corps et le lieu où il était posé pour enlever les odeurs de décomposition. La description de Jean 19, 40 où on attache le corps de Jésus avec des pièces d’étoffe accompagnées d’aromates ne donne pas l’impression d’un liquide versé sur les pièces d’étoffe. Pour obtenir plus de précision, il faut analyser la relation entre les aromates et la myrrhe et l’aloès.

        Myrrhe (smyrna)
        Dans le vocabulaire grec, il a deux termes pour parler de la myrrhe, myron, utilisé par Luc et que nous avons traduit par huile odorante, et smyrna utilisé par Jean. La Septante emploie myron pour traduire l’hébreu šemen (huile), et Josèphe (Antiquités judaïques 19.9.1 : #358) emploie myrizein pour parler d’une onction parfumée. Cette huile végétale mélangée à une substance parfumée servait au culte, aux produits cosmétiques et à l’ensevelissement. Dans l’onction de Béthanie (Mc 25, 4-8 || Mt 26, 6-12 || Jn 11, 2-5), myron désigne une huile odorante.

        Par contre, smyrna traduit l’hébreu mōr (de la racine mrr, amer) dans la Septante. Cette myrrhe est obtenue par pulvérisation de la gomme-résine qui suinte d’un petit arbuste de la famille de la balsamine, appelé commiphora abyssinica, qui croît au sud de l’Arabie et au nord du Somaliland. En plus de ses propriétés médicinales, on l’utilise comme encens, cosmétique et parfum (voir le verbe smyrnizein chez Mc 15, 23 pour décrire le vin parfumé). À l’ensevelissement, elle servait à éliminer les odeurs désagréables. On pouvait la trouver sous la forme solide (Ct 4, 6) ou liquide (Ct 5, 5).

        Aloès (aloē)
        Les botanistes ne s’entendent pas sur la classification des références bibliques à l’aloès. Pour déterminer la catégorie d’aloès chez Jean, deux candidats ont été proposés.

        1. Il y a l’aloès ligneux, une poudre très aromatique obtenue de l’aquilaria agollocha, un arbre du sud-est asiatique, semblable au bois de santal, qui était importée pendant la période biblique et utilisée comme encens et parfum. L’Ancien Testament (Ps 45, 9; Pr 7, 17; Ct 4, 14) associe l’aloès à la casse, la cannelle et le nard. Par contre, en dehors du monde biblique et aujourd’hui, cette plante n’est pas vraiment considérée comme un aloès.

        2. Le deuxième candidat est vraiment un aloès médicinal, un liquide séché obtenu de l’Aloe vera. Il y a plusieurs espèces d’Aloe vera, dont l’Aloe succotrina provenant des côtes du Yemen avec lequel la Palestine faisait du commerce, et qui avait une odeur âcre et déplaisante, utilisé en médecine et dans l’embaumement. Par contre, il ne s’agit pas ici d’embaumement.

        Aussi, en considérant le fait que Jean emploie aloès avec myrrhe, il faut envisager deux substances odorantes, ce qui élimine l’Aloe succotrina. De plus, comme la plupart des références bibliques parlent d’une substance pulvérisée, il est probable que Jean entend désigner des aromates secs. Et il est même probable que les aromates ne désignent pas ici une troisième substance à côté de la myrrhe et de l’aloès, mais le mélange des deux. Voilà ce dont on couvre le corps de Jésus, et voilà pourquoi la présence des femmes est inutile chez Jean.

      3. « Attaché (dein) avec des pièces d’étoffe (othonion) » (19, 40). Il n’est pas facile de saisir ce que Jean essaie de dire. Plus tôt, il nous a présenté une scène avec des mots semblable dans le récit de Lazare ressuscité : « Le mort sortit, les pieds et les mains attachés (dein) de bandelettes (keiria) » (11, 44). Pourquoi Lazare a-t-il été attaché avec des keiria (bandelettes), et Jésus avec des othonion (pièces d’étoffe) sous la plume du même auteur? Rappelons que si l’utilisation des bandelettes était commune en Égypte pour les momies, elle ne l’était pas en Palestine. De son côté, Marc a parlé d’une toile de lin (sindōn) dans lequel on a enroulé Jésus, ce qui présuppose un resserrement du corps plus lâche. Mais surtout, il parle d’une seule pièce d’étoffe, alors que Jean parle de plusieurs. Cela a suscité beaucoup de discussions chez les biblistes, les uns proposant que sindōn (toile de lin) est une espèce de la catégorie othonion (pièces d’étoffe), et d’autres proposant l’inverse. Que conclure? Sindōn et othonion, surtout au pluriel, sont pratiquement synonymes. Et il faut admettre aussi que chaque évangéliste, plutôt que se référer à une tradition historique, ont probablement préférer décrire la pratique funéraire de leur milieu.

      4. Comment évaluer le geste de Nicodème? Jean nous a présenté Nicodème comme un sympathisant secret de Jésus (3, 2), qui prend sa part sur des points techniques (7, 50-51), mais qui ne va pas jusqu’à s’afficher ouvertement, si bien qu’il tombe sous le reproche formulé par Jésus : « Toutefois, il est vrai, même parmi les notables, un bon nombre crurent en lui, mais à cause des Pharisiens ils ne se déclaraient pas, de peur d’être exclus de la synagogue, car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu » (12, 42-43). Alors comment évaluer son geste au tombeau?

        • Certains biblistes ont interprété de manière négative cette scène : si Nicodème apporte une telle quantité d’aromates, c’est qu’il n’a pas compris que Jésus vit par delà la mort, et lier Jésus avec des pièces d’étoffe est totalement inutile, car Jésus devra sans débarrasser pour ressusciter. Joseph et Nicodème sont dans un cul de sac, car ils considèrent ces funérailles comme définitives et ne voient rien par delà le tombeau. Ainsi, selon ces biblistes, l’évangéliste Jean mettrait Joseph et Nicodème en contraste avec le disciple bien-aimé, qui lui, croit en la résurrection.

        • Les avocats d’une interprétation négative de cette scène se basent sur une mauvaise compréhension de la foi chez Jean qui a plusieurs niveaux. Bien sûr, le disciple bien-aimé est le disciple par excellence en démontrant une foi très perspicace, mais cela ne signifie pas que les autres n’ont pas la foi, comme le voit quand le disciple bien-aimé et Pierre sont mis en contraste (voir la scène du tombeau vide). De plus, pour Jean la scène d’ensevelissement n’a rien de négatif : la résurrection ne rend pas inutile l’ensevelissement, il le rend insignifiant; il s’agit simplement de suivre la coutume (19, 40).

        • Comment donc interpréter le geste de Nicodème? Alors que jusqu’ici il avait agit dans l’ombre, il agit maintenant en plein jour. Il en est de même de Joseph qui avait peur de s’afficher ouvertement par peur des Juifs, voilà qu’il est présenté en rival des Juifs en réclamant aussi le corps de Jésus. Alors que tous les deux avaient donné la priorité jusqu’ici à « la gloire des hommes », voilà qu’ils changent leur priorité. La quantité d’aromates renvoie surtout à l’idée d’un ensevelissement royal, et non pas à celui d’un cul sac ou d’un point final. D’ailleurs, on aura remarqué que Joseph et Nicodème ne posent pas de pierre à l’entrée du tombeau et ne le scellent pas.

        • Il est important de situer cette scène dans le cadre de la la structure du récit de Jean présentée plus tôt. Les deux premiers épisodes (1. l’écriteau sur le roi des Juifs au-dessus de la tête de Jésus; 2. le partage des vêtements par les soldats) montraient comment les ennemis de Jésus ont contribué, sans le savoir, à la victoire de la croix, et maintenant les deux derniers épisodes (5. le côté percé de Jésus et témoignage de celui qui a vu; 6. l’ensevelissement par Joseph et Nicodème) décrivent deux groupes différents de croyants qui glorifient Jésus en faisant ressortir les implications de cette mort : il y a d’abord le disciple bien-aimé qui témoigne que, la demande des Juifs à Pilate, amène un soldat à amorcer la réalisation de la promesse de Jésus de l’eau vivante de l’Esprit qui sortira de lui, puis c’est maintenant Joseph et Nicodème qui ont reçu le courage de témoigner publiquement. On voit se réaliser la parole de Jésus : « Une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (12, 32).

      5. Un jardin, et dans le jardin un tombeau neuf dans lequel personne n’étant encore ayant été déposé. Donc, là, à cause de la préparation des Juifs, car proche était le tombeau, ils déposèrent Jésus » (19, 41-42). Le récit de Jean implique que le lieu d’ensevelissement de Jésus n’était pas loin du lieu où il fut crucifié, ce qui est également impliqué par les synoptiques. Mais ce qu’il y a de particulier chez lui, c’est que le tombeau se trouvait dans un jardin (kēpos), une tradition qui apparaît probablement de manière indépendante dans l’évangile de Pierre. Ce fait est-il plausible? Et quelle signification Jean lui donne-t-il?

        1. Vraisemblance

          L’ensevelissement chez les Juifs avait lieu à l’extérieur des murs de la ville. Au temps de Jésus, une jonction majeure à l’ouest du mur nord, qui englobait le site de la forteresse Antonia (voir le 2e mur de la carte sur Jérusalem), s’appelait Gennath (Josèphe, La guerre juive, 4.4.2 : #146), un nom lié à la Porte du jardin (de l’hébreu gan, et l’araméen gannā’ = jardin), l’une des quatre portes du mur nord. Le nom de cette porte provenait de la présence de jardins dans cette section nord. Et il y avait des sépultures importantes au nord des murs, par exemple ceux des grands prêtres Jean Hyrcan et Alexandre Jannée. Cyril de Jérusalem (vers 350) rapporte qu’on peut encore voir les restes d’un jardin qui avait existé autrefois sur un site adjacent à la basilique du Martyrion que Constantin venait récemment de construire pour honorer le site traditionnel du tombeau de Jésus (voir Catéchèses 14.5). Ainsi, le scénario de Jean où le tombeau de Jésus serait dans un jardin est tout à fait plausible.

        2. Signification

          Nous avons déjà fait remarquer que le récit de la passion de Jean commence dans un jardin, de l’autre côté du Cédron (18, 1). Le fait qu’il se termine également dans un jardin fait inclusion. Est-ce voulu. C’est fort possible. Mais la signification que l’auteur entend donner à la symbolique du jardin est moins claire. Dans la Bible, les rois de Judas étaient ensevelis dans des tombeaux situés dans des jardins (2 Rois 21, 18.26). D’après Néhémie 3, 16, cela aurait été le cas du sépulcre du roi David. Alors Jean, qui entend présenter des funérailles royales, invite-t-il son lecteur à faire ce rapprochement? Les données manquent pour le démontrer, mais ce serait tout à fait approprié de sa part.

  3. Analyse

    1. La préparation et l’inhumation du corps

      La description de l’inhumation chez Marc est laconique : Joseph fait descendre le corps, l’attache avec une toile de lin, le dépose dans un tombeau taillé dans le roc. Matthieu et Luc ont embelli le récit à leur façon. Après l’ensevelissement, Marc nous dit que Joseph roule une pierre sur l’entrée du tombeau. Le récit de Jean est plus compliqué en raison de la présence de Nicodème. Néanmoins, si on se concentre seulement sur Joseph, en oubliant Nicodème et ses aromates, on se retrouve avec ceci : Joseph vient et prend le corps, l’attache avec des pièces d’étoffe, et le dépose dans un tombeau situé dans un jardin tout près, un tombeau nouveau dans lequel personne n’avait été placé. La partie en italique représente un embellissement qui provient probablement d’une étape ultérieure de la tradition johannique. Une fois enlevé cet embellissement, les récits de Marc et Jean apparaissent semblables. Comme Jean est indépendant de Marc, on peut affirmer qu’une tradition commune s’est formée en langue sémitique à un stade préévangélique, et que cette tradition commune a pris des variantes différentes quand elle a été formulée en grec, avant même d’être utilisée par les évangélistes. Dans sa version préévangélique, il n’y a rien dans cette tradition qui rend improbable sa valeur historique. Regardons maintenant d’autres détails.

      1. Est-ce que c’est Joseph qui est responsable de l’enlèvement de Jésus de la croix selon le récit préévangélique?

        Les évangiles s’entendent pour dire qu’il fallait la permission de Pilate, mais ne s’entendent plus sur la suite des choses : pour l’un, les soldats de Pilate se sont occupés de détacher les corps (Matthieu implicitement, Jean), pour l’autre c’est Joseph (Marc, Luc). Malheureusement, les données manquent sur la coutume romaine concernant les funérailles particulières des crucifiés. Les Romains tenaient-ils à se montrer maître de la situation en ne laissant personne toucher au corps, ou au contraire, s’épargnaient-ils l’effort de détacher les corps et laissaient avec mépris le requérant faire le travail physique? Faute de données, on ne peut trancher cette question, mais la première réponse apparaît la plus probable.

      2. Quels sont les détails sur le tombeau qui faisaient partie du récit préévangélique de l’ensevelissement?

        Marc nous dit que le tombeau était taillé dans le roc, un détail que ne mentionne pas Jean, qui écrit plutôt qu’il était situé dans un jardin tout près du site de la crucifixion. Nous avons déjà mentionné que des tombeaux taillés dans le roc étaient communs dans cette section nord de Jérusalem, et qu’il y avait une porte appelée « porte du jardin », vraisemblablement en raison de la présence de jardins ou vergers. Ainsi, si des chrétiens ont conservé le souvenir du tombeau de Jésus, tous ces détails pourraient exprimer des faits, comme la présence d’une pierre pour bloquer l’entrée d’un tombeau à l’horizontal et le fait qu’il était tout près du lieu de la crucifixion, un détail vraisemblable en admettant le peu de temps dont on disposait pour transporter le corps. Mais il n’y aucun moyen de poser un jugement définitif. Il est peu probable que les chrétiens se souvenaient du tombeau exact où Jésus a été déposé. Et le fait qu’il n’y ait pas d’accord chez Marc et Jean sur ces détails rend peu probable qu’ils faisaient partie d’une tradition préévangélique. Quant au détail sur le tombeau neuf où personne n’avait été placé (Matthieu, Jean), c’est clairement un ajout ultérieur dans un but apologétique.

      3. Joseph a-t-il fermé le tombeau avec une pierre dans le récit préévangélique?

        D’après Marc, Joseph a roulé lui-même la pierre sur la porte du tombeau. Par contre, ni Luc ni Jean ne précisent qui a apporté cette pierre. Dans l’évangile de Pierre, ce sont les soldats romains et les autorités juives. Mais, le dimanche de Pâques, les cinq évangiles s’entendent pour dire que la pierre a été enlevée. Et dans la tradition préévangélique sur la découverte du tombeau vide par Marie Magdeleine, on spécifie que le tombeau est ouvert parce que la pierre a déjà été enlevée. Quel sens donner à tout cela? On peut imaginer que, connaissant cette tradition de la découverte le dimanche matin de la pierre enlevée, on a extrapolé que cette pierre a dû être mise là par celui qui était responsable de son ensevelissement, Joseph. Parler d’extrapolation n’empêche pas que cela puisse être un fait historique, tout comme accepter comme probablement historique que Joseph ait fermé le tombeau de Jésus n’implique pas nécessairement que cela fasse partie de la tradition préévangélique. Ce dernier point n’apparaît pas chez Jean, et cela suggère qu’il n’y avait pas de fermeture de tombeau dans la tradition préévangélique. Mais il faut reconnaître que c’est peut-être Jean qui a éliminé ce détail pour montrer que Joseph, nouveau disciple, était ouvert sur la résurrection.

      4. Les aromates ont-ils été mentionnés dans le récit préévangélique de l’ensevelissement?

        Jean mentionne, dans la scène autour de Nicodème, la myrrhe, l’aloès et les aromates sous forme solide. Luc raconte que des femmes préparent le vendredi soir, avant l’arrivée du sabbat, des aromates et de la myrrhe sous forme liquide. Chez Marc, les femmes achètent des aromates liquides le matin de Pâques, avant de se rendre au tombeau. Comme aucun de ces trois évangélistes n’associent les aromates à Joseph, on peut conclure qu’il est peu probable que la tradition préévangélique sur l’ensevelissement contenait une mention des aromates.

    2. La présence et l’activité des personnages autres que Joseph

      1. Les femmes galiléennes

        • Si on se réfère au tableau sur les femmes que nous avons présenté plus tôt, on se rappellera qu’elles apparaissent à trois moments : à la croix, à l’ensevelissement et au tombeau vide à Pâques. Le consensus général chez tous les évangélistes est Marie Magdeleine trouvant le tombeau vide le dimanche de Pâques. Si on ajoute à cela la tradition ancienne sur Marie Magdeleine comme la première personne à avoir fait l’expérience de Jésus ressuscité, tout cela a pu contribuer à nourrir la mémoire sur les femmes galiléennes. Dans ce souvenir, on peut inclure la tradition de la présence de ces femmes sur le lieu de la crucifixion de Jésus, comme en témoigne à la fois Marc 15, 40 et Jean 19, 25 : il est fort probable que la tradition préévangélique mentionnait la présence de trois femmes à la crucifixion, Marie Magdeleine, une autre Marie, et une troisième femme.

        • Mais leur présence à l’ensevelissement présente des problèmes. Chez Jean, elles sont absentes. Chez Marc, elles ne jouent aucun rôle dans l’ensevelissement. Il est donc tentant d’y voir une création après coup : à partir de leur présence au tombeau vide et de la tradition de leur présence à la crucifixion, on a assumé qu’elles devaient être là au moment de l’ensevelissement. Pour Marc, cela permettait de faire le lien entre la crucifixion et la résurrection : Joseph se trouve à conclure le récit de la passion avec l’ensevelissement, tandis que l’observation des femmes nous oriente vers la résurrection qui s’en vient.

        • Ainsi, la tradition ancienne sur les femmes à la crucifixion contenait trois noms : Marie Magdeleine, une autre Marie et une troisième femme, et la tradition ancienne au tombeau vide contenait le nom de Marie Magdeleine (et vaguement d’autres femmes). On peut imaginer que les noms des femmes au tombeau vide furent harmonisés avec celle à la crucifixion, mais sous une forme abrégée : chez Marc, c’est devenu Marie Magdeleine, Marie de Jacques et Salomé (16, 1). Quant à leur présence à l’ensevelissement, une création après coup, cette forme abrégée chez Marc s’est poursuivie, mais cette fois avec la décision consciente de nommer ici celui qui sera omis en 16, 1: Marie Magdeleine et Marie de José. Matthieu a poussé plus loin la simplification en parlant seulement de Marie Magdeleine et de l’autre Marie à la fois à l’ensevelissement et au tombeau vide.

      2. Nicodème

        • Ce personnage n’apparaît que chez Jean, et donc est absent des synoptiques. Comment expliquer cela? Les biblistes se sont demandés : en plus de Joseph, il y a peut-être eu d’autres membres du Sanhédrin sympathiques à Jésus, et la tradition les aurait sans doute tous amalgamés dans la figure de Joseph, sauf l’évangéliste Jean? Le problème avec ce point de vue est qu’il contredit le fait que Jésus aurait reçu un ensevelissement rapide et minimal, typique pour un criminel dans une situation où on veut simplement respecter la loi; il n’y a pas de place pour une figure juive sympathique à Jésus. À l’opposé, certains biblistes ont soutenu que Nicodème est une pure création de l’évangéliste Jean, un sosie de Joseph pour lui attribuer d’autres fonctions en dehors de l’ensevelissement, un modèle pour les chefs de synagogues qui avaient des sympathies pour les chrétiens de la communauté johannique, sans s’afficher ouvertement. Ce dernier point de vue est peu probable.

        • Commençons avec 2 observations qu’on peut faire avec assurance.

          1. Le rôle de Nicodème était absent du récit préévangélique de l’ensevelissement; ce rôle est typiquement johannique dans sa présentation de l’ensevelissement comme le sommet dans la croix victorieuse
          2. Tout comme le disciple bien-aimé avec la scène sur le sang et l’eau, Nicodème a pour fonction d’établir la symbolique théologique de la scène d’ensevelissement

          Mais parler d’une fonction théologique ne signifie pas qu’il ne s’agit pas d’une figure historique. Par exemple, à plusieurs reprises Simon Pierre joue une fonction symbolique, cela n’empêche pas qu’il puisse également être un figure historique. Il en est de même du disciple bien-aimé, une figure insignifiante dans la tradition commune, surtout si on la compare à celle des Douze, mais qui avait une importance majeure dans la communauté johannique pour laquelle il était un modèle à suivre. Aussi, on n’a aucune raison de nier l’historicité de la figure de Nicodème, sans aller cependant jusqu’à garantir qu’il était présent à l’ensevelissement, tout comme on ne peut garantir de la valeur historique de toutes les apparitions du disciple bien-aimé chez Jean. Pour établir la valeur historique d’une scène, il faut d’autres éléments, en particulier la présence ou l’absence de contraction avec les récits synoptiques. Dans le cas qui nous occupe, il y a apparemment une contraction.

    3. L’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem

      • Cette église est située là où il est vraisemblable que Jésus fut crucifié et enseveli, i.e. au nord du second mur, près de la « Porte du jardin ». Les fouilles ont révélé une ancienne carrière qui avait commencé à être remplie pour servir de jardin pour les céréales et les arbres fruitiers (figues, caroubes, olives), ainsi que de site d’ensevelissement, surtout des kōkîm (sorte de pigeonnier). Mais pourquoi le site du Saint-Sépulcre serait-il le plus probable, parmi tous les sites possibles?

      • Commençons par la question : quelle est la probabilité que les chrétiens se seraient souvenus correctement du tombeau de Jésus, alors qu’ils n’ont pas gardé de souvenir sur beaucoup d’autres événements qui lui sont associés? Même si une tradition ancienne raconte la découverte du tombeau vide par Marie Magdeleine, les récits que nous avons sont lourdement marqués par une perspective théologique, comme en témoigne l’ajout d’un ou des anges, pour exprimer la signification religieuse du tombeau vide. Malheureusement, l’intérêt pour la symbolique du tombeau ne s’accompagne pas nécessairement d’une connaissance exacte du site. Même la remarque de Marc d’un tombeau taillé dans le roc ne nous aide pas beaucoup.

      • Ce qu’on sait par ailleurs, il y avait à cette époque une vénération croissante pour les tombeaux des martyres et des prophètes. Les tombeaux présumés des Maccabées étaient vénérés. Au 4e s., des chrétiens d’Antioche avaient fait des tombeaux juifs un lieu de prière et de pèlerinage (voir La vie des Prophètes, dont la tradition pourrait remonter au 1ier s., sur les tombeaux d’Isaïe à Jérusalem, d’Aggée, de Zacharie). La vallée du Cédron et le nord de Jérusalem sont couverts de tombeaux monumentaux. Un exemple typique est le tombeau de la reine Hélène d’Adiabène, morte environ 25 ans après Jésus, qui est taillé dans une carrière, contenant à la fois un kōkîm et un arcosolium, fermé par une pierre qu’on roule. Alors, dans ce contexte, puisque le tombeau vide de Jésus était associé à sa résurrection, les chrétiens ont peut-être vécu ce que dit Berakot 9.1 : « Quand un lieu indique l’endroit où s’est opéré des merveilles en Israël, dites : ’Que soit béni Celui qui a fait des merveilles pour nos ancêtres à cet endroit’ ».

      • D’autres facteurs ont pu jouer dans le souvenir du lieu. Jacques, le frère de Jésus, était une figure imminente dans l’Église de Jérusalem jusqu’à ce qu’il soit mis à mort en l’an 62 par le grand prêtre Ananie II (Josèphe, Antiquités Judaïque 20.9.1 : #200). Au cours de cette période qui s’étend de l’an 30 (mort de Jésus) jusqu’à sa mort, il a pu démontrer un intérêt familial pour la tombe de son frère, tout comme le reste des membres de la famille, un intérêt qui a pu contribuer à une tradition vivante. Les ensevelissements dans ce jardin de la carrière se sont arrêtés avec la construction d’un troisième mur par Agrippa I (41-44), étendant les limites de la ville beaucoup plus au nord (voir la carte sur Jérusalem). Le souvenir du site a été davantage compliqué avec la seconde révolte juive quand l’empereur Hadrien, après avoir mâté la révolte, a reconstruit la ville sous un nouveau nom, Aelia Capitolina, et en l’an 135, a fait construire un temple à Aphrodite, une structure carrée sise sur une immense plateforme couvrant, probablement de manière accidentelle, le lieu même du site du tombeau de Jésus (voir la maquette du site et du temple). Quant au Golgotha, si on en croit saint Jérôme, il sortait en saillie de la plateforme et servait de base à la statue d’Aphrodite.

      • C’est en 325, selon Eusèbe de Césarée et Cyrille de Jérusalem, tous deux contemporains des événements, que les architectes de l’empereur Constantin, qui voulait mettre à jour les lieux saints et les honorer avec une église, consultèrent la tradition locale sur le site de la crucifixion et du tombeau. Après avoir démoli les bâtiments et creusé le remplissage, ils arrivèrent à un tombeau sous forme de caverne. Cyrille de Jérusalem, qui a prêché dans la basilique de Constantin vers l’an 350, parle d’une grotte ou caverne, prétendant que la pierre pour la fermer était encore là. Les architectes de Constantin ont d’abord construit un basilique orientée est-ouest, appelée Martyrion (complétée en 336, voir la maquette du site). Puis, ils ont travaillé sur le tombeau, dans un jardin de la cour de la basilique, laissant intact l’intérieur avec sa niche, mais éliminant l’antichambre ainsi que le mur de roc qui l’entourait, laissant simplement la forme d’un bloc se détachant du sol; sur cet ensemble ils ont édifié un édicule, appelé « anastasia » (résurrection), avec une coupole dorée et des colonnes de marbre. Quant au Golgotha, il jouxtait le mur ouest de la basilique. Ainsi, l’édicule de la résurrection, la basilique et le Golgotha formaient un complexe avec trois sites majeurs.

      • Regardons rapidement la suite des événements.
        614Les Perses envahissent la ville et enlèvent les précieuses décorations de l’édicule, mais ne touchent pas au tombeau qui n’est pas endommagé par l’incendie accompagnant le pillage
        Vers 900Incendie majeur qui n’endommage pas le tombeau
        1009Ḥākim, du califat fatimide du Caire, dans un effort pour abolir le christianisme, détruit tout le complexe et nivelle pratiquement le tombeau, laissant seulement les traces des murs nord et sud
        1049On érige une réplique du tombeau et on restaure partiellement l’édicule, mais sans rebâtir la basilique
        1099Les croisées construisent une église couvrant à la fois le tombeau et le calvaire, complétée en 1149 et ayant à peu près la forme de l’église actuelle (voir la maquette). Le Golgotha, à l’intérieur de l’église, est équarri et recouvert d’un coffre de marbre. Quand au site du Saint-Sépulcre, il devient un lieu d’ensevelissement pour les rois croisés du Royaume latin de Jérusalem
        1187Les croisés sont expulsés
        13e – 20e s.Une suite d’incendies et de tremblements de terre laissent beaucoup de cicatrices et affaiblissent la structure de l’église. L’église est enlaidie par un ensemble de poutres qui demeurent là pour l’empêcher de s’écrouler
        1959Début de sa reconstruction et redécouverte des structures souterraines, en particulier des vestiges timides des murs de la caverne qui a les meilleurs chances d’être le lieu d’ensevelissement taillé dans le roc où Joseph aurait déposé le corps de Jésus.

Chapitre suivant: L'ensevelissement de Jésus, troisième partie : le jour du sabbat; le garde au sépulcre

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